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Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 252, juin 2024
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  • L'entre-soi militant en exil : Les sociabilités du mouvement tunisien Ennahda en France (1981-2018) - Mathilde Zederman p. 4-25 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    À partir du cas des militant·es du mouvement tunisien à référent islamique Ennahda, exilé·es en France sous les régimes de Bourguiba et de Ben Ali, cet article interroge les conditions de possibilité du maintien de l'engagement dans cette configuration particulière qu'est l'exil. En analysant les sociabilités militantes hors du pays d'origine, il éclaire ce que les pratiques d'entre-soi produisent comme rapport au politique et à l'engagement sur le long terme. La fabrique de l'entre-soi militant nahdawi passe par une série de dispositifs (des activités socio-culturelles, des sociabilités festives, un encadrement religieux, des réseaux professionnels, etc.) qui nourrissent l'attachement au groupe et sa cohésion interne. Elle suppose également de faire groupe autour d'un « nous » et de mettre d'« autres » à distance – ici les communautés tunisiennes immigrées non nahdawies et de classes populaires. Cet entre-soi agit enfin comme vecteur de transmission de l'engagement. L'article met ainsi en lumière l'ambivalence des pratiques d'entre-soi en exil : si elles permettent d'accumuler des ressources pour protéger le groupe et assurer sa continuité, ces pratiques restent traversées par divers rapports de pouvoir – liés à l'origine sociale, au lieu de résidence et au degré d'insertion au sein de l'organisation – et finissent par entraver la reconfiguration nahdawie dans la période post-révolutionnaire.
    Based on a study of the activists of the Tunisian Islamic movement Ennahda exiled in France under the Bourguiba and Ben Ali regimes, this article examines the conditions under which engagement to activism can be maintained in this particular configuration of exile. Through the analysis of activist social ties outside the country of origin, it sheds light on what entre-soi practices produce in terms of politics and engagement. The creation of the Nahdawi militant entre-soi involves a series of mechanisms (socio-cultural and festive activities, religious encadrement, professional networks, etc.) that breed attachment to the group and nurture its internal cohesion. It also involves drawing symbolic lines between ‘us' and ‘others' - in this case, non-Nahdawi immigrant and working-class Tunisian communities. Finally, this entre-soi acts as a vehicle for the transmission of activism. The article thus highlights the ambivalence of entre-soi practices in exile. On the one hand, these practices enable the accumulation of resources to protect the group and ensure its continuity. On the other hand, they remain subject to various power relations - linked to social origin, place of residence and degree of integration within the organization - and end up hindering Nahdawi reconfiguration in the post-revolutionary period.
  • Les lieux de l'engagement : Luttes socio-spatiales dans le mouvement des Gilets jaunes de l'agglomération lyonnaise - Jean-Baptiste Devaux, Marion Lang, Antoine Lévêque, Christophe Parnet, Valentin Thomas p. 26-47 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    En revenant sur l'évolution du mouvement des Gilets jaunes dans l'agglomération lyonnaise, cet article analyse le rôle de l'espace dans les possibilités d'engagement d'individus issus des classes populaires. Le suivi d'un petit groupe de personnes mobilisées depuis un rond-point de la banlieue industrielle et populaire lyonnaise montre comment les différents « lieux de l'engagement », ainsi que les ressources et les contraintes qui leur sont associées, font l'objet d'appropriations différenciées. Si le rond-point enquêté est un espace propice à la mobilisation des classes populaires racisées, l'évolution du mouvement vers des lieux du centre-ville conduit à leur mise à l'écart au profit de militant·es mieux doté∙es en capitaux militant et scolaire. Ce processus de relégation des Gilets jaunes de banlieue fait alors peser de réelles difficultés sur leur maintien dans le mouvement. Il entraîne leur réappropriation du mouvement au profit de répertoires d'action et de causes davantage liées à l'expérience vécue dans les quartiers populaires. L'article démontre finalement comment ces individus se détachent du mouvement des Gilets jaunes pour devenir des entrepreneurs d'action collective en banlieue populaire.
    Looking back at the evolution of the “Yellow Vests” movement in the Lyon urban area, this article analyzes the role of space in the possibilities for engagement by individuals from working-class backgrounds. The follow-up of a small group of people mobilized from a traffic circle in Lyon's industrial and working-class suburbs shows how the different “places of engagement”, and the resources and constraints associated with them, are subject to differentiated appropriations. While the traffic circle investigated is a space conducive to the mobilization of the racialized working classes, the movement's evolution towards inner-city locations is leading to their sidelining in favor of activists better endowed with militant and educational capital. This process of relegation of suburban “Yellow Vests” posed real difficulties for their continued involvement in the movement. It led to the reappropriation of the movement in favor of repertoires of action and causes more closely linked to the experience lived in working-class neighborhoods. The article finally demonstrates how these individuals detached themselves from the “Yellow Vests” movement to become entrepreneurs of collective action in working-class suburbs.
  • Servir l'entreprise pour mieux défendre les salarié·es ? : Les formes plurielles du syndicalisme d'entreprise dans une multinationale d'articles de sport - Maxime Quijoux, Karel Yon p. 48-69 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    À partir d'une enquête menée au sein de l'entreprise Decathlon, acteur de la distribution d'articles de sport en France et dans le monde, cet article propose d'éclairer les contours d'un style spécifique de syndicalisme que nous appelons syndicalisme d'entreprise. Ce type de syndicalisme se configure au croisement des dispositifs institutionnels qui font la promotion du dialogue social d'entreprise et des dispositions légitimistes des salarié·es qui investissent les rôles de représentant·es du personnel. Comment le syndicalisme d'entreprise se développe-t-il ? Quelles valeurs défend-il et à quels usages se prête-t-il ? Implique-t-il l'absence de toute forme de conflictualité au travail ? Pour répondre à ces questions, l'enquête s'appuie sur un matériau (entretiens, observations, documents) accumulé dans le cadre d'un projet de recherche collectif portant sur les formes de citoyenneté au travail. Des entretiens menés avec une trentaine de responsables syndicaux et de représentant·es du personnel, affilié·es à divers syndicats (CFTC, UNSA, CFDT et CGT) ou sans étiquette, nous permettent en particulier de saisir certains ressorts, peu étudiés à ce jour, de ce phénomène : l'existence d'une allégeance salariale au projet d'entreprise.
    Based on an investigation carried out at Decathlon, a major retail store distributing sporting goods in France and worldwide, this article sheds light on a specific style of trade unionism that we call company trade unionism. This type of unionism takes shape at the crossroads of institutional arrangements promoting social dialogue at company level and the legitimist attitudes of employees who take on the role of employee representatives. How does company unionism develop? What values does it defend, and to what uses does it lend itself? Does it imply the absence of any form of conflict in the workplace? To answer these questions, the investigation draws on material (interviews, observations, documents) gathered as part of a collective research project on forms of citizenship at work. Interviews with some thirty union officials and employee representatives, affiliated to various trade unions (CFTC, UNSA, CFDT and CGT) or unaffiliated, enable us in particular to grasp certain factors, little studied to date, of this phenomenon: the existence of employees' allegiance to the corporate project.
  • Une finance pour le peuple : Politique de la technique de gestion indicielle aux États-Unis - Sabine Montagne p. 70-91 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article montre comment les gérants d'actifs financiers ont travaillé, depuis les années 1960, à donner l'impression qu'ils oeuvraient à établir une finance « raisonnable ». Pour ce faire, il retrace l'histoire politique d'une nouvelle technique de placement de l'épargne : la gestion indicielle. Il décrit les étapes au cours desquelles les promoteurs de cette technique se sont forgés un capital symbolique en se positionnant en un sous-champ financier soucieux de sécuriser l'épargne populaire. Cet espace social a constitué une sorte de « main gauche de la finance », opposée à la « main droite », celle du pôle formé par les agents les plus ouvertement spéculateurs. L'article analyse trois processus de persuasion qui ont façonné un tel clivage : la théorisation universitaire de la technique de gestion indicielle à partir des années 1960, sa légalisation juridique dans la décennie 1970, puis sa promotion médiatique à partir des années 1990. Les formes différentes d'autorité symbolique ainsi mobilisées ont joué de manière complémentaire et cumulative pour accréditer l'idée que ce sous-champ était capable de piloter le capitalisme dans son ensemble. La perspective d'histoire économique développée ici sur plus de soixante ans montre que les défenseurs de l'indiciel se sont toutefois accommodés des pratiques de leurs adversaires spéculateurs et, plus généralement, de la financiarisation des structures de l'économie. La polarisation que ces agents et institutions ont construite entre finance raisonnable et finance spéculative leur permet aujourd'hui de se présenter en alternative critique d'un ordre financier qu'ils ont pourtant contribué à faire advenir et dont ils sont devenus des instances centrales.
    This article shows how, since the 1960s, asset managers have worked to create the impression that they are working to establish “reasonable” finance. To do so, it traces the political history of a new savings investment technique: index management. It describes the stages during which the promoters of this technique forged symbolic capital by positioning themselves in a financial sub-field concerned with securing popular savings. This social space constituted a kind of “left hand of finance”, opposed to the “right hand” of the pole formed by the most openly speculative agents. This article analyzes three processes of persuasion that have shaped such a cleavage: the academic theorization of the index management technique from the 1960s onwards, its legalization in the 1970s, and then its promotion since the 1990s. The different forms of symbolic authority thus mobilized played a complementary and cumulative role in lending credence to the idea that this sub-field was capable of steering capitalism as a whole. The perspective of economic history developed here over more than sixty years shows that the defenders of indexing nevertheless accommodated the practices of their speculative opponents and, more generally, the financialization of economic structures. The polarization that these agents and institutions have built up between reasonable and speculative finance enables them to present themselves today as a critical alternative to a financial order that they have helped to bring about and of which they have become central players.