Contenu du sommaire : Complicités
Revue | Terrain |
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Numéro | no 77, automne 2022 |
Titre du numéro | Complicités |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Introduction
- Tous complices ? - Émir Mahieddin, Jérôme Soldani p. 4-29 Les figures de la complicité occupent une bonne part de nos imaginaires politiques et moraux contemporains. Mais que signifie exactement être « complice » ? Derrière son caractère intuitif apparent, la complicité s'avère être une notion complexe, engageant des théories de l'esprit et de l'action, des conceptions de la responsabilité, de la personne et de l'intention. Dans le domaine du droit comme dans les opérations de jugement moral, la complicité prend différentes formes en fonction des contextes et des situations, posant des questions anthropologiques fondamentales dont cette introduction entend offrir un panorama.
- Tous complices ? - Émir Mahieddin, Jérôme Soldani p. 4-29
Articles
- Se Jurer Complice - Matthew Carey p. 30-47 Les notions classiques de la complicité reposent sur l'idée que la coresponsabilité pour un acte commis par autrui est engagée par la conscience préalable des intentions de l'auteur principal. Or, le pourtour méditerranéen offre des cas de figure qui troublent cette vision des choses en distribuant la responsabilité non pas en fonction d'un état d'esprit, mais d'une identité ou d'une volonté partagée, par exemple la vendetta ou le serment collectif amazigh. Cet article propose d'analyser cette opposition entre les deux systèmes d'attribution de la responsabilité, et surtout entre les visions concurrentes du sujet de droit et donc du sujet tout court qui les sous-tendent.
- En quête de complicités - Pauline Jarroux p. 48-69 Entre septembre et décembre 2020 s'est tenu le procès des attentats de janvier 2015. Si l'audience visait à déterminer la responsabilité de 14 individus, d'autres complicités avec les faits jugés, situées à plus ou moins grande distance du périmètre de l'instruction, ont été énoncées à l'audience. Témoignant de luttes de cadrage portées par des acteurs différents, ces complicités « autres » ont différemment éprouvé l'espace symbolique de l'audience et ont contribué à politiser le prétoire. Elles ont diversement travaillé les acteurs du procès – y compris le chercheur – en contribuant notamment à complexifier les lignes de tension classiques entre défense, partie civile et accusation.
- Avec la complicité du diable - Magali Demanget p. 70-89 Cette contribution traite de l'ambiguïté de la complicité depuis la perspective d'une économie morale de la corruption. Elle prend appui sur une ethnographie du soupçon pour aborder la question de l'impunité des crimes dans une ville indienne mexicaine. L'exploration de divers témoignages associés à des meurtres conduit à dégager la projection de la contradiction de la « banalité du mal » dans la figure d'un diable vernaculaire. Par son association à des auteurs présumés de crimes, ce diable apparaît comme l'encryptage de la déviance sociale, et d'une violence politique par ailleurs divulguée dans la sphère publique alors que l'économie du secret et du dévoilement prend un nouveau virage.
- « Suis-je le gardien de mon frère ? » - Kamel Boukir p. 90-109 Après l'homicide d'un dealer, la ville de Montrimond plonge dans l'effroi. Le choc rappelle aux amis d'enfance que les relations de complicité modifient l'économie morale de leurs rapports intimes. Quand l'amitié s'abîme dans la complicité surgit un dilemme éthique : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Cet article décrit la dynamique du soupçon qui emporte les complices sous le règne de la paranoïa, les jetant dans les rets d'une inimitié dégagée de tout scrupule moral même au plus fort de la trahison.
- Après-génocide - Coralie Morand p. 182-183 À partir du cas particulier du génocide maya ixil au Guatemala, cet article interroge les différentes formes que revêtent les accusations et disculpations de complicité. Navigant entre les notions de responsabilité et de culpabilité, il propose d'analyser la notion de complicité comme contextuelle et soumise à des variables diverses. Ce propos est soutenu par des scènes ethnographiques qui interrogent de façon diverse ces différentes notions et qui nous emmènent tour à tour auprès d'un ancien guérillero, de paramilitaires, de militaires et de victimes, dans un contexte où la parole et le silence sont des facteurs clés de la reconstruction d'une société en contexte post-génocidaire.
- Se Jurer Complice - Matthew Carey p. 30-47
Entretien
- La complicité se cache dans les détails - Élisabeth Claverie, Émir Mahieddin p. 110-129 Comment la justice internationale statue-t-elle sur la « complicité » dans les crimes de guerre et crimes contre l'humanité ? Forte de ses années d'enquêtes sur le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et la Cour pénale internationale, l'anthropologue Élisabeth Claverie propose plusieurs éléments de réflexion sur cette notion juridique complexe. Dans cet entretien, elle revient sur les nomenclatures d'incrimination et sur les procédures d'enquête qui encadrent les accusations pour complicité de crime de guerre. Elle nous donne à voir un travail détaillé sur le réel qui permet de traduire, étape par étape, le désordre et la brutalité des violences de masse en qualifications proprement juridiques, non sans souligner les tensions entre les attentes du droit et celles du politique.
- La complicité se cache dans les détails - Élisabeth Claverie, Émir Mahieddin p. 110-129
Focus
- Refuser d'être complice - Waed Al-Kallas, Emma Aubin-Boltanski p. 130-137 Le qualificatif « gris » (ramâdî) est apparu au début du soulèvement syrien pour désigner une personne qui refuse de s'engager dans la révolte. Pour les révolutionnaires, il est synonyme de « lâche » et de « trouillard », pour les partisans du régime assadien il a un sens semblable à « traître » ou « infiltré ». Pourtant, malgré ses connotations péjoratives, des Syriens revendiquent ouvertement cette étiquette. Ce focus s'attache à analyser l'usage de l'expression en la replaçant dans le cadre du nouveau répertoire verbal qui se développe depuis le déclenchement de la guerre en 2011. Il s'agira de démontrer qu'elle change de sens en fonction des locuteurs, de leurs appartenances et de leur positionnement politique, mais aussi en fonction des moments et des lieux.
- Refuser d'être complice - Waed Al-Kallas, Emma Aubin-Boltanski p. 130-137
Récits
- « Sous le ciel, il n'y a pas de repas gratuit » - Beatrice Zani p. 138-155 À partir d'une ethnographie du travail des femmes migrantes chinoises employées dans une maison close de Taipei, le récit propose une réflexion sur l'éthique de l'enquête. Il narre la production de complicités entre l'ethnographe et une pluralité d'acteurs : le maquereau local, ses partenaires, ses subalternes et les femmes. Construites in situ, les complicités se révèlent précaires et temporaires : elles se font et se défont, débouchant sur une complicité in fine impossible, faite d'ambivalences, de mensonges, de proximités illusoires, d'échanges éthiquement douteux. Dans la maison close, des relations sociales équivoques sont agencées et hiérarchisées en fonction d'intérêts personnels, de relations de pouvoirs et de complicités ambiguës au sein desquelles l'ethnographe négocie sa présence, fragile, précaire, mais est expulsée du terrain quand les complicités se rompent.
- Lâleh, fille de martyr - Sepideh Parsapajouh, Sedigheh Yaghoobi-Faz p. 156-175 La guerre Iran-Irak (1980‑1988) a fait des centaines de milliers de victimes parmi les combattants volontaires, dont de jeunes pères de famille. Les orphelins de ceux qui s'étaient engagés ont aussitôt été considérés comme les futurs porteurs des valeurs révolutionnaires. Constituant une nouvelle catégorie de la population, ils ont été pris en charge par l'État avant même d'être en mesure de décider pour leur sort. Afin de montrer concrètement la situation malaisée de certains de ces individus, tenus pour « complices » dans une société fortement clivée depuis la fin de la guerre, ce récit non fictif présente l'histoire d'une femme de 36 ans, mariée et mère de deux enfants. Elle n'a aucun souvenir de son père qu'elle a perdu à l'âge de deux ans.
- « Sous le ciel, il n'y a pas de repas gratuit » - Beatrice Zani p. 138-155
Portfolio
- L'animalisme face au meurtre animal - Marianne Celka p. 184-185 Tuer un animal pour en consommer la chair ou les dérivés est-il moralement acceptable ? La participation directe ou indirecte aux tueries des masses animales n'est-elle pas le lieu d'une complicité criminelle ? L'animalisme pose la question du crime contre l'animalité, du meurtre organisé des animaux non humains et des ressorts culturels qui entretiennent une forme de passivité face au plus grand crime de tous les temps. À partir de l'étude d'un corpus d'images significatives issues du terrain animaliste (américain et européen), il est possible de retracer la manière dont le mouvement en faveur de la libération animale tente de réveiller les consciences tout en condamnant les rouages d'une complicité dissimulée.Can the killing of animals to consume flesh or derivatives be morally acceptable? Could taking part - directly or indirectly – in killings of animal masses be a sign of criminal complicity? Animalist movements raise the issue of the organized murder of non-human animals question the cultural fabric sustaining a form of passivity about what the qualify as the greatest crime of all time. The study of a corpus of significant images coming from the animalist movement (American and European), allows the possibility of tracing the way in which the animal liberation movement tries to awaken consciences while condemning the cogs of hidden complicity.
- L'animalisme face au meurtre animal - Marianne Celka p. 184-185
Muséo
- Le complot des Empoisonneurs de juin 1908 - Johann Grémont Le complot des Empoisonneurs de juin 1908 fut une tentative d'assassinat des militaires de la garnison de Hanoi en empoisonnant leur repas. Il aurait dû constituer le premier acte d'un soulèvement général du Tonkin pour chasser le colonisateur français. Cette conspiration fut le fruit d'une organisation s'appuyant sur de nombreuses complicités et son impact sur la société coloniale fut important. Ce complot mit en exergue la fragilité de la position d'une administration coloniale qui mena une répression d'exception contre leurs auteurs et influença considérablement l'évolution de l'exercice de l'ordre colonial en Indochine notamment pour ce qui concerna le contrôle de la population.
- Le complot des Empoisonneurs de juin 1908 - Johann Grémont