Contenu du sommaire : Repolitiser le temps libre
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 114, été 2023 |
Titre du numéro | Repolitiser le temps libre |
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Repolitiser le temps libre
- Éditorial : Le temps libre. Une conquête sociale à (re)politiser - Catherine Achin, Vincent Bourdeau, Simon Cottin-Marx, Noé Le Blanc, Julienne Flory p. 7-12
- Les métamorphoses du temps libre dans la modernité - Christophe Bouton p. 14-27 La notion de temps libre est riche des sens multiples qui lui ont été associés, en particulier au cours des transformations qu'ont connues nos sociétés à l'âge de la modernité. Le temps libéré du travail – en des conquêtes fragiles et souvent remises en cause – n'est pas un temps homogène, le même partout et pour tous et toutes. De l'oisiveté des Anciens qui était un temps pour la politique à l'oisiveté bourgeoise pensée comme un temps pour soi et pour la culture, échappatoire au grignotage de la vie par le travail, le temps libre a pu prendre la forme plus vitale d'un temps de récupération pour les ouvriers soumis aux cadences infernales d'une industrie en révolution. Il a pu aussi nourrir des formes d'engagement pour résister au capitalisme qui a fait du temps, à côté des ressources naturelles, une ressource à exploiter. Cette résistance a pu prendre la forme d'une utopie du temps libre parfois contradictoire, du fait de son espoir placé en la machine, avec les équilibres écologiques de nos sociétés. Soumis constamment à sa possible transformation en loisir marchand, intégré alors paradoxalement au système qui en a fait ressentir la nécessité vitale, le temps libre appelle aujourd'hui une nouvelle réflexion politique capable d'allier émancipation du travail et préservation des ressources, capable de combiner une utopie du loisir revisitée à l'exigence de sobriété énergétique.
- L'autogestion du temps : le projet existentialiste et anticapitaliste d'André Gorz - Céline Marty p. 28-37 On a coutume de présenter la pensée d'André Gorz à partir d'une coupure logée au cœur de son projet intellectuel : une première phase – les années 1960 et 1970 où sous le nom de Michel Bosquet il est journaliste au Nouvel Observateur – au cours de laquelle l'autonomie ouvrière, le contrôle ouvrier de la production, seraient valorisés et une seconde, après 1980 et l'ouvrage Adieux au prolétariat, où le philosophe prend le pas sur le journaliste et mettrait davantage l'accent sur la nécessité d'un pas de côté à effectuer par nos sociétés par rapport au travail lui-même, à l'acte productif, privilégiant une réflexion sur le temps libre compris comme du temps hors travail salarié. L'émancipation du travailleur passe-t-elle par une sortie du travail ou bien par un réaménagement des conditions de la production et une secondarisation, sur le plan social, du travail ? Le contexte de crise écologique favorise-t-il l'une ou l'autre voie ? L'article de Céline Marty revient sur ces découpages en mettant l'accent sur une forme de continuité dans la critique du travail que l'on rencontre chez Gorz, tout en soulignant l'évolution des modalités de redéfinition du travail et de la place qu'il occupe dans nos existences. Dans cette perspective, le rapport au temps, en plus des seuls moyens pour reprendre le pouvoir sur la production, apparaît comme le levier à activer pour se libérer du productivisme selon André Gorz.
- Léon Blum, le Front populaire et la conquête du temps libre - Ilan Greilsammer, Catherine Achin, Simon Cottin-Marx p. 38-43 Ilan Greilsammer est professeur de science politique à l'Université Bar-Ilan de Tel-Aviv où il enseigne la civilisation et la politique françaises. Biographe de Léon Blum, qui a dirigé le gouvernement du Front populaire entre 1936 et 1937, il revient sur cette période emblématique de la conquête du temps libre (réduction du temps de travail hebdomadaire à 40 heures, congés payés, etc.) et sur le rôle de celui qui fut à la manœuvre.
- Un temps libre marqué au fer rouge du travail - Danièle Linhart p. 44-54 Dans cet article, la sociologue Danièle Linhart rappelle que le temps libre n'échappe pas au travail : c'est bien le temps contraint du travail marchand qui donne sens au temps libre, le « sanctifie » et le façonne. La qualité du temps libre dépend largement de la qualité du travail, en termes d'organisation, de contenu et de conditions d'exercice. La philosophie du temps libre inspire les entreprises dans leurs propres pratiques, afin de tenter de contrôler ce temps (théoriquement) libéré. On assiste à une véritable contamination du temps libre des salarié·es par l'esprit managérial.
- La retraite : du temps libre à l'engagement social - Veronika Kushtanina p. 55-62 On associe retraite et temps libre. Mais quels sont les usages sociaux réels de ce temps libéré ? Une analyse fine des acteurs et actrices de ce temps de la retraite, différenciant divers âges de la retraite, permet de mettre en lumière le rôle social crucial joué en particulier par les « jeunes » retraité∙es qui font le lien entre les générations. Cette fonction pivot autorise des engagements multiples, croisés, conformes à des attentes individuelles d'épanouissement dans la vie après le travail. Cet enseignement sociologique et anthropologique, suggère Veronika Kushtanina, n'a pas été assez médité par les tenants de l'actuelle réforme des retraites qui prend le risque de fragiliser des liens sociaux vitaux pour l'équilibre de notre démocratie.
- Le temps libre est déterminant pour la formation des consciences et la vie des sociétés - Jean-Luc Mélenchon, Barnabé Binctin, Simon Cottin-Marx p. 63-72 Cet entretien s'inscrit dans un numéro sur la (re)politisation du temps libre. Alors que sa conquête a été le moteur des luttes tout au long du xixe et du xxe siècle, que fait la gauche du « temps libre » aujourd'hui ? Dans cet entretien, l'ancien candidat insoumis à l'élection présidentielle de 2022 explique comment il se saisit politiquement du temps libre, mais aussi quel est son rapport personnel à celui-ci.
- Les frontières du travail - Maud Simonet, Catherine Achin, Simon Cottin-Marx p. 74-83 Dans cet entretien, la sociologue Maud Simonet nous livre ses réflexions sur les frontières du travail. Travail salarié vs travail gratuit. Visible vs invisible. Productif vs improductif. Temps libre vs travail domestique. Elle soulève l'intérêt scientifique d'explorer ces frontières, mais aussi les enjeux politiques et les luttes qui les traversent.
- Du « bon » usage de l'autonomie temporelle : le temps libre à l'épreuve des normes de surtravail - Jeanne Ganault p. 84-94 La « société de loisir » n'est pas advenue. Au contraire, le temps de travail rémunéré s'est allongé en France depuis les années 1980, spécifiquement pour les classes supérieures. Ce mouvement coïncide avec la transformation des conditions de travail et en particulier avec la valorisation de « l'autonomie » dans l'agencement des horaires de travail rémunéré. Jeanne Ganault nous démontre à quel point ces formes d'autonomie sont très inégalement accessibles et contraintes selon les classes sociales, et comment elles s'imbriquent dans les inégalités genrées de prise en charge du travail domestique et parental. Loin de « l'émancipation par le loisir », on assiste plutôt à l'asservissement par des horaires contraints ou à l'auto-aliénation au travail rémunéré.
- L'essor des horaires non standards de travail ou l'impossibilité du temps libre - Anne Lambert p. 95-105 Le fait de pouvoir disposer de temps libre – ou temps à soi – à des heures et des jours socialement utiles constitue-t-il encore un acquis social, et pour qui ? Ce texte propose de réinscrire la question du temps libre dans les évolutions structurelles du travail qui en conditionnent l'accès. Au cours de la dernière décennie, l'essor des horaires décalés concerne surtout les ouvrières et employées non qualifiées qui font, en outre, plus souvent face à des journées discontinues et des horaires imprévisibles. Ces femmes déploient en retour diverses stratégies pour tenter de limiter l'emprise temporelle du travail sur leur vie privée et se réapproprier l'usage de leur temps. En ce sens, le temps libre fait l'objet de luttes micropolitiques, le plus souvent au service du groupe domestique.
- Se libérer du temps : la coopération ouvrière face au rythme du capitalisme - Ada Reichhart p. 106-115 Dans la société salariale, de manière conventionnelle, le temps libre correspond à tout le temps « hors travail », qui n'est pas acheté par l'entreprise. Cette opposition schématique se brouille dans les coopératives ouvrières de production, où les salarié·es organisent démocratiquement leur travail. Puisque l'entreprise leur appartient, certain·es s'engagent, donnent de leur temps libre. D'autres le refusent. La question du temps de travail devient alors sujet de discussion, de débat : une question politique.
- « Le secret du succès est de faire de ta vocation tes vacances » : Les enjeux politiques et sociaux du temps libre des enfants - Bertrand Réau p. 116-124 Pour les enfants, les « vacances scolaires » riment avec « temps libre ». Pourtant, selon la classe sociale d'appartenance, les usages sociaux de ce temps libéré de l'École sont très divers. Cet article revient sur l'histoire et l'actualité des débats politiques autour des vacances, qui loin d'être seulement associées à une forme de vide social, comme invite à le penser l'étymologie, sont socialement synonymes d'activités, d'apprentissages et de distinction. Loin d'être « secondaires », les activités de vacances participent de la socialisation différenciée des enfants et à la reproduction des inégalités sociales.
- Bifurquer : politiser le travail, le temps libre et la consommation - Anne de Rugy p. 125-135 Entre l'affirmation d'un droit à la paresse et celle du droit à un travail épanouissant, l'opposition formelle récemment resurgie dans le débat public entre deux formes d'émancipation, par le travail ou par le temps libre, questionne la place du travail – et de son corollaire, le temps libre – comme sa représentation. Comment penser en effet l'articulation entre le désir légitime de temps perdu, de flânerie, de temps pour soi et l'importance du travail comme moyen nécessaire pour gagner sa vie mais aussi comme activité qui rend tangible l'utilité sociale des individus et procure une satisfaction ? Cette interrogation traverse le phénomène des bifurcations professionnelles, notamment celles des cadres qui désertent la grande entreprise privée pour des professions moins rémunérées de l'écologie, du care ou de l'artisanat et du commerce. Cet article propose une analyse de ces trajectoires professionnelles qui questionnent tant le travail que le temps libre.
- Et si le vrai pouvoir du CE/CSE, c'était le temps libre ? : L'exemple Michelin - Lilian Nobilet p. 136-148 Dans cet article, le directeur du Comité Social et Economique (CSE) de l'entreprise Michelin revient sur l'histoire des « œuvres sociales » de l'entreprise. Longtemps gérées par le patronat, celles-ci sont passées au contrôle des travailleurs dans l'après Seconde Guerre mondiale. Les syndicalistes ont alors porté un projet d'émancipation des travailleurs… qui s'est essoufflé à partir des années 1980. Comment remettre les Activités Sociales et Culturelles au service d'un projet d'émancipation ? C'est l'enjeu auquel répond cette socio-histoire.
- Le temps libre des élu·es : un révélateur des rétributions du métier politique - Louise Dalibert p. 149-161 Est-il possible de s'engager en politique et de préserver du temps pour soi ? Comment « se dévouer » aux autres, chercher à améliorer leur quotidien, tout en sacrifiant le sien ? Louise Dalibert montre à quel point les rôles associés au métier d'élu·e supposent une activité et une disponibilité continues, qui réduisent très fortement les moments privés. Ce surengagement est justifié sur un mode vocationnel, tandis que la balance coûts/gratifications dépend du soutien de l'entourage proche et des trajectoires des individus. Les modalités de sortie de la carrière (subies ou choisies) pèsent fortement sur les manières de vivre la rupture et d'utiliser le temps alors libéré, même si le prolongement des engagements associatifs et politiques bénévoles concerne la majorité des ex-élu·es.
Itinéraire
- Partager le travail et réduire les inégalités : libérer du temps pour des activités citoyennes et écologiques - Dominique Méda, Catherine Achin, Simon Cottin-Marx p. 164-180 Dans le cadre d'un numéro consacré à la (re)politisation du temps libre, la revue Mouvements s'est naturellement adressée à la chercheuse Dominique Méda, qui interroge depuis des années la centralité du travail, et son articulation avec les questions sociales, féministes et écologiques. Dans cet itinéraire, nous revenons sur le parcours personnel, professionnel et militant de cette infatigable défenseuse du partage du temps de travail.
- Partager le travail et réduire les inégalités : libérer du temps pour des activités citoyennes et écologiques - Dominique Méda, Catherine Achin, Simon Cottin-Marx p. 164-180
Varia
- Du sida au Covid-19 : pour une recherche au bénéfice des patients - Françoise Barré-Sinoussi, Fleur Beauvieux, Clément Tarantini p. 182-194 Françoise Barré-Sinoussi est virologue, professeur de classe exceptionnelle à l'Institut Pasteur et directrice de recherche Inserm de classe exceptionnelle. En 2008, elle est co-lauréate du prix Nobel de médecine (avec Luc Montagnier) pour la découverte du virus du sida en 1983. Elle est présidente de l'association Sidaction depuis 2017. Elle est également présidente d'honneur de l'Institut Covid-19 Ad Memoriam créé au début de la pandémie de Covid-19, en 2020. Elle fut présidente du Comité analyse, recherche et expertise (CARE) créé le 24 mars 2020 par le gouvernement français afin de le conseiller dans la lutte contre la pandémie. Elle est enfin présidente d'honneur du Pasteur Network, membre depuis 2009 de l'Académie nationale des Sciences et, depuis 2018, de la National Academy of Medicine (USA).
- Du sida au Covid-19 : pour une recherche au bénéfice des patients - Françoise Barré-Sinoussi, Fleur Beauvieux, Clément Tarantini p. 182-194