Contenu du sommaire : L'emprise de la communication et ses équivoques
Revue | Politiques de communication |
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Numéro | no 20-21, printemps 2023 |
Titre du numéro | L'emprise de la communication et ses équivoques |
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- Introduction du dossier : L'emprise de la communication et ses équivoques - Julie Sedel, Benjamin Ferron, Jérémie Nollet, Camille Noûs p. 7-40
- Retours sur les réceptions américaine et française de The Whole World is Watching [Note liminaire au texte de Todd Gitlin] - Cyriac Gousset, Rodney Benson p. 41-48 Cette note liminaire revient sur l'apport de The Whole World is Watching de Todd Gitlin et analyse les réceptions qui en ont été faites aux États-Unis comme en France. Cet ouvrage, encore inédit en français, a fortement contribué aux recherches sur les rapports entre les médias et les mouvements sociaux et, plus généralement, sur « l'emprise » de la communication. Par sa mise en perspective, cet avant-propos invite les lecteurs à se saisir, et à mettre au travail, les catégories analytiques développées par Todd Gitlin dans son étude sur les relations entre le Student for a Democratic Society – la principale organisation étudiante nationale de la gauche radicale états-unienne de ce que l'on a appelé la New Left – et les médias dans les années 1960. Les schèmes mobilisés pour rendre compte de ces relations restent d'une grande pertinence pour analyser les relations entre les médias et les mouvements sociaux contemporains.This introductory note looks back at the contribution of Todd Gitlin's The Whole World is Watching and analyzes its reception in the United States and France. This work, unpublished in French, has made a major contribution to research into the relationship between the media and social movements. By putting it into perspective, this introductory note invites readers to grasp, and put to work, the analytical categories developed by Todd Gitlin. These are by no means limited to the relationship between the main national student organization of the American radical left ( Student for a Democratic Society) of the so-called New Left and the media in the 1960s. Indeed, the frameworks mobilized remain highly relevant to the analysis of relations between the media and contemporary social movements.
- The Whole World is Watching : introduction - Todd Gitlin p. 49-70 The Whole World is Watching de Todd Gitlin est un de ces textes fondamentaux de la sociologie américaine qui n'ont jamais été traduits en français. La traduction inédite de l'introduction de cet ouvrage, portant sur les relations entre le Student for a Democratic Society (SDS) – principale organisation étudiante nationale de la gauche radicale états-unienne qu'on a appelé la New Left – et les médias dans les années 1960, invite à (re)découvrir ce classique publié initialement en 1980. Le sociologue américain, qui a pris part au mouvement qu'il étudie, livre une analyse de la façon dont les médias ont couvert ce mouvement de la New Left dans les années 1960 et interroge ce que cette couverture médiatique a fait à la New Left et ce que la New Left a fait de celle-ci. Ce faisant, Todd Gitlin a été l'un des premiers sociologues des médias à adopter le concept de « cadre » d'Erving Goffman en l'appliquant aux pratiques journalistiques en lien avec le contenu des informations.Todd Gitlin's The Whole World is Watching is one of those fundamental texts of American sociology that has never been translated into French. The previously unpublished translation of the introduction to this work, which deals with the relationship between the Student for a Democratic Society (SDS) and the media in the 1960s, invites us to (re)discover this classic, originally published in 1980. The American sociologist, who took part in the movement he studies, provides an analysis of how the media covered this New Left movement in the 1960s, and questions what this media coverage did to the New Left and what the New Left did to it. In doing so, Todd Gitlin was one of the first media sociologists to adopt Erving Goffman's concept of ‘frame' applying it to journalistic practices in relation to news content.
- La production de l'événement politique « Gilets jaunes » : Le renouvellement de l'économie des manifestations médiatisées - Olivier Baisnée, Maximilien Gidon, Cyriac Gousset, Jérémie Nollet, Fanny Parent p. 71-107 Par l'abondance des contenus numériques produits et publicisés par les manifestants, le mouvement des Gilets jaunes conduit à interroger l'actualité du modèle de la « manifestation de papier » de Patrick Champagne. En effet, si ce mouvement se caractérise par une large couverture médiatique, notamment sur les chaînes d'information en continu, et un soutien durable dans l'opinion publique sondagière, il a rapidement été dépossédé de la construction publique du sens de la mobilisation notamment parce que sa dimension politique a été occultée par un cadrage journalistique insistant largement sur les violences manifestantes. L'abondance des contenus numériques publicisés par les Gilets jaunes a contribué à la visibilité du mouvement tout en le rendant moins lisible. Ces images n'ont guère été reprises dans le champ journalistique. Plus encore, l'économie des manifestations, caractérisée par une organisation « horizontale », se distingue des manifestations de papier plus ritualisées, où les porte-parole jouent un rôle important dans le travail d'interprétation journalistique et politique. Le cadrage du mouvement des Gilets jaunes, notamment dans le sous-champ journalistique généraliste, et la réponse politique qui lui fut apportée étaient désajustées des attentes des manifestants et de leurs soutiens en raison de la persistance des routines interprétatives et pratiques des journalistes et des gouvernants. Fonctionnant encore largement avec les règles médiatique et sondagière des années 1980-1990, le gouvernement apporte une réponse davantage ajustée au cadrage médiatique dominant du mouvement des Gilets jaunes qu'aux revendications exprimées par celui-ci dans la rue comme sur les réseaux socionumériques.By the volume of contents published by the demonstrators, the Yellow Vests movement raises questions toward the relevance of Patrick Champagne's “paper demonstration” model, especially in the age of digital communication. Indeed, if this movement was characterized both by the abundance of coverage, particularly from 24/7 news channels, and the support of public opinion, it quickly sidelined from the public construction of the meaning of the mobilization: its political dimension was hidden by a journalistic framing that focused largely on the demonstrators' violence. Although, the abundance of digital content publicized by the Yellow Vests contributed to the movement's visibility, it made it less comprehensible, and these materials were not used by the journalistic field. Even more so the economy of demonstrations, characterized by a “horizontal” organization, differ from the “paper demonstration” model more ritualized where spokesperson have an important role in defining the journalistic and political interpretation. The Yellow Vests movement's framing, especially in the sub-generalist journalistic field, and the political respond applied where not in adequation to the demonstrators' expectations and their supports, because of the persistence of interpretative routines and more precisely political and journalistic practices. Instead of offering solution in adequation to the demonstrators' revendications expressed both on digital social networks or in the streets, the government rely on the dominant media framing of the Yellow Vests movement, by continuously working with the media and pollster rules, of the 1980-1990s.
- Ce que dit la police : Communication et légitimation de la force publique - Guillaume Le Saulnier p. 109-136 Cet article se concentre sur la communication de la police nationale, et plus précisément sur le discours institutionnel tel qu'il se matérialise via les relations presse. Il examine les conditions et les opérations par lesquelles la police est donnée ou se donne à voir, au prisme de l'actualité. D'une part, il se fonde sur une enquête ethnographique au sein du Service d'information et de communication de la police (Sicop). L'institutionnalisation et la professionnalisation de la communication s'accélèrent nettement à partir des années 2000, de sorte que le Sicop s'impose désormais comme un acteur et une source de premier plan dans la fabrication de l'information policière. D'autre part, l'article mobilise une analyse statistique descriptive de l'ensemble des relations presse orchestrées par le Sicop au premier semestre 2010, à partir d'une base de données logicielle interne. Le travail de publicisation auprès des médias d'information réalise la congruence entre les priorités politiques du ministre de l'Intérieur et les hiérarchies internes à la profession policière. La communication de l'institution articule ainsi, étroitement, la légitimation de la force publique, l'affirmation de sa professionnalité, ainsi que la construction symbolique des « illégalismes » qui menacent l'ordre social.This article focuses on the communication of the French police, and more precisely on the institutional discourse as it is produced through press relations. It examines the conditions and operations by which the police is seen or see itself, through the prism of newsmaking. On the one hand, it is based on a fieldwork within the Police Information and Communication Service (Sicop). The institutionalization and professionalization of communication accelerated significantly in the 2000s, so that the Sicop has become a key source in the production of police information. On the other hand, the article uses a descriptive statistical analysis of all the press relations handled by the Sicop in the first half of 2010, based on an internal software database. The publicization work towards the news media produces congruence between the political priorities of the French police minister and the internal hierarchies of the police profession. The institutional communication thus closely articulates the legitimization of the police force, the claim of its professionalism, as well as the symbolic construction of the “illegalisms” that threaten social order.
- Quand le ministère public investit officiellement Twitter - Isabelle Huré p. 137-166 Depuis 2020, un nombre toujours croissant de procureurs rejoignent le réseau social Twitter. Si la communication avec les médias relève de leurs missions conformément à l'article 11 du code de procédure pénale, leur présence sur ce réseau social soulève de nouveaux enjeux. En effet, il s'agit moins d'assouvir la curiosité du public concernant une affaire ou un procès que de rendre l'institution judiciaire visible, compréhensible et proche des citoyens. Dans ce contexte, l'étude présente les origines et la manière dont se sont diffusées ces nouvelles pratiques communicationnelles et en quoi la présence des procureurs dans l'espace interdiscursif que représente Twitter constitue une défense de l'action des tribunaux et de sa légitimité, tendant à se transformer en action elle-même. Cependant, si le rapprochement de la justice avec les citoyens est un objectif partagé, les usages du réseau social et leurs finalités sont plus diversifiés et parfois inattendus.Since 2020, an increasing number of prosecutors have joined the social media Twitter. While communication with the media is part of their mission according to Article 11 of the Code of Criminal Procedure, their presence on this social media raises new issues. Indeed, it is less a question of satisfying the public's curiosity about a case or a trial than of making the judicial institution visible, understandable and close to the citizens. In this context, the study presents the origins and the way in which these new communicational practices have spread and how the presence of prosecutors in the interdiscursive space represented by Twitter constitutes a defence of the action of the courts and its legitimacy, tending to become an action itself. However, while bringing the justice system closer to citizens is a shared objective, the uses of social networks and their purposes are more diverse and sometimes unexpected.
- Les cadrages politiques de la communication publique : Analyse d'une politique agroécologique et alimentaire locale - Jeanne Pahun p. 167-193 La communication publique est une partie intégrante du jeu politique. Les opérations de cadrages qui jalonnent cette communication constituent une modalité concrète de cette influence. C'est ce que montre cet article grâce à l'analyse de la communication publique de la politique agroécologique et alimentaire de la métropole de Montpellier via deux canaux de diffusion : le magazine institutionnel de la métropole et ses campagnes d'affichage publique. Les services de communication, plus ou moins pilotés par les exécutifs locaux, opèrent une série de cadrages de cette politique en délimitant le champ de ce qui en est dit ou de ce qui en est montré. En retour, cette communication est aussi cadrée et instrumentalisée par le champ du politique. Ces deux types de cadrages de la communication publique sont qualifiés de politiques. Ils influent d'une part sur le cours des politiques publiques dont les services de communication entendent simplement rendre compte (recadrage du problème public et de l'opérationnalisation de la politique par la promotion d'actions facilement « communicable ») et ont d'autre part une influence plus large sur différentes séquences de la vie politique, qu'elles soient électorales (stratégies de campagne) ou d'exercice du pouvoir (promotion du territoire et des équipes en place, pilotage à distance des politiques par l'exécutif rapproché). La communication publique apparaît ainsi comme une entrée heuristique pertinente pour analyser les enjeux politiques qui se nouent dans le déploiement des politiques publiques.Public communication is an integral part of political process. Though the concept of frames, this article analyzes one specific way on how public communication influences politics and policies. We analyze the agroecological and food policy of Montpellier Metropolis and the communication made of it though institutional magazines and public campaigns on billboards in the urban area. The communication services, more or less steered by the local executives, frame this policy by delimiting the scope of what is said or what is shown about it. Conversely, this communication is also framed and instrumentalized by the field of politics. These two types of public communication frames are qualified as political insofar as they fully participate in different sequences of exercise of power (reframing public issues, taking part of the place marketing strategy, shaping policies towards easily “communicable” actions) and conquest or preservation of power (valorization of the local elected officials' team, remote management of policies and electoral communication). Studying public communication thus appears as a relevant heuristic input for determining the political issues that arise in the deployment of public policies.
- La civic tech : des professionnel·les de la communication numérique à l'assaut de la participation citoyenne (2016-2019) - Tatiana de Feraudy p. 195-227 Entre 2016 et 2019, les professionnel·les de la civic tech s'intègrent au marché de la participation citoyenne en tant que fournisseurs d'outils et de services de conseil, ainsi qu'en tant qu'entrepreneur·ses de cause. Intermédiaires entre les citoyen·nes et les mondes politique et administratif, ces acteur·rices se veulent aussi accompagnateur·rices de la modernisation publique. Faisant du problème participatif un problème de communication, les professionnel·les de la civic tech construisent leur juridiction en important du monde du numérique des métiers, des compétences et la figure de la start-up comme véhicule de changement social. Pour établir leur légitimité, ces acteur·rices technicisent, désingularisent et dépolitisent le problème de la participation citoyenne. La concentration du débat sur les technologies numériques et les méthodes « innovantes » qui permettraient la construction d'une opinion publique de manière rationnelle et consensuelle réactive le tropisme procédural du monde participatif. Par ailleurs, ces professionnel·les de la communication produisent, par leurs outils et leurs conseils, une norme du « bien communiquer » et du « bien décider » qui met en valeur la bienveillance et la responsabilité individuelle. La revendication d'une neutralité et d'un engagement apolitique contribuent à occulter la manière dont ces professionnel·les peuvent ainsi contribuer à discréditer le conflit et le militantisme et soutenir la dépolitisation et la privatisation de la participation citoyenne.From 2016 to 2019, civic tech professionals enter the public engagement market as providers of technologies and services, while claiming a role of cause entrepreneurs. These newcomers position themselves as intermediaries between citizens and the political and administrative worlds, while also offering to accompany the change and modernization of public action. Their arrival on the market seems to endanger the fragile recognition and professionalization achieved by public engagement professionals. By importing references from the digital field to define their professions and skills, the civic tech professionals renew the tendency to consider tools and methodologies as the key elements in the success of citizen participation. Their integration in the start-up world also leads them to redefine the professional balance between neutrality and commitment, legitimizing a form of entrepreneurial activism in this field. Despite claiming technological neutrality and a position of exteriority, as technology developers and public policy consultants, these professional produce definitions of “good communication” and “good decision making”. By giving value to rationality, consensus, benevolence and individual action, these actors can contribute to discrediting conflict and activism. This startupization of public engagement, defined by the double mechanism of technification and de-singularization, can contribute to the privatization of the citizen participation problem.
- Aux sources des discours sur la situation économique : Les prévisionnistes face à leur médiatisation - Théo Régniez p. 229-258 Souvent présentée comme une activité reposant sur des modélisations complexes, la prévision économique ne peut se résumer à une démarche uniquement scientifique. Que ce soit par l'intermédiaire de conférences de presse, d'appels avec des journalistes ou de réunions privées, les économistes en charge de la prévision sont bien souvent aussi en charge de la communication de leurs travaux. À partir d'une ethnographie et d'une enquête par entretien, nous relativisons cependant l'existence d'une emprise de la communication sur les prévisionnistes en les considérant comme des sources actives. Les prévisionnistes jouent un rôle considérable dans la médiatisation de leurs prévisions et ne sont pas démunis de ressources pour orienter la réception de leurs travaux. Par ailleurs, ils parviennent à créer des espaces où la communication est restreinte à quelques acteurs, favorisant l'apparition de discussion sur l'économie n'ayant pas vocation à être communiquée publiquement.Often presented as an activity based on complex modelling, economic forecasting cannot be reduced to a purely scientific work. Whether through press conferences, calls with journalists or private meetings, economists in charge of forecasting are often also in charge of the communication of their forecasts. Based on an ethnography and an interview survey we put into perspective the existence of a “communication hold” on forecasters. Forecasters have resources to guide the reception of their work as the forecast is carried out. Moreover, they manage to create spaces where communication is restricted to a few actors, encouraging the emergence of discussions on the economy that are not intended to be communicated outside.
- L'emprise des médias sur le champ intellectuel : Les conférences savantes grand public comme espace intermédiaire dans la visibilité des idées - Boris Attencourt p. 259-297 Cet article analyse l'emprise des médias de grande diffusion sur la circulation des idées à travers le rôle de groupes sociaux et d'institutions « intermédiaires » au sens où ils assurent le passage entre des régions distinctes de l'espace social. À cette fin, nous mobilisons une enquête sur les nouveaux circuits de visibilité des idées qui se sont développés au sortir des années 1970 en associant légitimité savante et audience élargie : presse de qualité, émissions de radio et de télévision, revues intellectuelles à grand tirage, laboratoires d'idées, établissements culturels, agences de conférenciers, maisons d'édition, etc. L'exploration de ce champ nouveau montre que le circuit des conférences savantes pour le grand public occupe la position d'un espace intermédiaire qui favorise l'accès des intellectuels aux médias et redouble leurs chances d'y faire carrière. Avec l'essor de l'idéologie du décloisonnement culturel à la fin des années 1960, le circuit des conférences a pu bénéficier de la politique d'extension du domaine culturel mise en place au début des années 1980, de l'autolégitimation offerte par une production équivoque en termes de dispositif et de contenus et, enfin, de biens propices au marketing culturel (événementiel et produits dérivés). Par ailleurs, les professionnels engagés dans l'organisation des conférences ont su mobiliser les ressources du décloisonnement culturel pour placer le monde intellectuel dans l'orbite des classements médiatiques et accroître ainsi leur pouvoir d'intermédiaires.This article analyzes the influence of mass media on the circulation of ideas through the role of “betweenness” social groups and institutions, in the sense that they provide a link between distinct regions of social space. To this end, we mobilize a survey of the new circuits for the visibility of ideas that developed after the 1970s, combining scholarly legitimacy and a wider audience: quality press, radio and TV broadcasts, large-circulation intellectual journals, ideas laboratories, cultural establishments, speakers' agencies, publishing houses, and so on. Exploring this new field this new field shows that the circuit of scholarly conferences for the general public occupies the position of an intermediary space that favours intellectuals' access to the media and redoubles their chances of making a career of it. With the rise of the ideology of cultural decompartmentalization at the end of the 1960s, the lecture circuit was able to benefit from the policy of extending the cultural domain put in place at the beginning of the 1980s, from the self-legitimization offered by a production that was equivocal in terms of device and content and, finally, from goods conducive to cultural marketing (events and derivative products). Furthermore, the professionals involved in organizing conferences were able to mobilize the resources of cultural decompartmentalization to place the intellectual world in the orbit of media rankings, thereby increasing their power as intermediaries.
- Lutter contre l'emprise de la communication : Les tentatives de Michel Crozier - Jean-Baptiste Legavre p. 299-320 Le sociologue Michel Crozier s'est heurté à un constat qui peut paraître banal mais en même temps essentiel pour qui retient le mot de « communication » comme catégorie d'explication : la communication est beaucoup plus qu'une simple activité humaine, elle une ingénierie sociale visant à légitimer ceux qui occupent des positions de pouvoir en euphémisant les relations de pouvoir. Le sociologue des organisations, pris entre les usages académiques – les siens – et les usages des experts, nous invite à réfléchir autrement à l'emprise de la communication. Alors qu'il accordait à la communication une place centrale dans son analyse, il va tenter de trouver une parade (conceptuelle). Dans ses travaux tardifs, il propose de substituer à « la communication » une autre catégorie d'entendement, celle de l'écoute. Elle permettrait, selon lui, de combattre l'idéologie de la communication et ses serviteurs.Michel Crozier came up against an observation that may seem trivial but is at the same time essential for those who use the word « communication » as a category of explanation: communication is much more than a simple human activity; it is a social engineering aimed at legitimising those who occupy positions of power by euphemising power relations. The sociologist of organisations, caught between academic uses – his own – and the uses of experts, invites us to think differently about the power of communication. While he gave communication a central place in his analysis, he tried to find a (conceptual) solution. In his later works, he proposed to replace « communication » with another category of understanding, that of listening. According to him, this would make it possible to combat the ideology of communication and its servants.
- Les séries politiques, marqueurs de classe et de distinction - Isabelle Charpentier p. 321-358 Exprimant une préférence télévisuelle rare, le public des séries politiques ne se répartit pas socialement et culturellement au hasard : il apparaît plutôt masculin, âgé, appartenant aux catégories supérieures, aisé, diplômé et politisé. Très intéressé par la politique, bien informé, il est très exigeant et sélectif dans le choix des séries « de qualité » qu'il regarde, dans lesquelles il recherche surtout une réflexion politique et sociale critique. L'« omnivorisme » qui pourrait sembler le caractériser dans une première vision rapide ne peut faire illusion : ses autres pratiques culturelles, tout aussi distinctives, permettent de le considérer très nettement comme relevant des publics les plus cultivés. Mais beaucoup reste à découvrir concernant les séries politiques tout comme leurs amateurs. Le champ de recherche encore peu défriché ouvert aux sciences sociales et politiques par l'analyse des conditions de production et de réception des séries politiques est immense, tant apparaissent saillantes les questions que posent les modalités de création et les usages sociaux et politiques multiples de ces biens symboliques spécifiques.Expressing a rare television preference, the audience of political fiction series is not distributed socially and culturally at random: it appears to be rather male, older, belonging to the upper categories, well off, educated and politicised. Very interested in politics and well informed, they are very demanding and selective in the choice of the « quality » series they watch, in which they seek critical political and social reflection. The « omnivorism » that might seem to characterise them at first glance cannot be misleading: their other cultural practices, very distinctive, make it possible to consider them very clearly as belonging to the most cultivated audiences. But much remains to be discovered about political fiction series and their fans. The field of research, that is just beginning to be explored, opened up to the social and political sciences by the analysis of the conditions of production and reception of political fiction series is immense, as the questions raised by the methods of creation and the multiple social and political uses of these specific symbolic goods appear to be so salient.