Contenu du sommaire : La reproduction et ses injustices
Revue | Travail, genres et société |
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Numéro | no 50, 2023 |
Titre du numéro | La reproduction et ses injustices |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Parcours
- Nicole Questiaux. Mai 1981 : ministre de la Solidarité nationale - Clotilde Lemarchant, Frédéric Neyrat p. 5-23 Le parcours de Nicole Questiaux peut être lu comme celui d'une pionnière. Née en 1930, elle est reçue, après Sciences Po Paris, à l'ENA et entre en 1955 au Conseil d'État. Femme d'engagements, elle joue après mai 68 un rôle déterminant dans le processus de reconstruction de la gauche. Ministre de la Solidarité nationale en 1981, mettant en œuvre avec conviction le programme social du gouvernement, elle en sera évincée en 1982. Elle n'en nourrit pas de rancœur et reprend le fil de sa carrière au Conseil d'État où, en experte du droit, elle va démêler les dossiers de droit social. Elle a aussi enseigné les politiques sociales et co-rédigé le Traité du social : situations, luttes, politiques, institutions (1re édition 1976, Dalloz). Défendant le principe d'universalité de la protection sociale, elle définit les « quelques risques contre lesquels il faut se préserver » (vieillesse, maladie, etc.), susceptibles de mettre tout le monde d'accord, parce que « c'est très concret finalement ».Nicole Questiaux's career path can be seen as that of a pioneer. Born in 1930, she was accepted at the ENA after having studied at Sciences Po Paris, and started serving on the Conseil d'État in 1955. She was a woman of strong beliefs who played a decisive role in rebuilding the left after May 1968. She became the Minister of National Solidarity in 1981, implementing the government's social program with conviction, but was ousted from the position in 1982. However, she harbored no resentment and resumed her career at the Conseil d'État where, as a law expert, she tackled arduous social law cases. She also taught social policies and co-wrote Traité du social : situations, luttes, politiques, institutions (1st edition 1976, Dalloz). She defended the principle of universal social protection, defining the “few risks against which one must be protected” (old age, illness, etc.), on which everyone was likely to agree, because “ultimately they [were] very concrete.”
- Nicole Questiaux. Mai 1981 : ministre de la Solidarité nationale - Clotilde Lemarchant, Frédéric Neyrat p. 5-23
Dossier : La reproduction et ses injustices
- La reproduction et ses injustices - Delphine Gardey, Claire Grino p. 25-30
- 40 ans de reproduction médicalement assistée : une lecture anthropologique et féministe - Sarah Franklin, Delphine Gardey p. 31-41 Dans cet entretien, Sarah Franklin revient sur son itinéraire, proposant des pistes pour aborder les transformations intervenues dans le champ de la reproduction médicalement assistée depuis 40 ans. Avec des enquêtes sur la médecine régénérative, le clonage ou les marchés de tissus et services reproductifs, Sarah Franklin est une figure incontournable de l'analyse des mutations médicales et sociales contemporaines dans le champ de la reproduction et de la parenté. Elle situe son parcours dans le sillage des pionnières de la critique féministe de l'anthropologie culturelle, des techniques et des sciences : Marylin Strathern, Shulamith Firestone ou Donna Haraway. Elle pointe les enjeux politiques et scientifiques de l'usage des technologies de la reproduction et les transformations intervenues dans la définition de la parenté. Soulignant l'importance des droits conquis par les personnes LGBTQ+, elle interroge les limites de ces transformations mobilisant la question de la « justice reproductive ».In this interview, Sarah Franklin looks back on her journey, suggesting ways to approach the transformations that have taken place in the field of assisted reproductive technology over the past 40 years. With her fieldwork on regenerative medicine, cloning, or the reproductive tissue and service markets, Sarah Franklin is a key figure in the study of contemporary medical and social changes in the field of reproduction and kinship. She has followed in the footsteps of the pioneering figures of the feminist critique of cultural anthropology and of the anthropology of technology and science: Marylin Strathern, Shulamith Firestone, and Donna Haraway. She identifies the political and scientific stakes related to the use of reproductive technologies and the transformations that have taken place in the definition of kinship. Highlighting the importance of the rights won by LGBTQ+ people, she questions the limits of these transformations through the prism of “reproductive justice.”
- La PMA en France : une reproduction des inégalités de genre ? - Virginie Rozée, Élise de La Rochebrochard p. 43-60 La procréation médicalement assistée (PMA) entretient des relations complexes avec le genre : elle permet de s'affranchir des normes dominantes de genre tout en (re)produisant une reproduction stratifiée, et donc des inégalités de sexe, classe et race. En 2010, nous avions écrit un article sur la PMA en France dans lequel nous montrions que, dans la façon dont elle était encadrée, organisée et pratiquée, la PMA reflétait la norme procréative, et excluait donc toutes celles et ceux qui ne s'y conformaient pas. Qu'en est-il aujourd'hui, après la révision de la loi de bioéthique en 2021 ? À partir de nos différents travaux de recherche, nous montrons que la loi constitue une avancée car elle est plus inclusive mais que l'accès à la PMA reste calqué sur une représentation genrée du travail procréatif.Medically assisted reproduction (MAR) has a complex relationship to gender: it allows freeing oneself from dominant gender norms, while (re)producing stratified reproduction, and therefore sex, class, and race inequalities. In 2010, our article on assisted reproduction in France showed that ART reflected the procreative norm in the way it was controlled, organized, and practiced, and therefore excluded all those who did not conform. What is the situation today, following the 2021 revision of the bioethics law? Based on our various research projects, we show that this law is a step forward because it is more inclusive, but access to assisted reproduction remains modeled on a gendered representation of reproductive work.
- De la stérilisation imposée à la préservation de la fertilité des personnes trans : les médecins au travail - Solène Gouilhers, Delphine Gardey, Raphaël Albospeyre-Thibeau p. 61-78 Cet article s'intéresse aux engagements pratiques et normatifs de soignant·e·s en faveur de l'accès à l'autoconservation des gamètes pour les personnes trans en France et en Suisse. Alors que la stérilisation était imposée aux personnes trans pour accéder à un changement de sexe légal, l'attention porte depuis peu sur la préservation de leur fertilité. À partir d'une enquête par entretiens menés auprès de médecins de la transition et de la reproduction, nous décrivons comment elles et ils s'efforcent de normaliser l'accès des personnes trans à une conservation de leurs gamètes. Par un travail d'équipement administratif, technique, spatial et relationnel qui déborde l'ordre du genre et procréatif, elles et ils développent des appuis pratiques pour rendre des infrastructures médicales de fertilité historiquement cis-hétéronormées, plus inclusives. Par ces pratiques quotidiennes de soin, elles et ils participent à façonner à la fois le droit et les lieux de soin, s'engageant en faveur des droits reproductifs des personnes trans.This article examines the practical and normative commitments of medical professionals to promote the access to gamete storage for trans people in France and Switzerland. While sterilization used to be imposed on trans people to access legal transition, attention has recently focused on preserving their fertility. Based on an interview survey conducted with transition and reproduction doctors, we describe how they have strived to normalize trans people's access to gamete preservation. Through administrative, technical, spatial, and relational work that extends beyond the gender and procreation order, they have developed practical support to make historically cis-heteronormative fertility medical infrastructures more inclusive. Through these daily care practices, they have participated in shaping both the law and the care setting, through their commitment to the reproductive rights of trans people.
- Justice reproductive en Finlande ? Le mythe de l'homogénéité dans une social-démocratie nordique - Mwenza Blell, Riikka Homanen p. 79-95 Bien que la social-démocratie finlandaise soit fondée sur l'égalité sociale, la justice reproductive n'est toujours pas une réalité dans ce pays. Les causes de cet état de fait sont explorées à l'aide de deux ethnographies sur les technologies de procréation médicalement assistée et, plus spécifiquement, sur les manquements à l'égalité de traitement liés à la race, la classe, le genre et la sexualité. Les entretiens avec des chercheur·se·s et des professionnel·le·s de santé finlandais·e·s révèlent les affects, le poids du passé et les logiques ayant conduit à cette inégalité d'accès aux soins de santé reproductive, tels que la perpétuation du mythe de l'homogénéité blanche, l'héritage de l'eugénisme, la concentration du pouvoir et des décisions éthiques dans les mains des médecins, l'interprétation des discriminations comme des problèmes de ressources, le déni des inégalités et un attachement purement idéologique à l'État-providence invisibilisant la réalité des discriminations.Finland's welfare state is premised on social equality, yet reproductive justice still is not a reality there. We explore the causes of this situation through two ethnographic studies of assisted reproductive technologies, which attest to deviations from reproductive justice related to race, class, gender, and sexuality. Our conversations with Finnish researchers and medical professionals reveal the affects, histories, and logics through which unequal access to reproductive healthcare operates, and the ways in which this inequality has remained partly concealed. Some of the causes identified are the myth and reproduction of white homogeneity, the legacy of eugenics, the concentration of power in the hands of doctors when it comes to ethical decision-making, the framing of discrimination as a resource problem, the denial that there are inequities, and ideological closure regarding the future of the welfare state.
- Vers une justice reproductive queer au cœur des bioéconomies transnationales - Laura Mamo p. 97-114 Cet article est consacré à l'expansion transnationale de la procréation médicalement assistée et pose la question des comportements responsables à adopter dans le contexte des bioéconomies du xxie siècle. Il s'intéresse plus précisément à la fois aux représentations attachées aux familles lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et queers (LGBTQ+) et à la manière dont les personnes LGBTQ+ réalisent leurs projets parentaux dans les conditions actuelles. Cet article propose une grille d'analyse originale en l'espèce de la « justice reproductive queer » (JRQ), laquelle doit permettre de saisir et de dire la variabilité des oppressions et opportunités à laquelle sont confrontées les différentes velléités de fonder une famille, sans pour autant ni diaboliser, ni valoriser certaines configurations familiales particulières. En somme, une telle approche doit aider à mettre en place des comportements responsables.This paper explores the transnational expansion of assisted reproductive technologies, and examines how to be accountable in the context of 21st century bioeconomies. It focuses more specifically both on the representations linked to lesbian, gay, bisexual, transgender, and queer (LGBTQ+) families, and on the ways LGBTQ+ people realize family-making in this context. The article proposes an original approach, the “queer reproductive justice” lens, which allows grasping and expressing the variations in oppression and opportunities faced in the course of making families, without demonizing or valorizing certain family formations. In short, such an approach aims to work towards accountability.
Mutations
- Une vulnérabilité dévoyée : le paradoxe entre discours et réalité du travail des femmes au sein d'une Scop industrielle - Ada Reichhart p. 117-134 Les sociétés coopératives et participatives (Scop) se présentent comme une alternative démocratique à l'organisation inégalitaire du travail. Pourtant, l'étude d'une Scop industrielle rend compte sur le long terme d'une justification de la relégation des femmes à des postes définis par leur « petitesse », par une essentialisation de leur vulnérabilité entendue comme fragilité des corps. Or, comme le concède paradoxalement l'ensemble des salarié·e·s, les postes occupés par les femmes se révèlent être parmi les plus pénibles. Ce processus d'invisibilisation du travail laborieux des femmes concourt à un dévoiement de la notion de vulnérabilité dont la déconnection avec le vécu est source de tensions. Le résultat est une contradiction entre la représentation sociale de la vulnérabilité et la réalité de l'usage et de l'exposition des corps dans une entreprise où cette dimension est pourtant essentielle, venant mettre en cause de façon sous-jacente la promesse démocratique de la Scop.Worker cooperatives (Scop in France) present themselves as a democratic alternative to the unequal organization of labor. However, this study of an industrial worker cooperative shows how the relegation of women to positions defined by their “smallness” has been justified in the long run by essentializing women's vulnerability, which is understood to mean that they have frail bodies. However, as all employees paradoxically admitted, the positions occupied by women are actually among the most exacting. This process of invisibilization of women's laborious work has contributed to distorting the notion of vulnerability, whose disconnection from lived experience has been a source of tension. The result is a contradiction between the social representation of vulnerability and the reality of the use and exposure of bodies within a company where this dimension is nevertheless essential, thus calling into question the underlying democratic promise of worker cooperatives.
- Quand l'articulation des temps éclaire les positions sociales : Le cas des travailleur·se·s indépendant·e·s - Julie Landour p. 135-153 Si l'étude des indépendant·e·s connaît un récent essor, les derniers travaux ne fournissent encore qu'une vue éparpillée des logiques de structuration d'un espace non-salarié qui connaît des transformations importantes à la croisée des mutations de l'emploi et de la famille. Cet article propose, à l'appui d'analyses géométriques des données conduites sur la vague 2016 de l'enquête « Conditions de travail et risques psycho-sociaux », de contribuer aux analyses visant à éclairer le positionnement social des indépendant·e·s à partir de leurs pratiques en matière d'articulation entre les temps dédiés à l'emploi et ceux dédiés aux activités hors-emploi.While the study of self-employed workers has recently boomed, the latest research still only provides a partial view of non-salaried work and its structuring logics. This type of employment has been undergoing major transformations at the crossroads of mutations at work and within families. Based on geometric analyses of data from the 2016 wave of the Working Conditions and Psychosocial Risks survey, this article aims to shed light on the social positioning of self-employed workers through their practices with regard to the allocation of time to work and to non-work activities.
- Une vulnérabilité dévoyée : le paradoxe entre discours et réalité du travail des femmes au sein d'une Scop industrielle - Ada Reichhart p. 117-134
Controverse : L'artiste et son œuvre : peut-on les séparer ?
- L'artiste et son œuvre : peut-on les séparer ? - Jacqueline Laufer, Monique Meron, Hyacinthe Ravet p. 155-158
- Un art de la ruse. La distinction entre l'homme et son œuvre, cache-sexe de la domination masculine - Reine Prat p. 159-162
- L'artiste, l'œuvre et nous. Aborder Polanski après #MeToo - Naomi Toth p. 163-167
- De quoi le « cinéma d'auteur » est-il le nom ? Peut-on et faut-il séparer l'auteur de ses films ? - Geneviève Sellier p. 169-173
- Peut-on associer l'œuvre et le compositeur ? - Catherine Deutsch p. 175-179
- La distanciation entre l'auteur et ses propos : une notion efficace pour trancher le contentieux relatif à la liberté de création ? - Anna Arzoumanov p. 181-185
- Les fondements impurs de l'autonomie - Gisèle Sapiro p. 187-191
Critiques
- Anne Monjaret, La pin-up à l'atelier. Ethnographie d'un rapport de genre : Grane, Créaphis, 2020, 145 pages - Nicolas Hatzfeld p. 193-196
- Marie-Carmen Garcia, Amours clandestines : nouvelle enquête. L'extraconjugalité durable à l'épreuve du genre : Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2021, 235 pages - Annik Houel p. 197-200
- Abir Kréfa et Amélie Le Renard, Genre et féminismes au Moyen-Orient et au Maghreb : Éditions Amsterdam, 2020, 184 pages - Feriel Lalami p. 201-203
- Laurent Douzou et Mercedes Yusta (dir.), La Résistance à l'épreuve du genre. Hommes et femmes dans la Résistance antifasciste en Europe du Sud (1936-1949) : Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2018, 248 pages - Cindy Coignard p. 204-207
- Céline Béraud, La bataille du genre. Du mariage pour tous à la PMA : Paris, Fayard, 2021 - Clotilde Lemarchant p. 208-210
- Maëlle Maugendre, Femmes en exil. Les réfugiées espagnoles en France. 1939-1942 : Tours, Presses Universitaires François-Rabelais, 2019, 360 pages - Cindy Coignard p. 211-213
Ouvrages reçus
- Ouvrages reçus - p. 215