Contenu du sommaire : Au-delà de la perception visuelle : étude de quelques marqueurs formés sur voir
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Numéro | no 227, septembre 2022 |
Titre du numéro | Au-delà de la perception visuelle : étude de quelques marqueurs formés sur voir |
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- Éditorial - Catherine Schnedecker, Céline Vaguer p. 5-6
- Au-delà de la perception visuelle : étude de quelques marqueurs formés sur voir. Présentation - Laurence Rouanne, Sonia Gómez-Jordana Ferary p. 7-15
- Les notions de perception et de verbe de perception sont-elles des notions linguistiques ? - Jean-Claude Anscombre p. 17-38 L'homme a un certain accès au monde par le biais de ses perceptions, surtout la vue, qui le renseignent de façon partielle et partiale sur les états de ce monde ou d'une partie de celui-ci. Par ailleurs, l'homme dispose grâce à la langue d'une représentation linguistique du monde. Dans cette représentation, les percepts issus de sensorielles – la vue, l'ouïe, le goût, le tact et l'odorat – sont conçues comme des perceptions directes, c.-à-d. comme directement appréhendées. Si l'on cherche, inversement, quelles autres connaissances ont en langue le statut de perception directe, les propriétés linguistiques montrent que les savoirs communs en font partie. On comprend alors pourquoi le verbe voir, qui est au centre de cette étude, désigne très généralement l'acquisition de certaines connaissances, et pas seulement au moyen de la vue. Ce qui est cohérent avec l'origine de voir, c.-à-d. *weid ‹acquérir le savoir›.Man has access to world through the physical senses, especially sight, that inform him of the state of the world or of a part of it. On the other hand, human language reflects this activity through a linguistic representation of this world. In this representation, sense-data such as sight, hearing, taste, touch and smell have the status of direct perceptions, that is of a directly acquired knowledge. If we conversely look for the type of knowledge that is linguistically seen as direct perceptions, the examination of linguistic properties point out to common knowledge as a part of it. This explains why the verb voir, which is the core of this study, refers to the general acquisition of knowledge, and not only to the mere acquisition of knowledge through sight, which is fully consistent with the origin of voir, i.e. *weid ‹to acquire the knowledge of›.
- Combien de marqueurs discursifs je vois recouvre-t-il ? - Anouch Bourmayan p. 39-56 Dans ce texte, nous défendons l'idée que l'expression je vois correspond à quatre marqueurs discursifs distincts, que nous nommons respectivement je voisP1, je voisP2, je voisC1 et je voisC2. Les deux premiers sont fondés sur la valeur sémantique perceptuelle de voir, les deux derniers sur la valeur cognitive du verbe. Les quatre marqueurs présentent ainsi chacun une dimension évidentielle. Cependant, nous montrons que je voisP2 et je voisC2 ont ceci de spécifique qu'ils s'enrichissent d'une dimension argumentative par rapport à je voisP1 et je voisC1. En outre, nous confortons notre analyse en termes de « marqueurs discursifs distincts » par l'observation de comportements syntaxiques spécifiques : si je voisP1 et je voisP2 sont des parenthétiques et je voisC1 et je voisC2 des mots-phrases, les marqueurs se distinguent syntaxiquement par des degrés de pragmaticalisation divers.In this text, we argue that je vois corresponds to four distinct discursive markers, that we respectively name je voisP1, je voisP2, je voisC1 and je voisC2. The first two markers are based on the perceptual meaning of voir, the latter two on its cognitive meaning. Thus, the four markers each display an evidential value. However, we show that je voisP2 and je voisC2 also have an additional argumentative dimension compared to je voisP1 and je voisC1. Furthermore, our analysis in terms of distinct discursive markers appears supported at a syntactic level: je voisP1 and je voisP2 behave like parentheticals and je voisC1 and je voisC2 like sentence words, but the markers also differ from each other by their specific degree of pragmaticalization.
- Visiblement, adverbe de phrase évidentiel ou visiblement, adverbe de constituant exprimant la manière. La prosodie comme nouveau critère - Patrick Dendale, Anne Vanderheyden, Melissa Schuring p. 57-78 Cette étude porte sur deux types d'emplois de visiblement, adverbe lié à la perception : un emploi comme adverbe de constituant (dit « endophrastique ») et son emploi comme adverbe de phrase (dit « exophrastique »). Nous caractérisons d'abord sémantiquement les deux emplois (respectivement comme un adverbe de manière liée à la perceptibilité et comme adverbe évidentiel d'inférence). Nous présentons et évaluons les divers tests et critères décrits dans la littérature spécialisée pour identifier ces deux emplois en contexte. Nous examinons pour finir comment la prosodie peut offrir un outil supplémentaire pour reconnaître les deux emplois. Notre analyse d'énoncés lus avec visiblement dans des audio-livres montre que le facteur distinctif est le ton : visiblement exophrastique se prononce avec un ton montant ; visiblement endophrastique avec un ton descendant ou neutre.This study focuses on two uses of visiblement, an adverb linked to perception: its use as a manner adverb (called “endophrastic”) and its use as a sentence adverb (called “exophrastic”). We first characterize the two uses semantically (as an adverb of perceptibility and as an adverb of inferential evidentiality, respectively). We then present and evaluate the various tests and criteria used in the specialized literature to identify these two uses in context. Lastly, we examine how prosody can provide an additional tool for the identification of the two uses. Our analysis of read utterances containing visiblement in audiobooks shows that the distinguishing factor is tone: exophrastic visiblement is pronounced with a rising tone; endophrastic visiblement with a falling or neutral tone.
- Voyons voir : de la locution verbale au marqueur de perception. Une locution à ne pas en croire ses yeux - Sonia Gómez-Jordana Ferary p. 79-98 Le but de cet article est d'apporter une description sémantique de voyons voir afin de vérifier son évolution. Voyons voir est une locution verbale transitive depuis la fin du xvie siècle et devient, surtout à partir du xixe siècle, un marqueur de perception. Voyons voir a subi un processus de pragmaticalisation où la valeur impérative et la transitivité de la locution se sont perdues. Nous présenterons les propriétés sémantiques de voyons voir soutenues par des critères linguistiques opératoires, afin de définir un marqueur de perception non nécessairement visuelle.The aim of this article is to provide a semantic description of voyons voir in order to verify its evolution. Voyons voir is a transitive verbal expression since the end of the 16th century and has become, especially from the 19th century, a marker of perception. Voyons voir has undergone a process of pragmaticalization where the imperative value and the transitivity of the locution have been lost. We will present the semantic properties of voyons voir supported by operative linguistic criteria, in order to define a perception marker that is not necessarily visual.
- Voilà, membre du paradigme des marqueurs discursifs - Kirsten Jeppesen Kragh p. 99-118 Cette étude examine le processus de grammaticalisation de voilà comme marqueur du discours sur une période allant du français préclassique au français contemporain. Notre méthode est ancrée dans l'approche fonctionnaliste explicitée dans Nørgård-Sørensen, Heltoft & Schøsler (2011), selon laquelle la grammaire est conçue comme un ensemble de paradigmes. Nos résultats suggèrent une progression régulière de voilà en tant que marqueur discursif (MD), depuis le français moderne d'abord en position initiale, puis en position finale et enfin en position intercalée, ce que nous interprétons comme un processus de régrammation de voilà MD. Nous montrons que voilà MD est en avance par rapport aux autres MD et qu'il semble être en voie de devenir la forme non marquée du paradigme.The aim of the present study is to explore the process of grammaticalization of the French form voilà as a discourse marker over a period ranging from pre-classical French to contemporary French. The methodology is rooted in the functionalist approach (cf. Nørgård-Sørensen, Heltoft & Schøsler 2011), according to which grammar is conceived of as composed of sets of paradigms. My results suggest a continuous progression of voilà as discourse marker from modern French onwards, first in initial position, then in final position and finally in an inserted position. I interpret this as a regrammation process of voilà as a discourse marker. My analyses show that voilà as a discourse marker is ahead of the other discourse markers, and its seems to be on its way to become the unmarked member of the paradigm.
- Tu vois/vous voyez en synchronie : contraintes distributionnelles et valeurs sémantico-pragmatiques - Laurence Rouanne p. 119-133 Cette étude examine les emplois du marqueur discursif tu vois / vous voyez en emploi autonome et exclusivement d'un point de vue synchronique. Sur la base d'une conception syntagmatique de la description sémantique, il s'agira de voir dans quelle mesure l'environnement discursif affecte la dimension instructionnelle du marqueur, générant des effets de sens, dans la mesure où sont pris en compte le contexte linguistique, la situation de parole et les savoirs convoqués. Le rôle des éléments pragmatiques que tu vois articule seront spécifiés, permettant ainsi de distinguer deux valeurs du marqueur. Il sera montré, en outre, que ces valeurs sont indépendantes de la place qu'occupe tu vois dans l'énoncé.This paper presents the use of tu vois / vous voyez as a discourse marker in an autonomous way and solely from a synchronic point of view. Based on a syntagmatic approach to semantic description, the aim is to see to what extent the discourse environment impacts the marker's instructional dimension and creates meaning effects insofar as the linguistic context, the discourse situation and the knowledge engaged are considered. The role of the pragmatic elements articulated by tu vois will be explained, which allows to distinguish two values in the marker. Moreover, it will be shown that these values are independent from the place tu vois occupies in the utterance.