Contenu du sommaire : Turquie, les ambitions bridées

Face au conflit ukrainien, Ankara, qui avait auparavant développé avec chacun des belligérants une relation spéciale basée à la fois sur l'histoire et sur l'intérêt économique, adopte une stratégie de neutralité active, d'équilibre. Puissance opportuniste au plein sens du terme, la Turquie saisit toute occasion de défendre ses intérêts propres, de proposer sa médiation et d'affirmer, face aux adversaires et aux alliés – en particulier dans l'OTAN –, son poids de puissance régionale.

Les choix de politique étrangère turcs visent à élargir l'autonomie stratégique du pays par la diversification de ses partenariats, l'extension de sa présence dans de nouveaux espaces géopolitiques et l'usage de tous les moyens disponibles du soft power – économiques, industriels et culturels. Avec la Russie, en Ukraine, en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique, Ankara affirme sa présence, suscitant une inquiétude grandissante chez ses alliés occidentaux traditionnels.

Par glissements progressifs, Recep Tayyip Erdogan a mis en place en Turquie un régime présidentiel autoritaire et nationaliste. La dégradation de la situation économique, les effets des tremblements de terre et la vaste coalition constituée par les oppositions ont rendu incertains les résultats des élections présidentielles et législatives de 2023. Mais le caractère très composite de l'opposition à Erdogan, comme le poids du problème kurde, rendent tout aussi incertain l'avenir d'un changement de pouvoir.

La Turquie d'Erdogan a connu jusqu'en 2016 une remarquable croissance, obtenant le statut de pays à revenu intermédiaire. La tentative de coup d'État de 2016, les difficultés dues à la guerre syrienne, la pandémie de Covid-19 et des politiques économiques autoritaires se soldent par une crise symbolisée par une inflation galopante, aggravée par les récents tremblements de terre. Quel que soit le résultat des élections de 2023, c'est la politique de développement du pays qui devra être profondément revue.

L'économie chinoise a connu une croissance exceptionnelle pendant quatre décennies, mais elle montre aujourd'hui des signes d'essoufflement. À terme, de fortes contraintes démographiques, financières et environnementales pèseront sur les perspectives de croissance. Xi Jinping a pris conscience de ces difficultés et promeut un nouveau modèle de développement. Il n'est pas dit, cependant, que ces réformes suffiront à donner une dynamique économique plus favorable à la Chine.

Les ressorts traditionnels de la croissance chinoise – large disponibilité du facteur travail, productivité des capitaux – sont en phase d'essoufflement, tandis que le modèle économique chinois atteint des limites écologiques ou en termes d'inégalités. À court terme, ces facteurs structurels n'auront sans doute qu'un impact limité sur la croissance. Mais ils rendent incontournable un rééquilibrage profond et durable de l'économie vers la consommation interne, qui peine encore à voir le jour.

La quête de puissance indienne mérite examen à la lumière de l'abstention de New Delhi sur l'Ukraine et de ses ambitions affichées à la faveur de la présidence du G20. Membre du Quad et de l'Organisation de coopération de Shanghai, qu'elle préside aussi en 2023, l'Inde est-elle une puissance d'équilibre ou une puissance en quête d'équilibre, entre Eurasie et Indo-Pacifique, entre un Occident dont elle se rapproche en le critiquant et un Sud global dont elle se veut un pilier face à la Chine ?

La Russie et la Chine entretiennent historiquement des relations teintées de méfiance, mais les deux pays se sont rapprochés depuis un demi-siècle. Peu avant le début de l'invasion russe de l'Ukraine, ils ont réaffirmé leur « amitié sans limite » puis, en mars 2023, Xi Jinping est venu à Moscou apporter son soutien à Vladimir Poutine. La relation entre les deux hommes est devenue asymétrique : la Russie, affaiblie par la guerre et les sanctions, est en voie de vassalisation.

Bien qu'essentiellement liées à l'activité des groupes djihadistes, les causes et les dynamiques des conflits armés en Afrique de l'Ouest ne sont pas à proprement parler nouvelles. Elles renvoient à des fragilités anciennes, récemment accentuées. D'où une propagation de la violence au-delà des frontières étatiques, dans un contexte marqué par un décalage entre les défis structurels et les réponses proposées, et par les limites des projets de coopération et d'intégration régionales.

L'accord de Prétoria, signé le 2 novembre 2022 entre le gouvernement fédéral éthiopien et les rebelles du Tigré, a officiellement permis la « cessation des hostilités ». La situation demeure toutefois précaire : au Tigré, les nombreuses victimes de crimes de guerre réclament justice, tandis que les hostilités se poursuivent dans d'autres régions, en particulier en Oromia. Abiy Ahmed, en pleine dérive messianique, est désormais à la tête d'un État fracturé et en difficulté sur le plan économique.

L'utilisation par Vladimir Poutine d'une mémoire historique travestie pour justifier son agression contre l'Ukraine nous rappelle l'importance des sédiments mémoriels dans la construction des perceptions populaires et des stratégies politiques. Ces interprétations mémorielles évoluent avec les chocs historiques, comme en témoigne l'histoire européenne depuis la Seconde Guerre mondiale et après la chute du mur de Berlin. Elle montre la nécessité de conceptualiser plus finement les études mémorielles.

La récente affaire de la « Mocro Maffia » aux Pays-Bas et en Belgique a jeté une lumière crue sur la progression du crime organisé en Europe. La croissance des activités criminelles est portée par la forte hausse des trafics de drogues, en provenance notamment d'Amérique latine. Pour l'Union européenne, le développement de cette criminalité – et de la corruption qui l'accompagne – est en passe de devenir une menace stratégique. La France n'est pas épargnée.

L'ordre mondial post-guerre froide se désorganise et la puissance se diffuse vers des États moyens ou petits, les dotant de nouveaux espaces de jeu. La puissance elle-même s'analyse différemment, privilégiant les ressources plus que les capacités. Il faut repenser tant la surface stratégique des « petites puissances » que leurs moyens d'agir, dans une logique de hard power ou de soft power, ce dernier étant souvent privilégié. Ceci, en gardant à l'esprit le poids de la force, toujours dominant.