Contenu du sommaire : Dossier. Tournants au Moyen-Orient

L'histoire du conflit israélo-palestinien est faite d'éternels recommencements. A chaque fois tragiques. Aucune des multiples séquences d'affrontements n'a été transformée en une véritable recherche de compromis politique, à l'exception du processus d'Oslo lié à la première Intifada. Mais il a fait naufrage comme ont échoué toutes les autres tentatives de négociations. La guerre qui se déroule aujourd'hui à Gaza, en cet automne 2023, risque fort de s'inscrire dans ces immuables scénarios s'il n'y a pas une forte volonté de la communauté internationale pour imposer un règlement juste et durable de ce conflit qui a commencé dans les années 1920.

L'attaque du Hamas sur Israël le 7 octobre, suivie de l'attaque israélienne en cours dans la bande de Gaza, ont profondément altéré la réalité dans cette région de manière irréversible. Au cœur de ce tournant, la société israélienne observe les divisions internes à ses structures et à son opinion publique s'accroître, marquées par une crise politique longue de plusieurs années et particulièrement relancée depuis l'installation du gouvernement actuel dirigé par Netanyahou – qui réalise actuellement son sixième mandat. C'est dans cette période d'incertitude que certains acteurs israéliens saisissent l'occasion pour promouvoir leurs projets nationalistes et d'annexion de la Palestine ainsi que leur volonté d'exclure davantage les citoyens palestiniens de l'État en tant que membres légitimes de la société. Cet article examinera l'état de la société israélienne depuis le 7 octobre, tout en mettant en lumière ces processus de radicalisation de la société et de ses dirigeants et en exposant leurs racines.

Aussi bien avant qu'après le 7 octobre 2023, les Palestiniens de Cisjordanie font face à la violence des colons et de l'armée israélienne. La Cisjordanie constitue également un espace de répression quasi-permanente de l'Autorité palestinienne (AP), qui contraint la population palestinienne à subir, en plus du système d'occupation israélien, l'autoritarisme palestinien. L'objectif de cet article est de revenir, dans un premier temps, sur la situation en Cisjordanie avant l'attaque du Hamas du 7 octobre afin de montrer que, face à la détérioration de la situation politique et à l'absence d'horizon politique, économique et social dans les territoires palestiniens occupés (TPO), de nouveaux groupes armés, composés d'une toute jeune génération, se sont organisés à la fois contre l'occupation israélienne persistante et contre l'autoritarisme palestinien grandissant. Nous expliquons, dans un deuxième temps qu'après le 7 octobre, la répression de ce mouvement se poursuit. Cette répression, pratiquée aussi bien par Israël que par l'AP dans le cadre de sa « coordination sécuritaire » avec le gouvernement israélien, s'accompagne, sur l'ensemble de la Cisjordanie, d'une accentuation des incursions militaires et de la violence des colons. Nous montrerons enfin qu'à l'image de la population palestinienne à Gaza, celle de la Cisjordanie est aussi hantée par le spectre d'une nouvelle Nakba.

Les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 en Israël et la guerre consécutive menée par Israël à Gaza et en Cisjordanie ont donné lieu à plusieurs déclarations officielles israéliennes appelant à trouver de nouveaux interlocuteurs en Palestine. La recherche d'interlocuteurs jugés légitimes et susceptibles de prendre en charge un processus politique post-conflit est un mécanisme inhérent à l'histoire du conflit israélo-palestinien et des relations israélo-palestiniennes. Il s'accompagne d'un processus de disqualification politique, qui comprend à son stade ultime l'assassinat. Ce processus repose sur quatre mécanismes principaux liés à la négociation, la gouvernance, la coopération et l'expression de l'opposition, qui produisent des effets différents (intransigeance, incompétence, irresponsabilité, discrédit) entretenant la faiblesse politique des dirigeants palestiniens. Le processus de disqualification, et l'ordre du discours qui y est associé, s'inscrit dans un schéma de répression plus large, propre au système colonial, dont l'objectif est d'entretenir une instabilité maitrisée garantissant à l'État d'Israël le maintien d'un rapport de force inégal et la poursuite de sa politique coloniale.

On a continué depuis la chute de l'Union soviétique de chercher des images dyadiques (socialisme/capitalisme, réformisme/néo-libéralisme, etc.) comme base de réflexion sur le monde. Il faut pourtant se rendre à l'évidence : ce modèle est aujourd'hui largement dépassé. Nous proposons une approche conceptuelle triadique, tenant compte de divers genres de contradictions, mais nous invitant à traduire tous les questionnements en raisonnement fondé sur l'action requise. Il importe donc moins de choisir une catégorisation donnée pour un phénomène historique/politique/social et plus d'y porter remède. Nous décrivons à titre d'exemple les contradictions apparentes entre une analyse de la politique israélienne dans les territoires palestiniens comme occupation, ou comme un cas de colonialisme d'implantation. Quelle que soit la catégorie choisie, ce qui importe est l'action adoptée pour confronter le problème.

Le présent texte interroge les rapports entre, d'un côté l'inscription d'Israël au Proche-Orient, avec la dépossession progressive des Palestiniens qui s'est ensuivie, et, en parallèle, le changement des sensibilités au sein du judaïsme en France. Les étapes de la colonisation, ainsi que, côté palestinien et arabe, celles de l'acceptation progressive d'Israël, sont au départ rappelées : elles sont la toile de fond de l'analyse proposée. L'essentiel du texte porte sur l'évolution des perceptions et adhésions symboliques et politiques dans la mouvance juive, ici, en liaison avec un renforcement de ses liens organiques avec Israël. Est successivement abordé, après un rappel des autres « avenirs juifs » que celui du sionisme qui a prévalu, le réaménagement identitaire qu'a connu le judaïsme républicain. Promue référence identitaire essentielle, la Shoah devient fondatrice d'un destin juif hors du commun à tous égards. Dans le prolongement de cette mutation, des liens toujours plus étroits avec Israël conduisent à avaliser la politique israélienne jusque dans ses dérives extrémistes. Cette solidarité acritique conduit en dernier lieu à s'interroger sur certains de ses moyens, telle l'accusation abusive d'antisémitisme frappant la pensée politique et le militantisme de l'antisionisme.

La question kurde est le drame sans fin de populations d'ethnie et de culture communes aux prises pour l'essentiel avec les quatre États où elles se trouvent, qui n'acceptent que péniblement la réalité de leur identité distincte et qui refusent absolument l'idée de leur indépendance, qu'elle découle de sécessions segmentées ou d'une unification politique irrédentiste. Dans leurs quatre États de peuplement, les Kurdes ont aujourd'hui des statuts politiques très différents, allant d'une autonomie reconnue officiellement (Irak) à une situation effective extrêmement précaire de leurs droits (Iran), en passant par une autonomie autoproclamée (Syrie) et une sorte de tolérance politique durable (Turquie). Si la fin de la guerre froide a favorisé l'affirmation du fait kurde qui a gagné un fort soutien des Occidentaux, elle a aussi avivé les suspicions à son égard dans un Moyen-Orient très antiaméricain. Depuis octobre 2023, la guerre de Gaza confirme l'ambiguïté de la position des Kurdes, pris entre la nécessité de préserver leur alliance avec les Occidentaux et leur difficulté à exprimer leur solidarité avec les Palestiniens, l'autre nation sans État de la région.

Dans les cinq pays analysés (Liban, Syrie, Yémen, Libye, Irak) les milices ne se positionnent pas en opposition à et n'entrent pas dans un registre conflictuel avec l'État, mais prétendent au contraire être ses gardiennes et protectrices. De ce fait, elles s'efforcent d'obtenir le monopole de coercition en empêchant d'autres acteurs d'y avoir accès. Elles s'imposent aux sociétés pour faire respecter leur vision du monde ainsi que leur système de gouvernance. Le mode de domination milicienne combine le contrôle coercitif à diverses formes de légitimation. Toutefois, réduire l'ordre milicien uniquement à son aspect militaire est un obstacle épistémologique à éviter. Certes, le domaine militaire est son premier champ d'action, mais il est indéniable que les milices peuvent également exiger des contributions financières de la population sans offrir de contrepartie, édicter ou modifier les lois auxquelles la collectivité doit se soumettre, revendiquer le pouvoir de juger et de punir, ainsi que concevoir des orientations majeures et des macro-stratégies de l'historicité qui engagent l'ensemble de la société. À leur échelle nationale respective, les facteurs favorisant l'ascension de l'ordre milicien sont nombreux, complexes et variés. De l'effondrement de l'État aux problèmes sociaux, de l'échec du Printemps arabe au désengagement de la nouvelle génération, il existe une réalité objective qui facilite la milicisation du Moyen-Orient. Cependant, force est d'admettre que, malgré des réalités objectives internes à chaque pays, l'Iran, en tant que puissance régionale, joue aussi un rôle déterminant dans la conception, la mise en œuvre, le déploiement, la gestion et l'orientation de l'ordre milicien du Moyen-Orient.

L'islamisme est une représentation totalisante et communautaire de la religion musulmane. C'est un mouvement idéologique apparu au cours de la première moitié du XXe siècle. Ce dernier connaît et a connu aussi bien des victoires que des échecs électoraux, culturels et idéologiques, mais aussi la répression étatique. Il concilie généralement attachement conservateur à des normes religieuses et ambitions politiques. Les modes d'action et le projet des associations et partis qui s'en inspirent demeurent à la fois divers et tributaires du contexte dans lequel ils évoluent. Aussi, il ne fait pas sens d'amalgamer sans nuances Les Frères musulmans égyptiens, le Parti de la justice et du développement au Maroc, le Hamas en Palestine et Musulmans de France, même si le conservatisme moral peut constituer le plus petit dénominateur commun. Or, après les attaques perpétrées par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023, l'amalgame entre ces différentes formations a eu plutôt tendance à dominer les échanges publics en France tandis que la responsabilité de la colonisation, des nationalistes et extrémistes religieux au pouvoir à Tel Aviv tendait à passer au second plan de l'analyse des causes de l'explosion et l'entretien de la violence à Gaza et en Cisjordanie.

Le mandat du président Joe Biden a commencé en 2021 par une forte tension avec l'Arabie saoudite. Mais l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022 a changé la donne, obligeant Washington à réparer ses rapports endommagés avec Riyad. Les États-Unis ont cependant échoué à mettre un terme à la coordination pétrolière saoudo-russe, en vue de priver Moscou de ses revenus énergétiques. En revanche, ils ont réussi à parrainer l'ambitieux projet du Corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe afin de contrer l'influence de la Chine en Arabie saoudite et dans le Golfe. Ils semblaient également en voie de réussir une normalisation historique entre l'Arabie saoudite et Israël au prix d'un retournement de leur politique de désengagement des affaires du Moyen-Orient, mais qui leur permettrait en retour de renforcer leur position d'allié stratégique du royaume. Toutefois, la récente flambée de violence israélo-palestinienne devrait leur compliquer la tâche.

Le 10 mars 2023, l'Arabie saoudite, la Chine et l'Iran annoncent que les deux États riverains du golfe Persique souhaitent relancer leur relation et renouer diplomatiquement. Outre les développements politiques offerts par un tel rapprochement, la circonspection est en réalité de mise. Il apparaît que le rapprochement diplomatique entre l'Arabie saoudite et l'Iran n'est ni inédit, ni révolutionnaire pour le golfe Persique, ni traducteur d'un changement de paradigme diplomatique dominé par la Chine.

Le Printemps arabe (2011) a marqué un tournant géopolitique dans les pays du Sud de la Méditerranée, changement caractérisé par la lutte des régimes pour leur survie politique et une recomposition du paysage politique et géopolitique. L'influence des États-Unis, dominants dans les années 1990 et 2000, semble maintenant être en déclin, soulevant des questions sur la résilience et l'intérêt américains dans la région, ainsi que sur le rôle potentiel de la Russie et de la Chine. Les dynamiques régionales sont également influencées par l'évolution des rôles de pays comme l'Arabie saoudite, le Qatar, l'Iran ou la Turquie. En parallèle, l'émergence d'acteurs non étatiques dans certains pays de la région redéfinit les dynamiques du pouvoir. Le Moyen-Orient, région plutôt marquée par l'incertitude, continue de subir des transformations qui mettent en évidence une érosion progressive de la souveraineté des États traditionnels.

Les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont confrontés à de très fortes inégalités socio-économiques et à des crises environnementales qui mettent en péril leur développement. Les populations les plus vulnérables sont les plus exposées à ces crises entrelacées. À partir de l'analyse des impacts du changement climatique, de la perte de la biodiversité ou encore de la pollution, nous montrons en quoi les inégalités sociales et économiques sont fortement liées à la gestion des ressources naturelles. La prise en compte des tourments environnementaux demeure un élément clé à prendre en compte pour construire une prospérité partagée dans la région.