Contenu du sommaire : L'État de droit au défi des populismes
Revue | Administration |
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Numéro | no 270, juin-juillet 2021 |
Titre du numéro | L'État de droit au défi des populismes |
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- Éditorial - Jean Godfroid p. 1
- L'État de droit au défi des populismes - Didier Cultiaux p. 33
- L'État de droit en France - François Saint-Bonnet p. 34-35 L'État de droit est moins une réalité qu'un concept, parfois même un slogan. Son histoire remonte à une critique de l'omnipotence parlementaire sous la IIIe république. Depuis la fin du XXe siècle, il se présente comme le moyen de soumettre tous les actes des pouvoirs publics à des juges.
- Le Rechtsstaat dans le droit allemand - Gerhard Robbers p. 36-39 Le Rechtsstaat constitue un élément central de l'image de soi idéale de la République fédérale d'Allemagne. Il signale une rupture radicale avec le national-socialisme. Le principe du Rechtsstaat est un ensemble de principes juridiques différents, dont l'objectif est d'assurer l'équité, d'une part, et la sécurité juridique, d'autre part. Nombre de ses divers contenus sont dus à l'échange d'idées juridiques avec la France, tels que les droits fondamentaux et la séparation des pouvoirs ; d'autres montrent des différences, comme la réserve de la loi. Le droit de l'Union européenne combine en un optimum le principe allemand du Rechtsstaat et celui de l'État de droit français.
- L'État de droit dans l'Union européenne - Éric Maurice p. 40-41 Les institutions communautaires disposent de plusieurs instruments pour promouvoir et protéger la démocratie et l'État de droit, valeurs fondatrices de l'UE. Pour mener à bien ces procédures, en particulier celle de l'article 7, elles font cependant face à des obstacles politiques et juridiques.
- Démocratie illibérale : un oxymore ? - Anne-Marie Le Pourhiet p. 42-44 La nouvelle expression de « démocratie illibérale », souvent associée au populisme, mérite d'être analysée pour éviter toute confusion. Il convient d'abord de se rappeler que la démocratie a une signification sémantique et historique puisque le peuple est source de pouvoir et que, le contrôlant, il assure la liberté politique par la floraison de libertés individuelles et collectives. Ainsi, la liberté illibérale est un oxymore, un non-sens dans la contradiction des termes. Cependant, selon les traditions nationales et des rapports de forces particuliers, le curseur libéral peut varier. Actuellement et concrètement, la question est posée de la légitimité de l'Union européenne à apprécier, selon ses critères, un État de droit en Europe centrale.
- Le populisme : de quoi est-il le nom ? - Pascal Perrineau p. 45-47 Les opinions et ouvrages foisonnent sur le populisme, sans s'accorder nécessairement sur sa nature, ses formes et ses effets. Une seule certitude : au centre, le conflit entre le peuple et les élites. De là sont nés ou peuvent naître un populisme protestataire, un autre identitaire. Les leaders populistes ne manquent pas pour asseoir leur pouvoir, des Philippines au Brésil, du Venezuela au Nicaragua, de la Bolivie aux États-Unis, de la Turquie à l'Inde et en Europe centrale même. Ces régimes, dans leur variété culturelle, révèlent un grand malaise sociétal et une transformation en profondeur qui aboutit au repli sur soi et à la dénonciation de boucs émissaires (immigration, Europe, mondialisation).
- Quelques considérations sur l'évolution de la contestation dans la société française - Éric Freysselinard p. 48-52 Les scandales et la contestation croissante pourraient faire croire que nous vivons une époque bien difficile. L'auteur montre, par de multiples rappels historiques sur un siècle, que les époques qui nous ont précédés n'ont pas manqué de scandales et de violence.Pourtant, il s'interroge sur ce qu'il appelle la société de l'intelligence dans laquelle chacun est devenu éditorialiste sans pour autant que la participation électorale augmente. Il pointe même de nouvelles dérives de groupes ou d'individus tendant à contester systématiquement l'autorité, que ce soit pour des raisons égoïstes ou généreuses. Il nous appelle à nous ressaisir pour que ce temps de l'individu ne nous empêche pas de vivre en société.
- La démocratie à l'épreuve des procès climatiques - Noëlle Lenoir p. 53-56 La montée en puissance des pouvoirs du juge depuis la fin des années 90, conjuguée à l'activisme judiciaire d'associations et collectivités territoriales, bouleverse les équilibres institutionnels. Les parlementaires et les partis politiques sont concurrencés par des ONG dont l'audience sur les réseaux sociaux et dans les médias est à la mesure de leur posture de dénonciation et de leur refus du compromis propre à la démocratie parlementaire. L'action – ou l'inaction – de l'Exécutif est remise en cause devant la juridiction administrative qui n'hésite pas à utiliser pleinement les pouvoirs d'injonction qui lui sont reconnus depuis une loi de 1995. Les entreprises sont mises en demeure devant la juridiction judiciaire de revoir leur stratégie commerciale et de réorienter leurs activités. Cette évolution est illustrée par les procès climatiques. Si l'intérêt public de la lutte contre le changement climatique ne fait pas débat, en revanche il importe de stabiliser la démocratie, ce qui passe par un retour de l'autorité de l'État qui doit retrouver son rôle au premier chef d'arbitre entre des intérêts divergents au sein de la nation. Quant à l'écologie punitive, elle devrait conduire à responsabiliser avant tout les citoyens qui, en France spécialement, sont loin d'être exemplaires dans la protection de l'environnement.
- Qu'est-ce que les « black blocs » ? - Hugo Rodde p. 57-59 Cet article commence par définir ce qu'est le black bloc en tant que méthode d'action collective, et l'origine de cette pratique, initialement utilisée dans le cadre de manifestations altermondialistes. Le cœur du propos se concentre néanmoins sur les individus utilisant cette technique dans le cadre de manifestations, que l'on désigne black blocs par métonymie. Est notamment étudiée la composition sociologique des « groupes d'affinité », rassemblant les black blocs, ainsi que leur mode de fonctionnement. Le papier tente ensuite de dégager des perspectives idéologiques communes rassemblant les black blocs, essentiellement anarchistes et plus fondamentalement favorables à une certaine forme de démocratie directe. En conclusion, la violence des black blocs, qui se fait dans une perspective symbolique, paraît plus tenir du nihilisme que de la violence révolutionnaire.
- La démocratie à l'épreuve du populisme aux États-Unis - Tamara Boussac p. 60-63 Cet article replace les mutations récentes de la vie politique américaine dans le temps long afin d'expliquer la prégnance du discours populiste aux États-Unis. Il souligne que, si le populisme fait depuis longtemps pleinement partie de la culture politique de ce pays, ses formes contemporaines représentent plus que jamais une menace pour l'État de droit et les institutions démocratiques. Dans ce contexte, il devient de plus en plus difficile de distinguer populisme, complotisme et nationalisme.
- Le délitement de l'État de droit, cause et conséquence du populisme - Jean-Éric Schoettl p. 64-71 La fracture entre peuple et élites s'est formée dans les menaces d'insécurité et d'immigration, le déclin économique, le déclassement social, l'opposition à une ingérence européenne et un affaiblissement de l'identité nationale. L'État de droit en a pâti et le populisme s'en est nourri.Pour autant, ce dernier, attisé par les violences, les prétentions de démocratie directe et des sentiments de méfiance et de ressentiment, peut déstabiliser l'État de droit et ouvrir la voie à une aventure politique.
- Quand l'abus du droit tue l'État de droit - Pierre Steinmetz p. 72-74 Dans une démocratie, l'État de droit garantit les citoyens contre un pouvoir arbitraire et est lui-même fondé sur la séparation et l'équilibre des pouvoirs. Mais, depuis 50 ans, le curseur s'est déplacé au point de créer une insécurité juridique due à l'emprise croissante du Conseil constitutionnel et des juridictions, réduisant d'autant le rôle du Parlement et de l'exécutif.
- État de droit (dont le corps préfectoral) et populisme - Christian Vigouroux p. 75-77 Le populisme prospère sur les échecs de la société. Il tend à s'opposer aux réformes raisonnées, s'écarte de la méthode qui passe par la science et le droit. Il menace et fait pression. Fort de ses intuitions, il entend obtenir un changement de référence politique, un nouveau vocabulaire et des solutions abruptes tant la nuance lui est suspecte. L'État de droit, fort de ses institutions dont le corps préfectoral, le Conseil d'État et les grands services publics doit répondre aux causes du populisme non pas en imitant ses pratiques mais par une méthode rationnelle. Il diversifie le recrutement de ses élites et les met en valeur. Il sait faire preuve de détermination et de discernement. Il ne s'agit pas de céder à une course poursuite avec le populisme en copiant ses solutions. L'État de droit garde la maîtrise de ses évolutions parce que la force n'a de sens qu'au service des libertés (art.12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen).
- L'État de droit contesté dans les quartiers dits « de la politique de la ville » - Michel Aubouin p. 78-81 Les principes qui régissent l'État de droit sont mis à mal par les phénomènes de violence, récurrents dans une partie des quartiers de la politique de la ville. Les outils manquent pour répondre au défi posé par l'extension du communautarisme et l'emprise croissante de l'économie criminelle.
- Le Défenseur des droits, une institution garante du respect des droits de toutes et tous - Claire Hédon p. 82-84 La promesse républicaine peine à réduire les discriminations et les atteintes aux droits ou à la dignité des personnes. Autorité administrative de rang constitutionnel, le Défenseur des droits entend y contribuer, en apportant notamment une réponse à la situation individuelle de chacun et en promouvant la culture de l'égalité et du droit afin de faire évoluer les pratiques pour prévenir les atteintes aux droits. Outre le ressenti des usagers lié au « recul » des services publics, à l'absence de réponses ou aux difficultés générées par la dématérialisation, le Défenseur des droits appelle également à ne pas nier ou minorer les discriminations qui sont vécues comme une réalité quotidienne par une partie de la population. Il invite enfin les autorités préfectorales à veiller à ce que nos concitoyens se sentent tous et toutes écoutées, respectées, et protégées contre l'arbitraire et les discriminations.
- L'ombudsman suédois - Håkan Åkesson p. 85-88
- L'État de droit et les institutions démocratiques face aux défis du populisme – un point de vue helvétique - Vincent Grandjean p. 89-92 La démocratie semi-directe helvétique n'échappe pas au populisme partisan et aux manifestations de rue, mais, séculairement, elle a fabriqué et fait usage, aux niveaux fédéral, cantonal et communal, d'outils adaptés pour l'exercice de droits populaires qui complètent heureusement la démocratie représentative. Naturellement, le dispositif est appelé à évoluer, pour mieux favoriser l'intégration des populations et enrichir les formes de dialogue entre pouvoir et population.
- La démocratie participative au secours de la démocratie représentative : le remède peut-il tuer le malade ? - Anne Levade p. 93-95 Tous s'accordent sur la crise contemporaine de la démocratie et, en particulier, de la démocratie représentative. Le remède le plus fréquemment prescrit est une dose de démocratie participative, sans grand résultat à ce jour, qu'il s'agisse d'un dispositif constitutionnel complexe ou de l'organisation de débats populaires et de conventions citoyennes. Pour s'assurer d'un succès à terme de ces formules, il faut que chacun mesure qu'il est un temps pour la discussion entre citoyens et pouvoir et un temps pour la décision qui doit revenir in fine aux représentants élus. Seule cette articulation réussie peut prévenir un populisme ambiant.
- L'État de droit en quête de légitimité populaire - Benjamin Morel p. 96-99 L'État de droit est à la fois plébiscité et contesté par l'opinion publique. Perçu comme devant limiter les excès du politique, il est aussi tenu responsable de son impuissance. Dans ce cadre, la figure du juge apparaît plus clivante. S'il devient un recours utile pour faire avancer un programme politique, la confiance des électeurs dans la justice apparaît de plus en plus corrélée avec leurs opinions partisanes. L'État de droit apparaît donc paradoxalement fragilisé tout comme la démocratie représentative. Repenser l'articulation de ces deux concepts est nécessaire à leur renforcement dans l'opinion.
- Renouer avec l'esprit de conquête - Dominique Reynié p. 100-101 Les Français sont partagés entre bonheur privé et malheur public qui semble les accabler. Mais les nouvelles générations doivent mesurer les changements de la société et prendre une part dans la globalisation. À cet égard et sauf à s'incliner devant de nouveaux défis géostratégiques, elles doivent comprendre qu'à l'âge de la globalisation, la souveraineté nationale n'exclut pas la souveraineté européenne qui peut nous permettre de dimensionner la puissance publique à l'échelle du monde nouveau. Enfin, en prolongement de notre riche histoire, il faut offrir à tous un idéal et un horizon commun.
- Le populisme comme défi pour la démocratie - Pierre-Henri Tavoillot p. 102-104 L'unanimité démocratique masque l'émergence de nouveaux et profonds clivages. D'un côté, l'attrait pour la participation citoyenne (démocratie radicale) ; de l'autre, les séductions d'une autorité forte (démocratie illibérale). Entre les deux, la démocratie libérale est sur la défensive, critiquée pour sa représentation déficiente et son impuissance publique. Elle doit, en outre, faire face à un troisième adversaire, le populisme, qui veut lui tout en même temps : à la fois plus de peuple et plus de pouvoir ! Cette exigence hyper-démocratique, qui n'a rien à voir avec le fascisme d'antan, ne saurait être prise à la légère. Elle est un défi pour les démocraties libérales qui doivent « muscler leur jeu » et veiller à ce que la tyrannie des minorités actives ne l'emporte pas sur la voix d'une majorité en colère.
- L'école n'enseigne pas la République, elle la rend possible - Natacha Polony p. 105-107 L'école est le pilier de la République qui rassemble des citoyens autonomes et responsables en une communauté nationale : l'une de ses missions est de transmettre des valeurs d'appartenance, hors de tout catéchisme. Il ne s'agit pas d'endoctriner mais d'exposer, par notre histoire, notre littérature et nos philosophies, les principes de liberté, d'égalité et de tolérance. Or, les pédagogies constructivistes, sous couvert d'esprit critique, ont répandu un enseignement technique et desséché, peu propice à l'émancipation et à l'ambition méritocratique.
- La cohésion à l'épreuve de la confiance - Johanna Rolland p. 108-111 De l'assaut du Capitole par les partisans de Trump aux États-Unis le 6 janvier 2021 à l'intrusion, le 25 mars dernier, au conseil régional d'Occitanie, de militants d'Action française, des signaux d'alerte majeurs se multiplient, témoignant de l'état de souffrance de nos démocraties contemporaines. En jeu : notre cohésion nationale, dans une société de plus en plus fragmentée, traversée par trop de fractures sociales et territoriales. La crise sanitaire actuelle, par la crise économique et sociale qu'elle a induite, pourrait d'ailleurs venir amplifier ce phénomène, dans la mesure où pèsent aujourd'hui de nombreuses incertitudes sur les Françaises et les Français. À l'heure de l'émergence de formes nouvelles de radicalisation, sociale et politique, et d'une abstention électorale semblant se renforcer à chaque scrutin, il est urgent de trouver des réponses à cette crise de confiance qui interroge autant l'avenir que l'unité de notre pays. Cette confiance ne peut se restaurer, qu'en renouvelant profondément l'action publique et en y redéfinissant progressivement les règles de la décision collective. Plus que jamais, la démocratie participative, déjà souvent engagée à l'échelle locale, peut donc nous aider à refonder notre pacte démocratique, même si sa seule mise en œuvre ne pourra suffire. Favoriser le dialogue citoyen doit en effet s'inscrire dans un changement de paradigme plus global, au prisme de relations repensées entre l'État et les collectivités, où un nouveau modèle s'invente ; un modèle conjuguant avenir de la planète et égalité des chances et des droits.
- Hygiénisme légal et populisme libertaire - Bernadette Malgorn p. 112-119 Bernadette Malgorn, préfète de région Lorraine (1996-2002), puis Bretagne (2002-2006), a été confrontée à la gestion de nombreuses crises. Secrétaire générale du ministère de l'Intérieur, elle a participé à la commission du livre blanc de la défense et de la sécurité nationale de 2008. Le risque pandémique avait bien été identifié. Un plan pandémie a été préparé. Et des dispositions prises pour s'organiser en cas de survenance. À sa surprise, ce plan n'a pas été déclenché face au coronavirus. Sa campagne municipale à Brest ayant été interrompue par le report du second tour, elle a profité du premier confinement pour rédiger un essai : « Pandémie et démocratie : que demande le peuple ? », en libre accès sur calaméo. Elle développe ici plusieurs questions qu'elle y aborde : le fondement des interventions des pouvoirs publics sur les questions de santé, la légitimité des leviers de l'action publique, la relation entre l'expertise et la décision. Elle affirme sa confiance dans la liberté des citoyens et l'efficacité de la démocratie.
- Le préfet déchiffreur et transmetteur, entre le prince et le peuple - François Burdeyron p. 120-122 Notre monde est saturé de bruits et d'images ; la surinformation aboutit à la sous-information ; le récepteur qu'est le citoyen ne peut plus distinguer l'essentiel de l'accessoire, ni le réel du mensonge. Victime du tintamarre, s'il ne se réfugie pas dans l'indifférence, il risque de suivre la pente de ses réactions affectives irraisonnées, ou, pire, de se laisser aller à la crédulité vis-à-vis des marchands d'illusion.Le populisme n'est pas l'écoute du peuple, mais l'exploitation éhontée de ses fragilités ou de ses ignorances. Les gouvernements ne peuvent servir le peuple qu'ils représentent qu'en sachant entendre ses attentes profondes et en adaptant leur pédagogie à leurs citoyens.Dans cette démarche, dont l'enjeu est vital, le préfet peut jouer, au niveau local, un rôle essentiel.
- Retour de l'État de droit à Notre-Dame-des-Landes - Nicole Klein p. 123-125 L'auteure, préfète de la région des Pays de la Loire, a été l'actrice décisive du dénouement pacifique d'une crise longue, complexe, violente et médiatisée. Elle expose l'enchaînement des faits, sa mission, sa façon de l'accomplir et les résultats contrastés obtenus, en tirant les leçons pour le corps préfectoral de son rôle dans le rétablissement de l'État de droit.