Contenu du sommaire : Qui en veut à l'État de droit ?

Revue Pouvoirs Mir@bel
Numéro no 193, avril 2025
Titre du numéro Qui en veut à l'État de droit ?
Texte intégral en ligne Accès réservé
  • Pages de début - p. 1-5 accès libre
  • Introduction - Julie Benetti, Thomas Hochmann, Nicolas Molfessis p. 3 accès réservé
  • L'État de droit : crise de définitions - Maria Kordeva p. 7-20 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    S'il n'est pas difficile de situer la naissance du concept de Rechtsstaat en Allemagne, il n'est en revanche pas aisé de le suivre à la trace lors de ses importations, ses traductions, ses transformations. Objet de tous les fantasmes, l'État de droit recouvre des réalités bien différentes, parfois inconciliables au regard de son histoire sinueuse : on y inclut la soumission de l'État au droit, la séparation des pouvoirs, la protection des droits, l'indépendance des juges, et même le principe démocratique. Notion-éventail se dépliant à l'infini et exerçant un pouvoir enchanteur sur les juristes, les responsables politiques et les journalistes, l'État de droit est partout. C'est sans doute sa définition instable, au contenu incertain, qui est à l'origine de ce succès et qui laisse sans réponse satisfaisante la question de savoir comment penser le label « État de droit » dans les systèmes démocratiques et libéraux contemporains.
    While it is not difficult to situate the birth of the Rechtsstaat concept in Germany, it is not easy to keep track of it through importations, translations and transformations. The object ofso many fantasies, the rule oflaw refers to very different realities that are sometimes irreconcilable in view of its meandering history: it may refer to the submission of the state to the law, the separation of powers, the protection of rights, the independence of judges, and even the democratic principle. The rule of law is omnipresent as a fan concept that can be deployed ad infinitum and that exerts an enchanting power over lawyers, politicians and journalists. It is probably this unstable definition and this uncertain content that explain its success and leaves the question of how to think the concept of the rule of law in contemporary liberal, democratic systems without a satisfactory answer.
  • L'État de droit, un concept occidental ? - Jean-Louis Halpérin p. 21-30 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Une enquête sur la présence du concept d'État de droit hors d'Europe suppose une distinction entre le nom de concept (avec ses problèmes de traduction) et le concept (avec ses problèmes de définition). Elle peut être déployée dans l'espace par l'étude de la présence des formulations sur l'État de droit ou la rule of law dans les constitutions actuelles des pays de tous les continents. Elle peut être faite dans le temps en s'interrogeant sur l'existence de la « chose État de droit sans le nom » dans des systèmes juridiques extra-européens du passé.
    To survey the presence of the concept of rule of law outside Europe, a distinction must be made between the word concept (with the problems linked to its translation) and the concept itself (with the problems linked to its definition). Such a survey can be carried out spatially by studying the presence of the various wordings of the rule of law in the present constitutions of the countries of all continents. It can be carried out over time by questioning the existence of the reality of the rule of law (even without the name) in past extra-European judicial systems.
  • Contester l'État de droit - Gilles Ferragu p. 31-40 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article s'interroge sur les pratiques de contestation de l'État de droit : en partant des discours et des idéologies qui les inspirent, il entreprend d'éclairer les formes les plus radicales de cette contestation, dans ce qui peut être considéré comme une forme d'archéologie du terrorisme contemporain.
    The article examines the forms taken by the challenges to the rule of law. Starting from the discourses and ideologies that inspire them, it tries to highlight the most radical forms taken by these challenges in an approach that can be considered as an archaeology of contemporary terrorism.
  • L'« illibéralisme », ou les gouvernements contre l'État de droit - Patricia Rrapi p. 41-48 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    L'avènement des gouvernements autoritaires s'appuyant sur des constitutions dites libérales a eu pour effet de nous priver aussi bien de mots pour le désigner que de mesures pour l'identifier. Si la tendance actuelle consiste à diffuser le concept d'« illibéralisme » pour tenter de qualifier de tels régimes, l'aspiration de ces gouvernements à un pouvoir d'action sans entraves, quelle que soit la parure de leur façade, renvoie en réalité à une idéologie classique du pouvoir politique illimité.
    The advent of authoritarian governments based on so-called liberal constitutions has deprived us of words to designate them and of means to identify them. While the concept of “illiberalism” is being currently used to describe these regimes, their aspiration for unfettered power to act, whatever the facade they put on it, refers in reality to a classic ideology of unlimited political power.
  • Les juristes contre l'État de droit - Stéphanie Hennette-Vauchez p. 49-62 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Alors qu'en France des personnalités juridiques de premier plan sont engagées dans la critique des « excès » de l'État de droit, l'article revient d'abord sur certaines ambiguïtés de ce concept afin de caractériser leur intervention, pour ensuite s'intéresser à différents cercles et associations de juristes qui, tout en affirmant défendre les libertés, développent un discours critique vis-à-vis des droits humains et de leur protection juridictionnelle. Un tel discours marque une rupture avec la période où les désaccords s'exprimaient dans une grammaire commune acceptant la légitimité de l'intervention du juge.
    At a time when, in France, leading legal specialists are engaged in a critique of the “excesses” of the rule of law, the article first discusses a number of ambiguities attached to this concept in order to qualify their interventions; it then looks at different jurists' circles and associations which, while claiming to defend liberties, develop a discourse that is critical of human rights and their unconditional legal protection. Such a discourse marks a break with a period when disagreements were expressed in a shared language that accepted the legitimacy of the judge's intervention.
  • La liberté d'expression retournée contre l'État de droit - Charles Girard p. 63-74 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    C'est au nom de la liberté elle-même que les libertés fondamentales se trouvent souvent attaquées. Les règles qui visent à rendre la liberté d'expression effective pour tous, en assurant le pluralisme dans la représentation des courants d'opinion dans les médias, sont ainsi régulièrement accusées d'être liberticides. Cette rhétorique s'est déployée avec force dans l'espace public français en février 2024, à la suite d'une décision du Conseil d'État à propos de la chaîne CNews. L'examen de cet épisode éclaire la stratégie qui consiste à invoquer les principes de l'État de droit pour mieux en subvertir la mise en œuvre.
    It is often in the name of liberty itself that fundamental liberties are attacked. The rules which aim to make freedom of expression a reality for all by guaranteeing a pluralist representation of opinions in the media are thus regularly accused of being liberticides. This rhetoric was deployed forcefully in the French public space in February 2024, following a ruling by the Council of State regarding the CNews tv channel. The study of this case highlights a strategy that consists in evoking the principles of the rule of law in order to better subvert their implementation.
  • Du secret au mensonge : l'État de droit contre lui-même - Renaud Meltz p. 75-86 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    La Constitution de la Ve République formule le contrat qui fonde la démocratie libérale sur une exigence de publicité. La publicité est garantie, contre son envers, le secret, justifié, encadré, réglementé. Mais les textes constitutionnels ne disent rien d'un autre péril, qui n'est pas l'opposé de la publicité, mais un poison plus pernicieux : le mensonge d'État. Le nucléaire, particulièrement le nucléaire militaire, apparaît comme un cas d'école du glissement du secret au mensonge, de la dérogation du devoir de publicité à la volonté de tromper le public, au nom de ses spécificités (sa puissance destructrice), de sa complexité scientifique (le profane n'y comprend rien) et sans doute de son histoire : la France s'est dotée de la bombe à l'issue d'un processus clandestin, sous la IVe République.
    The Constitution of the Fifth Republic establishes the contract that founds liberal democracy on a requirement for openness. Openness is guaranteed against its reverse, secret, that can be justified but framed and regulated. The constitutional document does not mention another peril which is not the reverse of openness but a more pernicious poison: a state lie. Nuclear power, in particular military nuclear power, is a textbook case of the slippage from secret to lie, from the derogation of the duty of openness to the desire to deceive the public, in the name of its specificities (its destructive power), its scientific complexity (the layman can't understand) and perhaps also its history, since France acquired the bomb at the end of a clandestine process under the Fourth Republic.
  • Le droit (d'exception) économique contre l'État de droit - Marie Goupy p. 87-98 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article se propose de s'arrêter sur la théorie de l'exception développée par deux juristes américains, Eric Posner et Adrian Vermeule, après le 11 septembre 2001, puis après la crise économique de 2008. À travers la pensée de ces deux auteurs, il s'agit d'exposer une stratégie théorique et politique qui consiste à faire des crises et des situations d'exception, en particulier économiques, la clé d'une transformation profonde de l'État libéral (américain) et, plus spécifiquement, un moyen de soumettre le droit à une logique économique, structurée autour du modèle du marché. Une stratégie qui prend appui sur certains éléments de la théorie de l'état d'exception du juriste allemand Carl Schmitt, moins pour tenter d'attaquer frontalement l'État de droit que pour en faire une réalité dépassée, sinon même un « mot vide », complètement anachronique.
    The article looks at the theory of exception developed by two American jurists, Eric Posner and Adrian Vermeule after 9/11 and after the 2008 economic crisis. Following the thought of these authors, one can set up a theoretical and political strategy which consists in making crises and exceptional situations the key to a profound transformation of the (American) liberal state and, more specifically, a means to submit the law to an economic rationale structured around the market model. This strategy refers to certain elements of the German jurist Carl Schmitt's state of exception theory, less in an attempt to attack the rule oflaw head on than to make it an outdated reality, or even a totally anachronistic “empty word”.
  • La haine du droit - Soulef Ayad-Bergounioux p. 99-110 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Que signifie haïr le droit ? L'analyse holiste comme l'école subjectiviste désignent la haine du droit comme un phénomène asocial, individuel. Haine et anomie se confondraient pour désigner le comportement d'agents désorientés, peu enclins à se plier aux règles structurant la vie en société, déviance pourtant sanctionnée par la puissance publique. Or les doctrines et les pratiques discursives promouvant la haine du droit émergent au moment de la Révolution française et sont le fait de théoriciens contre-révolutionnaires qui ne voient dans le droit qu'une abomination contraire à l'ordre social. Pareil raisonnement demeure largement partagé par les franges les plus réactionnaires du champ politique : les critiques contemporains des droits de l'homme, en somme du « droit-de-l'hommisme », continuent de perpétuer la haine du droit. L'analyse de ce phénomène daté, situé, bref historique, implique un retour sur ses conditions objectives de production, le moment révolutionnaire français, pour saisir les raisons de sa résurgence et de son efficace.
    What does it mean, to hate the law? The holistic analysis as well as the subjectivist school describe the hatred of the law as an asocial, individual phenomenon. Hatred and anomy are supposed to describe the behaviour of disoriented agents unwilling to abide by the rules that structure life in society, although such a deviance is punished by the authorities. But doctrines and discursive practices that promote hatred of the law emerged at the time of the French Revolution and were the work of counter-revolutionary theorists who saw in the law an abomination contrary to the social order. This reasoning is still largely shared by the most reactionary fringes of the political realm: the contemporary critiques of human rights, or of “human rightsism”, continue to perpetrate hatred of the law. The analysis of this historical phenomenon, i.e. clearly dated and located in time, implies a review of the objective conditions of its emergence, the French revolutionary moment, in order to grasp the reasons for its resurgence and efficiency.
  • L'État de droit face à la démocratie militante : sur les vicissitudes d'une relation fusionnelle - Augustin Berthout p. 111-122 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Lorsqu'elle fait face à des organisations politiques antidémocratiques, la démocratie libérale tend parfois à devenir « militante » en établissant des procédures spécifiquement dédiées à sa propre sauvegarde. En règle générale, les travaux sur la notion de démocratie militante ne manquent pas de souligner ou de justifier le caractère contradictoire d'une démocratie qui interdit un parti politique antidémocratique pour protéger le régime de la liberté. Le présent article propose de poursuivre cette réflexion en mettant en lumière les liens paradoxaux unissant la démocratie militante à l'État de droit : si ce dernier constitue en effet l'un des objets et l'un des moyens principaux de ce programme de défense, il est aussi susceptible d'en devenir une des principales victimes collatérales.
    Faced with antidemocratic political organisations, liberal democracy often tends to become “militant” and to establish procedures specifically dedicated to its own protection. As a general rule, research on the notion of militant democracy stresses or justifies the contradictory character of a system that prohibits an anti-democratic political party in order to protect the regime of liberty. The article proposes to pursue this reflection by highlighting the paradoxical links that unite militant democracy and the rule of law: if the latter is both one of the objects and one of the main means of this defence programme, it is also likely to become one of its main collateral victims.
  • La CJUE, défenseure de l'État de droit - Myriam Benlolo-Carabot, Nuno Piçarra p. 123-136 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    La Cour de justice de l'Union européenne s'est imposée comme un acteur incontournable pour défendre l'État de droit, tout particulièrement en réaction aux atteintes à l'indépendance du pouvoir judiciaire au niveau des États membres. Depuis 2018 et son important arrêt Juízes Portugueses, la Cour joue ce rôle, avant tout à la demande des juridictions nationales, par la voie du renvoi préjudiciel et dans le cadre des recours en manquement introduits par la Commission, « gardienne des traités » de l'Union dans les cas les plus préoccupants, comme celui de la Pologne.
    The Court of Justice of the European Union has imposed itself as a key player to defend the rule of law, in particular in reaction to attacks on the independence of the judiciary in the member states. Since 2018 and its important ruling Juízes Portugueses, the Court has fulfilled this function, first of all at the request of national courts, by way of preliminary rulings and as part of infringement proceedings brought by the Commission, as “guardian of the treaties” in the most worrying cases such as Poland.
  • Chroniques

  • Pages de fin - p. 189-192 accès libre