Contenu du sommaire : Maladies professionnelles. Conflits du travail, conflits politiques. Amateurs et professionnels au musée.
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Le Mouvement social ![]() |
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Numéro | no 286, janvier-mars 2024 |
Titre du numéro | Maladies professionnelles. Conflits du travail, conflits politiques. Amateurs et professionnels au musée. |
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- Santé ouvrière et maux du travail, où en est l'histoire sociale ? - Judith Rainhorn p. 3-24
Maladies professionnelles
- Des dirigeants comme les autres ? : Surmenage et construction du métier de permanent à la CFTC et au PCF dans les années 1960 - Paul Boulland p. 25-52 Cet article examine l'appropriation au sein de la CFTC et du PCF du thème du surmenage des dirigeants, emprunté à la littérature consacrée à la santé des élites économiques des années 1950-1960. Après avoir reconstitué la trajectoire internationale de ce discours, entre médecine et sphères patronales, il détaille sa mobilisation auprès des permanents CFTC par le Dr Wisner, au début des années 1960. Les réactions des militants, extraites des archives, sont mises en perspective avec leurs trajectoires sociales, reconstituées à partir de diverses sources. La même réflexion traverse l'appareil du PCF qui à certains égards présente une situation interne analogue à la confédération chrétienne. Dans les deux cas, le détour par la santé rend dicibles certaines souffrances du statut de permanent. Il permet de mettre à distance le registre sacrificiel, pour mieux valoriser un modèle professionnel du métier de permanent, qui assume une forme d'homologie avec les élites sociales ou économiques.This paper examines how the CFTC labour union and the French Communist Party (PCF) took up the topic of managerial overwork, a theme borrowed from the literature on the health of economic elites in the 1950s and 1960s. After reconstructing the international trajectory of this discourse, which lay partway between the medical sector and employers' milieus, the paper describes how Dr Wisner leveraged this discourse with the CFTC permanent staff in the early 1960s. The reactions of the activists, as recorded in the archives, are interpreted in the light of their social trajectories, reconstructed from various sources. The same reflection was taking place within the PCF apparatus, which in some respects faced a similar internal situation to the CFTC. In both cases, the emphasis on health enabled staff members to express some of the suffering inherent to their status as permanent staff. It allowed them to distance themselves from a message of self-sacrifice in order to give greater value to their professional status as permanent staff, in some ways homologous to the social or economic elites.
- La raison populationnelle : L'Institut universitaire de pathologie professionnelle de Lyon dans le « tournant épidémiologique » de la santé au travail (1950-2020) - Sylvain Brunier, Jean-Noël Jouzel, Giovanni Prete p. 53-72 En France, l'intensification des recherches visant à objectiver les effets du travail sur la santé ces trente dernières années a été parfois qualifiée de « tournant épidémiologique ». Cet article montre que ce « tournant » est en réalité un long processus, produit de l'investissement de multiples acteurs, et non la conséquence directe des scandales sanitaires qui ont émaillé les politiques de santé depuis les années 1990. Nous analysons l'évolution des recherches menées dans les Instituts universitaires de médecine du travail (IUMT), institutions centrales de l'étude des pathologies professionnelles au cours du xx e siècle. À partir du cas de l'IUMT de Lyon, l'article décrit la lente conversion des médecins hospitalo-universitaires de pathologies professionnelles à une approche populationnelle. Il souligne que leurs recherches se sont progressivement détachées des enjeux locaux de la prévention des risques professionnels mais sont restées en marge des dispositifs de surveillance sanitaire.In France, the increased research focus on the effects of work on health over the last thirty years has sometimes been described as the “epidemiological turn”. This paper shows that this “turn” is in fact a long process, the result of efforts by a wide range of players, and not the direct consequence of the health scandals that marred health policies in the 1990s. We analyse the development of research carried out at the Instituts universitaires de médecine du travail (university institutes of occupational pathology, or IUMT), which were central to the study of occupational pathologies during the twentieth century. Based on the case of the Lyon IUMT, this paper describes how university hospital physicians slowly shifted from an occupational pathology approach to a population approach. It highlights the fact that their research gradually became detached from local occupational risk prevention issues, but remained on the fringes of health surveillance systems.
- Des inventeurs au secours des ouvriers ? : Le prix Montyon des Arts insalubres (1782-1871) - Sébastien Thobie p. 73-94 À la fin du xviii e siècle est créé à l'Académie des sciences le prix des Arts insalubres, concours singulier dans la galaxie des prix académiques, qui récompense les inventeurs contribuant à améliorer les conditions de travail des ouvriers. Interrompu à la Révolution mais reprenant en 1825, celui qui s'appelle désormais le prix Montyon des Arts insalubres constitue un creuset original où l'on retrouve médecins, chimistes, manufacturiers ou ingénieurs. Se voulant concrète, l'Académie récompense uniquement des inventions pouvant être appliquées dans l'industrie. Elle convoque donc une figure particulière, celle de l'inventeur. Cet article s'intéresse au profil de ces derniers, à leur vision de ce qu'est l'insalubrité et à leur présentation de soi dans les lettres de candidature. Si, dans un premier temps, les médecins hygiénistes sont nombreux à candidater, ils sont supplantés à partir du milieu des années 1830 par des hommes issus du monde de la technique, avant de s'intéresser à nouveau à ce prix. Tous partagent une même foi positiviste en la science, et se placent souvent dans une démarche philanthropique faisant du progrès technique l'auxiliaire de l'ouvrier.At the end of the eighteenth century, the French Académie des Sciences created the Prix des Arts Insalubres, a unique competition in the universe of academic prizes, which rewarded inventors who helped improve working conditions for workers. Interrupted during the Revolution but resumed in 1825, the competition, renamed the Montyon Prize for Insalubrious Arts, was an original melting pot of doctors, chemists, manufacturers and engineers. The Academy's aim was to be practical, and it only rewarded inventions that could be used in industry. It therefore conjured up a special figure, that of the inventor. This paper looks at the profile of inventors, their view of what “insalubrity” meant, and how they presented themselves in their candidacy letters. Initially, a large number of applicants were physicians working in public health, but from the mid-1830s onwards, they were supplanted by men from the field of technology, before once again taking an interest in the prize. They all shared a positivist faith in science, and often took a philanthropic approach that saw technical progress as a way of helping workers.
- Des dirigeants comme les autres ? : Surmenage et construction du métier de permanent à la CFTC et au PCF dans les années 1960 - Paul Boulland p. 25-52
Conflits du travail, conflits politiques
- La grève des cheminots éthiopiens en 1949 : d'une domination, l'autre - Simon Imbert-Vier p. 95-110 En août 1949, une grève des ouvriers éthiopiens du chemin de fer franco-éthiopien de Djibouti à Addis-Abeba est motivée par des revendications salariales, mais aussi la dénonciation de discriminations internes à la compagnie inspirées de pratiques coloniales dans un pays pourtant resté indépendant. Ce mouvement social s'inscrit dans un contexte où se mélangent une domination semi-coloniale en déclin, une affirmation d'indépendance nationale qui passe par la maîtrise du commerce extérieur du pays et des revendications sociales et politiques d'ouvriers exploités et discriminés. Son échec renvoie les travailleurs à leur statut de classe et nous informe sur la situation ouvrière en Éthiopie. Il donne également l'occasion au gouvernement éthiopien d'affirmer sa souveraineté sur son territoire, après une décennie d'occupations étrangères, et marque un pas vers l'« éthiopianisation » de la ligne.In August 1949, a strike by Ethiopian workers on the Franco-Ethiopian railway from Djibouti to Addis Ababa was motivated by wage demands, but also by the denunciation of discrimination within the company inspired by colonial practices in a country that had remained independent. This social movement took place against a backdrop of declining semi-colonial domination, the assertion of national independence through control of the country's foreign trade, and the labour and political demands of workers who had been exploited and discriminated against. The movement's failure relegated the workers to their class status and gives us insight into the situation of workers in Ethiopia. It also gave the Ethiopian government the opportunity to assert its sovereignty, after a decade of foreign occupation, and marked a step towards the “Ethiopianisation” of the line.
- Les anarcho-syndicalistes allemands et le droit du travail sous la République de Weimar - Xavier Bougarel p. 111-126 Sous la République de Weimar, l'anarcho-syndicalisme allemand connaît un développement important dans les années 1918-1921, avant de décliner rapidement au cours des années suivantes. Parmi les causes de ce déclin figurent ses difficultés à se positionner face à l'institutionnalisation progressive des relations professionnelles (conventions collectives, conseils d'entreprise). Peu à peu, les anarcho-syndicalistes allemands s'efforcent d'adapter leurs pratiques syndicales à ce nouvel environnement, mais perdent en même temps leur implantation dans les entreprises, ce qui réduit l'impact de ce tournant stratégique. Le cas des anarcho-syndicalistes allemands permet donc de mieux comprendre le déclin, dans la plupart des pays européens, d'un courant syndical qui avait connu son heure de gloire à la fin du xix e siècle et au début du xx e.Under the Weimar Republic, German anarcho-syndicalism experienced significant growth in 1918-1921, before declining rapidly thereafter. One of the reasons for this decline was the movement's difficulty in positioning itself in the face of the gradual institutionalisation of industrial relations (collective agreements, works councils). Little by little, German anarcho-syndicalists tried to adapt their trade union practices to this new environment, but at the same time lost their foothold in companies, which reduced the impact of this strategic shift. The case of the German anarcho-syndicalists therefore provides a better understanding of the decline, in most European countries, of a trade union movement that had lived its moment of glory in the late nineteenth and early twentieth century.
- La grève des cheminots éthiopiens en 1949 : d'une domination, l'autre - Simon Imbert-Vier p. 95-110
Amateurs et professionnels au musée
- À la périphérie des salons : amateurs et professionnels au musée d'Art moderne de Paris (1960-1975) - Hadrien Viraben p. 127-142 En 1971, la plupart des salons d'amateurs dits « corporatifs » sont contraints de quitter le musée d'Art moderne de Paris, qui accueillait jusqu'alors leur exposition annuelle. Cette décision est le fruit d'une négociation entre l'autorité préfectorale et les représentants des salons professionnels, qui défendent alors leur propre place, de plus en plus précaire, au sein du musée. L'analyse de ce processus d'exclusion met au jour un travail de frontière qui a lieu à une périphérie des espaces d'exposition, et qui combine une logique de ségrégation des amateurs à une logique, fragile, de représentation des professionnels. À travers l'ancrage dans la question des amateurs, l'objectif est aussi de souligner la valeur heuristique de ce problème pour l'histoire sociale du métier d'artiste, dont l'amateur est partie prenante tout au long de l'époque contemporaine.In 1971, most of the so-called “guild” amateur art fairs were forced out of the Paris Musée d'Art Moderne, which until then had hosted their annual exhibitions. This decision was the result of negotiations between the prefectural authorities and representatives of the professional art fairs, who were defending their own increasingly precarious position within the museum. An analysis of this process of exclusion reveals a “frontier work” that takes place on the periphery of the exhibition spaces, combining a rationale of segregation for amateur artists with a fragile rationale of representation of professional artists. By focusing on the issue of amateurs, the aim is also to emphasise the heuristic value of this problem for the social history of the artist's profession, in which the amateur has been an integral part throughout the contemporary period.
- À la périphérie des salons : amateurs et professionnels au musée d'Art moderne de Paris (1960-1975) - Hadrien Viraben p. 127-142
Notes de lecture
- Notes de lecture - Sylvia Chiffoleau, Claire Fredj, Nicolas Elias... p. 143-184
- Benoît Pouget, Un choc de circulations. La puissance navale française face au choléra en Méditerranée, 1831-1856, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Histoire », 2020, 354 p. Préface d'Anne Rasmussen. - Sylvia Chiffoleau
- Nicolas Cadet, Combattre la pandémie : les médecins et l'État face au choléra de 1832, Paris, Vendémiaire, « Chroniques », 2022, 413 p. - Claire Fredj
- Kostis Gkotsinas, Poisons sociaux. Histoire des stupéfiants en Grèce (1875-1950), Athènes, École française d'Athènes, « Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome », 2022, 380 p. - Nicolas Elias
- Delphine Berdah, Abattre ou vacciner. La France et le Royaume-Uni en lutte contre la tuberculose et la fièvre aphteuse (1900-1960), Paris, Éditions de l'EHESS, « En temps et lieux », 2018, 344 p. - Marion Thomas
- Louis-Adolphe Bertillon, Écrits sur la mortalité (1855-1877), Alain Chenu (éd.), Paris, INED Éditions, « Classiques de l'économie et de la population », 2023, 696 p. - Laurent Heyberger
- Anne Carol, La mise en pièces de Gambetta. Autopsie d'un corps politique, Grenoble, Éditions Jérôme Millon, « Mémoires du corps », 2022, 320 p. - Martin Robert
- Christian Chevandier, Mémoires d'une tragédie. Les policiers du 13 novembre 2015, Paris, Robert Laffont, 2022, 318 p. - Jonas Campion
- Michel Pigenet, L'État contre les syndicalistes ?, Nancy, Arbre bleu-IHS, « Repères », 2023, 123 p. - Ingrid Hayes
- Jean-Joseph Chevalier, Bleus, rouges, blancs. Histoire du mouvement ouvrier choletais (1870-1914), La Crèche, La Geste, « Témoignage », 2021, 497 p. - Michel Pigenet
- Ahmed White, Under the Iron Heel. The Wooblies and the Capitalist War on Radical Workers, Oakland, University of California Press, 2022, 349 p. - Danielle Tartakowsky
- Jean Charles, Naissance et implantation de la Confédération générale du travail unitaire (1918-1927), M. Poggioli et J. Vigreux (éd.), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, « Annales littéraires. Historiques », 2023, 346 p. - Paul Boulland
- Séveric Yersin, Willi Gautschi et la grève générale de 1918. Un historien et son œuvre en contexte, Lausanne, Antipodes, « Histoire et sociétés contemporaines », 2023, 264 p. Préface de Malik Mazbouri. - Frédéric Deshusses
- Sophie Béroud, Anne Dufresne, Corinne Gobin et Marc Zune (dir.), Sur le terrain avec les Gilets jaunes. Approche interdisciplinaire du mouvement en France et en Belgique, Lyon, Presses universitaires de Lyon, « Actions collectives », 2022, 296 p. - Pierre Blavier
- Henri Eckert, La communauté disloquée. Essai sur le déclin d'une vallée industrielle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Res Publica », 2023, 154 p. - Romain Castellesi
- Enzo Traverso, Révolution. Une histoire culturelle, traduit de l'anglais par Damien Tissot, Paris, La Découverte, 2022, 462 p. - Gilles Candar
- Aaron S. Lecklider, Love's Next Meeting. The Forgotten History of Homosexuality and the Left in American Culture, Oakland, University of California Press, 2023, 376 p. - Hugo Bouvard
- Notes de lecture - Sylvia Chiffoleau, Claire Fredj, Nicolas Elias... p. 143-184
- Livres reçus - p. 185-186