Contenu du sommaire : France-Rwanda : rapports, scènes et controverses françaises
Revue | Politique africaine |
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Numéro | no 166, 2022/2 |
Titre du numéro | France-Rwanda : rapports, scènes et controverses françaises |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier. France-Rwanda : rapports, scènes et controverses françaises
- Introduction au thème. La querelle Franco-Rwandaise (1994-2022) - Étienne Smith p. 5-36
- « Le jugement de l'histoire n'est pas rien ». Entretien avec Vincent Duclert, président de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi - Vincent Duclert, Étienne Smith, Christine Deslaurier, Séverine Awenengo Dalberto p. 37-63 L'historien Vincent Duclert a présidé la commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi. Cet entretien revient sur sa trajectoire d'historien, sur les conditions et les enjeux du travail de la commission, sur la réception de ses conclusions. Il permet aussi d'évoquer plus largement les pratiques de l'historien, la question de la spécialisation, et le rapport de l'histoire à la justice et à la réparation.The historian Vincent Duclert was Chair of the Research Commission on the French Archives relating to Rwanda and the Tutsi Genocide. This interview looks back at his career as a historian, the conditions and challenges of the Commission's work, and the reception given to its conclusions. It also provides an opportunity to discuss more broadly the practices of historians, the question of specialisation, and the relationship between history and justice and reparation.
- Construire une légitimité scientifique : les polémiques autour de la composition et de la réception de la Commission française sur le rôle de la France au Rwanda - Mathilde Beaufils p. 65-90 La commission Duclert, en tant que lieu de production d'un discours expert sur le rôle de la France au Rwanda dans un contexte de polémique politique et scientifique, peut être analysée comme un « lieu neutre ». Sa composition fait l'objet de nombreux débats portant sur l'éviction de « spécialistes » du Rwanda. Il s'agit alors pour les membres de cette commission de construire une légitimité scientifique. Malgré ces controverses, le rapport de la commission Duclert, du fait de la polysémie de sa forme et de ses conclusions, offre la possibilité d'un relatif consensus politique, et dès lors d'une possible marginalisation des positionnements « extrêmes » de la polémique sur le rôle de la France au Rwanda.The Duclert Commission, which was designed to produce an expert discourse on the role of France in Rwanda in a politically and scientifically controversial setting, can be considered to be a “neutral space”. Its composition was the subject of numerous discussions based around the sidelining of “specialists” on Rwanda, which meant that its members needed to construct scientific legitimacy. Despite these controversies, as a result of the ambiguity of its form and conclusions, the Duclert Commission's Report offers the possibility of a relative degree of political consensus, and therefore a potential marginalization of the “extreme” positions in the controversy surrounding France's role in Rwanda.
- Expertise scientifique et distinction diplomatique face au génocide - Jean-François Bayart, Étienne Smith p. 91-108 L'entretien avec Jean-François Bayart porte sur son expérience en tant que membre du Centre d'analyse et de prévision (CAP) du ministère des Affaires étrangères français de 1990 à 2005. Il interroge les relations entre savoirs africanistes et politique étrangère française au moment de la crise rwandaise, puis l'évolution plus générale des relations entre chercheurs, diplomates, politiques et militaires en France. Il souligne le décalage entre les représentations des différents acteurs, l'influence toute relative des chercheurs, et finalement la marginalisation croissante des savoirs académiques dans la politique étrangère comme dans les médias.The interview with Jean-François Bayart focuses on his experience as a member of the Centre d'analyse et de prévision (CAP) of the French Ministry for Foreign Affairs from 1990 to 2005. It investigates the relationship between research in African studies and French foreign policy at the time of the Rwandan crisis, and the more general development of relationships among researchers, diplomats, politicians and the military in France. It underlines the discrepancy between the representations of the various actors, the very limited influence of academics, and finally the growing marginalization of academic knowledge in both foreign policy and the media.
- Complicités françaises au Rwanda : mobilisations citoyennes et parades politiques - Thomas Borrel p. 109-126 Cet article resitue le « rapport Duclert » dans l'histoire des mobilisations citoyennes pour la reconnaissance des responsabilités françaises dans le génocide des Tutsi et des parades politiques auxquelles ces mobilisations se sont heurtées. Si la commission Duclert a réussi à établir en deux ans une imposante synthèse, riche de milliers de références archivistiques, cet article montre que celle-ci ne produit pas de rupture sur le plan politique. Le rapport permet en effet au pouvoir français de refermer le débat, en prétendant l'avoir mené à son terme, sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi afin de mieux neutraliser des questionnements critiques.This article provides a context for the Duclert Report within the history of citizen-led mobilisations to obtain an acknowledgment of French responsibilities in the genocide against the Tutsi and the political parades these mobilisations encountered. Although the Duclert Commission succeeded in preparing an impressive summary with thousands of archival references in the space of two years, this article shows that it does not offer any kind of breakthrough at a political level. The report allows the French government to put an end to the debate on France's role in the Tutsi genocide, and to claim to have brought it to a conclusion, so that it can neutralise critical questions more effectively.
- Les bourgmestres de Kabarondo devant la Cour d'assises de Paris : la justice française face au génocide des Tutsi au Rwanda - Timothée Brunet-Lefèvre p. 127-146 En vertu de la compétence universelle de la France, deux anciens bourgmestres rwandais ont été jugés devant la Cour d'assises de Paris pour leur participation au génocide des Tutsi rwandais, en première instance en 2016 puis en appel en 2018. Les membres d'une communauté locale disséminée, tueurs comme rescapés, ont été réunis plus de vingt ans après les faits dans le prétoire. À partir des films du procès, cet article analyse le récit du génocide produit à l'audience et ses répercussions, devant des acteurs de la justice française étrangers au monde local convoqué à la Cour, et interroge le déroulement d'un procès relatif au génocide des Tutsi dans un tribunal français.Under France's universal jurisdiction, two former Rwandan burgermeisters were brought to trial before the Cour d'Assises in Paris for taking part in the genocide of the Tutsi in Rwanda. The trial before the lower Court was held in 2016, and the appeal in 2018. Members of a dislocated community, killers and survivors alike, were reunited more than twenty years after the fact. This article uses the filmed recordings of the trial to analyse the narratives of the genocide delivered to the public and its repercussions before figures of the French judicial system who were strangers to the local world that was summoned before the Court, and investigates how a trial on the genocide of the Tutsi unfolded in France.
Recherches
- Des réseaux aux chaînes d'approvisionnement. Économies morales et performances de moralisation dans le commerce de l'or au Mali post 2012 - Matthieu Bolay p. 147-172 Cet article interroge les recompositions récentes du champ du commerce de l'or au Mali (à Bamako) à la lumière de la compétition à laquelle se livrent des comptoirs d'exportation et des raffineries pour l'acquisition et la commercialisation d'or issu des mines artisanales dans un contexte de crise politique. Les stratégies contrastées des comptoirs, soit celles s'appuyant sur de complexes réseaux de supports et de dépendances, et des affineurs, soit celles prétendant s'inscrire dans le mouvement des chaînes d'approvisionnement dites « responsables », éclairent les enjeux de la réappropriation de la rhétorique du commerce responsable. L'article propose par ailleurs de mettre en relief les deux stratégies présentées au regard de l'actuelle ruée vers le Nord du pays, dans les zones administrées par différentes factions « rebelles ». Il pose ainsi la question de l'intégration nécessairement problématique de l'or de la ruée aux circuits commerciaux bamakois et pointe ainsi certaines ambiguïtés de la politique minière au Mali, en particulier vis-à-vis des régions du Nord du pays.This article examines recent reorganisations in the gold trade in Mali (in Bamako) in the light of the competition between buying houses (comptoirs) and newly-established refineries for the acquisition and export of gold from artisanal mines in a context of political crisis. The contrasting strategies of the comptoirs, which rely on complex networks of support and dependency, and the refineries, which claim to be part of the movement of so-called “responsible” supply chains, shed light on the issues surrounding the reappropriation of the rhetoric of responsible trade. The article also highlights the two strategies from the standpoint of the gold rush that is currently taking place in the north of the country in areas administered by different “rebel” factions. It thus raises the question of the inevitably problematic integration of the gold arriving from this gold rush into the trading channels in Bamako, thereby pointing up certain ambiguities in Mali's mining policy, particularly with regard to the northern regions of the country.
- Fiscalité, ordre moral et prévisibilité : le gouvernement djihadiste du Nord-Mali au prisme des pratiques de prélèvement - Giovanni Zanoletti p. 173-191 La rébellion qui a frappé le Mali en 2012 à partir de ses régions du Nord a entraîné une multiplication des acteurs qui collectent les droits de passage sur les routes. L'analyse de ces pratiques – mises en place aussi bien par les forces étatiques que par les groupes armés, djihadistes ou non – dans les conjonctures de 2012-2013 et de 2016 permet de questionner de manière plus large les modes du gouvernement au Mali. L'adéquation entre les pratiques de pouvoir et les normes de sociabilité inscrit les autorités politiques et les gouvernés dans un contrat social implicite dans la mesure où ces pratiques deviennent prévisibles, et par conséquent maîtrisables par les gouvernés. La quotidianisation de cette synthèse entre normes éthico-religieuses et normes socio-économiques émerge comme une attente fondamentale des gouvernés vis-à-vis des autorités politiques.The rebellion that hit Mali in 2012, starting in its northern regions, led to an increase in the number of actors levying tolls on the use of roads. An analysis of these practices, which were put in place by both State forces and armed groups – whether jihadists or not – in the contexts of the period between 2012 and 2013 and in 2016 makes it possible to question the methods of government in Mali more broadly. The affinities between power practices and social norms produce an implicit social contract insofar as these practices become predictable and can therefore be controlled by those being governed. The transformation of this blend of ethical-religious and socio-economic norms into people's everyday lives emerges as a fundamental expectation on the part of those being governed vis-à-vis the political authorities.
- Des réseaux aux chaînes d'approvisionnement. Économies morales et performances de moralisation dans le commerce de l'or au Mali post 2012 - Matthieu Bolay p. 147-172
Lectures
- Autour d'un livre : Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat et Thomas Deltombe (dir.), L'Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Paris, Seuil, 2021, 1 008 pages - Judith Scheele, Véronique Dimier, Rahmane Idrissa, Thomas Deltombe, Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat p. 193-215