Contenu du sommaire : Le Moyen Âge des sciences sociales
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 43, automne 2023 |
Titre du numéro | Le Moyen Âge des sciences sociales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Introduction. Le Moyen Âge des sciences sociales - Étienne Anheim, Catherine König-Pralong p. 7-48
- Un Moyen Âge de modernes : ecclésiologie et sociologie - Dominique Iogna-Prat p. 49-67 L'article traite des relations entre discours d'Église (l'ecclésiologie au sens étymologique du terme) et naissance de la sociologie. La co-extensivité Église et société postulée par nombre de médiévistes français actuels autorise-t-elle à placer l'ecclésiologie à la préhistoire de la tradition sociologique ? Peut-on hasarder que la sociologie durkheimienne a quelque chose à voir avec cette sous-discipline de la théologie qu'est l'ecclésiologie ? Si oui, cette génétique ecclésiologie-sociologie se nourrit-elle d'un recours notable à la tradition médiévale du catholicisme ? Parmi les dossiers ouverts à la question : Thomas d'Aquin sociologue et la préhistoire médiévale du savant-intellectuel apte à définir la science du social.This article looks at the relationship between Church discourse (e.g. ecclesiology in its etymological sense) and the birth of sociology. Does the co-extensivity of Church and society postulated by many of today's French medievalists allow us to regard ecclesiology as the precursor of sociological tradition? Is it safe to assume that Durkheimian sociology has something to do with the sub-discipline of theology that is ecclesiology? If so, does this filiation between ecclesiology and sociology draw on the medieval tradition of Catholicism? Among the issues open to question: Thomas Aquinas as a sociologist and the medieval prehistory of the scholar-intellectual capable of defining the science of the social.
- Expériences de la distance : Walter Ong et le Moyen Âge - Pierre Chastang p. 69-90 L'article explore la place que tient le Moyen Âge dans la formation intellectuelle et dans l'œuvre de Walter J. Ong. Le Moyen Âge scolastique et la Renaissance sont le terrain initial à partir duquel Ong a forgé sa théorie anthropologique de la communication. Après l'évocation des écrits de Ong comme médiéviste, intéressé au second Moyen Âge et à la Renaissance, l'article analyse la place que tient le Moyen Âge comme expérience de la distance dans les écrits plus tardifs que Ong consacre aux mondes sensoriels de l'oralité et de l'écriture. La démarche permet de questionner l'apport particulier du Moyen Âge à l'histoire de la technologisation de la parole, que des travaux historiques ont récemment approfondie. Autant qu'une période de l'histoire, le Moyen Âge est un champ d'expérimentation qui se situe au fondement de la construction des savoirs anthropologiques sur l'oralité et l'écriture, et qui conduit à réévaluer la place des arts du langage dans l'histoire des sciences sociales.This article explores the place of the Middle Ages in the intellectual formation and work of Walter J. Ong. The scholastic Middle Ages and the Renaissance are the initial terrain from which Ong forged his anthropological theory of communication. After evoking Ong's writings as a medievalist, interested in the second Middle Ages and the Renaissance, the article analyzes the place held by the Middle Ages as an experience of distance in Ong's later writings on the sensory worlds of orality and writing. This approach allows us to question the particular contribution of the Middle Ages to the history of the technologization of speech, which has recently been explored in greater depth by historical works. As much as a period of history, the Middle Ages is a field of experimentation that lies at the foundation of the construction of anthropological knowledge on orality and writing, and leads to a reassessment of the place of language arts in the history of the social sciences.
- Folklore, ethnologie de la France et Moyen Âge, du musée d'Ethnographie du Trocadéro au musée national des Arts et Traditions populaires - Raphaël Bories, Marie-Charlotte Calafat p. 91-120 Cette contribution retrace les relations entre les études médiévales d'une part, et les études du folklore, des arts populaires et de l'ethnologie de la France d'autre part, en suivant le fil conducteur des institutions muséales nationales françaises où ces dernières se sont en grande partie développées : le musée d'Ethnographie du Trocadéro (1878-1937), puis le musée des Arts et Traditions populaires (1937-2005). Leurs collections, les discours tenus à leur propos et leur mise en exposition mettent en évidence certaines des ambitions et des limites d'une muséographie marquée par la tension entre les approches synchroniques et diachroniques, entre ethnologie et histoire. La place du Moyen Âge a été une question centrale dans la conception de la périodisation et de la pluridisciplinarité par ces musées, ce qui en retour a marqué le travail des historiens médiévistes, de la recherche des survivances à l'anthropologie historique, en passant par l'étude de la culture matérielle et de la longue durée.This piece traces the relationship between medieval studies on one hand, and studies of French folklore, popular arts and ethnology on the other, following the thread laid by national museums, where they were largely developed: the Musée d'Ethnographie du Trocadéro (1878-1937) and the Musée des Arts et Traditions populaires (1937-2005). Their collections, the discourse surrounding them and their exhibitions highlight some of the ambitions and limitations of a museography marked by the tension between synchronic and diachronic approaches, between ethnology and history. The Middle Ages' place has been a central issue in these museums' conception of periodisation and multidisciplinarity, which in turn has had an impact on medievalist historians' work, from the search for surviving data to historical anthropology through the study of material culture and long-term phenomena.
- Idéalisé et opérant ? - Stéphane Sadoux p. 121-148 Cet article apporte un éclairage sur les manières dont le Moyen Âge a alimenté des réflexions qui accompagnent la naissance de l'urbanisme britannique au début du xxe siècle. Dans un pays où l'urbanisation galopante rend nécessaire l'élaboration de plans, l'image de la ville médiévale tient alors une place de choix, tant dans le discours que dans les desseins, reflétant l'idée selon laquelle les qualités de la ville médiévale font d'elle un précédent opératoire pouvant nourrir les projets architecturaux et urbains contemporains. En irriguant la pensée comme l'action, la représentation du Moyen Âge devient dès lors un élément incontournable de toute étude portant sur les fondements épistémologiques et pratiques de l'urbanisme britannique naissant.This article sheds light on the ways in which the Middle Ages influenced early British urbanism theory in the early 20th century. In a country where galloping urbanisation made it necessary to draw up plans, the image of the medieval city was given took on a prominent role both in discourse and in design, reflecting the idea that the qualities of the medieval city made it an operative precedent that could inspire contemporary architecture and development projects. By informing both thought and action, the representation of the Middle Ages becomes an essential element in any study of the epistemological and practical foundations of Britain's nascent urbanism.
- Le voile culturel du Moyen Âge dans les sciences sociales britanniques (XIXe-XXe siècles) - Pauline Guillemet p. 149-167 Le courant académique que l'on identifie actuellement sous l'étiquette de « cultural studies » prend racine, dans la Grande-Bretagne de l'après-guerre, dans un contexte social de démocratisation culturelle qui vient nourrir, au sein des sciences humaines et sociales, un mouvement de réévaluation du champ culturel à l'intérieur même de la grille de lecture analytique marxiste. La genèse théorique du matérialisme culturel de Raymond Williams, l'un des premiers représentants des cultural studies, permet de saisir toute la complexité des prémices de ce courant qui associe l'analyse des dominations culturelles et une méthodologie littéraire classique qui s'inscrit dans l'héritage d'une tradition de critique culturelle britannique qui remonte à la fin du XVIIIe siècle. Ce sont deux moments de la critique culturelle de la modernité – celui des penseurs sociaux du XIXe et celui d'une partie du monde académique du début de la seconde moitié du XXe siècle – que nous mettons ici en parallèle. Le contre-modèle culturel que ces deux types d'acteurs opposent à la société contemporaine – industrielle et capitaliste – a comme point commun de se servir du Moyen Âge comme d'un puissant instrument critique.The academic movement currently known as “cultural studies” took root in post-war Britain in a social context of cultural democratisation that fueled a movement within the humanities and social sciences to re-evaluate the cultural field within the Marxist analytical framework. The theoretical genesis of Raymond Williams's cultural materialism, one of the earliest proponents of cultural studies, enables us to fully grasp the complexity of the movement's beginnings, as it combines the analysis of cultural domination with a classical literary methodology that is partly the heritage of a tradition of British cultural criticism dating back to the end of the 18th century. Here we are comparing two moments in the cultural critique of modernity—that of the social thinkers of the 19th century and that of part of the academic world at the beginning of the second half of the 20th century. The cultural counter-model these two player classes opposed to contemporary—industrial and capitalistic—society also uses the Middle Ages as a powerful critical tool.
Document
- « Ma conception du Manuel des Institutions » - p. 170-175
- Écrire le Manuel des Institutions françaises au Moyen Âge - Agnès Graceffa p. 177-200 Une note testamentaire de Ferdinand Lot, rédigée en décembre 1944 et conservée dans les archives de l'historien, constitue le point de départ d'une tentative de reconstitution d'une histoire longue, celle de l'écriture du Manuel des Institutions françaises au Moyen Âge, démarrée en 1937 avec François L. Ganshof et dont les trois volumes ne paraîtront finalement qu'après la mort de Lot, sous la direction de Robert Fawtier (1957, 1958, 1962). Elle éclaire de manière originale les difficultés rencontrées par l'historien pour mener à bien cette rédaction tant en matière de collaboration avec ses collègues que dans les arbitrages menés par sa maison d'édition. Plus encore, elle dévoile la prise de conscience par Lot d'une singularité intrinsèque de la période médiévale et le défi épistémologique qui en découle pour l'historien.In December 1944, Ferdinand Lot wrote a note, since preserved in his archives, that would become the starting point for an attempt to recreate a long history, that of the writing of the Manuel des Institutions françaises au Moyen Âge. François L. Ganshof had started it in 1937, but its three volumes were only published after Lot's death with Robert Fawtier as their editor (1957, 1958, 1962). They shed a new light on the difficulties encountered by the historian in bringing this work to fruition, both in terms of collaboration with his colleagues and the arbitration carried out by his publishing house. What's more, it reveals Lot's awareness of the intrinsic singularity of the medieval period and the epistemological challenge it poses for the historian.
Géographies académiques
- Géographies académiques - p. 202
- Excellence scientifique transnationale et disqualification des sciences humaines et sociales nationales en Algérie - Kamel Chachoua p. 203-224 Cet article se propose de montrer comment l'opposition linguistique et politique entre arabophones et francophones qui avait dominé le champ universitaire algérien des années 1970-1990 s'est transformée, durant la « décennie noire » (1990-2000), en distinction entre celles et ceux qui ont un capital scientifique transnational, qui travaillent et publient à l'étranger, et celles et ceux qui ont un capital scientifique national, souvent monolingues, publiant peu et fraîchement diplômés et recrutés en Algérie. En effet, l'affrontement entre les militaires et les groupes islamiques armés a substitué à l'ancienne division linguistique une nouvelle bipolarité qui ne hiérarchise plus, comme par le passé, selon la langue de formation ou le grade, ni même selon la spécialité ou le capital scientifique national, mais surtout selon la production et la reconnaissance scientifiques des universitaires algériens à l'étranger. Ce prestige de la transnationalité s'est amplifié (depuis 2000) avec l'expansion universitaire et l'exigence d'une publication scientifique dans une revue internationale pour la soutenance de la thèse de doctorat ou le passage d'un grade à un autre. Cette exigence, qui a contraint nombre d'enseignants-chercheurs arabisants à recourir aux revues étrangères ou de langue française pour se faire publier, a engendré de nombreux problèmes, exposés dans l'article.This article aims at showing how the linguistic and political opposition between Arabic speakers and French speakers that had dominated the Algerian academic field from the 1970s to the 1990s was transformed during the ‘black decade' (1990-2000) into a distinction between those with transnational scientific capital, who work and publish abroad, and those with national scientific capital, who are often monolingual, publish little and have just graduated and been recruited in Algeria. The confrontation between the military and armed Islamic groups, has replaced the old linguistic division with a new distinction, which no longer discriminates according to language or rank as it used to, nor even according to specialty or national scientific capital, but above all according to the scientific production and recognition garnered abroad by Algerian academics. This transnational prestige of has increased (since 2000) with the expansion of universities and the requirement that candidates publish pieces in in international journals before defending a doctoral thesis or moving up the ranks. This requirement, which has forced many Arabic-speaking professors and/or researchers to turn to foreign or French-language journals to get published, has generated many problems, detailed in this article.
Débats, chantiers et livres
- Agnès Graceffa, Une femme face à l'histoire. Itinéraire de Raïssa Bloch, Saint-Pétersbourg–Auschwitz, 1898-1943 - Françoise Waquet p. 227-229
- Alexis Fontbonne, Introduction à la sociologie médiévale - Hinnerk Bruhns p. 231-237
- Philippe Fontaine and Jefferson D. Pooley (eds.), Society on the Edge. Social Science and Public Policy in the Postwar United States - Emily Hauptmann p. 239-242
- Ian Merkel, Terms of Exchange. Brazilian Intellectuals and the French Social Sciences - Mariana Osés p. 243-251
- Morgane Labbé, La nationalité, une histoire de chiffres. Politique et statistiques en Europe centrale (1848-1919) - Victor Karady p. 253-260