Contenu du sommaire : L'interdisciplinarité « en effet » : sciences sociales, sciences naturelles
Revue | Tracés |
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Numéro | Hors-série no 22, 2022 |
Titre du numéro | L'interdisciplinarité « en effet » : sciences sociales, sciences naturelles |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Aventures de l'interdisciplinarité : les sciences de la nature et les sciences humaines et sociales face à la question écologique - Anthony Pecqueux, Perrine Poupin, Jean-Baptiste Vuillerod p. 7-20
Articles
- Construire et travailler un objet de recherche en interdisciplinarité : l'exemple de l'environnement nocturne à La Réunion - Samuel Challéat, Dany Lapostolle, Johan Milian, Rémi Bénos, Kévin Barré, Nicolas Farrugia, Matthieu Renaud, Marion Maisonobe, Sylvain Morvan, Charles Ronzani, Hélène Foglar, David Loose p. 23-45 La notion d'environnement nocturne émerge à la suite de la requalification de la lumière artificielle nocturne en pollution lumineuse. Elle entend caractériser les systèmes humains et non humains fonctionnellement liés à l'obscurité. Contrairement à la notion de pollution lumineuse, elle oblige à penser conjointement les multiples enjeux du couple lumière artificielle/obscurité. En l'inscrivant dans le cadre d'analyse des systèmes socio-écologiques, nous faisons de l'environnement nocturne un objet de recherche à part entière apte à structurer une interdisciplinarité entre sciences de la nature et sciences humaines et sociales. C'est sur le territoire réunionnais que nous mettons cet objet relationnel à l'épreuve du monde réel, dans un travail partenarial mené avec le Parc national de La Réunion autour des enjeux d'aménagement que soulève sa volonté de préservation holistique de la ressource obscurité et de l'environnement nocturne. Du savoir à l'action, de la construction d'un objet de recherche à l'installation d'un dispositif collaboratif dédié à la production de connaissances scientifiques situées sur l'environnement nocturne et à l'accompagnement des acteurs locaux dans une démarche de préservation et de valorisation de l'obscurité, cet article rend compte d'un processus de recherche hybride (recherche fondamentale et recherche-action) qui puise sa vitalité dans une interdisciplinarité radicale.The nocturnal environment emerged as a concept following the reclassification of “artificial light at night” as light pollution. It aims to define the human and non-human systems functionally associated with darkness. Unlike the notion of light pollution, it requires us to think about the multiple issues of both artificial light and darkness together. By placing it within the analytical framework of socio-ecological systems, we make the nocturnal environment a research object in its own right, one which is suitable for building an interdisciplinary approach between natural sciences and human and social sciences. We test this relational object in the real world on the island of Reunion, working with the Réunion National Park on a collaborative project focusing on the planning issues arising from its commitment toa holistic approach to preserving darkness as a resource and the nocturnal environment. We show the emergence of this collaborative mechanism for the production of scientific knowledge on the nocturnal environment and for support for the territory in its efforts to protect and enhance darkness. Finally, moving from knowledge to action, this article presents a research design and research-action initiative whose strength lies in a radical interdisciplinarity.
- L'interdisciplinarité en actes : le recyclage artisanal du plomb dans les ateliers de l'Uttar Pradesh - Paul Lhoste, Yann-Philippe Tastevin, Rémi de Bercegol, Shankare Gowda, Mélina Macouin, Laurent Cassayre p. 47-74 À travers l'exemple du recyclage artisanal de batteries au plomb dans des ateliers en « bout de champ » en Inde, cet article donne à voir l'intérêt d'une approche interdisciplinaire pour appréhender les multiples dimensions politiques, techniques et environnementales de l'exploitation de la mine urbaine. Le recours aux sciences humaines et sociales (anthropologie des techniques, géographie sociale), aux sciences de l'ingénieur (génie des procédés) et aux géosciences (géophysique, géochimie) permet ainsi de reconstituer des chaînes logistiques inversées en suivant de proche en proche les flux matériels du plomb ; des chaînes opératoires en décomposant l'ensemble des opérations efficaces sur la matière dans les ateliers et les usines ; des chaînes de contaminations en prélevant des échantillons de sols aux abords des lieux de production. Ce contraste épistémique entre sciences physiques et sciences humaines et sociales permet ainsi de mieux saisir les enjeux induits par la circulation et la transformation des matières récupérées, pour questionner in fine les possibilités de faire science autrement.Using the example of the traditional recycling of lead batteries in “backyard” workshops in India, this article demonstrates the value of an interdisciplinary approach to ascertain the many political, technical and environmental dimensions of the operation of urban mines. The use of human and social sciences (anthropology of techniques, social geography), engineering sciences (process engineering) and geosciences (geophysics, geochemistry) makes it possible to track reverse logistics chains by following the material flow of lead from one step to the next; operations chains by breaking down all the effective operations on the material in workshops and factories; and contamination chains by taking soil samples in the vicinity of production sites. This epistemic contrast between the physical sciences and the humanities and social sciences enables us to better understand the issues involved in the circulation and transformation of recovered materials, and to examine the possibilities of doing science differently.
- Tes problèmes seront les miens. Patience et longueur de temps dans l'engagement interdisciplinaire en études environnementales - Alix Levain p. 75-95 Aux chercheur.es qui se penchent sur la crise environnementale contemporaine, qu'il s'agisse d'en décrire les manifestations, d'en identifier les ressorts, d'en questionner les implications, l'interdisciplinarité se présente souvent comme un impératif axiologique et pratique : il est généralement admis que la complexité des problèmes environnementaux obligerait à faire travailler ensemble les disciplines – en particulier, celles qui relèvent du champ des sciences humaines et sociales (SHS), et celles qui relèvent du champ des sciences biologiques et physiques. Cette contribution aborde l'une des voies souterraines par lesquelles la crise environnementale constitue un opérateur de transformation des collaborations scientifiques, à partir d'une observation participante d'une dizaine d'années au sein de collectifs de recherche sur les pollutions diffuses d'origine agricole en Bretagne. J'aborderai la crise environnementale comme génératrice d'un horizon d'attente spécifique (Koselleck, 1990), qui transforme le rapport au temps des chercheur.es impliqué.es, déstabilise leur rapport à leurs objets d'étude, et suscite un supplément d'inquiétude sur la validité, la complétude, la légitimité des savoirs routiniers qu'ils et elles produisent. Dans une telle perspective, l'interdisciplinarité avec les SHS se formule davantage comme un désir (aujourd'hui largement normé), qu'elle ne dessine a priori un agir scientifique anthropocénique adéquat, tant les perspectives concrètes d'articulation entre objectivation et intersubjectivation que de telles collaborations impliquent restent difficiles à penser et à justifier dans les cadres de la recherche institutionnalisée.Interdisciplinarity is often seen as an axiological and practical imperative by researchers studying the contemporary environmental crisis, whether this involves describing its manifestations, identifying its causes, or questioning its implications. It is generally accepted that the complexity of environmental problems requires collaboration between different academic disciplines, particularly social sciences and humanities (SSH) and biological and physical sciences. Based on a ten-year participant observation study in research groups on nonpoint source pollution of agricultural origin in Brittany (France), this contribution discusses one of the hidden ways in which the environmental crisis acts as an driver of change in academic collaborations. I will consider the environmental crisis as the creator of a specific horizon of expectation (Koselleck, 1990), which changes the relationship to time of the researchers involved, destabilises their relationship with their research topics, and raises additional concerns as to the validity, completeness and legitimacy of the routine knowledge they produce. In this perspective, interdisciplinarity with the SSH is expressed more as a desire (now largely normalised) than an appropriate a priori Anthropocenic academic action, since the real prospects of linkage between objectification and inter-subjectification that such collaborations involve remain hard to imagine and justify within the framework of formal research.
- Trois expériences et un enseignement. De quelques inconforts de la recherche interdisciplinaire et participative autour d'enjeux de biodiversité - Élise Demeulenaere p. 97-116 Ce texte revient, à la première personne, sur trois expériences contrastées de recherche interdisciplinaire (entre sciences de la vie et anthropologie) autour d'enjeux de biodiversité, le plus souvent dans des configurations de recherche de type « recherche action participative ». Dans ces configurations de recherche, l'anthropologue est partagée entre un idéal d'aplanissement des rapports de pouvoir au cœur de la recherche participative, qui exigerait idéalement une démarche de coconstruction des savoirs, et le besoin de réaffirmer son autonomie (vis-à-vis des sciences de la vie) dans la définition de ses questions et méthodes de recherche. Il en résulte inconforts et frictions. Cette contribution met en avant quelques principes permettant de les transcender, parmi lesquels l'amitié et un horizon normatif partagé.This paper gives a first-person account of three contrasting experiences of interdisciplinary research (spanning life sciences and anthropology) on biodiversity issues, most often in the form of “participatory action research” projects. In these projects, the anthropologist is torn between an ideal of evening out power relationships in participatory research, which would ideally require a systematic co-construction approach, and the need to reaffirm her autonomy (with respect to the life sciences) in defining her research questions and methods. This results in uneasiness and friction. This contribution puts forward some guidelines for transcending this situation, including friendship and a shared normative horizon.
- Correspondances interdisciplinaires : une recherche-création sur les sols urbains entre anthropologie, écologie et art - Germain Meulemans, Anaïs Tondeur p. 117-138 Dans cet article, nous présentons un projet de recherche-création au sein duquel un anthropologue, une artiste, un écologue, et différents publics ont élaboré un dispositif d'enquête olfactive sur les sols urbains. Les sols urbains sont un exemple des nouveaux environnements qui prolifèrent dans l'Anthropocène, très différents des êtres qui peuplent les représentations modernes de la nature, et résultats d'une histoire dont les aspects sociaux et naturels sont enchevêtrés. S'inspirant d'expériences historiques d'enquête olfactive sur les sols, notre dispositif d'enquête nous a mis sur la piste du pétrichor, « l'odeur du sol après la pluie », qui émerge de la fragile imbrication entre le sol, les pratiques humaines, la vie des microorganismes du sol et les processus atmosphériques. Après avoir décrit les grandes lignes de la démarche de recherche-création, nous retraçons les étapes et les transformations de notre démarche, et la manière dont l'enquête s'est transformée selon les contextes plus ou moins institutionnels dans lesquels elle s'est insérée. Nous montrons comment, au fil des étapes, la piste du pétrichor a permis d'ouvrir de nouvelles formes de connaissance et d'attachement aux sols étranges des villes et aux nombreuses histoires qui les relient à leurs habitants. Cela nous amène à considérer comment des entités que les approches modernes du sol ou de la ville ont eu tendance à séparer peuvent à nouveau être mises en correspondanceIn this article, we present a research-creation project in which an anthropologist, an artist, an ecologist, and various stakeholders developed an olfactory study on urban soil. Urban soils are an example of the new environments that are proliferating in the Anthropocene, which are very different from the beings that populate modern representations of nature, and the result of a history whose social and natural aspects are entwined. Inspired by historical olfactory research on soils, our speculative methodology led us to petrichor, “the smell of soil after rain”, which is the result of the delicate intermingling of soil, human activities, the lives of microorganisms in the soil, and atmospheric processes. After outlining the research-creation process, we trace the different stages and changes in our approach, and the way in which the investigation was tailored to the different levels of formality of the contexts in which it was conducted. We show how, over the years, the interest in petrichor has enabled us to open up new forms of knowledge about and commitment to strange urban soils and the many stories that link them to their inhabitants. This leads us to consider how entities that modern approaches to soil or the city have tended to separate can once again be linked.
- Construire et travailler un objet de recherche en interdisciplinarité : l'exemple de l'environnement nocturne à La Réunion - Samuel Challéat, Dany Lapostolle, Johan Milian, Rémi Bénos, Kévin Barré, Nicolas Farrugia, Matthieu Renaud, Marion Maisonobe, Sylvain Morvan, Charles Ronzani, Hélène Foglar, David Loose p. 23-45
Entretien
- Enrichir le monde. Entretien avec Vinciane Despret - Anthony Pecqueux, Jean-Baptiste Vuillerod, Vinciane Despret p. 141-170 Cet entretien de la revue Tracés avec Vinciane Despret revient sur son parcours et vise à l'interroger sur la place qu'elle accorde à l'interdisciplinarité dans son travail scientifique. Revenant sur ses études de philosophie, de psychologie et d'éthologie, Vinciane Despret montre comment elle a élaboré au fil des années une pratique singulière de l'enquête dans laquelle la chercheuse remet en cause son propre savoir au contact des objets et des rencontres. Se dessine une recherche originale où les frontières sont sans cesse brouillées et déplacées : les frontières entre les disciplines d'abord, mais aussi les frontières entre la science et la littérature, ainsi que les frontières entre les humains et les non-humains. L'enjeu de l'enquête n'est dès lors plus définie uniquement comme une recherche de la vérité, mais comme une méthode pour enrichir le monde.This Tracés interview with Vinciane Despret looks back on her career and questions her on the importance she accords to interdisciplinarity in her academic work. Looking back at her research in the fields of philosophy, psychology and ethology, Vinciane Despret shows how, over the years, she has developed a unique research technique, in which the researcher questions her own knowledge through contact with objects and encounters. What emerges is an original form of research in which the boundaries are constantly blurred and shifted: first of all, the boundaries between disciplines, but also the boundaries between science and literature, as well as the boundaries between humans and non-humans. The aim of research is no longer defined solely as a search for truth, but as a way of enriching the world.
- Sociologie et sciences de l'environnement : à la recherche de prises communes autour de tensions épistémiques irréductibles. Entretien avec Francis Chateauraynaud - Anthony Pecqueux, Perrine Poupin, Francis Chateauraynaud p. 171-199 Cet entretien avec Francis Chateauraynaud part de son extraordinaire capacité à circuler entre les disciplines, à y repérer les points de tension épistémiques, à mettre en relation des logiques de raisonnement et de preuve. C'est dire que cet entretien s'attache moins à retracer un parcours de manière chronologique qu'à présenter des pratiques communes possibles, très concrètes, principalement d'ouverture d'espaces de discussion : séminaires au long cours, discussions critiques, mais aussi commentaires respectifs dans des publications. S'y esquisse une interdisciplinarité basée sur les pragmata : les actions, les choses, les pratiques – et non les mots d'ordre et les slogans. Cela ne revient pas à faire valoir ou jouer les « coulisses » contre les « principes » ; cela revient uniquement à faire primer un principe d'accès et de description, par l'expérience.This interview with Francis Chateauraynaud takes as its starting point his extraordinary ability to move between disciplines, identify areas of epistemic tension, and make links between rationales of reasoning and proof. This interview is, therefore, less concerned with tracing a career chronologically than with presenting possible, and very practical common measures, particularly opening up spaces for discussion: long-term seminars, critical discussions, and also relevant comments in publications. It outlines an interdisciplinarity based on pragmata: actions, things, practices - not slogans. It is not about sticking to “principles” or following what is really happening in theory; it only involves giving precedence to a principle of access and description, through experience.
- Enrichir le monde. Entretien avec Vinciane Despret - Anthony Pecqueux, Jean-Baptiste Vuillerod, Vinciane Despret p. 141-170