Contenu du sommaire : Théorie et évolution des banques centrales
Revue | Cahiers d'économie politique |
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Numéro | no 81, été 2022 |
Titre du numéro | Théorie et évolution des banques centrales |
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- 1. Théories et évolution des banques centrales : une introduction - Laurent Le Maux p. 7-21
- 2. De la pierre philosophale aux moulins à papier : expériences d'alchimie monétaire dans l'Europe moderne - Jérôme Blanc, Ludovic Desmedt p. 23-60 En Europe, principalement à partir du XVIIe siècle, des tentatives d'émissions de monnaies papier commencent à poindre. Ce texte analyse ces innovations en combinant un regard sur les logiques et sur les idées monétaires de l'époque. Il distingue trois formes émergentes : les monnaies convertibles (en métal conservé en dépôt), les monnaies gagées (par des actifs fonciers ou des marchandises) et les monnaies autoréférentielles (le papier-monnaie d'État, émis en regard de recettes fiscales à venir). Il positionne ces expériences dans la rigidité du régime monétaire unitaire fondé sur le métal, tel qu'il est stabilisé progressivement à partir de la fin du XVIIe siècle, dans la mesure où cette rigidité engendre un besoin de moyens de paiement alternatifs, qui s'avèrent être également des moyens de financement privés et publics nouveaux. Par rapport aux nombreux travaux qui depuis quelques années reviennent en détail sur l'histoire bancaire européenne, notre travail vise à établir le lien entre idées et pratiques. Ce faisant, nous attirons l'attention sur l'importance de l'actif au bilan des émetteurs et sur certains particularismes quant aux expériences et aux idées déployées. Pour les contemporains, le transfert d'un actif parfois peu liquide en passif admis dans la circulation constitue une transformation « alchimique », mais, selon les territoires, cette opération est plus ou moins bien acceptée.Codes JEL : B11, E42, E51, N13In Europe, mainly from the 17th century, attempts to issue paper money began to emerge. This text analyzes these innovations by combining a look at the logic of these experiments and the monetary ideas of the time. It distinguishes three emerging forms: convertible currencies (with metal in deposit), backed currencies (by land or goods) and self-referential currencies (state paper money, issued with respect to future tax revenues). It relates these experiments to the rigidity of the monetary regime based on metal, as progressively stabilized from the end of the 17th century, insofar as this rigidity generates a need for alternative means of payment, which also turn out to be new means of private and public financing. Compared to the numerous works reviewing European banking history in recent years, our work aims to establish the link between ideas and practices. In doing so, we draw attention to the importance of assets on the balance sheet of issuers and to particularities in the experiences and ideas deployed. For contemporaries, the transfer of a sometimes illiquid asset into a liability accepted in circulation constitutes an « alchemical » transformation, but this operation is more or less well accepted according to the territories concerned.JEL Codes : B11, E42, E51, N13
- 3. Le prêt en dernier ressort dans les unions monétaires : points de vue divergents des économistes allemands aux XIXe et XXIe siècles - Hans-Michael Trautwein, Laurent Le Maux, Odile Lakomski-Laguerre p. 61-107 Les interventions de la Banque centrale européenne en tant que prêteur en dernier ressort portent particulièrement à controverse en Allemagne. La principale préoccupation des critiques formulées est une prétendue tendance à créer un aléa moral du côté des emprunteurs publics et privés au sein de l'Union monétaire européenne. Cela contraste avec les opinions dominantes parmi les économistes allemands à l'époque de l'étalon-or classique, lorsque l'Empire allemand nouvellement fondé avait fusionné les zones monétaires des différents royaumes pour établir une union monétaire. D'éminents experts et conseillers politiques, tels que Erwin Nasse, Adolph Wagner et Friedrich Bendixen, faisaient valoir que, compte tenu des coûts de dysfonctionnement du système bancaire, l'aléa moral ne devait pas constituer un problème majeur en période de crise. Dans leur analyse des débats britanniques opposant la Currency School à la Banking School, les commentateurs allemands remettaient en question la crédibilité et la soutenabilité des règles strictes de politique monétaire durant les crises bancaires. Certains d'entre eux avaient même développé une approche évolutionniste selon laquelle l'intégration monétaire est poussée par les marchés financiers et selon laquelle le prêt en dernier ressort devient constitutif du système de banque centrale, en particulier dans le cadre d'une union monétaire. Cet article compare ces points de vue allemands d'une période plus ancienne à propos du prêt en dernier ressort avec le discours dominant de la période actuelle et explore les raisons possibles de telles divergences.Codes JEL : B15, E58, G01The European Central Bank's activities as lender of last resort are especially controversial in Germany. The overriding concern of the critics is an alleged tendency of creating moral hazard on the side of public and private borrowers in the European Monetary Union. This contrasts with the predominant views among German economists in the classical gold standard era, when the newly founded German empire merged the many currency areas in its realm into monetary union. Prominent experts and policy advisors, such as Erwin Nasse, Adolph Wagner and Friedrich Bendixen, argued that in view of the costs of system failures moral hazard ought not to be a predominant consideration at times of crisis. In critical assessments of the Currency versus Banking debates in England, German commentators questioned the credibility and sustainability of strict rules for monetary policy in banking crises. Some even developed evolutionary views, in which monetary integration is driven by financial markets and lending of last resort becomes constitutive for central banking, in particular in the formation of a monetary union. This paper compares these older German views about lending of last resort with the current discourse and explores possible explanations for the differences.JEL Codes: B15, E58, G01
- 4. On the Rationale of Central Bank Transparency, Accountability and Communication - Elke Muchlinski p. 109-161 Depuis quelques décennies, la recherche économique sur la transparence, la responsabilité et la communication des banques centrales s'est fortement développée. La conception actuelle des banques centrales a abandonné l'hypothèse d'une « boîte noire muette ». Dès lors que les banques centrales ont pris leur distance à l'égard d'une politique « de mystique et d'énigme monétaire » (Goodfriend, 1986), elles ont adopté un large spectre de stratégies et de méthodes de communication dans le but d'éclaircir leurs actions au public. Elles servent ainsi des conférences de presse, des comptes rendu de leurs conférences internes, de publications et ainsi que des interactions orales et écrites. Cette évolution vers une plus grande transparence, une communication ouverte et un principe de responsabilité a engendré de nombreuses recherches et une littérature abondante. Beaucoup de commentaires ont estimé que le chemin de la Réserve Fédérale ainsi que celui de la Banque centrale européenne (BCE) vers la transparence, la responsabilité et la communication ouverte, ont amélioré la compréhension et l'efficacité de leur politique monétaire. Cet article met l'accent sur l'idée que le développement bienvenu vers une plus grande transparence, une communication ouverte et le principe de responsabilité corresponde avec les idées innovantes de John Maynard Keynes, élaborées il y a plusieurs décennies. De plus, cet article souligne que toute tentative de diriger les anticipations du marché par une stratégie de communication inconditionnelle amènerait un risque de décevoir les acteurs de marché dans les situations où une banque centrale serait forcée de changer sa politique en raison des circonstances.Codes JEL : E43, E52, E58Research on transparency, accountability and communication of central banks has flourished over the past decades. Modern central bank theory has abandoned the assumption of the speechless black box mechanism. Since central banks have turned their back on “monetary mystique and secrecy” (Goodfriend, 1986), they have started to develop a variety of communication strategies and methods for explaining their policies to the public: press conferences, minutes, publications, other media, spoken and written interaction. This desirable move towards greater transparency, communication and accountability has initiated considerable research and literature. A significant and increasing comments has found, for instance, that the Federal Reserve's and the European Central Bank's roads to transparency, accountability and communication have increased the comprehensibility and effectiveness of their monetary policies. This paper puts forward the view that this welcome development towards greater transparency, communication and accountability is in line with Keynes's innovative thinking articulated many decades ago. It emphasizes that any attempt at guiding market expectations by an unconditional communication strategy implies a risk of disappointing market actors in situations where a central bank has to change its policy in response to changing contexts.JEL codes: E43, E52, E58
- 5. Robert Triffin and the Case for Exchange Controls - Adrien Faudot p. 163-189 Cet article traite de la position de l'économiste Robert Triffin (1911-1993) au sujet des mesures de contrôle des changes, dont la charge devrait être assurée par la Banque centrale ou bien par une institution gouvernementale créée ad hoc. À la suite de l'expérience des années 1930 puis de la seconde guerre mondiale, un plaidoyer pour l'établissement de contrôle des changes apparaissait impossible à défendre de manière catégorique, compte tenu du rejet dont ces contrôles faisaient l'objet, par les économistes « officiels » aussi bien qu'académiques. Comme la plupart de ses contemporains, Triffin a par ailleurs affirmé dans ses écrits son souhait de voir naître un système monétaire international multilatéral qui serait idéalement dépourvu de restrictions et de discriminations. Toutefois, l'analyse macroéconomique de Triffin tout comme ses propositions de réforme monétaire internationale l'ont conduit à défendre de manière pragmatique un système coordonné de contrôles des changes en s'appuyant sur plusieurs arguments. D'une part, l'économie mondiale est confrontée à des cycles et donc des turbulences qui appellent un grand nombre de pays, en particulier les économies en développement, à appliquer des mesures de sauvegarde sur les changes. D'autre part, les contrôles des changes peuvent faciliter l'ajustement de la balance des paiements. Enfin, la mise en place de contrôle des changes est inhérente aux opérations de la chambre de compensation internationale dont Triffin, inspiré par la Clearing Union de Keynes, était un fervent partisan.Classification JEL : B22, E58, F31, F33This article discusses Robert Triffin's (1911-1993) position on exchange control measures, which should be implemented by the central bank or by a specially-created government institution. Following the experience of such measures in the 1930s and during the war, exchange controls faced general rejection by both official and academic economists. Like most of his contemporaries, Triffin advocated a multilateral international monetary system that would be, ideally, without any discrimination. However, Triffin's macroeconomic analysis and his international monetary reform proposals led him to a pragmatic position in support of exchange controls on several grounds. First, the world economy is disrupted by cycles and turbulence that call for many countries-especially developing countries-to apply safeguard measures to foreign exchange markets. Second, exchange controls have several advantages for facilitating the balance of payments adjustment. Third, the introduction of exchange controls is inherent in the operations of the international clearing house of which Triffin, inspired by Keynes' Clearing Union, was a strong supporter.JEL Classification: B22, E58, F31, F33
- 6. Maîtriser l'inflation : ciblage monétaire vs régulation du rapport salarial ? La Bundesbank face à la « Grande inflation » - Charlotte Bellon p. 191-229 En 1974, la Bundesbank est la première banque centrale à annoncer une cible monétaire. L'étude des bulletins mensuels de la banque centrale allemande entre 1974 (annonce d'une cible monétaire) et 1979 (adoption du SME) montre que ce choix ne s'explique pas tant par l'application des théories monétaristes que par la volonté des banquiers centraux de retrouver un levier d'action sur la liquidité bancaire et de neutraliser la résolution monétaire des conflits de répartition. La réussite de cette stratégie suppose néanmoins que les partenaires sociaux intègrent la cible monétaire dans leurs négociations, soulignant le rôle des canaux institutionnels dans la transmission de la politique monétaire.Codes JEL : B22 ; B52 ; E52 ; E58In 1974, the Bundesbank was the first central bank to announce a monetary target. The analysis of the monthly reports between 1974 (announcement of a monetary target) and 1979 (adoption of the EMS) shows that that this choice is not explained so much by the application of monetarist theories as by the will of central bankers to regain control over bank liquidity and to neutralize the monetary resolution of distribution conflicts. The success of this strategy supposes that the social partners integrate the monetary target in their negotiations. We can thus underline the role of institutional channels in the transmission of monetary policy.JEL Codes: B22 ; B52 ; E52 ; E58
- 7. Blurring boundaries: The economists at the Bank of Italy and the making of the European Monetary System, 1975-1988 - Giandomenico Piluso p. 231-261 À la fin des années 1970, pour faire face aux déséquilibres macroéconomiques, les économistes de la Banque d'Italie conçurent une réponse de grande envergure, centrée sur l'adhésion au Système monétaire européen (SME). Le choix fut le produit d'un double brouillage des frontières qui séparaient la banque centrale et le législateur, d'une part, le gouverneur et les économistes de la banque centrale, d'autre part. Ainsi, la Banque d'Italie acquit un rôle de suppléance vis-à-vis du gouvernement en traçant les contours de la politique économique, ce qui constituait le véritable moteur des stratégies élaborées pour lutter contre l'instabilité croissante. La Banque d'Italie exerça son influence en transcendant son mandat institutionnel, même si cela fut la condition préalable pour fonctionner comme une banque centrale indépendante, ce qui fut reconnu de facto en juillet 1981 en raison du « divorce » vis-à-vis du Trésor.Classification JEL : E58, E52, N14, B22In the late 1970s the Bank of Italy's economists conceived a wide-ranging response to major macroeconomic imbalances centred upon joining the European Monetary System (EMS). The choice was the result of a double blurring of the boundaries previously separating the central bank from the policy-makers as well as between the governor and the economists within the Bank itself. Thus, the Bank of Italy assumed a deputising role vis-à-vis the government in outlining economic policies as the real driving force behind the strategies devised to counter the mounting instability. The Bank of Italy exerted its influence by transcending its institutional mandate as a central bank, even though this was the pre-requisite to operate as an independent central bank, as de facto recognised in July 1981, with the so-called “divorce” from the Treasury.JEL Classification: E58, E52, N14, B22
- 8. Politique monétaire et finance chez les Nouveaux Keynésiens : une brève histoire des origines du Consensus de Jackson Hole (1976-2007) - Emmanuel Carré, Sandrine Leloup p. 263-301 La crise financière de 2007 a remis en question la stratégie standard de politique monétaire face à la stabilité financière – stratégie connue sous le nom de « consensus de Jackson Hole ». Afin de comprendre ces questionnements, l'article explore les origines de cette stratégie. Nous montrons que les débuts du consensus de Jackson Hole remontent à la seconde moitié des années 1970 chez les Nouveaux Keynésiens. Nous mettons aussi en évidence que les limites de cette stratégie datent de ses débuts mêmes, qu'elles ne sont pas seulement conjoncturelles (c'est-à-dire, dues à la période de Grande Modération des années 1990) mais également structurelles.Codes JEL : B22 ; D82 ; E32 ; E44 ; E5 ; G01 ; G14The subprime financial crisis that began in 2007 has challenged the standard strategy of the integration of financial stability into the monetary policy-the so-called « Jackson Hole Consensus ». In order to address these issues, the article explores the origins of this strategy. We show that the beginnings of the Jackson Hole Consensus go back to the second half of the 1970s among New Keynesians. We also show that the limits of this strategy date from this period, that they are not just cyclical (that is, due to the period of the Great Moderation in the 1990s) but also structural.JEL Codes: B22 ; D82 ; E32 ; E44 ; E5 ; G01 ; G14
- 9. Le rôle des banques centrales : ce que l'histoire nous apprend - Esther Jeffers, Dominique Plihon p. 303-327 L'objet de cet article est d'analyser l'évolution historique du central banking afin d'éclairer les réflexions sur le rôle des banques centrales face aux crises actuelles : financière, écologique, sanitaire. L'originalité de notre démarche est de situer le central banking par rapport aux phases successives – manufacturière, keynésienne, néolibérale – du capitalisme, aux différent régimes monétaires qui se sont succédés, de l'étalon-or jusqu'au système post-Bretton Woods, ainsi que par rapport aux différentes sources d'énergie qui ont accompagné l'évolution historique du capitalisme. L'article est organisé en deux parties : une première analyse et compare les différentes phases historiques du central banking et montre comment les banques centrales se sont constamment adaptées aux enjeux du moment (I), la deuxième partie examine l'adaptation en cours et inachevée – sur les plans théorique, opérationnel et institutionnel – du central banking face aux défis posés par la transition écologique et sociale, principal défi de la période actuelle (II).Codes JEL : B5, E5, G2, G18, Q5The purpose of this article is to analyze the historical evolution of central banking in order to shed light on the role of central banks in the face of the current financial, ecological and health crises. The originality of our approach is to situate central banking in relation to the successive phases – manufacturing, Keynesian, neoliberal – of capitalism, to the different monetary regimes that have succeeded one another, from the gold standard to the post-Bretton Woods system, as well as in relation to the different energy sources that have accompanied the historical evolution of capitalism. The article is organized in two parts: the first part analyzes and compares the different historical phases of central banking and shows how central banks have constantly adapted to the challenges of the moment (I); the second part examines the ongoing and incomplete adaptation – at the theoretical, operational and institutional levels – of central banking to the ecological and social transition, the main challenge of the current period (II).JEL Codes: B5, E5, G2, G18, Q5