Contenu du sommaire : Forêts : quels futurs ?
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 116, hiver 2023-2024 |
Titre du numéro | Forêts : quels futurs ? |
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Forêts : quels futurs ?
- Éditorial : Forêts : questions brûlantes pour des futurs au-delà de la surexploitation et de la conservation - Jean-Paul Gaudillière, Anahita Grisoni, Stéphane Le Lay, Jill Madelenat, Ramuntcho Tellechea p. 7-15
- La forêt, le dérèglement climatique et les impasses de la gestion productiviste - Hervé Le Bouler p. 18-28 Parler de la forêt en 2023, en contexte de changement climatique, requière de mobiliser tant le registre descriptif, technique et quantitatif, que le langage des sens et des fantasmagories qu'elle alimente. Dans le contexte du dérèglement climatique, le recours à la complexité est nécessaire pour établir un état des lieux des forêts de l'hexagone, mises à mal par la crise du climat comme par la surexploitation forestière. Un bref détour par l'histoire de la gestion forestière permet de mieux comprendre les enjeux écologiques, économiques et sociaux qui traversent la forêt aujourd'hui dans le contexte d'un dérèglement climatique mortifère.When talking about the forest in 2023, in the context of climate change, we must not only draw on the descriptive, technical, and quantitative register, but also examine the language of the senses and the imaginary worlds it feeds. Against the troubling backdrop of climate change, a careful analysis is needed to account for the complexity of the current situation of France's forests, which have been damaged both by the climate crisis and by overexploitation. A brief excursion into the history of forest management provides a better understanding of the ecological, economic, and social challenges facing forests today in the face of major climate disruption.
- Les forêts françaises face au changement climatique - Hendrik Davi p. 29-37 Les forêts françaises couvrent 31 % du territoire métropolitain. Après avoir atteint un minimum forestier au xixe siècle, leur surface s'est fortement accrue avec le recul de l'agriculture et de l'économie du charbon, passant de 8,5 millions d'hectares en 1850 à 17,1 millions d'hectares en 2021. Leur gestion présente un enjeu essentiel pour le climat et la biodiversité.French forests cover 31 percent of mainland France. After dropping to record low levels in the nineteenth century, France's forest cover increased sharply with the decline of agriculture and the coal economy, rising from 8.5 million hectares in 1850 to 17.1 million hectares in 2021. Their proper management is essential for the climate and biodiversity.
- L'Union européenne au chevet des forêts : une préoccupation récente - Hannah Mowat, Simon Cottin-Marx p. 38-44 Alors que le mandat de la Commission et du Parlement européens approche de son terme (2019-2024), quel bilan tirer de cette législature sur les forêts ? Pour répondre à cette question, Mouvements a rencontré Hannah Mowat, coordinatrice des campagnes de Fern, une ONG écologiste qui réalise un plaidoyer, au niveau européen, pour la protection des forêts et des droits des personnes qui en dépendent. Dans cet entretien, cette militante montre que les enjeux autour de la forêt n'ont été identifiés que très récemment, qu'ils sont énormes, et qu'ils vont bien au-delà des frontières européennes.As the term of office of the European Commission and Parliament draws to a close (2019–2024), what conclusions can be drawn from this legislature on forests? To answer this question, Mouvements spoke to Hannah Mowat, campaigns coordinator for Fern, an environmental NGO that lobbies at European level for the protection of forests and the rights of the people who depend on them. In this interview, this campaigner highlights just how recently our understanding of the scale and impact of forestry problems in Europe, and beyond, has been identified.
- Entre parcs et plantations : les continuités coloniales de l'exploitation des forêts africaines - Guillaume Blanc, Jean-Paul Gaudillière p. 45-56 Faut-il conserver les forêts primaires ? L'idée sonne comme une évidence alors que l'idée de préservation, voire de recréation, d'une nature vierge de toute intervention humaine est une réponse historiquement datée aux désastres de la surexploitation, face cachée de l'extractivisme forestier. À partir de ses travaux sur l'histoire des parcs naturels en Afrique, Guillaume Blanc discute ici des racines coloniales de la conservation et de l'imaginaire de la forêt primaire. Il insiste sur l'importance de ce passé qui ne passe pas, en particulier quand il est question des populations pratiquant l'agropastoralisme et de la nécessité de leur élimination des zones à protéger.Should primary forests be preserved? The answer may seem obvious, yet the idea of preserving, or even recreating, nature untouched by human intervention is in fact a historically dated response to the disasters of overexploitation, the hidden face of forest extractivism. Based on his work on the history of nature parks in Africa, Guillaume Blanc discusses the colonial roots of conservation and the imaginary of the primary forest. He insists on the importance of a past that cannot be rooted out, particularly when it comes to agropastoral populations and the need to remove them from protected areas.
- Foresterie, politique et violence - Larry Lohmann, Jean-Paul Gaudillière p. 58-72 Larry Lohmann est un spécialiste du changement climatique. Il travaille pour The Corner House, une ONG britannique soutenant les mouvements démocratiques et communautaires en faveur d'une justice environnementale et sociale. Dans cet article, il rappelle que les spécialistes et militant·es de l'environnement voient en général l'histoire de la forêt comme celle d'un déclin continu à partir d'un âge antérieur où les choses étaient plus équilibrées, la raréfaction des forêts entraînant une intensification des luttes violentes pour l'appropriation des ressources qu'elles procurent. Contre ce modèle « population, progrès, conflits ancestraux » qui contourne les conflits politiques, il revient sur la longue histoire des communs forestiers en Angleterre et des luttes pour les défendre.Larry Lohmann is a climate change specialist. He works for The Corner House, a British NGO supporting democratic and community movements for environmental and social justice. In this article, he points out that environmental specialists and activists generally see the history of the forest as one of continuous decline, straying ever further from a past where things were more balanced and toward an era in which forests are increasingly scarce, leading to an intensification of violent struggles between stakeholders as they scramble for the remaining resources. Against this "population, progress, ancestral conflicts" model, which bypasses political conflicts, he looks back at the long history of forest commons in England and the struggles to defend them.
- Les conflits pour le droit dans un commun forestier : le cas de la forêt usagère de La Teste-de-Buch - Arthur Guérin-Turcq p. 73-83 Durant l'été 2022, la forêt de La Teste-de-Buche, au pied de la dune du Pilat, est ravagée par un gigantesque incendie. S'ensuivent de nombreuses polémiques sur les responsabilités des différents acteur·rices impliqué·es dans la gestion de cette forêt usagère, jusqu'à la remise en cause de la gestion coutumière par l'État et certains acteurs de la filière bois. À partir de l'approche des communs développée par Elinor Ostrom, Arthur Guérin-Turcq revient sur l'évolution historique et les spécificités des relations entre propriétaires et usager·ères du dernier commun forestier d'Europe et sur les particularités de cette gestion coutumière en contexte de changement climatique.In the summer of 2022, the forest of La Teste-de-Buche, at the foot of the Dune du Pilat, was ravaged by a devastating fire. This was followed by a spate of controversies over who should be held responsible for the devastation. The actors involved in the management of this user forest came under fire, leading to the customary management of the forest to be called into question by the state and certain players in the timber industry. Drawing on Elinor Ostrom's approach to the commons, Arthur Guérin-Turcq looks back at the historical development and specific features of relations between owners and users of Europe's last community forest, and at the failings of this customary management in the context of climate change.
- À qui appartient la forêt ? Les grands bassins forestiers mondiaux face au défi de la gestion des communs - Frédéric Amiel p. 84-93 La forêt est-elle un bien commun, appartenant, symboliquement ou matériellement, à tous·tes les habitant·es de la planète ? À travers la confrontation de trois cadres règlementaires internationaux – le Règlement bois de l'Union européenne, l'engagement « Zéro déforestation » des industriels et des pays exploitant l'huile de palme, et la Commission des forêts d'Afrique centrale –, cet article confronte les difficultés matérielles rencontrées par différents groupes d'acteurs pour protéger la forêt dans un contexte de marchandisation transnationale.Is the forest a common asset, belonging symbolically or materially to all the planet's inhabitants? Through a comparison of three international regulatory frameworks—the European Union's Timber Regulation, the "Zero Deforestation" commitment of industrialists and palm oil-producing countries, and the Central African Forest Commission—this article confronts the material difficulties encountered by different groups of actors in protecting forests against the backdrop of their increasing transnational commodification.
- Les forêts communautaires au Gabon : des alternatives à la déforestation ? - Étienne Bourel p. 94-103 Cet article examine les choix effectués par les habitant·es de plusieurs villages du nord-est du Gabon, en alternative à l'exploitation forestière illégale, avec la création d'associations villageoises et de forêts communautaires. Dans un contexte local où prédominent des rapports de pouvoir économiques et politiques dans lesquels les villageois·es occupent des positions hiérarchiques dominées, le développement de tels projets communautaires par des expert·es extérieur·es s'est heurté à de nombreuses difficultés sociales qui en ont réduit l'effectivité à moyen terme.This article examines the choices made by the inhabitants of several villages in northeast Gabon, as an alternative to illegal logging, with the creation of village associations and community forests. In a local context dominated by economic and political power relations in which villagers occupy subordinate hierarchical positions, the development of such community projects by outside experts came up against numerous social difficulties that reduced their medium-term effectiveness.
- La forêt française dans la tempête, un quart de siècle plus tard - Charlotte Glinel, Jean-Paul Gaudillière, Stéphane Le Lay p. 106-117 Il y a presque vingt-cinq ans, quelques jours avant de fêter le Nouvel An 2000, les forêts françaises étaient ravagées par une tempête hors norme qui mit à bas des centaines de milliers d'arbres. Charlotte Glinel revient pour nous sur cet évènement, son impact sur le travail des forestier·ères et le tournant managérial de l'Office national des forêts. Au-delà, elle discute la façon dont la crise climatique et la fragilité des forêts sont devenues des enjeux prioritaires pour repenser et changer les manières de les entretenir et d'y travailler.Almost twenty-five years ago, just a few days before New Year's Eve 2000, France's forests were ravaged by an unprecedented storm that brought down hundreds of thousands of trees. Charlotte Glinel talks to us about this event, its impact on the work of foresters, and the managerial turnaround at the Office national des forêts (National Forests Office). Beyond that, it discusses how the climate crisis and the fragility of forests have become priority issues for rethinking and changing the way we care for and work within forest spaces.
- La gestion forestière en France, entre pressions industrielles et alternatives sylvicoles et citoyennes - Gaëtan du Bus, Anahita Grisoni p. 118-128 Dans cet entretien, le forestier et fondateur du Réseau pour les alternatives forestières (RAF), Gaëtan Du Bus de Warnaffe, revient sur les différents problèmes qui pèsent sur les forêts dans le cadre de la transition écologique. Face à ces différentes injonctions, il nous montre que les alternatives à l'exploitation industrielle de la forêt existent et se multiplient.In this interview, Gaëtan Du Bus, forester and founder of the Réseau pour les alternatives forestières (RAF) (Forest Alternatives Network), take stock of the various objectives set for our forests as part of the ecological transition. In the face of these various injunctions, he shows us that alternatives to the industrial exploitation of forests do exist and are on the rise.
- Contre la destruction néo-managériale des forêts publiques, une coopération symbiotique discrète - Stéphane Le Lay, Ramuntcho Tellechea p. 129-138 Comment les forestier·ères de l'ONF vivent-iels les transformations de l'organisme, l'irruption, depuis le tournant 2000, du New public management, la priorité donnée aux activités commerciales, la culture du chiffre, la privatisation d'une partie des fonctions et personnels ? Plutôt que d'insister sur la déstructuration, les difficultés et la souffrance éthique des unités de travail, Stéphane Le Lay et Ramuntcho Tellechea suivent l'exemple d'un groupe gérant plus de cinquante forêts de montagne qui a réussi à préserver un fonctionnement collectif, à négocier avec sa hiérarchie et les acteurs locaux une gestion des triages tenant sérieusement compte des objectifs de protection des écosystèmes. La pratique de la coopération symbiotique est au cœur de l'analyse qu'ils nous proposent de la façon dont ces forestier·ères font œuvre de gardien·nes des interdépendances.How are foresters at the Office national des forêts (ONF) (National Forests Office) coping with the transformations facing the organization, with the advent, since the turn of the millennium, of New Public Management, the priority given to commercial activities, the rise of numbers-driven culture, and the privatization of certain roles and departments? Rather than focusing on the destructuring, difficulties, and ethical suffering of forestry teams, Stéphane Le Lay and Ramuntcho Tellechea follow the example of a group managing more than fifty mountain forests. This group, which has managed to maintain collective operations, has been able to negotiate with its line management and local players to ensure that sorting operations are managed in a way that takes full account of the ecosystem conservation objectives. The practice of symbiotic cooperation is at the heart of their analysis of how these foresters act as guardians of interdependence.
- « La scierie, c'est la charnière » : des unités industrielles aux alternatives forestières - Roméo Bondon p. 139-151 Maillons indispensables de la filière forêt-bois, les scieries sont peu connues du grand public. Elles subissent pourtant de profondes transformations, qui sous-tendent l'exploitation industrielle des forêts. À partir de quatre exemples situés dans le Massif central, Roméo Bondon donne à voir les impacts écologiques et socioéconomiques des scieries industrielles et les potentialités offertes par les scieries alternatives. Cette balade entre des univers opposés est une invitation à repolitiser la question des scieries et à prendre au sérieux les scieries artisanales et semi-industrielles, qui continuent de fermer faute de repreneur·euses.Sawmills are essential links in the forestry and timber industry, but are little known to the general public. However, they are undergoing profound transformations, which underpin the industrial exploitation of forests. Based on four examples from the Massif Central, Roméo Bondon shows the ecological and socio-economic impacts of industrial sawmills and the potential offered by alternative sawmills. This journey between opposing worlds invites us to re-politicize the question of sawmills and to give due consideration to small-scale and semi-industrial sawmills, often forced to shut up shop due to a lack of commercial interest.
- Géopolitiques de la forêt : une ethnographie de la vallée de Montremont en Haute-Savoie - Antoine-Aurèle Cohen-Perrot p. 152-163 Alors que les initiatives citoyennes d'acquisition foncière visant à préserver des forêts se multiplient, Antoine-Aurèle Cohen-Perrot montre, à partir d'une étude de terrain, que derrière des ambitions louables peuvent se cacher des pratiques inadaptées au contexte local. Le cas des tensions générées par le projet de l'association Forêt vivante dans la vallée de Montremont illustre la nécessité de penser l'inclusivité des projets d'acquisition foncière et de réensauvagement et d'identifier des allié·es sur le terrain.At a time when citizens' initiatives to acquire land in the name of forest preservation abound, Antoine-Aurèle Cohen-Perrot shows, on the basis of a field study, that laudable ambitions can often belie practices that are ill-suited to the local context. The case of the tensions generated by the Forêt Vivante association's project in the Montremont valley illustrates the need to consider the inclusiveness of land acquisition and rewilding projects, and to identify allies on the ground.
- La renaissance d'une forêt primaire en Europe de l'Ouest : les paradoxes d'un projet hors normes - Daniel Béhar p. 164-170 Le projet de renaissance d'une forêt primaire en Europe de l'Ouest combine la singularité – voire l'exceptionnalité – de sa finalité avec la banalité d'un cadre d'action associatif. Projet simple à première vue – ne plus rien faire… sur 70 000 hectares –, il soulève des questions d'une extrême complexité. La démarche qu'il implique s'inscrit dans un mouvement plus vaste autour de la libre évolution et du réensauvagement. Elle s'en distingue toutefois, en substituant au processus de montée en puissance via l'accumulation d'initiatives locales l'affichage d'une perspective globale, puissamment évocatrice. Cela confère à ce mouvement une capacité mobilisatrice inédite tant auprès du grand public que des acteurs sociaux. Mais, paradoxalement, cette incarnation et l'exigence de concrétisation qui la sous-tend placent ce mouvement en situation de dépendance vis-à-vis des décisions publiques. Pour ces dernières, le projet de l'association Francis Hallé (AFH) constitue tout à la fois un problème politique et l'opportunité d'un test grandeur nature de toutes les transformations des politiques publiques exigées par la transition écologique. Un projet de renaissance d'une forêt primaire ne pouvait qu'émaner de la société civile, mais il exige d'en penser les conditions de portage de façon plus ouverte.The project to revive a primary forest in Western Europe combines the singularity—even exceptionality— of its purpose with the narrow scope of an associative framework for action. Simple at first glance—doing nothing… over an area of 70,000 hectares—this project actually raises a number of extremely complex issues. The approach it implies is part of a wider movement around free evolution and rewilding. What sets it apart, however, is that it replaces the process of gaining strength through the accumulation of local initiatives with a global perspective that is powerfully evocative. This gives the movement an unprecedented capacity to mobilize both the general public and social players. Paradoxically, however, this embodiment and the demand for concrete action that underpins it place the movement in a position of dependence on decision-making by the public authorities. For the latter, the l'association Francis Hallé (AFH) (Francis Hallé Association) project is both a political problem and an opportunity for a full-scale test of all the transformations in public policy required by the ecological transition. A project to revive a primary forest was inevitably going to be a civil-society initiative, but it requires a more open approach in terms of the conditions for its realization.
Itinéraire
- De la chimie à une écologie politique décoloniale et régénérative - Arturo Escobar, Anahita Grisoni p. 171-181 Dans cet itinéraire, l'anthropologue américano-colombien Arturo Escobar revient sur son parcours personnel, professionnel et militant, passant de la chimie à l'anthropologie, dans un mouvement de « transhumance épistémique » et dans un contexte intellectuel et politique de critique du développement et de révolutions dans différents pays d'Amérique du Sud. Il développe sa définition de l'écologie politique, et insiste sur la nécessité de la pluraliser et de l'articuler avec les mouvements sociaux. Enfin, il présente son engagement dans un projet écologiste, féministe et afrocolombien de défense des terres en Colombie la Colombie.In this article, as part of Mouvements' "Paths" section, Colombian-American anthropologist Arturo Escobar looks back on his personal, professional, and activist journey, from chemistry to anthropology, in a movement of "epistemic transhumance" and in an intellectual and political context of development criticism and revolutions in various South American countries. He develops his definition of political ecology, and insists on the need to pluralize it and link it with social movements. Finally, he presents his involvement in an ecologist, feminist, and Afro-Colombian project to defend land in Colombia.
- De la chimie à une écologie politique décoloniale et régénérative - Arturo Escobar, Anahita Grisoni p. 171-181