Contenu du sommaire : Les migrants face aux frontières
Revue | Migrations société |
---|---|
Numéro | vol. 36, no 196, avril-juin 2024 |
Titre du numéro | Les migrants face aux frontières |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
Éditorial
Les migrants face aux frontières
- Expériences et approches critiques de la frontière - Antoine Pécoud, Émeline Zougbédé p. 13-24 Cet article, qui introduit le dossier thématique consacré au lien entre migrations et frontières, propose une vue d'ensemble de cette relation. Pour ce faire, il insiste à la fois sur son caractère structurel (les migrations internationales impliquant par définition le franchissement de frontières, celles-ci sont au cœur même du phénomène migratoire et sont devenues le lieu par excellence de leur manifestation dans l'espace public) et sur sa nature construite (les frontières jouent un rôle structurant dans un grand nombre de domaines, mais leur fonction dans ces derniers est invisibilisée par l'hypervisibilité des migrants à la frontière). Cette introduction invite en outre à replacer cette relation dans une perspective historique afin de la contextualiser, et propose enfin un tour d'horizon des principaux articles réunis dans ce dossier.
- La migration dans l'étau des enjeux sécuritaire et militaire - Damien Simonneau p. 25-42 Au cours des dernières décennies, le contrôle migratoire a été érigé en impératif par de nombreux États. Le contrôle des frontières s'est institutionnalisé, relevant aujourd'hui d'un prêt-à-penser : il est considéré comme un facteur de sécurité par les uns, et critiqué car jugé inefficace et attentatoire aux droits par les autres. Aux frontières européennes en particulier, la question migratoire est de plus en plus assimilée à une situation de guerre et de protection du territoire afin de légitimer des dispositifs militaires. Depuis longtemps, les sciences sociales se sont emparées de l'amalgame qui est fait sur le plan politique entre migration, sécurité et guerre. Cette contribution aborde le contrôle migratoire sous l'angle du militarisme, ici entendu comme la tendance à réduire les questions sociale et politique à une dimension militaire. Une telle analyse paraît fructueuse pour penser la dépolitisation de plus en plus marquée, l'érosion des normes de protection internationale et la déshumanisation croissante des enjeux migratoires.
- Frontières et « crise de l'accueil » : les pratiques de solidarité envers les migrants à la frontière entre la France et l'Italie - Luca Giliberti p. 43-58 Dans le cadre de la « crise de l'accueil » observée en Europe au cours des dernières années, la frontière s'est imposée comme un élément crucial dans l'analyse de la mobilité vers l'Union européenne et en son sein. La frontière, tant extérieure qu'intérieure, en tant qu'espace militarisé et de refoulements — une situation que certains auteurs ont définie comme une forme de « spectacle » — devient en même temps un lieu propice aux pratiques mises en œuvre « par le bas », c'est-à-dire par les populations européennes désireuses de soutenir les migrants sans papiers en transit sur leur territoire. Ces pratiques donnent à voir un autre type de « spectacle de la frontière », lequel coexiste souvent sur un même territoire avec des positions hostiles au passage des migrants. La « solidarité », phénomène hétérogène qui témoigne d'une Europe « d'en bas » qui s'oppose au « prohibitionnisme migratoire » institutionnel, devient le protagoniste du champ de bataille qui prend forme dans les espaces frontaliers et commence à être analysé au sein d'une littérature spécifique, que l'on désigne en anglais par l'expression « Solidarity Studies ». Cette contribution analyse, à partir d'une méthodologie ethnographique, le phénomène de la solidarité aux frontières européennes en se concentrant sur le cas de la frontière intérieure entre la France et l'Italie.
- Le genre dans l'étude des frontières - Jane Freedman, Alice Latouche, Adelina Miranda, Nina Sahraoui, Glenda Santana de Andrade, Elsa Tyszler p. 59-73 Cette contribution propose une approche intersectionnelle des frontières en examinant comment les dynamiques de genre, de classe et de race, notamment, modifient la manière dont les individus franchissent les frontières internationales, et comment les frontières internes (sociales, administratives, symboliques), bien qu'immatérielles, affectent les expériences des personnes migrantes. Cet article s'appuie sur les recherches présentées dans le livre The Gender of Borders. Embodied Narratives of Migration, Violence and Agency (Routledge, 2023). L'article souligne la nécessité d'une recherche empirique approfondie et « incarnée » pour déceler les rapports de pouvoir qui façonnent les frontières contemporaines. Le texte met en lumière les inégalités et les violences genrées produites par les régimes migratoires contemporains, mais aussi les formes de résistance qui leur sont opposées. Nous nous proposons également de déconstruire plusieurs figures genrées de la migration que les espaces frontaliers cristallisent. Enfin, nous nous intéressons à ce que les politiques d'aide aux personnes dites « vulnérables » produisent au croisement des rapports de genre et des régimes de migration et d'asile.
- « Effets de frontière », circulations et reconfigurations locales : regards croisés à partir « des Suds » - Florence Boyer, Laurent Faret, Françoise Lestage, María Dolores París Pombo p. 75-89 Cet article propose une analyse des processus sociopolitiques que nous désignons comme des « effets de frontière ». Ces derniers englobent la concentration de dispositifs de surveillance et de contrôle des flux migratoires, de lois ou de règlements visant à entraver, classer ou filtrer divers types de mobilité, ainsi que l'établissement d'infrastructures destinées à confiner les migrants et les réfugiés, telles que les camps, les centres de rétention ou de tri ( « hotspots »). Notre objectif est d'explorer la reconfiguration des rapports de pouvoir à différentes échelles et les enjeux locaux liés aux questions migratoires dans deux ensembles sous-régionaux : le nord de l'Amérique latine (du sud du Panama au nord du Mexique) et l'espace ouest-africain (du golfe de Guinée au sud du Maghreb). Pour ce faire, nous analysons les « effets de frontière » résultant des politiques migratoires de blocage et de tri dans ces régions « des Suds », ainsi que les stratégies déployées par les migrants qui font face au prolongement de l'attente dans des lieux qui s'étendent sur toute la trajectoire et à la fragmentation de leurs itinéraires.
- Cartographier les trajectoires de migrants qualifiés : une approche réticulaire et narrative de l'exil - Pascale Laborier, Malena Bastias Sekulovic, Ioan Suhov p. 91-104 Cet article montre comment, en matière de représentation cartographique des migrations, une approche réticulaire des trajectoires d'exil permet de renouveler les cadres d'analyse. Il présente des techniques innovantes mises en œuvre dans le cadre du projet de recherche Géo-Récits, comprendre l'exil, développé avec le soutien de l'Institut convergences migrations, qui est un vaste outil collaboratif, visant à collecter et analyser à partir d'une plateforme dédiée des données sur les trajectoires de migrants hautement qualifiés, en particulier dans des contextes d'exil forcé. En s'appuyant sur la « cartographie narrative » interactive, la plateforme permet de visualiser les parcours migratoires de scientifiques, d'universitaires, d'étudiants, d'artistes et d'autres professionnels diplômés contraints de quitter leur pays en raison de conflits ou de régimes autoritaires. Cet article montre comment cet outil novateur des humanités numériques permet d'explorer les circulations, les ruptures et les stratégies d'insertion professionnelle de ces migrants hautement qualifiés, tout en interrogeant les frontières dans leurs dimensions spatiales et temporelles. À travers l'analyse de trajectoires d'exil concernant différentes régions et périodes historiques, le projet Géo-Récits ouvre de nouvelles perspectives pour saisir la complexité des migrations hautement qualifiées et enrichir les connaissances sur l'exil contemporain.
- Bibliographie sélective - p. 105-108
- Expériences et approches critiques de la frontière - Antoine Pécoud, Émeline Zougbédé p. 13-24
Varia
- Mourir de la guerre ou de la Covid-19 : représentations du risque chez des Syriens de la région Grand-Est - Anaïk Pian, Victoria Brotto p. 111-126 L'article interroge les représentations du risque de mourir de la Covid-19 parmi des réfugiés et des demandeurs d'asile syriens arrivés dans la région Grand-Est quelques mois ou années avant le début de la pandémie. Il apporte un éclairage sur les processus de catégorisation et de hiérarchisation du risque dans un double contexte d'exil et de crise sanitaire. La première partie de l'article apporte des précisions méthodologiques sur la démarche d'enquête : ces éléments de contextualisation sont importants pour resituer les conditions de production des discours recueillis où, de manière typologique, deux visions s'opposent quant au risque de mourir de la Covid-19. La deuxième partie rend compte d'un positionnement marqué par une forte minimisation du risque de mourir de la Covid-19, au regard d'autres types de danger antérieurement encourus. La troisième partie met l'accent sur une posture inversée qui maximise le risque de mourir de la Covid-19, au point de considérer la mort comme inéluctable en cas de contamination. L'entrée par l'approche socioculturelle du risque permet alors d'éclairer tant l'expérience de la crise sanitaire en contexte d'exil que l'expérience de l'exil en contexte de crise sanitaire.
- Mourir de la guerre ou de la Covid-19 : représentations du risque chez des Syriens de la région Grand-Est - Anaïk Pian, Victoria Brotto p. 111-126
Note de lecture
Nouveautés documentaires du CIEMI
- Nouveautés documentaires du CIEMI - p. 133