Contenu du sommaire : Le genre des pénibilités au travail
Revue |
Travail, genres et société ![]() |
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Numéro | no 51, 2024 |
Titre du numéro | Le genre des pénibilités au travail |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Parcours
- Christian Baudelot. Un sociologue collectif - Delphine Serre p. 5-21 Christian Baudelot est l'auteur d'ouvrages majeurs sur l'école, co-écrits avec Roger Establet ( L'école capitaliste en France, Le niveau monte, Allez les filles !) et de nombreux autres explorant l'ampleur des inégalités dans des domaines divers (salaires, suicides, lecture des jeunes, travail, greffe avec donneur vivant, etc.). Né en 1938, il découvre la sociologie dans le contexte intellectuel des années 1960 et se familiarise avec l'enquête statistique dont il restera un fervent adepte et pédagogue toute sa carrière. Dans son parcours, il revient sur sa formation, sa carrière, sa pratique collective de la sociologie et sur les expériences conjugales et pédagogiques qui l'ont conduit à s'intéresser aux inégalités entre femmes et hommes et plus seulement aux inégalités de classe.Born in 1938, Christian Baudelot is the author of major works on school, co-written with Roger Establet ( L'école capitaliste en France, Le niveau monte, Allez les filles !) and of many other books exploring the extent of inequalities in various areas (wages, suicide, reading among young people, work, transplants with live donors, etc.). He discovered sociology in the intellectual context of the 1960s and became familiar with statistical surveys, a method which he has frequently used and taught over the years. Here, he looks back on his education, his career, his collective practice of sociology, and the marital and educational experiences which led him to become interested in inequalities between women and men and not only in class inequalities.
- Christian Baudelot. Un sociologue collectif - Delphine Serre p. 5-21
Dossier : Le genre des pénibilités au travail
- Introduction - Delphine Serre, Rachel Silvera p. 23-26
- Les pénibilités intimes du travail d'enseignante. Dans les murs, une usure sourde - Julie Jarty p. 27-44 Sous l'effet d'un androcentrisme des sciences, les pénibilités enseignantes ont surtout été appréhendées sous le prisme des conditions « objectives » de travail. Issu d'une recherche sociologique au long cours, et adoptant une perspective féministe, cet article se propose de mettre en lumière les pénibilités intimes qui échappent le plus souvent à l'analyse sociologique et subjective des souffrances enseignantes en France. Il entrevoit tour à tour, et de façon dialectique, pénibilités corporelle, maternelle et sexuelle, habituellement tues. Prenant la forme de maltraitances organisationnelles atténuées par leur banalité, leur indicibilité et leur subséquente acceptation, ces trois formes de pénibilité font pourtant le lit de logiques de dévalorisation professionnelle et de fragilisation de la santé mentale des femmes. Cet article plaide alors pour une attention scientifique à l'intime dans les organisations, à l'image d'enseignantes féministes qui s'en saisissent pour faire reconnaître ce qui émaille et altère leur quotidien professionnel.Under the effect of the androcentrism of science, the hardships of teaching have mainly been examined through the prism of “objective” working conditions. Based on long-term sociological research from a feminist perspective, this article aims to highlight the intimate hardships which most often escape the subjective sociological analysis of teacher distress in France. It dialectically provides glimpses of bodily, maternal, and gender hardships, which are usually kept silent. Taking the form of organizational abuse which is mitigated by its ordinary nature, its unspeakability, and its subsequent acceptance, these three forms of hardship nevertheless pave the way for professional devaluation and weakened mental health among women. This article then calls for further research on the intimate in organizations, similarly to what feminist teachers have done to obtain the recognition of what mars and alters their professional daily lives.
- Inégalités de genre face à l'inaptitude au travail - Marion Gaboriau p. 45-64 À partir d'une enquête sociologique au sein de la Ville de Paris, cet article propose d'objectiver statistiquement et d'analyser qualitativement les inégalités sociales et genrées en matière de reconnaissance d'inaptitude pour raison de santé dans la fonction publique. Il s'agit en particulier de comprendre la surreprésentation des femmes de service et du care parmi les agent·es déclaré·es inaptes, en l'étudiant au regard de leurs activités de travail particulièrement pénibles mais peu reconnues comme telles, de leurs statuts d'emploi plus souvent précaires et de leurs trajectoires socio-professionnelles plus décousues. La reconnaissance d'inaptitude semble fonctionner comme un pis-aller et constituer un statut de relégation pour les femmes qui ne bénéficient pas de droits plus protecteurs et/ou de ressources (protections statutaires ou collectives, retraite anticipée pour pénibilité), leur permettant de faire face au dispositif ou de s'en détourner quand elles ont plus à y perdre qu'à y gagner.Based on a sociological survey among City of Paris employees, this article proposes to statistically objectify and qualitatively analyze social and gender inequalities when it comes to the recognition of incapacity for health reasons in the public service. It aims more specifically to understand the over-representation of female cleaning and care workers among those declared unfit, by studying this phenomenon through the prism of their particularly difficult work activities, which are scarcely recognized as such, their often precarious employment status, and their more erratic socio-professional trajectories. The recognition of incapacity seems to function as a stopgap and to constitute a status to which women lacking more protective rights and/or resources (statutory or group coverage, or early retirement for drudgery) are relegated, allowing them to cope with this measure or to turn away from it when they stand to lose more than they would gain from it.
- Justice et maux du travail : une invisibilisation genrée - Delphine Serre p. 65-82 Quand les salarié·es du privé n'obtiennent pas la reconnaissance de leur accident du travail ou de leur maladie professionnelle, elles et ils peuvent saisir le juge pour contester le refus de la Sécurité sociale. À partir d'une enquête dans huit tribunaux, l'article étudie comment la mise en œuvre du droit reproduit ou atténue les effets inégalitaires de la division sexuée du travail et des expositions aux risques professionnels. Les requérant·es, majoritairement de classes populaires, partagent la même dépossession à l'égard de leur procédure mais ont des chances inégales d'obtenir gain de cause selon leur sexe. Les juges, qui revendiquent une neutralité dans le traitement des femmes et des hommes, contribuent par leurs décisions à produire des discriminations indirectes à l'égard des travailleuses en appliquant un droit standard, et souvent construit au masculin neutre, à des situations distinctes et inégalitaires de fait et en renforçant une hiérarchie genrée des maux du travail.When the work accidents or occupational diseases of private sector employees are not officially recognized, the latter can go to court to challenge the French Sécurité sociale's decision. Based on a survey in eight courts, this article studies how the implementation of the law reproduces or mitigates the unequal effects of the gendered division of labor and occupational exposure. While the mainly working-class applicants share the same disenfranchisement with regard to the procedure, their chances of winning their case are unequal depending on their gender. Claiming that their treatment of women and men is neutral, judges contribute to indirect discrimination against female workers through their rulings by applying standard law – often constructed in a neutral masculine form – to de facto distinct and unequal situations, thus reinforcing the gendered hierarchy of workplace ills.
- Sous le vernis des ongles et des capots : les risques du métier : Accepter et banaliser le risque, un processus d'apprentissage - Zoé Rollin p. 83-100 À partir d'une enquête ethnographique menée en centres de formation des apprentis, cet article entend interroger le rapport à la formation, au travail, et aux expositions professionnelles tel qu'il est appréhendé par des apprenti·es en filière Beauté (esthétique et coiffure) et maintenance Automobile (mécanique et carrosserie). Le rapport à la pénibilité, traversé par des processus genrés, se construit lentement, au fil d'une socialisation tout à la fois familiale, scolaire et professionnelle. Cet article vise à étayer la synergie construite progressivement qui aboutit à une normalisation de la pénibilité, couplée à une invisibilisation persistante du risque chimique en apprentissage.Based on an ethnographic survey carried out in vocational training centers, this article aims to examine the relationship to training, work, and occupational exposure as it is understood by apprentices in the beauty sector (beauticians and hairdressers) and automobile maintenance (mechanics and bodywork). The relationship to drudgery, which is marked by gendered processes, is built slowly, over the course of socialization at home, at school, and at work. This article contributes evidence to support the idea of a progressively built synergy which results in the normalization of drudgery, coupled with a persistent invisibility of chemical risks in training centers.
- Une tonne de plumes pèse autant qu'une tonne de plomb. Vers la reconnaissance et l'élimination des dangers dans le travail des femmes au Québec - Karen Messing, Rachel Cox p. 101-118 Les problèmes de santé au travail des femmes diffèrent de ceux des hommes, du fait de la ségrégation des professions et des tâches assignées à l'intérieur de celles-ci, entre autres. Les risques qu'elles encourent étant moins visibles, les femmes peuvent hésiter à les rapporter, par crainte d'être perçues comme faibles et par souci de protéger leur accès à l'emploi. Cette situation, qui oppose la recherche de la santé à la visée de l'égalité, entrave leur avancement professionnel et entraine une sous-reconnaissance des lésions professionnelles. Nous présentons les enjeux révélés par une réforme du régime québécois, relative à la santé et la sécurité au travail, à l'aune de l'inclusion des « spécificités » du corps et du rôle social des femmes, et analysons certaines améliorations obtenues lors des débats parlementaires en 2020-2021 par une coalition de chercheuses, syndicats, organisations féministes et intervenantes en santé publique.The occupational health problems faced by women differ from those faced by men, due to the segregation of professions and of the tasks assigned within them, among other things. As the hazards they face are less visible, women may hesitate to report them, for fear of being perceived as weak and out of a concern for protecting their access to employment. Their professional advancement is hindered by this situation, which pits the pursuit of health against the aim of equality, leading to the under-recognition of occupational injuries. We present the stakes revealed by a reform of the Quebec regime relating to health and safety at work in the light of the inclusion of the “specificities” of women's bodies and social role, and analyze certain improvements obtained by a coalition of researchers, unions, feminist organizations, and public health professionals during the 2020-2021 parliamentary debates.
- Introduction - Delphine Serre, Rachel Silvera p. 23-26
Mutations
- Le pouvoir maternel comme ressource politique dans les sociétés caribéennes - Soizic Brohan p. 121-138 Les sociétés caribéennes, façonnées par la colonisation et l'esclavage, ont donné lieu à la production d'une pluralité de normes de genre, tiraillées entre patriarcat et matrifocalité. Si les femmes recourent traditionnellement à l'image de la mère pour légitimer leur présence dans le champ politique patriarcal, le régime familial matrifocal spécifique à la Caraïbe, qui fait des femmes les cheffes de famille, invite à interroger le rapport particulier qu'elles entretiennent à la politique. Cette autorité féminine inédite fait du pouvoir maternel une ressource politique prisée des élues, comme le montre la comparaison des profils de Lucette Michaux-Chevry en Guadeloupe et de Portia Simpson Miller en Jamaïque. Si l'incarnation de la mère au pouvoir facilite leur entrée en politique, elles sont néanmoins toutes deux rattrapées par l'ordre du genre et attaquées sur leur féminité et leur maternité lorsqu'elles s'installent durablement en politique.Caribbean societies, which were shaped by colonization and slavery, have produced a plurality of gender norms, torn between patriarchy and matrifocality. While women have traditionally resorted to the image of the mother to legitimize their presence in the patriarchal political field, the Caribbean-specific matrifocal family system, with female heads of households, calls for questioning women's particular relationship to politics. This unique female authority makes maternal power a highly valued political resource for elected women, as shown by comparing the profiles of Lucette Michaux-Chevry in Guadeloupe and Portia Simpson Miller in Jamaica. While embodying a mother in power may have facilitated their entry into politics, the gender order eventually caught up with them, and once they became established politicians, they were attacked on the grounds of their femininity and motherhood.
- Le garçon bagarreur et la fille responsable : Actions de prévention en milieu scolaire et maîtrise des conduites masculines - Yohan Selponi p. 139-155 Les actions de prévention des conduites addictives réalisées en milieu scolaire reposent la plupart du temps sur la mise en scène de risques associés à des consommations de psychotropes. Ces risques sont présentés comme différents s'agissant des garçons ou des filles. En montrant, de manière empirique, quelles sont les logiques pratiques et les régularités sociales qui fondent cette différence, cet article se propose de contribuer à l'analyse des luttes de définition des conduites conformes et déviantes associées au masculin et au féminin. Il est montré en particulier que la maîtrise des conduites masculines est un produit et un enjeu des luttes entre groupes genrés et entre classes sociales.Awareness campaigns about addictive behavior that take place at school are most often based on presenting the risks associated with the consumption of psychotropic drugs. These risks are presented as different for boys and girls. By empirically showing the underlying practical logics and social regularities, this article aims to contribute to analyzing the definition struggle of the conforming and deviant behaviors associated with the masculine and the feminine. It shows in particular that the control of masculine behavior is a product and a stake in the struggles between gender groups and between social classes.
- Le pouvoir maternel comme ressource politique dans les sociétés caribéennes - Soizic Brohan p. 121-138
Controverse : L'excellence scientifique : piège ou opportunité pour les femmes ?
- L'excellence scientifique : piège ou opportunité pour les femmes ? - Fanny Gallot, Marion Paoletti, Sophie Pochic p. 157-160
- Un plaidoyer pour la diversité scientifique plutôt que l'excellence - Yvonne Benschop, Hélène Windish p. 161-165
- Course à l'excellence : un biais de classe évident, un biais de genre en mouvement - Julien Gossa, Hugo Harari-Kermadec p. 167-172
- Un effet Matilda renouvelé par les appels à projets à l'intérieur des établissements ? - Audrey Harroche p. 173-176
- L'internationalisation comme critère d'excellence - Kathrin Zippel, Hélène Windish p. 177-181
- Vers des politiques d'excellence inclusives au niveau européen ? - Maxime Forest p. 183-186
- L'excellence scientifique : piège ou opportunité pour les femmes ? - Fanny Gallot, Marion Paoletti, Sophie Pochic p. 157-160
Critiques
- Sara R. Farris, Au nom des femmes. « Fémonationalisme ». Les instrumentalisations racistes du féminisme : Syllepse, coll. Nouvelles questions féministes, 2021 [2017], 270 pages - Arlette Gautier p. 187-190
- Jennifer Bidet, Vacances au bled. La double présence des enfants d'immigrés, Paris, Raisons d'agir, coll. « Cours et travaux », 2021, 306 pages et Abdelmalek Sayad, Femmes en rupture de ban : entretiens inédits avec deux Algériennes, Paris, Raisons d'agir, coll. « Cours et travaux », 2021, 224 pages - Sofia Aouani p. 191-196
- Eve Meuret-Campfort, Lutter « comme les mecs ». Le genre du militantisme ouvrier dans une usine de femmes : Éditions le Croquant, 2021, 438 p. - Rose Feinte p. 197-200
- Camille Fauroux, Produire la guerre, produire le genre. Des Françaises au travail dans l'Allemagne nationale-socialiste (1940-1945) : Paris, Éditions EHESS, 2020, 311 pages - Fabien Lostec p. 201-204
- Camille Schmoll, Les damnées de la mer. Femmes et frontières en Méditerranée : Paris, Éditions La Découverte, 2020, 247 pages - Djemila Zeneidi p. 205-208
- Soline Blanchard et Sophie Pochic (dir.), Quantifier l'égalité au travail. Outils politiques et enjeux scientifiques : Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2021, 395 pages - Olivier Martin p. 209-212
- Sara R. Farris, Au nom des femmes. « Fémonationalisme ». Les instrumentalisations racistes du féminisme : Syllepse, coll. Nouvelles questions féministes, 2021 [2017], 270 pages - Arlette Gautier p. 187-190
Ouvrages reçus
- Ouvrages reçus - p. 213
- Ouvrages reçus - p. 213