Contenu du sommaire : Ce que l'art et la culture font aux organisations de santé : dialogue fertile et expériences troublantes

Le développement des projets artistiques et culturels dans les établissements de santé est soutenu depuis les années 1990 par une politique publique à la fois nationale et territoriale. Elle s'inscrit, à l'instar de bien d'autres domaines d'action publique, dans un dépassement des frontières sectorielles. Celui-ci s'appuie sur des instruments structurants que sont principalement l'appel à projets et des structures intermédiaires de coordination qui ont vu le jour dans plusieurs régions. L'analyse des effets de ces outils, autant sur les porteurs de projets que sur la construction partenariale entre collectivités, fait apparaître les obstacles à la construction transversale et à la redéfinition d'une action publique sur des bases territoriales et délibératives. L'appel à projets construit un cadrage cognitif qui forge un consensus sur les valeurs des projets culturels dans les établissements de santé, mais il contraint aussi les pratiques des acteurs. Il est également, pour les administrations, un moyen de mise à distance et d'évitement des échanges jugés chronophages. Les structures d'intermédiation Culture et Santé, quant à elles, tentent de dépasser la cristallisation des cultures professionnelles, mais elles se heurtent aux hiérarchisations intersecteurs et aux jeux de pouvoir qui en résultent.

Percevant l'isolement et les difficultés d'accès aux services, notamment culturels, pour les personnes âgées ou en situation de handicap vivant en ruralité, Derrière Le Hublot, scène conventionnée d'intérêt national art en territoire, a impulsé en 2022 la création d'un Service d'art à domicile. Pensé et coconstruit sur deux années, ce service est aujourd'hui au cœur d'une dynamique culturelle de territoire qui place la question du soin et de l'attention au centre de son travail. Dans cet article, nous décrivons les enjeux socioculturels de ce projet et la capacité qu'il a de troubler à la fois les métiers de l'aide à domicile mais également le secteur culturel. En mobilisant l'enquête et l'expérimentation en design, nous étudions, à l'aide du concept de care, comment des artistes, aux côtés de professionnelles du soin et de l'accompagnement peuvent inventer des gestes qui réparent, prennent soin et performent d'autres modèles d'actions culturelles et artistiques.

Si la présence artistique dans les établissements de soins n'est pas nouvelle, le regard sur les artistes et leurs projets s'est renouvelé par le biais du dispositif interministériel Culture et Santé. Des études récentes ont montré que les projets artistiques développés dans ce cadre participent, entre autres, à approfondir la réflexion sur le soin et à améliorer les pratiques dans la prise en charge des patients (Herreros et Milly, 2009 ; Liot et al., 2020). En prenant appui sur l'étude du dispositif Culture et Santé, cet article se propose d'analyser le rôle joué par les projets artistiques à l'hôpital dans la relation de soin, en tant que vecteurs d'une philosophie de l'attention et de la sollicitude envers autrui. Il s'agira de repenser la question de la dépendance et de la vulnérabilité au prisme de l'expérience de l'art ; d'observer les pratiques des soignants et celles des artistes dans une perspective intersubjective et interdépendante afin de reconsidérer la place des personnes et leur accompagnement ; enfin, d'interroger le positionnement de l'institution hospitalière et sa capacité à se saisir des opportunités offertes par l'expérience sensible, autant dans l'amélioration de la prise en soin des patients que dans la valorisation des personnels et l'attention à leurs conditions de travail.

Cet article entend faire état de la démarche artistique Blanc maquillage portée par Arnaud Théval dans le cadre de la politique publique Culture et Santé au sein de l'Institut Bergonié, centre de lutte contre le cancer de la région Nouvelle-Aquitaine, entre 2016 et 2022. À contresens des traditionnelles interventions artistiques orientées vers les malades, la démarche artistique susmentionnée propose de conduire une démarche « dans » et « sur » l'hôpital questionnant les pratiques et représentations de l'institution hospitalière. Si l'investigation de l'artiste dans l'hôpital est pensée sur le modèle de la coopération avec ses autres acteurs (bénévoles, soignants, administrateurs, direction), c'est aussi un dé-placement qui s'opère auprès d'eux. Notre proposition souhaite aborder les différents aspects de la pratique artistique au prisme de ce jeu de place. En somme, nous souhaitons montrer que la pratique artistique de terrain adoptée par Arnaud Théval est politique en tant qu'elle génère un important potentiel de subversion des normes et des places institutionnelles.

Les enfants atteints d'épidermolyse bulleuse, une maladie génétique rare de la peau, souffrent dès la petite enfance de leur image corporelle. Les dispositifs médicaux actuels, bien que performants, demeurent souvent perçus comme lourds et difficiles à vivre au quotidien. Le caractère incurable de la maladie incite à dépasser la seule performance médicale, en intégrant la réduction du fardeau individuel lié à la maladie et aux traitements. Le projet doctoral Peaux Éthiques s'attache à concevoir des dispositifs thérapeutiques centrés sur la sensorialité, dans le but de favoriser une interaction positive entre ces enfants et leur environnement. Menée à l'Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, cette étude pilote est portée par l'Institut Imagine, premier pôle européen de recherche, de soins et d'enseignement sur les maladies génétiques et le laboratoire de l'École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad). En intégrant les éthiques du care dans une démarche de recherche-projet en design, elle implique les acteurs de la santé et de la conception dans un processus itératif. L'analyse des besoins psychosociaux des enfants révèle cinq axes d'amélioration. La démarche adoptée propose un acte de soin par la coconception de solutions concrètes avec les patients, leurs aidants et les soignants.

En 2019, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) publiait un rapport concluant sur une invitation à stimuler l'impact bénéfique des arts. Tout en considérant que les résultats du rapport sont essentiels pour souligner le rôle que peuvent jouer les activités artistiques dans l'amélioration de la santé mentale, il est important de mener des réflexions en vue de clarifier les intentions sous-tendant les dispositifs de mise en création artistique qui s'adressent à des personnes en situation de fragilité psychique. Cette contribution vise à encourager les professionnels engagés sur l'accompagnement avec des outils créatifs à avoir connaissance du large périmètre d'action des expériences artistiques sur l'équilibre psychique, afin de savoir y délimiter les frontières de leurs interventions et d'optimiser leurs effets bénéfiques. Par ailleurs, penser l'expérience artistique dans le contexte des établissements de soins en santé mentale aujourd'hui ne peut se passer d'envisager les pratiques dans le cadre de référence des approches du rétablissement. Les activités artistiques pourraient présenter un potentiel non négligeable pour le renfor-cement du pouvoir d'agir et une contribution à la redéfinition de soi, pour autant qu'une attention soit portée aux enjeux psychiques mobilisés à chaque temps du processus de création.

Cet article s'intéresse à trois associations de promotion de l'égalité des chances, secteur qui a connu une très forte croissance ces trois dernières décennies en France, en particulier à destination des quartiers populaires. Il vise à interroger les raisons du succès de ces associations, qui se réclament de logiques néomanagériales très fortes. Dans une première partie, nous présentons la croissance de ces associations, les objectifs chiffrés qu'elles se fixent et les process prévus pour les atteindre, qui les inscrivent dans une logique de « startupisation » du monde associatif. Nous nous demandons ensuite si cette croissance accélérée et ces dynamiques néomanagériales sont des gages d'efficacité du point de vue des publics suivis. Nous montrons que les associations ne se dotent pas véritablement d'outils d'évaluation permettant de l'attester, et que les enquêtes menées par ailleurs pointent des effets très limités de ces dispositifs sur les bénéficiaires. En revanche, ces dynamiques ont des conséquences bien réelles sur les conditions de travail des salariés associatifs, qui sont assez dégradées, tout en contribuant à la délégitimation des acteurs publics de l'orientation et de l'insertion. Dès lors, comment comprendre les raisons du succès de ces associations ? Nous tentons de le faire dans une troisième partie, en soulignant la proximité de leurs dirigeant·es avec leurs interlocuteur·rices public.ques et privé.es ainsi que leur inscription dans les transformations récentes des politiques éducatives et institutionnelles.

À partir de matériaux qualitatifs récoltés dans trois villes bretonnes, nous proposons de mieux comprendre ce que sont des espaces associatifs oppositionnels dans le champ de l'hébergement des personnes exilées. Des associations qui ne sont ni totalement informelles ni très structurées avec de nombreuses personnes salariées, prennent en charge les personnes exilées non hébergées dans le cadre des dispositifs publics. Nous analysons leurs actions à travers trois axes. Nous rappelons d'abord le contexte de crise de l'hébergement des personnes exilées pour expliquer les publics que les associations sont amenées à accueillir. Nous nous focalisons ensuite sur les contraintes des espaces associatifs hébergeant les personnes non prises en charge. Nous expliquons enfin les logiques autonomes que les associations peuvent tout de même construire. L'étude de ces associations permet de mieux comprendre les espaces associatifs oppositionnels et leur rôle global dans la prise en charge des personnes exilées présentes localement.