Contenu du sommaire : Actualités de Claude Lefort
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 91, août 2023 |
Titre du numéro | Actualités de Claude Lefort |
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Éditorial
- Les nouvelles formes du fantasme de l'Un et de l'invention démocratique - Emmanuel Charreau, Kevin Cadou, Lauriane Guillout, Élisabeth Lefort p. 5-7
Dossier
- Claude Lefort face aux problèmes théoriques du totalitarisme - Kevin Cadou p. 9-23 Le concept de totalitarisme est marginalisé dans la théorie politique contemporaine. L'article entend montrer que si cette marginalisation tenait en premier lieu à de réels défauts conceptuels, les apports des travaux de Claude Lefort rendent possible un salutaire réaménagement conceptuel. Les propriétés du « fantasme de l'Un », repéré par Claude Lefort, qui se situe à la base de l'ambition totalitaire permettent de surmonter les principales critiques contre le concept de totalitarisme. Claude Lefort articule des hypothèses originales pour éclairer le fonctionnement des régimes totalitaires en articulant les grandes problématiques du totalitarisme : l'idéologie, l'organisation et la terreur.The concept of totalitarianism is overlooked in current political theory. The article argues that if this marginalisation was rightfully caused by actual conceptual flaws at first, the contribution of Claude Lefort allows a salutary redesign of the concept. The properties of the « People-as-One fantasy », spotted by Claude Lefort, roots the totalitarian ambition and enables to overcome the major criticisms aimed at the concept of totalitarianism. Claude Lefort articulates original hypotheses to grasp the operational principles of totalitarian regimes: ideology, organisation and terror.
- Le moment laboétien de Claude Lefort : Actualités et inactualité du Discours de la servitude volontaire - Emmanuel Charreau p. 25-41 La lecture lefortienne du Discours de la servitude volontaire, publiée en 1976 au sein d'une influente réédition de ce classique de l'humanisme, représente une contribution majeure, tant du point de vue du corpus lefortien que de la littérature sur Étienne de La Boétie. En s'inspirant de la pratique herméneutique développée par Claude Lefort, cet article étudie d'abord la manière dont l'œuvre est travaillée par sa réception depuis le 16e siècle, jusqu'au point d'inflexion des années 1960-1970, qui représente un véritable « moment laboétien », marqué par la profusion des appropriations antagoniques du texte et du concept de La Boétie. Après avoir situé le travail de Lefort au sein de ce moment de crise politico-théorique et dans son propre itinéraire de pensée, il s'agit ensuite de rendre compte de la singularité de la lecture de Lefort. C'est à travers son attention au langage philosophique de La Boétie que l'interprète nous permet de penser, au-delà des actualisations incessantes du texte et des écueils de la tradition interprétative, l'inactualité persistante de ce classique de la pensée politique humaniste.The Lefortian reading of the Discourse on Voluntary Servitude, which was published in 1976 as part of an influential reissue of this classic of humanism, represents a significant contribution both to the Lefortian corpus and to the literature on Étienne de La Boétie. Drawing on the hermeneutical practice developed by Claude Lefort, this article first examines the ways in which the text of La Boétie was reshaped through its reception, from the 16th century up to the inflection point of the 1960s-1970s, which can be dubbed a “Laboetian moment” as it is marked by a multiplicity of contradictory appropriations of La Boétie's text and concept. After contextualising Lefort's reading within this moment and within his own itinerary, the next step is to account for the singularity of Lefort's reading compared to his contemporaries and his predecessors. Through his attention to La Boétie's philosophical language, Lefort explores the persistent untimeliness of this classic of humanist political thought.
- La dernière prise de parole de Claude Lefort - Claude Mouchard p. 43-49 « Fragilité et fécondité des démocraties » : tel fut le titre de la dernière conférence que donna Claude Lefort à la Sorbonne en juin 2009. Les remarques rassemblées dans ce texte ont été suscitées par l'écoute, puis par la (re)lecture et la publication de cette grande conférence. Ce sujet fut pour Claude Lefort, des décennies durant, inépuisable. Il s'y confronta par des lectures d'une incomparable ampleur, en même temps qu'au prix d'âpres confrontations avec les situations politiques en cours. Dans notre dangereux « temps présent » (pour reprendre le titre du dernier recueil publié de son vivant), le « travail » de pensée politique de Claude Lefort nous est – et restera – indispensable.“Fragility and Fecundity of Democracies” was the title of Claude Lefort's last lecture at the Sorbonne in June 2009. The remarks collected in this text were prompted by listening to, then (re)reading and publishing this great lecture. For decades, Claude Lefort found this subject inexhaustible. He confronted it through readings of incomparable breadth, and at the cost of bitter confrontations with the current political situation. In our dangerous “present time” (to use the title of the last collection published during his lifetime), Claude Lefort's “work” of political thought is – and will remain – indispensable.
- Fragilité et fécondité des démocraties : La dissolution des repères de la certitude (31e Conférence Marc-Bloch, 9 juin 2009) - Claude Lefort p. 51-59 Dans sa conférence Marc Bloch, Claude Lefort pense la société démocratique dans sa fragilité et sa fécondité, à l'aune de l'histoire occidentale et de l'actualité des années 2000. La fécondité démocratique est constituée par l'acceptation de la division sociale et la création d'un espace public : Claude Lefort reprend ici des thèmes qui lui sont chers à travers une réflexion sur le processus historique d'urbanisation. La fragilité démocratique, quant à elle, est pensée dans le contexte de la crise des banlieues en France : à ce niveau, c'est la corruption des mœurs démocratiques et les inégalités sociales qui indiquent une lésion du tissu social.In his Marc Bloch lecture, Claude Lefort considers the fragility and fruitfulness of democratic society in the light of Western history and the current events of the 2000s. Democratic fecundity is constituted by the acceptance of social division and the creation of a public space: Claude Lefort takes up here themes that are dear to him through a reflection on the historical process of urbanisation. The fragility of democracy, for its part, is considered in the context of the crisis in France's suburbs, where the corruption of democratic mores and social inequalities are indicative of damage to the social fabric.
- Intermonde et revendications de droits - Élisabeth Lefort p. 61-75 Cette contribution se concentre sur la théorie lefortienne des revendications de droits. Cette théorie, lue à la lumière de l'ontologie du social de Maurice Merleau-Ponty et son concept d'intermonde, révèle alors la dimension globale de toute action politique et de toute protestation. En insistant sur la complexité des relations humaines, la phénoménologie politique lefortienne se place ainsi à contre-courant des théories politiques contemporaines qui voient dans les droits l'expression d'un individualisme excessif. C'est en cela que se résume l'actualité politique à fois de Claude Lefort et de Maurice Merleau-Ponty : dans le rappel salutaire de l'indétermination essentielle de notre existence sociale et politique et, corrélativement, dans l'appel à réaliser sans cesse cette entente universelle qui n'adviendra jamais – l'appel à l'invention politique.This paper focuses on Lefort's theory of rights. This theory, read in the light of Maurice Merleau-Ponty's ontology of the social and his concept of the interworld, reveals the global dimension of all political action and protest. By insisting on the complexity of human relations, Lefort's political phenomenology thus contradicts the contemporary political theories that see rights as an expression of excessive individualism. The political relevance of both Lefort and Merleau-Ponty can therefore be summed up in the salutary reminder of the essential indeterminacy of our social and political existence and, correlatively, in the call to ceaselessly achieve that universal understanding that will never happen—the call to political invention.
- L'indétermination démocratique à l'épreuve de l'anthropocène - Lauriane Guillout p. 77-91 La notion d'anthropocène suscite des interprétations variables et contradictoires. Certaines lectures annoncent l'avénement d'un « âge de l'homme ». D'autres comprennent l'anthropocène comme un point de rupture géologique qui requiert une réinvention politique pour assurer la prise en compte des non-humains dans nos sociétés. Ainsi comprise, cette notion devient porteuse d'une injonction au changement. Dans le cadre de cet article, il s'agira de prendre cette injonction au sérieux en l'investissant comme une occasion pour mettre à l'épreuve l'une des thèses centrales de Claude Lefort : celle d'une « indétermination » de nos démocraties modernes qui feraient d'elles des sociétés capables de se réinventer dans une ouverture et une disponibilité constantes aux turbulences historiques. Cette interrogation sera conduite en prêtant attention à une métamorphose politico-juridique qui s'accomplit actuellement, hors des frontières de la modernité démocratique occidentale, sous la forme d'une consécration des droits de la nature.The notion of the Anthropocene gives rise to variable and contradictory interpretations. Some read it as the advent of an “age of man”. Others understand the Anthropocene as a geological breaking point that requires political reinvention to ensure that non-humans are taken into account in our societies. Once understood in this way, the notion embodies an injunction to change. The aim of this article is to take this injunction seriously, and to invest it as an opportunity to question one of Claude Lefort's central theses: the “indeterminacy” of our modern democracies, which would make them societies capable of reinventing themselves through constant openness and availability to historical turbulence. This interrogation will be conducted by paying attention to a politico-legal metamorphosis that is currently taking place outside the boundaries of Western democratic modernity, through the consecration of the rights of nature.
- La constitution matérielle de la démocratie - Édouard Delruelle p. 93-107 En partant de la définition de la démocratie de Claude Lefort comme « institutionnalisation du conflit », l'article se propose de montrer la fécondité d'une approche du politique et du droit en termes de « constitution matérielle », un concept qui fait aujourd'hui l'objet d'un réinvestissement remarquable en théorie du droit. Contre le constitutionnalisme libéral et le normativisme kelsénien, il s'agit de montrer que la forme d'une constitution (monarchie, aristocratie ou démocratie) est indissociable de la matérialité des conflits qui la traversent, c'est-à-dire du jeu toujours ouvert entre les trois pôles de pouvoir que sont le pouvoir politique, le pouvoir propriétaire et le pouvoir social (chez Machiavel : le prince, les grands et le peuple). On montrera ainsi que toute constitution est une constitution « mixte » qui distribue le pouvoir de manière variable entre chacun de ces trois pôles, qui réalise l'équilibre (toujours instable) des corps sociaux et politiques, entre « pouvoir de fait » et « pouvoir légitime ». Comme chez Claude Lefort, le but est de repenser la démocratie en opérant un déplacement par rapport aux doctrines de la souveraineté populaire (inspirées de Rousseau), d'un côté, et aux théories libérales de l'État de droit (héritières de Locke), d'un autre côté.Starting from Claude Lefort's definition of democracy as the “institutionalisation of conflict”, the article sets out to show the fruitfulness of an approach to politics and law in terms of the “material constitution”, a concept that now makes a remarkable return in legal theory. Against liberal constitutionalism and Kelsenian normativism, the aim is to show that the form of a constitution (monarchy, aristocracy or democracy) is inseparable from the materiality of the conflicts that characterise it, between the three poles of power: political power, proprietary power and social power (in Machiavelli: the prince, the few and the many). We will thus show that any constitution is a “mixed” constitution that distributes power between each of these three poles, that achieves the (always unstable) balance of social and political bodies, and between “de facto power” and “legitimate power”. As with Claude Lefort, the goal is to rethink democracy by moving away from the doctrines of popular sovereignty (inspired by Rousseau), on the one hand, and liberal theories of the rule of law (heir to Locke), on the other.
- Claude Lefort face aux problèmes théoriques du totalitarisme - Kevin Cadou p. 9-23
Varia
- Pessimisme et émancipation : Theodor Adorno, Lewis Mumford et la constellation des « sentinelles de la modernité » - Clément Rodier p. 109-126 La lecture commune et croisée des réflexions de Theodor Adorno et de Lewis Mumford révèle, chez chacun d'eux, une association à première vue surprenante. Leurs théories mêlent, en effet, un horizon émancipateur associé à un pessimisme théorique. Loin de dissoudre leurs charges réciproques, cette association entre pessimisme et émancipation en renouvelle au contraire leur signification critique. À travers l'exploration des pensées adornienne et mumfordienne, il s'agit ainsi d'exprimer cette reformulation et de démontrer toute sa pertinence pour (re)penser l'émancipation. Ce faisant, cet article entend aussi mettre en lumière l'existence d'une constellation philosophique méconnue, à laquelle se rattache nos deux protagonistes, celle des « sentinelles de la modernité ».A common and crossed reading of Theodor Adorno and Lewis Mumford's thoughts reveals, in each of them, an association at first sight surprising. Indeed, their theories combine an emancipatory horizon with a theoretical pessimism. Far from dissolving their mutual forces, this association between pessimism and emancipation, on the contrary, renews their critical significance. Through the exploration of Adornian and Mumfordian thoughts, this article aims to express this reformulation and to demonstrate its relevance for (re)thinking emancipation. In doing so, this article also intends to bring to light the existence of an unknown philosophical constellation, to which our two protagonists belong, that of a the “Sentries of Modernity”.
- Pessimisme et émancipation : Theodor Adorno, Lewis Mumford et la constellation des « sentinelles de la modernité » - Clément Rodier p. 109-126