Contenu du sommaire : I. Travaux
Revue |
Travaux de linguistique ![]() |
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Numéro | no 88, 2024 |
Titre du numéro | I. Travaux |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation - Florence Lefeuvre, Evelyne Oppermann-Marsaux p. 7-14
- De or et ça à or ça : formation et emplois d'un marqueur discursif complexe en français (XIIe – XVIe siècles) - Evelyne Oppermann-Marsaux, Gabriella Parussa p. 15-34 Cette contribution a pour objectif d'analyser le mécanisme de formation d'un marqueur discursif complexe constitué de deux adverbes déictiques spatio-temporels : or et ça. Ces adverbes ont également développé séparément, par des procédés de pragmaticalisation, des valeurs énonciatives : or indique une rupture énonciative, alors que ça prend une valeur incitative. Notre enquête a été menée sur un corpus textuel constitué de textes de théâtre et de dialogues extraits de romans ou nouvelles, sur un empan chronologique qui va du XIIe au XVIe siècle. Après un rappel des différents emplois de or et de ça, nous avons cherché à mettre en évidence que le marqueur complexe réunit les propriétés discursives de or et de ça et renforce la valeur illocutoire de l'énoncé qu'il introduit. La comparaison des deux genres textuels a, par ailleurs, permis de faire ressortir les similitudes mais aussi les particularités que ce marqueur développe dans le théâtre, en lien avec la performance.This contribution aims to analyze a complex discourse marker made up of two spatio-temporal deictic adverbs: or and ça. These adverbs have also developed separately enunciative values through pragmaticalization: or indicates an enunciative break, while ça takes on an incitative value. Our investigation was carried out on a textual corpus made up of plays and dialogues from novels or short stories, over a chronological span ranging from the 12th to the 16th century. After an overview of the different uses of or and ça, we sought to demonstrate that the complex marker combines the discursive properties of or and ça and reinforces the illocutionary value of the statement it introduces. By comparing the two textual genres, we were able to highlight the similarities, as well as the particularities, that this marker develops in theater, in relation to performance.
- Les emplois de ah çà à l'oral représenté au XIXe siècle - Florence Lefeuvre p. 35-54 Cet article a pour objectif l'étude du segment ah çà/ça, qui supplante dans ces emplois la forme médiévale or çà. Ce marqueur discursif combine deux termes, une interjection et un adverbe déictique de lieu, ainsi que deux sens en discours, celui de ah, qui traduit une émotion liée à la surprise déclenchée par une situation inattendue, et celui de çà qui permet de pointer un élément inattendu dans la situation de communication. Au XIXe siècle, il se distingue par une valeur réactive, signalant la perplexité du locuteur ainsi qu'une prise de conscience. Ce marqueur, comme borne de discours, signale le marquage d'une prise de parole, dans des dialogues ou en ouverture de monologues intérieurs ou du discours indirect libre. Il connaît un déclin rapide à partir de 1915, en raison d'une probable confusion entre la valeur adverbiale de çà et la valeur pronominale du résomptif ça. Un renouvellement des formes semble s'opérer avec d'autres marqueurs discursifs manifestant la surprise, comme par exemple ou ça alors.The aim of this paper is to study the segment ah çà/ça, which in these uses supplants the medieval form or çà. This discourse marker combines two terms, an interjection and a deictic spatial adverb, as well as two senses in discourse, that of ah, which conveys an emotion linked to the surprise triggered by an unexpected situation, and that of çà, which points to an unexpected element in the speech context. In the 19th century, this marker was particularly noted for its reactive quality, indicating the speaker's perplexity and sudden realization of a situation. As a discourse marker, it is used to signal the start of a turn, in dialogues or in internal monologues or free indirect speech. It declined rapidly from 1915 onwards, probably due to the confusion between the adverbial çà and its use as a resumptive pronoun ça. A renewal of forms seems to be taking place with other discourse markers expressing surprise, such as par exemple or ça alors.
- Vie et mort d'et puis introducteur du discours - Pierre Vermander p. 55-73 Cet article vise à étudier la pragmaticalisation d'un marqueur discursif ayant vu son usage s'arrêter aux alentours de la fin du XVIe siècle : et puis employé afin d'ouvrir une interaction. Cette utilisation, aujourd'hui impossible, demeure mineure dans les corpus compulsés (Frantext, BFM) sans que l'on puisse toutefois la négliger.On verra que et puis, en dehors de la fonction dont nous nous occuperons, possède une valeur de continuatif et d'organisateur du discours mais que son utilisation comme initiateur n'a été que très peu (voire pas du tout) étudiée ni répertoriée. On fera l'hypothèse que cette fonction ressortit à la sous-détermination de et, sous-détermination que l'on retrouve déjà dans son emploi médiéval. Quant à sa disparition, il est possible qu'elle se soit réalisée au bénéfice de et bien, fonctionnant sur le même schéma syntaxique.This article aims to study the pragmaticalization of a discourse marker whose use stopped around the end of the 16th century, viz. et puis, used to open an interaction. This use, which today has become impossible, remains marginal in the corpora we searched (Frantext, BFM), without, however, being negligible.We see that et puis, apart from the function we are dealing with, is used as a continuative marker and discourse organizer. Yet, its use as a discourse initiator has received very little, if any, scholarly attention or is hardly documented. We hypothesize that this function stems from the underdetermination of et. This underdetermination is already found in its medieval use. As for its disappearance, it is possible that it was achieved for the benefit of et bien, operating with the same syntactic pattern.
- La combinatoire de [ET + ALORS] en diachronie longue - Claire Badiou-Monferran, Daniéla Capin p. 75-101 L'article est consacré à la combinatoire de [ET + ALORS], en contexte assertif [Et alors ; et alors] et en contexte interro-exclamatif [Et alors ?]. Reconsidérant à nouveaux frais les propositions de Gérald Antoine (1958), qui font du Moyen français une période charnière, marquée par l'affaiblissement sémantique – voire, la disparition – de jonctifs « forts », et qui considèrent les formes longues [ET + adverbe] comme de simples ersatz de ET seul, la contribution montre, d'une part, qu'à côté des combinaisons effectivement apparues en Moyen français, qui sont compositionnelles et qui assurent le rôle de succédanés connectifs (ce sont celles des contextes assertifs), émergent beaucoup plus tardivement des emplois de marqueurs discursifs interactionnels (en contexte interro-exclamatif) ; elle montre d'autre part que ces appariements modernes ne sont pas (ou pas totalement) compositionnels, et viennent coder de nouvelles relations de discours.This article focuses on the co-occurrence of ET and ALORS, both in assertive contexts [Et alors ; et alors] and interrogative-exclamatory contexts [Et alors ?]. The paper takes a fresh look at Gérald Antoine's (1958) proposals according to which the Middle French period was a turning point, marked by the semantic weakening – or even disappearance – of ‘strong' connectives, and that long forms [ET + adverb] were simply ersatz forms of ET alone. The proposed analysis shows that alongside the combinations that actually appeared in Middle French, which are compositional and act as connective substitutes (these are the ones used in assertive contexts), a use of ET ALORS as interactional discourse marker emerges much later in interrogative-exclamatory contexts. The analysis also shows that this modern pairing [ET ALORS ?] is not (or not entirely) compositional, and encodes new discourse relations.
- Non mais, c'est incroyable ! Analyse sémantico-pragmatique de non mais en français contemporain - Amalia Rodríguez Somolinos p. 103-120 La combinaison de non et de mais a produit en français contemporain deux marqueurs distincts à valeur pragmatique. Ils marquent tous les deux une opposition de type énonciatif.L'interjection Non mais !1 est une unité prosodique et fonctionnelle qui a une fonction expressive. Non mais ! est un marqueur de désaccord impoli. Il entre toujours dans des contextes conflictuels, polémiques. Il enchaîne sur les propos ou sur le comportement de l'allocutaire pour s'y opposer. Le marqueur traduit ainsi l'indignation ou l'incrédulité du locuteur. Non mais ! s'oppose en fait à la prétention qu'a l'allocutaire d'avoir le droit d'agir d'une certaine façon ou de tenir certains propos. Cela débouche sur une mise en question de la personne même de l'allocutaire.Non mais2 introduit également une opposition de type énonciatif, mais il n'entre pas dans des contextes polémiques comme l'interjection non mais ! Non mais2 est une articulation de la conversation, il sert à changer de sujet tout en ménageant une transition.The combination of non and mais has produced two distinct pragmatic markers in contemporary French. They both mark a nuance of enunciative contrast.The interjection Non mais !1 is a prosodic and functional unit with an expressive function. Non mais! is a marker of impolite disagreement. It is always used in conflictual, polemic contexts. It reacts to the addressee's comments or behaviour in order to disagree with them. The marker thus expresses the speaker's indignation or incredulity. Non mais! actually rejects the speaker's claim to have the right to act in a certain way or say certain things. This leads to the speaker's very person being called into question.Non mais2 also introduces an enunciative contrast, but this marker does not enter into polemical contexts like interjective non mais! Non mais2 is used to change the subject while providing at the same time a transition.
- Le domaine collocatif du marqueur discursif bon : de l'oral spontané à l'oral représenté - Irina Ghidali p. 121-139 Cet article propose une analyse de la combinatoire du marqueur discursif bon, observée sur un corpus d'oral spontané réunissant des enregistrements issus de la base de données CLAPI. Dans une perspective phraséologique, vingt combinaisons du type mais bon, bon alors, enfin bon, etc. sont soumises à l'analyse et réparties en trois catégories, selon le degré de figement observé : cooccurrences libres, collocations et locutions discursives. Une comparaison est ensuite menée entre la fréquence des combinaisons dans l'oral spontané et celle observée dans un corpus d'oral représenté, corpus constitué de passages de dialogue et de discours direct issus de la base Frantext. Les résultats indiquent des différences entre les deux sous-genres d'oral : si dans l'oral spontané la fréquence peut être corrélée à un fort degré de figement des combinaisons étudiées, cette tendance n'est que partiellement reflétée par l'oral représenté.The aim of this article is to provide an overview of the collocations that contain the discursive marker bon, observed in a spontaneous spoken language corpus bringing together recordings from the CLAPI database. From a phraseological perspective, twenty combinations such as mais bon, bon après, enfin bon, etc. are subjected to analysis and divided into three categories, according to the degree of frozenness: free co-occurrences, collocations and frozen idioms. A comparison is then carried out between the frequency of combinations in spontaneous spoken language on the one hand, and in spoken language represented in written texts on the other hand (dialogue and direct speech from the Frantext database). Results indicate differences between the two oral subgenres: while in spontaneous oral the frequency can be correlated with a high degree of frozenness of the combinations, this trend is only partially reflected in written texts.
- Étude diachronique et sémantique de voir dans les constructions dis voir, voyons voir, regarde voir - Sonia Gómez-Jordana Ferary p. 141-159 L'objectif de notre article est de retracer l'évolution des constructions verbales dis voir, voyons voir et regarde voir puis de nous interroger sur l'origine du voir présent dans les trois marqueurs. Ils font partie d'un paradigme de marqueurs formés sur un verbe à l'impératif à la première ou deuxième personne combiné à l'adverbe voir – regarde voir, voyons voir, dis voir mais aussi écoute voir, montre voir, etc. Sur la base d'un corpus réalisé à partir de bases de données textuelles – Frantext, Sketch Engine, Gallica ou theatreclassique.fr – nous proposerons une analyse distributionnelle et sémantique des trois marqueurs. Puis, nous vérifierons l'origine et le rôle joué par l'adverbe voir. Les trois locutions ont connu une évolution que nous expliquerons à la lumière de la théorie de la constructionnalisation.The aim of our paper is to trace back the evolution of the verbal constructions dis voir, voyons voir and regarde voir, and, more specifically, to examine the origin of the element voir in each of the three markers. They are part of a paradigm of markers based on a first- or second-person imperative verb combined with the adverb voir: regarde voir, voyons voir, dis voir, but also écoute voir, montre voir, etc. On the basis of a corpus compiled from textual databases (Frantext, Sketch Engine, Gallica and theatreclassique.fr) we propose a distributional and semantic analysis of the three markers. We verify the origin and role played by the adverb voir. We explain the evolution of these three expressions through the lens of constructionalization theory.