Contenu du sommaire : Les vies de la science sous le socialisme tardif, 1945-1991

Revue Cahiers du monde russe Mir@bel
Numéro volume 63, no 1, janvier-mars 2022
Titre du numéro Les vies de la science sous le socialisme tardif, 1945-1991
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  • Dossier. Les vies de la science sous le socialisme tardif, 1945-1991

    • Les vies de la science sous le socialisme tardif, 1945-1991 : Introduction - Grégory Dufaud, Ksenia Tatarchenko p. 9-20 accès libre
    • The lives of late Soviet science, 1945-1991 : Introduction - Grégory Dufaud, Ksenia Tatarchenko p. 21-32 accès libre
    • Tournant dans l'irrigation soviétique : la controverse sur le drainage, 1947-1950 - Marc Elie p. 33-58 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article examine la controverse sur la salinisation des sols qui opposa les partisans du drainage aux promoteurs des rotations herbagères de Vasilij Vil´jams au cours des grandes « discussions idéologiques » qui agitèrent les milieux scientifiques du dernier stalinisme. La controverse entre les premiers, les drenažniki, emmenés par Viktor Kovda, et les seconds, les travopol´ščiki, autour de Vagram Šaumjan, montre que, malgré la considérable polarisation idéologique des discussions, celles-ci pouvaient se résoudre par l'adoption de paramètres économiques pragmatiques. Si les anti-drainage ont perdu, alors que le triomphe de Trofim Lysenko lors de la session d'août 1948 de l'Académie des sciences agricoles (VASHNIL) aurait dû leur donner la victoire, c'est parce que les draineurs offraient une solution compatible avec les projets d'extension de l'irrigation. Lysenko, au sommet de sa gloire, donna raison aux draineurs, corrigea ses propres convictions théoriques et désavoua ses alliés. Ce pragmatisme permit de lever peu à peu le verrou idéologique qui pesait sur l'extension de l'irrigation.
      This article examines the controversy over soil salinization that pitted proponents of drainage against promoters of Vasilii Vil´iams' grassland rotations during the great “ideological discussions” that agitated scientific circles during late Stalinism. The controversy between the former, the drenazhniki, led by Viktor Kovda, and the latter, the travopol´shchiki, gathering around Vagram Shaumian, shows that, despite a considerable ideological polarization, the discussions could be resolved with the adoption of pragmatic economic parameters. If the detractors of drainage lost, although Trofim Lysenko's triumph at the August 1948 session of the Academy of Agricultural Sciences (VASKhNIL) should have given them victory, it was because the supporters of drainage offered a solution compatible with irrigation expansion projects. Lysenko, at the height of his fame, nonetheless had to agree with the partisans of drainage, correct his own theoretical convictions and disown his allies. This pragmatism allowed the ideological lock on the extension of irrigation to be lifted little by little.
    • The good, the bad, and the pochvoved: Viktor Kovda, Soviet soil science, and the agromeliorative complex - Timm Schönfelder p. 59-80 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'article place la focale sur le pédologue soviétique Viktor Kovda (1904-1991) pour offrir un aperçu de l'histoire d'une discipline scientifique prise entre empirisme et idéologie. Il retrace dans ses grandes lignes l'évolution de la pédologie en Russie et en Union soviétique, montrant qu'elle n'était pas complètement contrôlée par l'État et que ce dernier n'était pas nécessairement influencé dans ses politiques par le vaste corpus de recherches effectuées par les pédologues. À ce titre, Kovda était à la fois un véritable politicien de la pédologie et un propagandiste de ses propres idées sur la mise en valeur des sols et l'agriculture. Tout au long de sa longue carrière universitaire, il a manœuvré avec succès entre les écueils de l'idéologie d'État et de la pseudo-science, tant au niveau national qu'international. Luttant contre la dégradation et la destruction naturelle des sols, Kovda a émis des critiques précieuses à l'encontre du complexe, en pleine évolution, de bonification des sols, représenté depuis le milieu des années 1960 par l'influent ministère des Eaux et de la Bonification (Minvodhoz), pour sa focalisation unilatérale sur des solutions hydrotechniques qui faisaient fi des exigences écologiques. Finalement, le Minvodhoz fut dissous sous Gorbačev et un terme fut mis aux plans ridicules des méliorateurs. La capacité des pédologues à transformer la société soviétique et postsoviétique selon leurs idéaux épistémiques s'est toutefois rapidement essoufflée.
      This article focuses on Soviet soil scientist Viktor Kovda (1904-1991) and offers insights into the history of pedology, a scientific discipline caught between empiricism and ideology, and broadly traces its evolution in Russia and the Soviet Union. Pedology was neither completely controlled by the state nor were state policies necessarily influenced by the large body of research done by its representatives. As such, Kovda was both a true politician of pedology and a propagandist of his own ideas on soil reclamation and agriculture. Throughout his long academic career, he successfully maneuvered the deceptive shallows of state ideology and pseudo-science both domestically and internationally. Combatting soil degradation and natural destruction, Kovda presented valuable criticism against the evolving agromeliorative complex, represented since the mid-1960s by the influential Ministry of Melioration and Water Management (Minvodkhoz), for its one-sided focus on hydrotechnical fixes that ignored ecological requirements. Eventually, Minvodkhoz was dissolved under Gorbachev and the meliorators' ludicrous plans were halted. The pedologists' potential to transform Soviet and post-Soviet society according to their epistemic ideals, however, quickly lost momentum.
    • Trajectoires internationales de physiciens soviétiques : la diplomatie comme compromis avec leurs autorités - Jean-Philippe Martinez p. 81-102 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Après la seconde guerre mondiale, la science connut un processus d'institutionnalisation internationale et devint dans le contexte de la guerre froide un élément essentiel de la diplomatie culturelle des États. En se penchant sur la trajectoire individuelle de plusieurs physiciens, cet article questionne l'insertion de l'URSS à cette dynamique et la place réelle de ses savants dans la mise en place d'une diplomatie scientifique soviétique. L'auteur y discute tout d'abord du caractère privilégié du voyage à l'étranger et met en évidence différents éléments de continuité dans la forte symbiose entre science et politique qui résultait de la période stalinienne. Enfin, il détaille comment l'appropriation par les scientifiques des enjeux diplomatiques associés à leur nouvelle fonction de représentation a permis l'établissement avec les autorités soviétiques d'un compromis pour la poursuite dans un contexte international d'objectifs de développement professionnel.
      After the Second World War, science underwent a process of international institutionalization and became an essential element in the cultural diplomacy of national states in the context of the Cold War. This article examines the individual trajectories of several physicists and looks at the integration of the USSR into this dynamic and the real place of Soviet scientists in the establishment of real Soviet scientific diplomacy. First, the author discusses the privileged nature of trips abroad and highlights different elements of continuity in the strong symbiosis between science and politics that resulted from the Stalinist period. Last, he details how the appropriation by scientists of the diplomatic issues associated with their new function of representation allowed them to establish a compromise with the Soviet authorities for the pursuit of professional development objectives in an international context.
    • East-West scientific collaboration face-to-face with dissidence: The logic of the International Committee of Mathematicians in defence of Plyushch and Shikhanovich - Sophie Cœuré p. 103-122 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le cas des mathématiciens Leonid Pljušč et Jurij Šihanovič, arrêtés en 1972 et enfermés en hôpital psychiatrique pour leurs « actes antisoviétiques » entraîna la communauté des mathématiciens dans un débat politique international public et durable. L'objectif de cet article est d'analyser les origines de la protestation des mathématiciens occidentaux en faveur de leurs collègues soviétiques. Comment ces mécanismes internationaux de mobilisation politisée ont-ils émergé, en relation avec les affirmations persistantes de la valeur de discussions scientifiques ouvertes et neutres ? Sur la base d'archives inédites et d'entretiens, l'article décrit le contexte de la coopération mathématique internationale qui se développa pendant la détente et analyse l'organisation asymétrique des relations entre les mathématiciens soviétiques et occidentaux. Il défend l'idée du tournant décisif que fut la contamination du bon déroulement de la collaboration scientifique par la dégradation de l'image internationale de l'URSS au début des années 1970. L'article met en lumière la chronologie précise de l'émergence d'un débat international et les spécificités des premières années du Comité international des mathématiciens pour la défense de Pljušč et Šihanovič (1972-1974), qui remit en question l'unité de cette communauté de chercheurs. La politique fit irruption dans la science au Congrès de l'Union mathématique internationale (IMU) à Vancouver en août 1974. La collaboration internationale poststalinienne entre mathématiciens soviétiques et occidentaux et ses désillusions créèrent ainsi les conditions d'une mobilisation transnationale spécifique, profondément enracinée dans le sentiment d'une certaine « fraternité professionnelle » et de valeurs partagées, qui n'effaçait pas le mathématicien derrière le dissident.
      The case of mathematicians Leonid Pliushch and Iurii Shikhanovich, who were arrested in 1972 and locked up in psychiatric hospitals for their “anti-Soviet acts,” pushed the mathematical research community into a long-lasting and public international political debate. This article aims to analyze the beginnings of the protest this generated among Western mathematicians in support of their Soviet colleagues. How did these international mechanisms of politicized mobilization emerge in relation to ongoing claims about the value of open and neutral scientific discussions? Based on new archival research and interviews, the paper explains the context of mathematical international cooperation that emerged after Stalin and the asymmetric organization of the connections between Soviet and Western mathematicians. The author argues that the early 1970s marked a turning point with the degradation of the USSR's international image tarnished scientific collaboration. The analysis then sheds light on the precise chronology of the international debate and the specificities of the first years of the International Committee of Mathematicians in Defence of Plyushch and Shikhanovich (1972-1974), which questioned the community's unity and caused politics to erupt into science at the the International Mathematical Union's (IMU) congress held in Vancouver in August 1974. The Détente international collaboration between Soviet and Western mathematicians and its disillusions created the conditions for a specific transnational mobilization, deeply rooted in a sense of “professional fraternity” and shared values, which did not erase the mathematicians behind the dissidents.
    • De-mobilized atoms as boundary objects: The short lives of isotopes in the USSR - Galina Orlova p. 123-150 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'appuie sur l'exemple des isotopes radioactifs pour examiner l'utilisation pacifique de l'énergie atomique en URSS dans les années 1950-1960. L'auteure voit en eux des objets-frontière qui relient les mondes de la production secrète de matières radioactives à ceux de l'utilisation ouverte de celles-ci dans l'économie nationale. Une attention particulière est accordée aux interfaces de démobilisation telles que les infrastructures et les locaux institutionnels hybrides (de Glavatom au magasin d'isotopes sur Leninskij Prospekt) qui assurent le fonctionnement des isotopes en tant qu'objets-frontière. L'ordre techno-social – dans lequel le projet de transformer la production, d'améliorer la qualité de vie et de créer les conditions matérielles du communisme à l'aide des matières radioactives coexiste avec les complexités de la mise en œuvre, les risques reconnus et une crise de l'optimisme nucléaire –, est décrit comme le socialisme des isotopes.
      The article studies the peaceful use of atomic energy in the USSR in the 1950s-1960s on the basis of radioactive isotopes. The author considers isotopes as boundary objects that connect the worlds of secret production of radioactive material with the worlds of the latter's open use in the national economy. Special attention is paid to interfaces of de-mobilization – infrastructures and hybrid institutional venues (from Glavatom to the Isotopes store on Leninskii Prospekt) that ensure the functioning of isotopes as boundary objects. The techno-social order, in which the project of transforming production, improving the quality of life and creating the material conditions of communism with the help of radioactive materials, coexists with the complexities of implementation, recognized risks and a crisis of nuclear optimism, is described as socialism of isotopes.
  • Forum. Les statistiques de la Terreur

  • Livres reçus - p. 281-282 accès libre