Contenu du sommaire : En nomadisant

Revue Cahiers d'anthropologie sociale Mir@bel
Numéro no 21, 2020
Titre du numéro En nomadisant
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  • Introduction en nomadisant - Carole Ferret p. 9-22 accès libre
  • Être nomade ou sédentaire : de quoi parle-t-on et en quels termes ? Considérations lexicales et typologiques - Jean-Pierre Digard p. 23-31 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Le pouvoir évocateur du mot « nomade » a favorisé la multiplication de ses usages en même temps que de ses mésusages. En revenant au sens premier, étymologique, du terme, qui désigne les déplacements saisonniers conjoints de troupeaux d'animaux herbivores et de sociétés humaines, on proposera un inventaire des mots à préférer et de ceux à éviter pour décrire les différentes modalités de tels déplacements.
    The evocative power of the word « nomad » has led to a proliferation of its uses and misuses. By returning to the original etymological meaning of the term, which designates the joint seasonal movements of herds of herbivorous animals and human societies, we propose an inventory of the words to be preferred and those to be avoided to describe the different modalities of such movements.
  • Figures nomades et revendications territoriales - Denis Retaillé p. 33-46 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    La grande mobilité contemporaine, valorisée par l'usage marketing et métaphorique de la figure nomade, dilue la catégorie de classement des genres de vie. « Genre de vie » et « nomade » ne sont plus aussi sûrs que la typologie naturaliste le réclame, surtout s'il s'agit de définir des groupes humains par délimitation, avec l'espace terrestre comme support de preuve. Or il y a loin de l'espace terrestre à l'espace géographique, ce que le détour par le nomadisme peut illustrer, à la condition de déjouer certains pièges tenant aux habitudes nomenclaturales, à l'outil cartographique qui les conforte, et à certains objets-concepts malmenés comme l'ethnie et le territoire, associés par surcroît. La métaphore nomade appliquée à des pratiques de l'espace incomparables devient alors utile en forçant à s'interroger sur l'espace des représentations dominantes qui engage des jeux de pouvoir par la preuve contestable de ce qui doit être : ancrage nécessaire à l'identité ou mouvement nécessaire à la vie ? Quand toutes les mobilités et tous les ancrages ne se valent pas malgré leur enregistrement sur le seul plan réducteur et fixe de « la » carte, l'espace mobile des représentations invite à une révision des catégories d'assignation en mettant à mal quelques repères bien installés comme le lieu réduit à son site.
    The great contemporary mobility valued by the marketing and metaphorical use of the nomadic figure dilutes the category of classification of the kinds of life until reaching its frames themselves. « Kind of life » and « nomad » are no longer as sure as the naturalist typology claims, especially if it is a question of defining human groups by delimitation, with the terrestrial space as support of proof. However, there is a long way to go from terrestrial space to geographical space, which the detour through nomadism can illustrate, provided that certain traps are avoided, such as nomenclatural habits, the cartographic tool that supports them, and certain ill-treated concept-objects such as ethnicity and territory, which are associated with them. The nomadic metaphor applied to incomparable practices of space then becomes useful by forcing us to question the space of dominant representations that engage power games through the contestable proof of what must be : anchoring necessary to identity or movement necessary to life. When all mobilities and all anchorages are not equal, despite their registration on the only reductive and fixed plane of « the » map, the mobile space of representations invites to a revision of the categories of assignment by putting to evil some well installed reference marks as the place confused with its site.
  • Accompagner les nomades du Zagros en Iran. Notes ethnographiques d'une archéologue - Zahra Hashemi p. 47-61 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Dans le paysage archéologique du Proche-Orient ancien, la chaîne montagneuse du Zagros, située à l'ouest de l'Iran, constitue à la fois un obstacle naturel et un carrefour d'influences culturelles entre deux civilisations majeures de l'ancien monde, celles du plateau iranien et de la plaine mésopotamienne. La région est un patchwork composé de vastes prairies propices à l'élevage et au nomadisme, ainsi que de larges vallées favorables à l'agriculture et à la sédentarité. Le nomadisme étant difficile à appréhender d'un point de vue archéologique, j'ai entrepris une enquête ethnographique pour comprendre ce mode de vie et mieux répondre à mes questionnements d'archéologue. La région du Luristan est encore aujourd'hui fréquentée par plusieurs tribus nomades. J'ai suivi au printemps 2021 des familles de la tribu Bakhtiari, depuis leur campement d'hiver au Khuzestan vers leur campement d'été au Luristan. J'ai essayé de comprendre leurs raisonnements, leurs choix et leurs stratégies afin de mieux appréhender les possibilités et les modalités d'un mode de vie nomade d'un point de vue archéologique. Identifier les traces laissées par les nomades actuels sur leur chemin de nomadisation permet de mieux discerner et interpréter celles laissées par les nomades anciens.
    In the historical landscape of ancient Middle East, the Zagros Mountain, occupying the western part of Iran, is both a natural barrier and a crossroads of cultural influences between the Iranian plateau and the Mesopotamian plain. The Zagros is indeed a patchwork composed of vast grasslands suitable for pastoralism and nomadism as well as large valleys suitable for agriculture and sedentary life. Since it is very difficult to approach nomadism from an archaeological point of view and because of the great gaps in knowledge that remain on this subject, I decided to undertake an ethnographic study to better understand this life style and answer to my archaeological questions. The region of Luristan, is still frequented today by several nomadic tribes. In the spring 2021, I followed a nomadic family of the Bakhtiaris tribe, during their seasonal movement, from their wintering in Khuzestan to their summering in Luristan. I studied their chooses and their space occupation's strategies to be able to study the possibility and the modality of a nomadic life-style within an archaeological point of view. In this contribution, I present our preliminary reflections.
  • « Il est interdit de nomadiser sans avoir nettoyé le campement de ses déchets ». Comment effacer ses traces d'occupation des lieux dans la steppe mongole ? - Anna Dupuy p. 63-77 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Pour les éleveurs nomades mongols, la terre qu'ils habitent est la propriété d'esprits-maîtres de lieux, à qui il faut théoriquement rendre un territoire vierge de toute trace humaine au moment de quitter le campement et de nomadiser. Or leurs diverses activités produisent aujourd'hui des déchets non biodégradables, qui laissent des traces persistant après leur départ. Cela donne lieu à une réinterprétation de la cosmologie locale et du statut des déchets, désormais présentés comme des traces indésirables. Cet article questionne donc l'ancienneté du statut du déchet en tant que trace humaine indésirable à éliminer au moment de la nomadisation sous peine de subir la colère des esprits. Retraçant les différentes représentations du déchet et les modèles de gestion associés au cours du xxe siècle en Mongolie, il montre les divergences, les tensions et les réinterprétations auxquelles le statut et le bon traitement des déchets non biodégradables donnent lieu en Mongolie rurale.
    For Mongolian nomadic herders, the land they inhabit is the property of spirits of the place : when leaving the camp to nomadize, they have theoretically to return them a space free of any human traces. However, today, they produce non-biodegradable waste that leaves persistent traces when they leave. This gives rise to a reinterpretation of the local cosmology and of the status of waste, now presented as undesirable traces. This article therefore questions the existence of the status of waste as an undesirable trace to eliminate before to nomadize or be subject to the wrath of the spirits. Recounting the different representations of waste and their associated management models during the twentieth century in Mongolia, this article aims to show the divergences, the tensions and the reinterpretations rising from the question of the status of non-biodegradable waste and from its proper treatment in rural Mongolia.
  • Repenser les mobilités spatiales au prisme des transactions de bétail à partir de deux systèmes pastoraux (touche de Géorgie et arabe du Tchad) - Gwendoline Lemaitre, Chloé Violon p. 79-97 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Pour se perpétuer, les sociétés pastorales dépendent de la reproduction de leur bétail. Or celle-ci ne repose pas uniquement sur le croît du troupeau ; elle est aussi régulée par des acquisitions extérieures qui permettent d'augmenter les effectifs, d'introduire de nouvelles races et de remplacer du cheptel improductif. Tout comme la mobilité spatiale qui aide à maximiser les ressources disponibles, cette circulation du bétail est – en permettant de faire face à la variabilité environnementale structurant le mode de vie pastoral – l'une des stratégies sociales de minimisation des risques. Au lieu de considérer les réseaux d'échange d'animaux et la mobilité des groupes pastoraux comme des facettes indépendantes du pastoralisme, nous proposons de réfléchir à la manière dont elles s'influencent mutuellement. À partir de deux études de cas (les éleveurs arabes du Tchad et touches de Géorgie), nous envisageons les liens entre les mobilités dans l'espace et la circulation socio-économique inter- et intracommunautaire des animaux. Étudier le nomadisme par le prisme de la circulation du bétail amène à le concevoir simultanément comme une adaptation efficace à des ressources inégalement réparties dans le temps et l'espace, et comme une histoire de liens entre groupes, entre lignages et entre individus.
    In order to perpetuate themselves, pastoral societies depend on the reproduction of their livestock. This reproduction is not only based on the growth of the herd ; it is also regulated by external acquisitions that make it possible to increase the number of animals, to introduce new breeds and to replace unproductive livestock. Like spatial mobility, which helps to maximize available resources, this circulation of livestock would be one of the social strategies for minimizing risk, by allowing the herder to cope with environmental variability that structures the pastoral way of life. Instead of considering animal exchange networks and the mobility of pastoral groups as independent facets of pastoralism, we propose to reflect on how they influence each other. Based on two case studies (Arab herders from Chad and Tush from Georgia), we consider the links between human spatial mobility and the inter- and intra-community socio-economic circulation of animals. Studying nomadism through the lens of livestock circulation leads us to conceive it simultaneously as an efficient adaptation to resources unevenly distributed in time and space, and as a history of links between groups, lineage and individuals.
  • Un terrifiant terroir. Nomadisme, patrimonialisation et violences foncières au Kurdistan irakien - Michaël Thevenin p. 99-117 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Le district de Choman dans le Gouvernorat régional du Kurdistan irakien (GRK) concentre aujourd'hui plusieurs enjeux géopolitiques régionaux. Il a été au cours du xxe siècle, tout comme l'ensemble de l'Irak, le théâtre de politiques foncières coloniales et révolutionnaires déstructurantes pour le tissu social et les pratiques coutumières, mais aussi d'événements historiques héroïques et traumatiques marquants pour la population kurde, notamment des épisodes de rébellions nationales, d'exil et de destruction de masse. Il reste actuellement encore secoué par de nombreuses oppositions armées meurtrières, conséquences à la fois de l'insécurité foncière inhérente au contexte postcolonial et de postconflit, et des tensions géopolitiques internes et externes actuelles. Parallèlement, un mouvement de patrimonialisation s'y déploie avec son lot de luttes mémorielles et d'accaparement territorial dans l'optique de faire revivre le territoire vernaculaire de la région, le Balakayati. Pourtant, cette région qui présente tous les contours d'un terroir n'en est pas un pour un certain nombre de nomades qui fréquentent traditionnellement les estives de la région, puisqu'ils en sont exclus à plusieurs titres. Le district est donc la pierre angulaire pour analyser les rapports qu'entretiennent ces groupes d'éleveurs mobiles avec les processus à l'œuvre sur ce territoire. L'expression terrifiant terroir entend ainsi résumer particulièrement le lien étroit entre violence, territoire, communauté et patrimonialisation.
    Today, the Choman district in the Iraqi Kurdistan Regional Governorate (GRK) concentrates on several regional geopolitical issues. It was during the 20 th century, like the whole of Iraq, the theater of colonial and revolutionary land policies that disrupted the social fabric and customary practices, but also of heroic and traumatic historical events that marked the Kurdish population, including episodes of national rebellions, exile and mass destruction. It is still shaken by many deadly armed oppositions, consequences of the land insecurity inherent in the postcolonial and post-conflict context, and current internal and external geopolitical tensions. At the same time, a heritage movement is unfolding there with its share of memorial struggles and territorial grabbing with a view to reviving the vernacular territory of the region, the Balakayati. However, this region, which presents all the contours of a terroir, is not one for a certain number of nomads who traditionally frequent the summer pastures of the region, since they are excluded from them in several respects. The district is therefore the cornerstone for analyzing the relationship between these groups of mobile herders and the processes at work in this territory. Thus, the expression terrifying terroir intends to summarize the close link between violence, territory, community and patrimonialization.
  • L'adaptation des sociétés pastorales de Mongolie-Intérieure au monde chinois contemporain - Aurore Dumont p. 119-133 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article explore la façon dont les éleveurs mongols et toungouses vivant dans la région autonome de Mongolie-Intérieure adaptent leur mode de vie nomade à un contexte socio-économique et religieux fluctuant. Les politiques étatiques chinoises instaurées ces dernières décennies ont bouleversé l'économie traditionnelle de ces peuples qui ont mis en œuvre diverses stratégies d'adaptation afin de pérenniser leur élevage pastoral mobile. Quelles sont les logiques d'organisation qui sous-tendent ces nouvelles pratiques ? À partir de données ethnographiques récoltées entre 2008 et 2019 chez des populations pratiquant deux types d'élevage différents (élevage du renne dans la taïga et élevage mongol des « cinq museaux » dans la steppe), cette recherche montre que la persistance de la mobilité, les savoirs, les techniques et les croyances permettent de valoriser et d'entretenir une culture pastorale.
    This article explores the way Mongol and Tungus herders living in the Inner Mongolia Autonomous Region have adapted their nomadic way of life to a fluctuating socioeconomic and religious context. Chinese state policies launched over recent decades have affected the traditional economy of these people, who have deployed different adaptation strategies in order to sustain their mobile pastoralism. What organizational logics underlie these new practices ? Based on ethnographic data collected between 2008 and 2019 among people who practice two different types of herding (reindeer herding in the taiga and the « five muzzles » herding in the steppe), this research will show that the persistence of mobility, knowledge, skills, techniques, and beliefs allow to value and maintain a pastoral culture.
  • Nomades touaregs : frontières, trajectoires et adaptation dans un espace en crises - Ladji Ouattara p. 135-149 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Les Touaregs sont des populations berbères ( amazigh), organisées en tribus à partir de quatre grands berceaux montagneux, qui constituaient un espace de nomadisation en milieu aride saharo-sahélien. Leur mode de vie et de production varie en fonction des équilibres politiques et écologiques locaux. L'article vise, à travers une approche socio-historique et géopolitique, à analyser les évolutions des systèmes nomades touaregs. Dans un premier temps, nous questionnons le nomadisme traditionnel touareg, les mythes fondateurs d'aires de transhumance ( akal), de frontières, d'Etat-nation et de Temoust « nation touarègue ». Puis nous appréhendons les profonds bouleversements des modes de vie et de production nomade durant ces dernières décennies. Ainsi, nous analysons comment ces transformations radicales ont engendré le phénomène des ishumar (jeunes désœuvrés et exilés) et un courant politique de résistance ( teshumara), puisant ses références identitaires dans le nomadisme traditionnel, afin de s'adapter à notre époque (tidawt dazzamazan). Enfin, nous relevons les mutations présentes ( tamotayt) de ces sociétés nomades dans un environnement instable où s'active une multiplicité d'acteurs et voyons vers quelles nouvelles formes de « nomadisme hybride » s'orientent les hommes bleus désormais au cœur d'une « zone grise » du monde.
    The Tuareg are Berber (Amazigh) populations, organised into tribes from four large mountain cradles, which constituted a nomadic area in the arid saharo-sahelian environment. Their way of life and production varies according to the local political and ecological balance. The article aims to analyse the evolution of Tuareg nomadic systems through a socio-historical and geopolitical approach. First, we question the traditional Tuareg nomadism, the founding myths of transhumance areas (akal), borders, the nation-state and the « Temoust » (Tuareg nation). We then look at the profound upheavals in the nomadic way of life and production in recent decades. Thus, we analyse how these radical transformations have generated the phenomenon of the ishumar (idle and exiled youth) and a political current of resistance (teshumara), in order to adapt to our times (tidawt dazzamazan). Finally, we note the present mutations (tamotayt) of these nomadic societies in an unstable environment where a multiplicity of actors are active, and try to understand the new forms of « hybrid nomadism » towards which the blue men are now orienting themselves in the heart of a « grey zone » of the world.