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Revue | Recherches Sociologiques et Anthropologiques |
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Numéro | vol. 52, no 2, 2021 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Ranger les produits ou répondre aux clients ? - Florent Racine p. 01-23 Les employés de rayon constituent la population la plus nombreuse des grandes surfaces alimentaires en France. Pourtant, ce sont les caissières qui depuis des années tiennent le haut du pavé dans les études portant sur le secteur. Cet article a pour but de corriger cet écueil en décrivant le travail de ces employés essentiels en magasin : ce sont eux en effet qui alimentent le flux des produits en remplissant les rayons dès l'aube. Depuis le milieu des années 2000, la politique d'orientation-client des grandes surfaces a compliqué cette tâche en exigeant d'eux qu'ils satisfassent les demandes incessantes de la clientèle. Le contrôle étroit des managers, des moyens techniques et des clients fait en outre peser la menace de sanctions. Ces employés se retrouvent ainsi coincés entre le flux des produits et le flux de clientèle qui les empêche de réaliser leur tâche principale. Néanmoins, ces derniers font preuve de microrésistances qui leur permettent de réaliser tant bien que mal leur travail et parfois de nuire à leur organisation.Store shelf employees constitute the largest population identifiable in alimentary big box stores in France. Yet cashiers took the prize for years in studies examining this sector. This article is intended to correct a misapprehension in the description of the work of these essential store employees: they are the ones who keep the products rolling off the shelves in stocking them from the dawn. Since the middle of the first decade of this century, the customer-focus policy developed by the supercenters or “big box” stores has complicated this task by demanding that everyone satisfy the incessant demands of the customers. Strict control by managers, surveillance and customers cause the threat of punishment to be felt. These employees find themselves caught between the flow of products and the flow of customers, who prevent them from accomplishing their primary task. Nonetheless the employees exhibit a micro-resistance that allows them to get their work done despite interruptions, sometimes in a manner that does harm to the entire organization.
- Le vélo : un objet qui révèle, renforce et perturbe l'ordre du genre - Margot Abord de Chatillon, Nathalie Ortar, David Sayagh p. 25-51 Le vélo est un objet de conception genrée, qui s'insère dans un paysage majoritairement dessiné et occupé par des hommes et dont l'usage requiert un entretien mécanique, une pratique elle aussi majoritairement masculine. Cet article interroge la question du corps à corps entre genre et technique. En nous appuyant sur les travaux étudiant les rapports sociaux de sexe ainsi que sur les recherches menées au sein de la culture matérielle sur le genre des objets, nous questionnons comment les pratiques sociales et leurs composantes se déploient en fonction de processus corporels genrés et ce faisant contribuent à la construction des réalités et identités genrées des personnes. Cet article s'appuie sur quatre corpus d'enquête réalisés dans les métropoles de Lyon, Saint-Étienne, Montpellier et Strasbourg : des corpus constitués d'observations, d'images et d'entretiens portant sur des parcours cyclistes commentés, la relation au vélo d'adultes et d'adolescent·es, des pratiques de réparation et certaines initiatives féministes liées au vélo. Nous montrons que l'objet-vélo renvoie à des usages ambigus qui à la fois révèlent et renforcent l'ordre du genre, mais peut aussi, dans des contextes particuliers, le questionner.The bicycle is an invention with gendered ramifications, inserting itself into a landscape that is primarily conceived and occupied by men, and its use requires mechanical maintenance, a practice that is also primarily the province of men. This article takes up the question of body vs. body between gender and technique. Basing ourselves on studies focusing on the social relationships of the sexes as well as research focusing on material culture and the gender of objects, we ask how social practices and their components are deployed as functions of gendered corporeal processes, and in so doing we contribute to the construction of gendered realities and identities of persons. This article is based on four corpuses produced by inquiries that were carried out in the cities of Lyon, Saint-Étienne, Montpellier and Strasbourg: corpuses involving observations, images and interviews based on cyclists' records that were commented on, the relation to bicycles on the part of male and female adults and male and female adolescents, practices concerning repairs, and certain feminist initiatives connected with cycling. We show that the bicycle-object sends us back to ambiguous usage, examples of which reveal and reinforce the gendered order, but in certain contexts may also call that order into question.
- Trajectoires vers l'illégalité politique - Caroline Guibet Lafaye p. 53-89 L'Italie a connu durant les années 1960-1980 plusieurs vagues de terrorisme (extrême droite, extrême gauche, d'État). Afin de comprendre le passage vers le militantisme politique illégal et l'action armée, nous avons mené une enquête de sociologie qualitative auprès de 33 militants d'organisations extra-parlementaires d'extrême gauche. Nous avons mis en évidence les formes de “travail identitaire” qui les a conduits de l'action politique légale à des entreprises clandestines, ce qui nous a permis de proposer à la fois un regard critique sur les travaux jusqu'alors réalisés sur les Brigades rouges. Nous avons en outre mis en évidence la prévalence des phénomènes d'“amplification identitaire” sur ceux de l'“appropriation identitaire”, de la “transformation identitaire” voire de la “recherche d'identité”.Between 1960 and 1980 Italy experienced several waves of terrorism (extreme right, extreme left, state terror). In order to understand the passage toward illegal political militancy and armed action, we conducted a qualitative sociological inquiry involving 33 militants from extra-parliamentary organizations characterized as extreme left. There we exhibited forms of “identity-related work” that led certain people from legal political action into clandestine operations, thus allowing us to propose a critical look at the work thus far accomplished on the Red Brigades. We have also placed in evidence the prevalence of phenomena of “identity-related amplification” in relation those of “appropriation of identity”, “transformation of identity”, or even “search for identity”.
- L'entreprise libérée et ses doubles : Mythe(s) et/ou réalité(s) ? - David Mélo p. 91-113 Cet article examine une vague managériale ayant rencontré un certain écho dans la période récente : “l'entreprise libérée” et ses doubles. Dans un contexte où il est beaucoup question de souffrance au travail, cette vague semble avoir tout d'une vogue quelque peu exotique, sinon d'une mise en scène détachée de la réalité et la masquant. L'enquête conduite auprès d'une entreprise informatique et d'un entrepôt logistique nuance cette image, sans pour autant verser dans quelque forme d'enchantement. Elle montre que “l'entreprise libérée” et ses doubles gagnent à être appréhendés comme de nouvelles épreuves de la responsabilisation au travail. Les terrains étudiés tentent de jouer le jeu de la “libération” par des actes organisationnels qui s'imposent aux salariés et que ces derniers s'approprient largement. À l'épreuve des faits, la “libération” se révèle sous les traits d'une métamorphose de l'individualisation au travail tentant à la fois d'aller plus loin dans la démarche de responsabilisation et de corriger certains excès des vagues antérieures. Dès lors, l'ascension de cette nouvelle vague managériale serait-elle rien moins qu'irrésistible ? Il n'en est rien en réalité. Les salariés s'avèrent en effet ambivalents, entre l'intériorisation partielle des catégories managériales et leur mise en cause souvent vive et elle-même paradoxale. En définitive, “l'entreprise libérée” permet aux managers de récupérer une demande démocratique, mais en en bornant par là même l'horizon, au risque de susciter un mécontentement grandissant.This article examines a trend in managerial practices that has had some success in recent times: the freedom-form company and its doubles. In a context where the question of discomfort at work is the focus, this trend appears to have all the characteristics of a somewhat exotic vogue, if it is not actually a sort of staging, detached from reality and masking it. The inquiry, conducted with a computer-related business fine-tunes this image, without however slipping into some form of enchantment. It shows that the freedom-form company and its doubles gain in being understood as ushering new accountability and responsibility assumption standards into the workplace. The areas studied try to play the game of “liberation” through organizational actions that are binding on employees who, for their part, more or less take them on board. In concrete terms, this “liberation” stands revealed in the form of a metamorphosis of individualization at work which, at one and the same time, tries to go further in terms of coupling accountability and empowerment processes, all in correcting some of the excesses of earlier trends. Given this, could it be the rise of this new managerial vogue is nothing short of irresistible? In reality, not at all. Employees turn out to be ambivalent, caught between a partial internalisation of managerial categories and their often lively – and in themselves paradoxical – challenges. Thus, finally, while the freedom-form company allows managers to recover a democratic demand – they, at the same time, in limiting themselves to that horizon – run the risk of arousing growing discontent.
- Ce que ne mesurent pas les politiques publiques - Joël Zaffran, Juliette Vollet p. 115-141 La lutte contre le décrochage scolaire fait partie de la vague d'évaluation des politiques publiques (EPP) lancée en 2012 par le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP). Alors que 110 000 jeunes quittent chaque année le système éducatif sans avoir obtenu de diplôme, certains d'entre eux raccrochent, quelques mois ou quelques années après leur rupture avec l'école, à un dispositif palliatif du décrochage scolaire. L'évaluation de ces dispositifs porte toujours sur la capacité du dispositif à insérer ses bénéficiaires sur le marché du travail, parfois sur les effets in itinere de l'accompagnement réalisé, mais jamais sur les effets subjectifs ex post. En s'appuyant sur des entretiens réalisés avec des jeunes ayant eu recours à des dispositifs palliatifs au décrochage scolaire, on montre qu'il y a un intérêt à apprécier, autrement que par les chiffres, ce que le dispositif fait aux bénéficiaires après qu'ils s'en sont servis, pour ne conclure ni à son inanité ni à son inefficacité.The struggle against students dropping out of school is part of a wave of evaluation of public policies (EPP) begun in 2012 by the General Secretary for the modernization of public action (SGMAP). Every year, 110,000 students leave the educational system without getting a diploma. But several months or several years after the break in their schooling, some students come back in response to a programme aimed at students who leave school without a diploma. The evaluation of this programme always bears on the programme's ability to find jobs for the participants. Sometimes it bears on the effects of the ongoing programme, but never on the subjective effects ex post facto. Based on the interviews conducted with young people who did participate in a programme aimed at helping those who leave school early, we can show that there are reasons to appreciate what the programmes provide for participants, other than just in terms of figures, and we cannot conclude that such programmes are poorly designed or ineffective
À propos de livres
- Pasquali Paul, Héritocratie ?: Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020) - Pol Druart p. 144-146
- Lagrave Rose-Marie, Se ressaisir : Enquête autobiographique d'une transfuge de classe féministe - Anne-France Mordant p. 146-148