Contenu du sommaire : Les politiques numériques de la sécurité urbaine

Revue Réseaux (communication - technologie - société) Mir@bel
Numéro no 251, mlai-juin 2025
Titre du numéro Les politiques numériques de la sécurité urbaine
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • De la « safe city » aux dispositifs numériques de sécurité urbaine - Raphaël Challier, Myrtille Picaud, Florent Castagnino p. 11-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Capteurs connectés, portiques biométriques, cartographie prédictive : les dispositifs numériques et l'intelligence artificielle sont de plus en plus nombreux dans le domaine de la sécurité. Ces nouvelles technologies de sécurité urbaine sont souvent présentées comme les briques de base des « safe cities », villes sûres. Cet article propose de se départir de cette terminologie industrielle, pour s'intéresser à l'action publique en matière de sécurité urbaine en mobilisant les outils traditionnels des sciences sociales ainsi que les apports des science and technology studies (STS). À rebours d'une vision plus techno-centrée, il insiste sur la diversité des acteurs publics et privés qui contribuent à ces politiques de sécurité urbaine, sur les luttes et les collaborations entre eux, ainsi que sur leurs pratiques ordinaires. Cette introduction propose d'abord une généalogie du cadrage de la « safe city », puis engage un dialogue critique avec les surveillance studies, en concevant la surveillance comme étant toujours encastrée dans les pratiques des acteurs sociaux, plutôt que comme un concept uniformément explicatif des rapports sociaux. Elle aborde ensuite les activités de sécurité urbaine à l'aune des questions liées à la numérisation du travail. Finalement, elle conclut sur les enjeux méthodologiques d'une telle démarche, régulièrement confrontée aux difficultés d'accès au terrain. En effet, ces technologies émergentes, au fonctionnement complexe, font l'objet d'une politisation croissante liée aux controverses sur la surveillance et au respect des libertés.
    Connected sensors, biometric gates, predictive mapping: more and more digital devices and artificial intelligence systems are being used for security purposes. These new urban security technologies are often presented as the building blocks of ‘safe cities'. This article moves away from this industrial terminology to look at public policies in the field of urban security, using the traditional tools of the social sciences and the contributions of science and technology studies (STS). Contrary to a more techno-centric view, it emphasizes the diversity of public and private actors who contribute to urban security policies, the struggles and collaboration between them, and their ordinary practices. This introduction begins with a genealogy of the ‘safe city' framework and then engages in a critical dialogue with surveillance studies, seeing surveillance as always being embedded in practices and interactions between social actors, rather than as a uniformly explanatory concept of social relations. It then looks at urban security activities in the light of issues linked to the digitization of work. The introduction concludes with the methodological challenges of such an approach, which is regularly hampered by difficulties of access to the field. These are partially due to the increasingly politicized nature of emerging and complex technologies, as a result of controversies over surveillance and respect for civil liberties.
  • Les politiques numériques de la sécurité urbaine

    • De qui les caméras sont-elles les yeux ? : Une comparaison de l'intégration des opérateurs de vidéosurveillance dans les systèmes policiers de trois grandes villes françaises - Adrien Mével p. 47-78 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'essor de la vidéosurveillance de l'espace public urbain a entraîné le développement d'un nouveau groupe professionnel, celui des opérateurs vidéo. Sans être policiers, ceux-ci jouent un rôle d'auxiliaire de police par la recherche du flagrant délit et l'aide au travail d'enquête. Ils ont pourtant jusqu'ici été peu étudiés comme composant des systèmes locaux de production de l'ordre. En se fondant sur une enquête ethnographique réalisée entre 2019 et 2021 dans trois grandes villes françaises, cet article s'intéresse aux relations que les opérateurs de vidéosurveillance entretiennent avec policiers municipaux et nationaux. Nous montrons que celles-ci varient selon les territoires, en fonction de trois facteurs : les liens spatiaux et organisationnels entre vidéosurveillance et police municipale ; les caractéristiques organisationnelles de la police municipale ; et les logiques de classement professionnel entre ces acteurs. Ainsi, l'article montre l'importance de resituer analytiquement la vidéosurveillance dans des systèmes pluralisés de production de l'ordre et dans des territoires caractérisés par des modalités diverses de coordination et de concurrence entre acteurs.
      The growth of video surveillance in urban public spaces has led to the development of a new professional category: video-surveillance operators. Although they are not police officers, they play an auxiliary role to the police in the search for flagrant offences and in assisting with investigative work. Until now, little research has been carried out on them as a component of local systems for the production of order. Based on an ethnographic survey conducted between 2019 and 2021 in three major French cities, this article looks at the relationships that video-surveillance operators have with municipal and national police officers. We show that these relationships vary from one area to another, depending on three factors: the spatial and organizational links between video-surveillance and the municipal police; the organizational characteristics of the municipal police; and the logics of professional classification between these players. The article thus shows the importance of analytically resituating video surveillance in pluralized systems of order production and in territories characterized by diverse modalities of coordination and competition between actors.
    • « Soyez vigilants ! » les dispositifs numériques de surveillance de quartier : Trajectoires d'engagement municipal, usages sociaux ordinaires et détournements - Sarah Demichel-Basnier p. 79-112 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Si la participation citoyenne à la co-production de l'ordre est devenue un objet sociologique d'intérêt en France ces dernières années, les usages municipaux et citoyens des dispositifs numériques privés de surveillance restent méconnus. Ce sont ces usages que l'article explore à partir d'une enquête qualitative (entretiens, observations, analyse de corpus documentaire) portant sur deux communes situées dans la banlieue et la couronne périurbaine d'une ville d'un peu plus de 100 000 habitants. Si l'engagement municipal dans ces dispositifs relève d'une réaction sociale à des désordres, l'existence de dissensions quant à leur bien-fondé parmi les habitants ne suffit pas à les associer à la décision de leur mise en place. Ces outils numériques font l'objet d'usages multiples et de détournements, mais ils révèlent également une surveillance sélective de certains groupes et favorisent un processus d'étiquetage de la déviance. L'article révèle ainsi les effets ambivalents de ces activités numériques de surveillance.
      While citizen participation in the co-production of order has become a sociological object of interest in recent years in France, the municipal and citizen uses of private digital surveillance devices remain little known. The article explores these uses, based on a qualitative survey (interviews, observations, analysis of the documentary corpus) covering two municipalities located in the suburbs and outer suburbs of a city with a population of just over 100,000. Municipal involvement in these systems is a social reaction to disorder, yet the existence of dissension among residents as to the validity of the systems has not been enough to involve them in decision making about their implementation. These digital tools, used in multiple ways – including misappropriation –, also reveal the selective surveillance of certain groups and encourage a process of labelling deviance. The article thus reveals the ambivalent effects of these digital surveillance activities.
    • Qui rend lisibles les images ? : L'intelligence artificielle au fondement d'une recomposition du travail de surveillance - Clément Le Ludec, Maxime Cornet p. 113-144 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La mise en place de systèmes de vidéosurveillance automatisée suscite de nombreuses controverses quant au rapport entre le coût financier et démocratique de son déploiement et sa réelle utilité. Notre article vise à contribuer à ces questionnements en étudiant la fabrication et le déploiement de deux systèmes de vidéosurveillance automatisée : AIView qui est appliqué à la vidéosurveillance des magasins et AICity qui concerne la surveillance de l'espace public. L'enquête repose sur une étude de bout en bout des systèmes d'IA auprès des acteurs qui participent à sa fabrication et à son fonctionnement : data scientists, travailleurs de la donnée et utilisateurs du système. Nous contribuons à la littérature en montrant que la surveillance automatique s'appuie toujours sur des médiateurs humains. En effet, pour fonctionner les modèles s'appuient à la fois sur le travail d'annotateurs de données, qui lui fournissent une vision simplifiée du réel sous la forme de jeux de données, et sur les vidéo-opérateurs qui interprètent les sorties des systèmes intelligents. Ces deux groupes de travailleurs permettent une adaptabilité en temps réel du système de surveillance aux besoins émergeant de situations complexes.
      The introduction of automated video surveillance systems has generated extensive controversy over their real usefulness compared to the financial and democratic cost of their implementation. This article aims to contribute to this debate by studying the manufacture and deployment of two automated video surveillance systems: AIView, applied in the video surveillance of shops, and AICity, for the surveillance of public spaces. Our research is based on an end-to-end study of AI systems with the actors involved in their manufacture and operation: data scientists, data workers and system users. We are contributing to the literature by showing that automatic surveillance always relies on human mediators. In order to function, the models rely both on the work of data annotators, who provide it with a simplified vision of reality in the form of data sets, and on video operators who interpret the outputs of the smart systems. These two groups of workers enable the surveillance system to be adapted in real time to the needs emerging from complex situations.
    • Chasse aux suspects contre pêche aux objets : Importation et appropriations d'un programme d'analyse comportementale dans les aéroports français - Manon Beaucourt p. 145-178 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Si les outils de sécurité numériques sont particulièrement présents et visibles dans les aéroports internationaux, cet article propose de faire un pas de côté avec la thématique du dossier pour se pencher sur l'importation d'un programme d'évaluation du comportement des personnes (ECP) en France. L'ECP est en effet une technique de surveillance humaine a priori éloignée du modèle de prévention du terrorisme dominant dans ces espaces. L'article interroge alors l'utilité et la fonction que lui attribuent les professionnels selon leur niveau opérationnel dans la chaine de sûreté aéroportuaire. L'analyse s'appuie sur un corpus d'entretiens semi-directifs avec des agents français et une recherche documentaire (littérature professionnelle, légale et institutionnelle). Elle montre comment l'ECP est saisie par de multiples acteurs comme une ressource pour contester ou contourner l'automatisation et la procéduralisation des activités de surveillance. Dans ces infrastructures où la vigilance machinique domine, la surveillance humaine ou « low-tech » constitue une source de prestige et de distinction professionnelle.
      Although digital security systems are largely present and visible in international airports, this article takes a step back from the theme of the issue to look at the importation of a behavioural analysis programme into France. The French ‘évaluation du comportement des personnes' (ECP) is a human surveillance technique that is a priori far removed from the terrorism prevention model generally implemented in these spaces. This article looks at the usefulness and function attributed to it by professionals at different operational levels in the airport security chain. The analysis is based on a corpus of semi-structured interviews with French agents and on documentary research (professional, legal and institutional literature). It shows how the ECP is used by many actors as a resource to challenge or circumvent the automation and proceduralization of surveillance activities. In these infrastructures where machine vigilance prevails, human or ‘low-tech' surveillance is a source of prestige and professional distinction.
    • La transparence administrative contre l'opacité des politiques de surveillance : Le recours systématique au droit d'accès aux documents administratifs comme méthode de collecte de données - Nicolas Bocquet, Emmanuelle de Buisseret Hardy, Corentin Debailleul, Jérémy Grosman, Laurent Roy p. 179-218 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Devenues omniprésentes, les technologies de surveillance n'en demeurent pas moins marquées par le sceau du secret. Le présent article évalue la pertinence du recours systématique au droit d'accès comme méthode de collecte de données, afin de documenter l'évolution de l'infrastructure de surveillance en Belgique francophone. L'article discute des facteurs internes (propre à l'équipe de recherche) et externes (propres aux autorités sollicitées) susceptibles d'influencer le niveau de transparence administrative. Nos résultats révèlent des différences significatives selon le type d'entité administrative, les normes légales en la matière, la couleur politique des communes ou leur taille. Ils suggèrent également que cette méthode peut s'avérer pertinente pour compléter les études de cas sur la surveillance, à condition que les moyens humains à disposition soient conséquents. Cet article contribue ainsi à la réflexion sur le recours au droit d'accès comme méthode originale de collecte de données à des fins de recherche en sciences sociales, en particulier dans le contexte de secteurs de l'action publique où la culture du secret est relativement prégnante.
      Surveillance technologies have become ubiquitous, yet they are still shrouded in secrecy. This article assesses the relevance of the systematic use of freedom of information requests as a data collection method, to document the evolution of the surveillance infrastructure in French-speaking Belgium. It discusses the internal factors (specific to the research team) and external factors (specific to the authorities approached) likely to influence the level of administrative transparency. Our results reveal significant differences depending on the type of administrative entity, the relevant legal standards, and the political colour and size of the municipality. They also suggest that this method may prove relevant as a complement to case studies on surveillance, provided that substantial human resources are available. This article thus contributes to the debate on the use of freedom of information requests as an original data collection method for social sciences research purposes, particularly in the context of public policy sectors where the culture of secrecy is relatively widespread.
  • Présentation

  • Les Gilets jaunes

    • Groupes Facebook et réseau de manifestants : L'administration de Facebook comme mode d'organisation du mouvement des Gilets jaunes - Victor Planche p. 223-263 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      De multiples recherches renseignent les transformations apportées par l'utilisation des réseaux sociaux numériques dans les nouveaux mouvements sociaux dits des places ou de crise. Malgré les fortes aspirations démocratiques des membres de ces mobilisations, ces travaux font apparaître la manière dont les individus qui maîtrisent les outils numériques s'appuient sur ces canaux de communication pour occuper un leadership informel. Dans cet article nous nous proposons de prolonger ces résultats en nous intéressant à l'organisation du mouvement des Gilets jaunes dans sa déclinaison à Nîmes. Pour ce faire, nous avons suivi intensivement le mouvement sur le terrain et sur les médias sociaux entre décembre 2018 et juin 2019. Il nous est apparu que les leaders de cette mobilisation occupaient une position précaire face aux autres membres qui espéraient une répartition horizontale du pouvoir. Ainsi, une succession de crises où les participants rejetaient les différents organisateurs des actions collectives, a mis en lumière comment la capacité à maintenir et à agrandir le réseau de manifestants à travers Facebook permettait de justifier une mainmise sur le mouvement. Cette dernière était également dépendante d'une aptitude à s'imposer de manière discrète pour ne pas paraître trop autoritaire aux yeux des autres Gilets jaunes.
      A large body of research has documented the transformations brought about by social media in the new social movements known as ‘square' or ‘crisis' movements. Despite the strong democratic aspirations of the members of these movements, these studies reveal the ways in which individuals who have mastered digital tools use these communication channels to occupy an informal leadership position. In this article, we extend these results by looking at the organization of the Gilets jaunes (‘Yellow Vests') movement in Nîmes. To this end, we intensively followed the movement on the ground and on social media between December 2018 and June 2019. We found that the leaders of the movement occupied a precarious position in relation to the other members who hoped for a horizontal distribution of power. A series of crises in which participants rejected the various organizers of collective action showed how the ability to maintain and expand the network of demonstrators through Facebook made it possible to justify a grip on the movement. This control was also contingent on an ability to impose oneself discreetly so as not to appear too authoritarian in the eyes of the other gilets jaunes.
    • Du témoignage en ligne à la formation d'un contre-public : Le mouvement des Gilets jaunes et sa critique des médias - Raphaël Lupovici p. 265-299 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article propose de revenir sur la constitution du mouvement des Gilets jaunes en contre-public en ligne, en prenant pour cas d'étude sa réaction à la couverture médiatique dont il a été l'objet. Afin de comprendre les ressorts de ce processus, la recherche présentée s'appuie sur un terrain croisant une observation d'espaces Facebook liés au mouvement avec des entretiens semi-directifs. L'analyse montre d'abord que les publications ayant circulé en ligne ont entretenu une continuité avec l'expérience des rassemblements, tant sur le plan de la narration des événements que sur celui des émotions éprouvées. À cette capacité à entrer en résonance avec le vécu des militants, s'ajoute la construction d'un cadrage identifiant les adversaires du mouvement, sur la base de l'explicitation d'un sens commun de la justice et d'une dénonciation du fonctionnement des médias dominants. Cette étude permet ainsi de documenter la coalition de militants autour d'un vécu partagé qui sert de base à la construction d'un discours politique.
      Drawing on a case study of the Gilets jaune's (‘Yellow Vests') reaction to the media coverage they received, this article examines how the movement became an online counter-public. To understand the driving forces behind this process, the research presented here is based on fieldwork combining observation of Facebook spaces linked to the movement, and semi-structured interviews. The analysis shows firstly that the publications circulating online maintained a continuity with the experience of the rallies, in terms of both the narration of events and the emotions experienced. In addition to this ability to resonate with the activists' experience, there was the construction of a framework that identified the movement's opponents, based on a shared sense of justice and a denunciation of the way in which the mainstream media operated. This study thus documents the coalition of activists around a shared experience that served as the basis for the construction of a political discourse.
  • Notes de lecture

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