Contenu du sommaire : Eboussi Boulaga

En partant de sa méthode telle qu'explicitée dans Les conférences nationales en Afrique noire, des enjeux de celle-ci et des objets qu'il a privilégiés dans Terroirs. Revue des sciences sociales et de philosophie, qu'il a lui-même fondée au début des années 1990, cet article interroge la conception de la philosophie de Fabien Eboussi Boulaga. Il montre que, pour l'auteur de La crise du Muntu, qui s'est toujours méfié de la philosophie des professeurs, philosopher, c'est interroger, élucider ce qui se passe, le quotidien, pour en dégager le sens en évitant de faire intervenir des catégories venant d'une autre expérience. Puisque ce qui se passe nous affecte et nous définit, pour le philosophe, interroger et élucider ce qui se passe, c'est aussi interroger son propre être, sa propre existence.

La relecture de la pensée de Fabien Eboussi Boulaga montre la capacité du philosophe de se détourner de la vision binaire qui oppose temps et lieux par le biais de l'origine. Si « passé et avenir sont des points de fuite », il faut « penser spatialement » afin d'envisager l'être humain non comme un produit historique, et ses œuvres non comme le résultat d'une « évolution » dans le temps, mais comme le fruit d'une « réinvention » toujours nouvelle. La notion de « topologie » – issue, entre autres, de la lecture boulaguienne du mathématicien interdisciplinaire René Thom (1923-2002) – est analysée dans cet article tout en tenant compte de sa portée épistémologique, politique et sociétale, et ce à partir du rapprochement entre « Topologie et anarchie » opéré par Eboussi Boulaga dans l'essai éponyme présenté une première fois en 2003, puis en 2018, l'année de sa mort.

L'œuvre d'Eboussi Boulaga offre des ressources pour discuter de l'espace. À la fois canal et matérialisation de la domination, l'espace constitue également pour le sujet une voie pour se remettre debout. À l'interface de considérations qui le voient comme une projection de l'activité sociale et de postures qui en font une modalité, voire un schème, de pensée, l'espace éboussien fournit des clés pour donner sens à la réalité.

Au début de Christianisme sans fétiche, Eboussi Boulaga évoque l'Extirpation des idolâtries menée au xviie siècle contre les Indiens du Pérou pour comprendre la situation africaine et le déracinement de « l'être-au-monde » du Muntu par la colonisation. En tant que destruction du noyau mythico-rituel et éthique de la tradition, l'Extirpation missionnaire est la clé de la négation de la politique qu'a cristallisée l'Etat-administration africain. Les conférences nationales en Afrique francophone sont alors pour Eboussi Boulaga une tentative de restauration du fondement de la politique à travers la reprise de l'action ancestrale traditionnelle d'instauration de la communauté et d'un futur autre.

Au fil de cet échange, le professeur de littérature Ambroise Kom rassemble récits et souvenirs pour évoquer deux figures de la pensée camerounaise contemporaine qu'il a connues et fréquentées, le penseur Fabien Eboussi Boulaga (1934-2018) et l'écrivain Mongo Beti (1932-2001). Elles apparaissent comme deux incarnations intellectuelles du « paria conscient », cet être qui, tel que le décrit Eboussi Boulaga dans le recueil de textes Lignes de résistance, sillonne du côté des vaincus de l'histoire – loin de la « grande épopée triomphante de la domination ». Contre l'intellectuel d'État, qui confond sciemment avoir, savoir et pouvoir, cette figure du paria constitue un modèle autre pour celles et ceux qui, étrangers aux institutions et au pouvoir, tentent d'imaginer, de penser de nouveaux possibles existentiels et politiques dans les mondes postcoloniaux africains. Ambroise Kom livre ainsi le témoignage d'une scène intellectuelle qui s'est construite à la charnière du temps colonial et des indépendances, tentant d'élaborer des outils pratiques (journaux, revues, librairie…) et conceptuels dans un contexte politique marqué par l'arbitraire de l'État postcolonial et la violence des reconfigurations contemporaines du capitalisme, un des enjeux portés par les textes de ces auteurs étant de développer des écritures neuves, en situation, conscientes de leur lieu d'énonciation et de production.

Le renouveau des politiques publiques en Afrique suscite une multiplication d'ateliers, séminaires et autres forums pluri-acteurs, que la recherche néglige largement. Cinq ans après le vote d'un nouveau Code domanial et foncier, le Forum national sur le foncier au Bénin de 2018 a permis de socialiser l'information sur les avancées dans sa mise en œuvre et d'engager un dialogue critique sur les rapports entre élus locaux et administration foncière. Il a ainsi marqué une étape dans un processus continu de négociation de la politique foncière, en actualisant des rapports de force entre acteurs. En finançant ces ateliers, les bailleurs de fonds offrent aux réseaux nationaux d'entrepreneurs de politiques qu'ils soutiennent des espaces de confrontation avec les autres parties prenantes et des ressources pour influer sur la trajectoire des politiques.

En avril 2021, un raid rebelle tchadien, bien que repoussé par les forces gouvernementales, occasionna la mort du président Idriss Déby, parti au combat comme à son habitude. Cette mort brutale ne fut qu'en partie une surprise et peu d'observateurs envisageaient que le président tchadien puisse laisser le pouvoir sans brutale. Mais alors que sa disparition aurait pu offrir l'opportunité d'une transition démocratique, la France et d'autres alliés semblent soutenir une succession familiale et militaire, qui s'apparente à un « régime d'exception » au regard de condamnations internationales plus claires envers d'autres tentatives autoritaires dans la région.

L'Éthiopie connaît depuis novembre 2020 une guerre civile. Cet article tente d'en restituer la trajectoire et d'en expliquer les principaux ressorts, en revenant sur la marche à la guerre, les violences du conflit, et ses dimensions internationales. Sur la base d'enquêtes de terrain menées pendant la guerre, l'article montre ce que la violence doit à des luttes dont les enjeux sont la forme de l'État, la politisation de l'ethnicité et la mise en place d'une nouvelle hégémonie partisane autour du Parti de la prospérité. L'article insiste sur le mode de gouvernement de ce régime, qui articule un réveil des mobilisations ethno-nationalistes au renouvellement d'un contrôle partisan marqué par des dynamiques de cooptation et de répression des opposants, sur fond d'enrôlement des populations civiles dans la violence.