Contenu du sommaire : Racismes et antiracismes
Revue | Pouvoirs |
---|---|
Numéro | no 181, 2022/2 |
Titre du numéro | Racismes et antiracismes |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
- Race contre classe ? : Conceptum sacer ou la vie nue des concepts - Elsa Dorlin p. 5-19 S'interroger sur « le retour de la race dans les sciences humaines et sociales » dans le contexte d'une polémique particulièrement inquiétante, d'une guerre sémantique et idéologique, qui se joue à l'échelle médiatique, politique, partisane, universitaire et intellectuelle, nécessite de revenir à la généalogie des outils d'analyse critiques mobilisés pour penser les rapports sociaux, d'historiciser les déplacements et les renouvellements des cadres d'analyse des processus de racialisation au sein de la recherche en SHS. Loin d'effacer la « classe » et les antagonismes sociaux, les travaux contemporains sur le, les racismes, ont largement enrichi la bibliothèque du matérialisme historique, mais aussi les conceptualisations de l'idéologie ; et participé à remettre au cœur des études socio-historiques, politistes, philosophiques, culturelles, esthétiques, l'objectivation du capitalisme tardif, des inégalités et injustices, des stratifications sociales propre au néolibéralisme.To question “the return of race in the humanities and social sciences” in a context marked by a particularly disturbing polemic, and a semantic and ideological war played out on a media, political, partisan, academic and intellectual scale, it is necessary to return to the genealogy of the critical analytical tools mobilised to think about social relations, and to historicise the displacements and renewals of the frameworks used to analyse the processes of racialisation in social science research. Far from erasing “class” and social antagonisms, the contemporary research on racisms has largely enriched the literature on historical materialism, but also the conceptualisations of ideology. It has also helped put back the objectification of late capitalism, of inequalities and injustices, of social stratifications proper to neoliberalism at the heart of socio-historical, political, philosophical, cultural, and aesthetic studies.
- Le retour de la race ? - Stéphane Beaud, Gérard Noiriel p. 21-34 Les auteurs de cet article, après avoir indiqué les principales raisons pour lesquelles une fraction croissante de chercheurs en sciences sociales en France tend à mettre au centre de l'analyse sociologique la variable de la « race », reviennent sur le projet scientifique au cœur de leur livre Race et sciences sociales. Essai sur les usages publics d'une catégorie. En examinant la réception houleuse qui en a été faite, ils pointent la quasi-impossibilité d'un débat scientifique autour de l'enjeu « classe/race », avant de conclure par une esquisse sociologique des « luttes théoriques » qui agitent le microcosme français des sciences sociales.In this article, the authors first indicate the main reasons why a growing portion of social science researchers in France tend to put the concept of “race” at the centre of the sociological analysis. They then recall the scientific project at the heart of their book Race et sciences sociales. Essais sur les usages publics d'une catégorie (“race and the social sciences : an essay on the public uses of an analytical category”). Examining the stormy debates it unleashed, they point out the quasi-impossibility of a scientific discussion around the “class/race” issue. They conclude with a sociological sketch of the “theoretical struggles” that mobilise the French social science microcosm.
- Crise de paradigme dans l'histoire du mouvement antiraciste - Emmanuel Debono p. 35-45 Le mouvement antiraciste est marqué par des divisions profondes qui découlent de l'émergence, dans les années 2000, du paradigme décolonial. Ce paradigme est fondé sur une révision de l'histoire, la production de nouveaux concepts et une radicalité qui tranchent avec un héritage antiraciste ancien. C'est à l'aune de cet héritage, quasi centenaire, que cette contribution s'efforce d'analyser les mutations et expressions actuelles de ce champ militant.The anti-racist movement is marked by deep divisions resulting from the emergence of the decolonial paradigm in the 2000s. This paradigm is based on a revision of history, the production of new concepts and a radicality that contrasts with the old anti-racist legacy. The article attempts to analyze the current mutations and expressions of this activist field in the light of this century-old legacy.
- Les identitaires, acteurs de l'émergence des idées radicales - Marion Jacquet-Vaillant p. 47-59 Pour certains, les identitaires sont des « influenceurs » de l'extrême droite et de la droite – assertion que défendent les militants eux-mêmes. Mais est-ce vraiment le cas ? Les identitaires diffusent-ils leurs idées et, le cas échéant, comment y parviennent-ils ? Des tribunes des identitaires à l'aube des années 2010 au débat Zemmour-Mélenchon de 2021, l'analyse de la circulation du terme « remigration » permet d'identifier les mécanismes, endogènes, exogènes et d'opposition, qui assurent la diffusion des idées radicales. Phénomène processuel, la diffusion d'un terme ne peut se comprendre qu'au gré de ses appropriations successives : ce n'est que parce qu'elles trouvent des relais de plus en plus importants que les idées identitaires émergent dans la sphère publique.For some, identity activists are “influencers” on behalf of the far-right and the right—a claim that the activists themselves accept. But is it really the case? Do identity activists promote their ideas and, if so, how do they do it? From the op-eds of identity activists in the early 2010s to the debate between Zemmour and Mélenchon in 2021, the analysis of the expression “remigration” highlights the mechanisms—be they endogenous, exogenous, or oppositional—which facilitate the diffusion of radical ideas. The diffusion of a particular expression being a processual phenomenon, it can only be understood in view of its successive appropriations: it is only because they find more and more relays that identity ideas emerge in the public sphere.
- Islamophobe ! Antisioniste ! Islamo-gauchiste ! : Les mots piégés de l'antiracisme - Thomas Hochmann p. 61-72 Le débat public sur le racisme est pollué par des termes qui assimilent à des discours de haine des affirmations simplement polémiques ou choquantes. Toute critique d'Israël serait antisémite, tout propos irrévérencieux à l'égard de l'islam exprimerait de la haine envers les musulmans et toute dénonciation des discriminations contre ces derniers traduirait un soutien aux mouvements islamistes les plus radicaux. Ce manque de distinction est le fruit d'une vision simpliste qui contribue à renforcer les phénomènes qu'elle prétend combattre.The public debate over racism is polluted by terms that expose as hate speech statements that are simply polemical and shocking. Thus, any criticism of Israel is seen as anti-Semitic, any disrespectful statement about Islam is understood as expressing hatred of Muslims, and any denunciation of discriminations against Muslims is supposed to reflect a support for the most radical Islamist movements. This lack of distinction is the result of a simplistic vision that tends to reinforce the phenomena it claims to combat.
- Le mot « race » dans la législation antiraciste française - Gwénaële Calvès p. 73-84 Le débat sur la suppression du mot « race » dans les textes législatifs ou constitutionnels français est un débat ancien, qui a retrouvé dans les années 2010 une certaine actualité. En parallèle de cette discussion sans cesse recommencée, on observe une évolution plus discrète de la législation antiraciste, marquée par un mouvement continu de mise à distance de ce mot.The debate over the suppression of the word “race” in French legislative and constitutional texts is an old one which has acquired a new relevance in the 2010s. Together with this constantly renewed discussion, a more discreet evolution of anti-racist legislation is taking place, characterised by a continuous attempt to keep this word at a distance.
- Police et racisme - Fabien Jobard p. 85-96 À intervalles réguliers, la police nationale fait face, en France, à des accusations lourdes de racisme. Nous soumettons ici l'hypothèse formulée par l'historien Emmanuel Blanchard de « colonialité » aux connaissances tirées de l'histoire contemporaine de l'institution policière et des mutations de la société française, d'un côté, et à des observations recueillies sur le terrain, de l'autre. La question qui s'impose alors, et à laquelle l'article tente de répondre, consiste à savoir dans quelle mesure la police peut, en France, se délivrer du poids trop lourd de sa propre histoire.At regular intervals, the French national police force is facing serious accusations of racism. Here, we want to submit the hypothesis of “coloniality”, formulated by the historian Emmanuel Blanchard, to the knowledge acquired through the contemporary history of the police and from the mutations of French society, on the one hand, and to observations gathered in the field, on the other. The central question raised by this approach and which the article is trying to answer is whether the French police can get rid of the too heavy burden of its own history.
- Un racisme anti-Blancs ? - Daniel Sabbagh p. 97-107 L'extrême droite ayant fait de la dénonciation du « racisme anti-Blancs » l'un de ses chevaux de bataille, la plupart des chercheurs et des militants antiracistes rejettent cette notion et la tiennent pour un oxymore. Ce rejet majoritaire présuppose une conception moniste du racisme comme système produisant et reproduisant des inégalités entre groupes raciaux. Pourtant, rien ne justifie d'écarter ainsi les deux autres conceptions – idéologique et attitudinale – du racisme, et ce d'autant que la thèse du « racisme systémique » est vulnérable à des objections d'ordres analytique et politique. Mieux vaudrait, sur la base d'une conception pluraliste du racisme, considérer l'existence d'un « racisme anti-Blancs » – vraisemblablement marginal – comme une question empirique, y compris afin de contrecarrer l'instrumentalisation de ce thème par des forces hostiles à l'antiracisme.As the far-right has made the denunciation of “anti-White racism” one of its favourite topics, most of the anti-racist researchers and activists reject this notion and consider it an oxymoron. This widespread rejection presupposes a monistic concept of racism as a system that produces and reproduces inequalities between social groups. Yet, nothing justifies the putting aside of the two other concepts of racism, i.e. ideological and attitudinal, especially since the “systemic racism” thesis is vulnerable to both analytical and political objections. It would be best, using a pluralist understanding of racism, to consider the existence of “anti-White racism”—likely to be marginal—as an empirical question, including to thwart the instrumentalization of this theme by the forces that are hostile to anti-racism.
- Racisme « anti-asiatique », ou le dénigrement d'une minorité - Ya-Han Chuang p. 109-117 Les origines et les mutations du racisme dit anti-asiatique sont ici analysées à travers une approche multi-échelle qui articule l'influence géopolitique, les structures économiques et le processus de racialisation. À partir d'une description des représentations des Asiatiques forgées pendant l'époque coloniale, cet article décrypte l'évolution de tels stéréotypes des années 1970 à nos jours, puis l'émergence des mobilisations de jeunes Franco-Asiatiques, qui invitent à un désenclavement du répertoire culturel national.The article analyses the origins and evolution of anti-Asian racism through a multi-scale approach that articulates geopolitical influence, economic structures, and the racialisation process. Starting with a description of the representations of Asians forged during the colonial era, it then deciphers the evolution of these stereotypes from the 1970s to the present. It concludes with a discussion of the emergence of mobilisations of young Franco-Asians that call for an opening-up of the national cultural repertoire.
- Nouvel antiracisme, nouveaux interdits : un regard québécois - Patrick Moreau p. 119-130 À partir de deux événements s'étant produits au Canada à la fin des années 2010, ce texte s'interroge sur la nouvelle idéologie racialiste qui se substitue à l'antiracisme traditionnel, tout en se présentant comme sa continuation alors qu'elle en est fort différente. Se déployant notamment autour du concept de « racisme systémique », ce nouvel antiracisme recèle certaines tendances inquiétantes, qui constituent de plus en plus clairement une menace tant pour les droits des individus que pour la cohésion sociale.Starting with two events that occurred in Canada at the end of the 2010s, this article questions the new racialist ideology that is replacing traditional anti-racism and pretends to be its continuation although it is extremely different. Unfolding around the concept of “systemic racism”, this new anti-racism contains worrisome trends which appear more and more clearly as a threat for both individual rights and social cohesion.
- Racismes, antiracismes : reconstruire l'universalisme - Danièle Lochak p. 131-142 Naguère encore paré de toutes les vertus, l'universalisme se trouve placé, en ce début des années 2020, au cœur de polémiques qui se focalisent en particulier sur les moyens de combattre le racisme. Dans une perspective classique, la meilleure façon de lutter contre le racisme, c'est d'ignorer les origines et les appartenances. Or ce postulat a montré ses limites. Il ne s'agit pas pour autant de sacrifier le project universaliste en entérinant une forme d'essentialisation des appartenances « raciales ». Simplement, il faut poser l'universalisme non comme un point de départ mais comme un objectif à atteindre. L'universalisme est à reconstruire, et il ne peut l'être que sur la base de l'acceptation des différences, non de leur effacement ou de leur négation.Seen as perfectly virtuous not so long ago, in the early 2020s universalism has been at the centre of polemics focusing on the best means to combat racism. From a traditional perspective, the best way to fight racism is simply to ignore origins and belongings. However, while this approach has shown its limits, the solution is not to sacrifice the universalist project by endorsing a form of essentialisation of “racial” belongings. Simply put, universalism should be seen not as a starting point but as a goal to achieve. Universalism must and can be reconstructed on the basis of the acceptance of differences, rather than on their erasure or denial.
- Repères étrangers : (1er octobre – 31 décembre 2021) - Pierre Astié, Dominique Breillat, Céline Lageot p. 145-151
- Chronique constitutionnelle française : (1er octobre – 31 décembre 2021) - Jean Gicquel, Jean-Éric Gicquel p. 153-186