Contenu du sommaire : Nature, santé et socialisme
Revue | Mil neuf cent |
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Numéro | no 41, 2023 |
Titre du numéro | Nature, santé et socialisme |
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- Avant-propos - Christophe Prochasson p. 3-9
Dossier. Nature, santé et socialisme
- Modernité socialiste, modernité réflexive. Introduction - Bastien Cabot p. 11-30
- Avant « l'environnement ». Catégories et controverses - Wolf Feuerhahn p. 31-50 Comment écrire l'histoire de l'environnement à une époque, les années 1900, où la catégorie de « l'environnement » n'existait pas ? La tâche n'est pas simple tant le regard de l'historien est tout entier déterminé par le sens contemporain. L'enquête procède donc à rebours : elle part de la signification qui a émergé dans les années 1960-1970 pour montrer combien elle est distincte de ce qui se déroulait soixante-dix années auparavant dans trois espaces linguistiques : francophone, anglophone et germanophone. L'optique est lexicale et pragmatique : il s'agit de retrouver les mots qui dominaient et ainsi de tenter de saisir les types et les modes de luttes ainsi que les réalités pour la protection desquelles elles étaient menées.How can we write the history of the environment when we speak of a period, the 1900s, when the environment itself did not exist as a category? It is an arduous task for current day historians, who are bound by their own world and conditions. The inquiry will therefore happen backwards: it begins with the term as it came to be used in the 1960s and 1970s to underline how different it was seventy years prior, and this, in three different linguistic spheres – the French, English and German ones. Our approach is lexical and concrete – the goal here is to find the words that prevailed at the time and thus try to comprehend what types and modes of political action existed as well as what they sought to protect.
- Faire des éco-socialistes ? William Morris et l'éducation du peuple - Charles-François Mathis p. 51-69 William Morris (1834-1896) peut être considéré comme l'un des premiers théoriciens de l'éco-socialisme, qui mêle considérations d'égalité sociale et protection de l'environnement. Cet article souhaite interroger la place qu'occupe la dimension environnementale et esthétique dans la propagande menée par Morris auprès des ouvriers. D'emblée, Morris insiste sur l'importance de l'éducation au socialisme pour les couches populaires, afin d'en « faire des socialistes » : quelle idéologie a-t-il donc voulu leur transmettre ? Pour le comprendre, il est question de distinguer les différents types d'intervention de Morris, dont les conditions d'exécution tout autant que la forme engagent le fond : ses productions romanesques sont ainsi l'expression la plus aboutie de sa pensée éco-socialiste, tandis que celle-ci se retrouve peu dans ses articles ou ses harangues en plein air. Il convient aussi de prendre en compte la double temporalité dans laquelle s'inscrit Morris : éduquer immédiatement à la révolution par des principes marxistes ; préparer, sur le long terme, la société idéale du futur.William Morris (1834-1896) can be considered one of the first thinkers of eco-socialism, which combines considerations of social equality with environmental protection. This article analyses the space that environmental and esthetic concerns held in Morris's propaganda aimed at workers. From the outset, he stressed the importance of educating the working classes about socialism, in order to “make them socialists”: what ideology did he want to pass on to them? To understand this, the article distinguishes between the different types of interventions by Morris, whose conditions of execution as much as their forms affected the content: his novels are thus the most accomplished expression of his eco-socialist thinking, which is rarely found in his articles or his open-air harangues. It is also important to bear in mind the dual timeframe in which Morris operated: immediately educating people for revolution through Marxist principles; and, in the long term, preparing the ideal society of the future.
- Trouver son chemin. Les premières randonnées de la population ouvrière berlinoise (1891-1914) - Claire Milon p. 71-94 À la fin du XIXe siècle, la pratique de la randonnée se démocratise et de nouvelles catégories de la population allemande se tournent vers la marche récréative, parmi lesquelles les ouvriers et les ouvrières. Fréquenter les milieux perçus comme « naturels » engendre un nouveau mode de perception des espaces : la forêt devient un lieu de détente et de loisirs, à opposer à la ville, lieu du travail et de la vie quotidienne. La découverte de la randonnée par les ouvriers berlinois constitue alors un moment dans la construction de l'opposition nature/culture pour des populations nouvellement urbaines. Les randonnées sont, pour les associations ouvrières socialistes étudiées, l'occasion de transmettre un savoir-faire pratique, mais permettent aussi des apprentissages biologiques, géologiques et photographiques. Ces activités se révèlent finalement politiques, au même titre que les activités militantes traditionnelles auxquelles les randonneurs participent par ailleurs, puisqu'une vision de la nature spécifiquement socialiste est partagée.By the end of the 19th century, hiking turned into a more popular activity and new categories of the German population, including working-class men and women, started to embrace this leisure. To spend time in environments perceived as “natural” led to a new way of looking at places: the forest became a place for relaxation and leisure, in opposition to the city, the place of work and daily life. The experience of hiking for newly urban workers in Berlin contributes to the development of the broader opposition between the concepts of nature and culture. For the socialist workers' associations that are studied in this paper, hiking was an opportunity to pass on practical knowledge, but also to learn about biology, geology and photography. In the end, these activities turned out to be just as political as the traditional militant activities in which hikers, since a specifically socialist vision of nature was passed on.
- Vivre en Robinson. Georges Butaud et Sophie Zaïkowska, anarchistes et végétaliens (1898-1929) - Thomas Coste p. 95-116 Au tournant des xix e et xx e siècles, le naturisme libertaire, mouvement de retour à la nature qui critique le capitalisme, l'industrialisation et l'urbanisation, émerge en Europe occidentale. Ce mouvement est étudié à partir des expériences politiques de Georges Butaud (1868-1926) et Sophie Zaïkowska (1874-1939), un couple d'anarchistes végétaliens actif en France entre les années 1890 et 1920. Avec la mise en application très concrète du retour à la nature, à travers la création de colonies libertaires, la pratique du végétarisme ou du végétalisme, Butaud et Zaïkowska confrontent leur idéal politique à une quotidienneté difficile qui modifie leur conception du changement social. Ils considèrent ainsi que les individus doivent se réformer selon des principes végétaliens (modification du régime alimentaire, réduction des besoins, refus du travail salarié) pour qu'une société communiste émancipée advienne.At the turn of the 20th century libertarian naturism, a back-to-nature movement critic of capitalism, industrialisation and urbanisation, emerged in Western Europe. This article examines this movement through the political experiences of Georges Butaud (1868-1926) and Sophie Zaïkowska (1874-1939), a pair of vegan anarchists active in France between the 1890s and 1920s. By putting their return to nature into practice, through the creation of libertarian colonies and the practice of vegetarianism and veganism, Butaud and Zaïkowska confronted their political ideal with a difficult everyday life that modified their conception of social change. They considered that individuals had to reform themselves according to vegan principles (changing their diet, reducing their needs, refusing of wage-earning employment) for an emancipated communist society to emerge.
- Travailleurs, cadre de vie, santé et progrès. La formation à l'Humanité d'une perspective socialiste (1904-1914) - Nicolas Hatzfeld p. 117-138 Pour étudier les interférences entre enjeux environnementaux, de santé et de travail aux début du XXe siècle, l'examen du journal socialiste l'Humanité, fondé par Jean Jaurès, s'avère très fécond. Le quotidien constitue un observatoire précieux sur la société ainsi que sur les représentations censées œuvrer à la recomposition du mouvement ouvrier. Dans les nombreux articles parus, la référence au travail occupe une place essentielle. Les conditions de vie populaires y sont souvent associées. Les sujets qu'aujourd'hui, on rapporterait à l'environnement apparaissent comme des éléments de contexte pour le progrès des sociétés et ses composantes, la science, l'industrie, la coopération et la prévoyance sociale. Si la lutte pour l'hégémonie entre bourgeoisie et prolétariat est le moteur de ce progrès, celui-ci semble mis en position surplombante, hors de portée des critiques contre les dégâts du capitalisme. Ce découplage dissocie des dynamiques comme la croissance et la dégradation environnementale, que les représentations actuelles associent fortement.Examining the newspaper l'Humanité (founded by Jean Jaurès) proves crucial to understand how the environment, healthcare and work intertwined at the beginning of the 20th century. The daily newspaper was an invaluable observatory of society and of the representations that were supposed to be working to recompose the workers' movement. In the abundance of articles that appeared, labour played a key role. Working-class living conditions were often associated with it. Subjects that today would be associated with the environment appear to be contextual elements for the progress of societies and its components, science, industry, cooperation and social welfare. If the struggle for hegemony between the bourgeoisie and the proletariat is the driving force behind change, progress itself seems to be placed in an overhanging position, beyond the reach of criticism of the damage done by capitalism. The issues of growth and environmental damage, which, today, tend to be often be linked together, were decorrelated.
- Du « compromis réparateur » au refus de la « monétisation de la santé ». Mouvement ouvrier et environnement de travail en Italie (1880-1980) - Bastien Cabot, Elena Davigo, Willy Gianinazzi p. 139-166 Dans la plupart des pays d'Europe occidentale vers 1900, la réparation des risques professionnels passe par l'indemnisation des dommages. En Italie, celle-ci est entérinée par la loi du 17 mars 1898. Cet article pose la question du consentement de la classe ouvrière à cette logique de « monétisation de la santé », en examinant notamment le rapport du mouvement ouvrier à la santé professionnelle et au monde médical, des années 1880 aux années 1980. Trois temps apparaissent alors. Le premier concerne précisément le « moment mil neuf cent », caractérisé par l'émergence d'une réflexivité ouvrière face aux risques et la tentative d'une frange progressiste du monde médical de se rapprocher de la classe ouvrière. L'entrée de l'Italie dans les deux décennies fascistes, même si elles voient la reconnaissance des maladies professionnelles en 1929, met un frein à ce processus de rapprochement. Puis, lors de la reconstruction et des années du « miracle économique », les syndicats renouent largement avec le principe d'indemnisation établi par la loi de 1898, dans une logique de contractualisation des rapports sociaux. Ce n'est cependant qu'à partir des années 1968-1969, dans un contexte de fortes mobilisations sociales, que le principe de « monétisation de la santé » est fondamentalement remis en cause, et que se multiplient les expériences de coproduction des savoirs sanitaires et environnementaux au sein de l'usine mais aussi sur le territoire. En dépit de ses limites, la réforme sanitaire de 1978 constitue l'aboutissement institutionnel de cette mobilisation décennale.In Italy, as in most Western European countries around nineteen hundred, compensation for occupational risks was based on the law of 17 March 1898. This article therefore raises the question of the working class's consent to this logic of “monetising health”, by examining in particular the relationship between the labour movement and occupational health and the medical world, from the 1880s to the 1980s. Three periods emerge. The first concerns the “nineteen hundred moment”, characterised by the emergence of a working-class reflexivity in the face of risks, and the attempt by a progressive fringe of the medical world to draw closer to the working class. Italy's entry into the twenty years of Fascism, even though it saw the recognition of occupational diseases in 1929, nevertheless put the brakes on this process of rapprochement. Then, during reconstruction and the years of the “economic miracle”, the trade unions largely returned to the principle of compensation established by the 1898 law, with a view to contractualising social relations. However, it wasn't until 1968-1969, against a backdrop of strong social mobilizations, that the principle of “monetising health” was fundamentally called into question, and that the coproduction of medical and environmental knowledge within the plant but also across the territory. Despite its limits, the 1978 healthcare reform embodies the institutional culmination of a decade-long mobilization.
Hommages
- Jacques Julliard (1933-2023) - Marie Laurence Netter p. 167-173
- Jean-Luc Pouthier (1953-2023) - Françoise Mélonio p. 174-179
- Patrice Rolland (1946-2022) - Anne-Sophie Chambost p. 179-182
Lectures
- Vincent Genin, L'éthique protestante de Max Weber et les historiens français (1905-1979), Turnhout, Brepols, coll. « Bibliothèque de l'École des hautes études. Sciences religieuses » 191, 2022, 283 p. - Emmanuel Jousse p. 183-187
- Matthieu Boisdron, Joseph Paul-Boncour (1873-1972), préface de Christine Manigand et Olivier Dard, Paris, Sorbonne Université Presses, coll. « Mondes contemporains », 2023, 514 p. - Gilles Candar p. 187-191
- Fabien Conord (dir.), Le radicalisme en Europe. XIX e-XXI e siècles, Nancy, Éditions Arbre bleu, coll. « Gauches d'ici et d'ailleurs », 2022, 229 p. - Éric Thiers p. 191-193
- Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du boulangisme (1886-1891), Paris, CNRS éditions, coll. « Nationalismes et guerres mondiales », 2022, 800 p. - Christophe Prochasson p. 194-200
- Willy Gianinazzi, Georges Sorel philosophe de l'autonomie. Suivi d'écrits marxistes et syndicalistes de Georges Sorel, Nancy, Éditions Arbre bleu, coll. « Gauches d'ici et d'ailleurs », 2022, 206 p. - Bastien Cabot p. 200-205