Contenu du sommaire : Gabon: corps politiques et coup d`État
Revue |
Politique africaine ![]() |
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Numéro | no 174, 2024/2 |
Titre du numéro | Gabon: corps politiques et coup d`État |
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- Pages de début - p. 2-4
Le dossier
- Gabon : corps politiques et coup d'État : Présentation du dossier par la rédaction de Politique africaine - Florence Bernault, Joseph Tonda p. 5-7
- Le prince paresseux et le potentat conservateur. Ali Bongo, Clotaire Oligui Nguema et le coup d'État au Gabon - Joseph Tonda, Florence Bernault p. 9-27 Cet article replace le coup d'État au Gabon dans l'épaisseur de dynamiques historiques et sociologiques longues. Contre Ali le « prince paresseux », le général Oligui Nguema et ses alliés ont défini le coup comme une « restauration » plutôt que comme une révolution. Nous avançons qu'il est intervenu dans la continuité des « ethno-patriotismes » qui ont surgi en Afrique au moment des indépendances en s'appuyant sur la restauration d'un ordre moral masculiniste, chrétien et national. La recomposition politique entamée par le général sur le modèle de « l'État familial » d'Omar Bongo renforce le rôle d'Oligui Nguema en tant que « potentat conservateur » basé sur la vieille tradition équatoriale et sur des modes de gouvernance (post)coloniaux. Nous montrons enfin que le corps, le sang et le sexe demeurent les métaphores essentielles du pouvoir au Gabon.This article analyzes the 2023 coup in Gabon to the backdrop of longer historical and sociological dynamics. Against “the lazy Prince” (aka Ali Bongo), General Oligui Nguema defined the coup as a “restoration” rather than a revolution. We argue that the initiative belongs in the enduring “ethno-patriotisms” that emerged after independence in Africa : promoted by ethnic elders, these movements sought to control the youth, women, and religious orthodoxy. Oligui Nguema's early reforms, following Omar Bongo's model of the “family-state”, have reinforced his role as a “conservative autocrat” deriving his governing tactics both from the older Equatorial tradition and from (post)colonial governance. In conclusion, the article explores the body, blood, and sex as enduring metaphors for power in Gabon.
- De la suffocation comme mode d'existence. Pouvoir et bio-fétichisme du corps au Gabon - Florence Bernault p. 29-48 Cet article examine le sens du surgissement lexical de la respiration dans la rue gabonaise au moment du coup d'État de 2023. Analysant ce répertoire sous l'angle de la dégradation des conditions de vie sous le régime d'Omar puis d'Ali Bongo, il interroge ensuite notre méconnaissance des biopolitiques populaires, c'est-à-dire comment les gens parlent de politique avec le corps, en utilisant, ou non, le langage et les philosophies des modes de gouvernance biopolitiques imposés dans la région depuis l'ère coloniale et retravaillées ensuite. Enfin, il relie le sens de cette métaphore aux imaginaires globaux nés pendant le Covid-19 et après le meurtre de George Floyd, tout en le connectant aux anciennes cosmologies transactionnelles du « blocage » et de la circulation du pouvoir en Afrique centrale.In this article, I examine the lexical emergence of the metaphor of “breathing” and “suffocating” after the 2023 coup d'état in Gabon. After looking at the deterioration of living conditions under Omar, then Ali Bongo, I point at how which scholars have failed to study the ways in which popular imaginaries did, or did not, re-appropriate the languages and philosophies of biopolitical modes of governance imposed by colonialists since the late nineteenth century. Finally, I historicize the metaphor by showing how it refers both to the global imaginaries born during covid-19 and after the murder of George Floyd, and to ancient transactional cosmologies of power in Central Africa.
- Contrôle du corps malade d'Ali Bongo et déliquescence du pouvoir : le coup d'État comme reconsolidation du régime Bongo - Placide Ondo p. 49-67 Cet article tente d'apporter des éléments de compréhension au coup d'État du 30 août 2023 au Gabon. À partir de matériaux collectés par l'observation à Libreville, et surtout à travers les médias officiels, la presse d'opinion et les réseaux, il montre que le décès d'Omar Bongo a affaibli les liens inter et intrafamiliaux qui constituaient un dispositif majeur de son pouvoir. Cette situation a favorisé la confiscation du pouvoir par le clan Bongo Valentin, suite à l'AVC d'Ali Bongo, avec l'ambition d'instituer une nouvelle dynastie. Pour y parvenir, il faut neutraliser tous ceux qui pourraient représenter un contre-pouvoir : la fratrie, les autres « grandes familles », les adversaires politiques et la société civile. Cette situation a provoqué la déliquescence de l'État et exacerbé le ressentiment à l'encontre du pouvoir d'Ali Bongo. L'intervention de l'armée s'apparente alors à une « libération nationale », en même temps qu'elle vient restaurer le patrimonialisme qui est au fondement du régime Bongo.This article is an attempt to provide elements for understanding the coup d'État in Gabon on 30 August 2023. It uses materials collected through observation in Libreville, especially through the official media, the opinion press and networks to show that the death of Omar Bongo weakened the inter- and intra-family links that was a major feature of his power. This situation favored the confiscation of power by the Bongo Valentin clan following Ali Bongo's stroke with the aim of establishing a new dynasty. To achieve this, it was necessary to neutralise anyone who might constitute an opposing power : siblings, the other “big families”, political adversaries and civil society. This situation caused the collapse of the state and exacerbated resentment against the power of Ali Bongo. The intervention of the army therefore appeared to be a “national liberation” at the same time as it restored the patrimonialism that was the foundation of the Bongo regime.
- Sodomythes, homosexualité et valeur de la vie. Les limites de la « restauration de la dignité » au lendemain du coup d'État au Gabon - Mahéba Tonda p. 69-88 La notion de sodomythes définie ici permet de saisir l'homophobie telle qu'elle s'exprime à Libreville après le coup d'État et les accusations de pédérastie visant le régime déchu. Réduisant les homosexuels au mythe de leur béance anale menaçant l'ordre social et le « développement » du pays, ces discours insistent sur la re-pénalisation de l'homosexualité, dans la perspective de « restauration de la dignité » annoncée par les militaires. L'analyse montre pourtant que cette position est le pendant de celle qu'elle incrimine, c'est-à-dire d'un pouvoir qui aurait valorisé l'homosexualité pour plaire à l'Occident, de telle sorte que toutes les deux traduisent la violence inscrite dans la définition sociale de la valeur de la vie des homosexuels, et illustrent la manière dont opère, dans ce contexte, la logique de la « valeur-dissociation » capitaliste.The notion of sodomyths defined here allows us to understand homophobia in the way it was expressed in Libreville after the coup d'État, and the accusations of pederasty aimed at the fallen regime. These discourses reduce homosexuals to the status of loose anuses that threaten the social order and the “development” of the country, and stress the re-criminalization of homosexuality, from the perspective of the “restoration of dignity” announced by the military. An analysis reveals, however, that this position is actually the counterpart of what it is incriminating – that is, a power that would have given value to homosexuality to please the West – in such a way that both translate the violence inscribed in the social definition of the value of homosexual lif, and illustrate how the logic of capitalist “value dissociation” operates in this context.
- Kounabélisme, culture et coup d'État. Économies morales et technologies politiques de la musique au Gabon - Alice Aterianus-Owanga p. 89-112 Au Gabon, la notion de kounabélisme désigne un mécanisme d'assujettissement des corps, des productions culturelles et des discours aux volontés des élites dirigeantes, en contrepartie de l'inclusion dans les sphères du pouvoir et de l'accès à ses circuits de redistribution clientéliste. Élaboré en référence au nom du groupe d'animation culturel de l'ancienne première dame du Gabon (Kounabéli), ce terme s'est largement répandu durant et après l'élection d'août 2023. Dans cet article, j'interroge les discussions développées autour du kounabélisme comme des poches de débat à propos de la citoyenneté, de la participation politique et des économies morales en temps de crise. Je réfléchis notamment aux économies morales du pillage et de la « fiscalité » imaginées par les artistes du genre musical ntcham, principaux accusés de kounabélisme durant l'élection d'août 2023.In Gabon, the concept of “kounabélisme” refers to a mechanism by which bodies, cultural productions, and discourses are subjected to the desires of the ruling elites in exchange for being included in the spheres of power and access to its clientelist redistribution networks. The term, which was named after the cultural animation group of the former First Lady of Gabon (Kounabéli), became widely used during and after the August 2023 election. In this article, I examine the discussions surrounding kounabélisme as topics of debate on citizenship, political participation, and moral economies in times of crisis. In particular, I reflect on the moral economies of looting and “taxation” as imagined by artists from the ntcham musical genre, who were the group that was most frequently accused of kounabelism during the August 2023 election.
- Usages et mésusages du droit au Gabon depuis le magistère d'Ali Bongo Ondimba - Augustin Emane p. 113-129 Le coup d'État du 30 août 2023, qui a mis fin à la fois à un processus électoral « tronqué » et à un régime en place depuis 56 ans, est, d'un point de vue juridique, un acte illégal. Si cette prise de pouvoir par la force a été dénoncée et condamnée par différentes institutions et partenaires du Gabon, l'opinion publique nationale l'a plutôt plébiscitée. Pour comprendre ce paradoxe, il faut s'arrêter sur ce que cet événement a donné à voir. Vu de l'extérieur, le Gabon présentait la façade formelle d'un État de droit, alors que l'intérieur de l'édifice, à l'abri des regards, donnait lieu à toutes les manipulations possibles et imaginables du droit.From a legal point of view, the coup d'État of 30 August 2023, which put an end to both a “faked” electoral process and a regime that had been in power for 56 years, was an illegal act. While the seizure of power was denounced and condemned by various institutions and partners of Gabon, public opinion in Gabon came out in favour of it. To understand this paradox, one needs to look closely at what the event revealed. Seen from the outside, Gabon presented the formal façade of a State governed by the rule of law, while inside the building, away from prying eyes, the law was a bused in every conceivable way.
- Gabon : corps politiques et coup d'État : Présentation du dossier par la rédaction de Politique africaine - Florence Bernault, Joseph Tonda p. 5-7
Recherches
- « Faire le pont entre la rue et le pouvoir » ou le difficile équilibre de l'engagement des artistes de zouglou en Côte d'Ivoire - Léo Montaz p. 131-155 Depuis le début des années 1990, les artistes de musique zouglou traversent les mouvements sociaux et les crises politiques en Côte d'Ivoire en s'affirmant comme « le pont entre la rue et le pouvoir ». Leur engagement interroge cependant par son ambiguïté lorsqu'une partie d'entre eux soutient ouvertement le régime en place durant la crise ivoirienne de 2002 à 2007 ou refuse de se prononcer face aux dérives du régime de Ouattara ces dernières années. En analysant les configurations successives des rapports entre industrie musicale, caste politique et contexte social des années 1990 à aujourd'hui, cet article tente de comprendre la manière dont s'arrange l'engagement artistique et montre que ce dernier est largement corrélé aux conditions de production et de distribution.Since the early 1990s, zouglou music artists have experienced social movements and political crises in Côte d'Ivoire by staking a claim to being “the bridge between the street and power”. However, the ambiguity of their commitment is called into question by the fact that some of them openly supported the regime in power during the Ivorian crisis of 2002-2007, while others refused to speak out against the excesses of Ouattara's regime in recent years. By analysing the successive configurations of the relationship between the music industry, the political caste and the social context from the 1990s to the present day, this article attempts to understand how artistic commitment is arranged, and shows that it broadly correlates with the conditions of production and distribution.
- Gouverner par les armes au Burkina Faso : militariser le pouvoir et milicianiser la société - Tanguy Quidelleur p. 157-181 Depuis le milieu des années 2010 et l'implantation de groupes armés se réclamant du djihad sur son territoire, le Burkina Faso a progressivement plongé dans la guerre. Surtout, en suivant la montée en intensité du conflit, les pouvoirs successifs ont massivement encouragé l'armement les civils pour suppléer les forces de défense et de sécurité, tandis que le pays connaissait une succession de coups d'État militaires. Cet article, basé sur des données récoltées entre 2017 et 2022, revient sur la genèse de ces dynamiques violentes et observe la manière dont la militarisation du pouvoir a interagi avec la milicianisation de la société. En effet, comme dans d'autres configurations, si l'État burkinabè se montre généralement incapable de protéger des villageois, il joue un rôle central dans la mise en armes des conflits. La coproduction de la violence, construite par des hommes en armes à l'intérieur et aux portes de l'État, doit alors être analysée comme une politique publique et un mode de gouvernement par la violence. Enfin, ces mobilisations paramilitaires et leurs soutiens politiques produisent aussi un ensemble de discours et d'imaginaires politiques qui infusent dans la société et recomposent les segments sociaux.Since the mid-2010s and the arrival of armed jihadist groups claiming jihad in its territory, Burkina Faso has gradually been plunged into war. Above all, following the outbreak and intensification of the conflict, successive governments have massively encouraged the arming of civilians to supplement the defence and security forces. Based on data collected between 2017 and 2022, this article reviews the genesis of these violent dynamics and analyses how the militarization of power has interacted with the militianisation of society. As in other cases, while the Burkinabe state is generally proving itself to be incapable of protecting villagers, it is playing a central role in arming the conflicts. The co-production of violence by armed men within and at the gates of the State, must therefore be analysed as a public policy and a mode of governance through violence. Finally, these paramilitary mobilisations and their political support produce a collection of discourses and political imaginaries that permeate society and redefine social segments.
- « Faire le pont entre la rue et le pouvoir » ou le difficile équilibre de l'engagement des artistes de zouglou en Côte d'Ivoire - Léo Montaz p. 131-155
Lectures
- Lectures des pétrocrates sénégalais face à la galaxie fossile - Olivier Vallée p. 183-190
- Kassanda (Alain) (écrit et réalisé par) Coconut Head Generation (France, Nigeria, 2023, 87 min) - Vincent Hiribarren p. 191-192
- Adenekan (Shola) African Literature in the Digital Age : Class and Sexual Politics in New Writing from Nigeria and Kenya, Woodbridge, James Currey, 2021, 224 pages - Elara Bertho p. 192-194
- Cogneau (Denis) Un empire bon marché. Histoire et économie politique de la colonisation française, xixe-xxie siècle, Paris, Seuil, 2023, 512 pages - Manuel Rolland p. 194-196
- Exposition. « Rwanda 1994. Traces du génocide des Tutsi », Nanterre, La Contemporaine, 14 mai-12 juillet 2024 - Mathilde Beaufils p. 196-198
- Pages de fin - p. 199-202
- Lectures des pétrocrates sénégalais face à la galaxie fossile - Olivier Vallée p. 183-190