Contenu du sommaire : Revue de l'OFCE n°53
Revue | Revue de l'OFCE (Observations et diagnostics économiques) |
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Numéro | no 53, 1995 |
Titre du numéro | Revue de l'OFCE n°53 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Chronique de conjoncture
- L'investissement fuit le risque - Département des diagnostics de l'OFCE, Philippe Sigogne, Jacky Fayolle, Hélène Baudchon, Odile Chagny, Amel Falah, Olivier Passet, Françoise Milewski, Valérie Chauvin, Hervé Péléraux p. 5-106 Le commerce mondial a bénéficié, en 1994, du cumul d'un ensemble de facteurs expansifs, qui lui ont permis d'enregistrer une croissance de l'ordre de 10 %. Tous ces facteurs ne se reprodui- ront pas avec la même intensité en 1995 et 1996 : — sous l'impulsion d'un durcissement déjà largement acquis de la politique monétaire, l'économie américaine enregistrera un ralen- tissement maîtrisé mais net, qui l'amènera en-deçà d'une crois- sance de 2 % l'an en 1996 ; — les économies émergentes qui connaissent des déséquilibres courants menaçants chercheront à mieux contrôler la croissance de leurs importations; — la faiblesse du dollar, sur l'ensemble de l'horizon de prévi- sion, exercera une pression concurrentielle prononcée envers les autres régions du monde. Même s'il se relève en 1996 par rapport à ses très bas niveaux actuels, le dollar ne le fera que modérément. Face à ces évolutions, les perspectives sont différenciées selon les régions du monde. Le Japon manifeste de grandes difficultés à réussir une sortie endogène de la récession des dernières années. Il n'y parvient que dans la mesure où l'impulsion publique ne se relâche pas. Les reconstructions nécessitées par le séisme de Kobé contribueront positivement à la croissance japonaise en 1995. C'est seulement en 1996 que celle-ci connaîtra une performance supé- rieure à 3 % l'an, lorsque la demande privée prendra le relais de l'impulsion publique. En 1995 la croissance allemande bénéficiera du cycle d'investis- sements engagé chez ses partenaires européens, tandis que ceux- ci seront entraînés par la consolidation de l'expansion germanique. La reprise allemande, qui s'est engagée en 1994 sous l'impulsion de la reconstitution des stocks et des exportations, deviendra en 1995 une expansion prenant plus fermement appui sur la consom- mation des ménages. Ce sera le principal effet de l'issue des négociations salariales que de donner un coup de fouet à celle-ci. La croissance allemande atteindrait 3,7 % en 1995 (3,2 % pour la partie occidentale). L'Allemagne franchira au cours de 1995 le niveau jugé normal d'utilisation de ses capacités productives. Les autorités monétaires allemandes en tiendront compte pour resserrer progressivement, à l'horizon de 1996, les conditions monétaires. La croissance alle- mande reviendra alors à hauteur de sa croissance potentielle et enregistrera en moyenne annuelle un chiffre de 3,5 % (3 % pour les lànder occidentaux). Les autres pays européens deviendront plus contraints par le resserrement monétaire allemand. En France, la reprise s'est confirmée : les carnets de com- mandes et la production restent à haut niveau. Le redémarrage de l'investissement est effectif, l'ajustement des stocks s'est réalisé, la demande étrangère reste soutenue. Si la consommation a souffert du repli de l'automobile en fin d'année, les anticipations des pro- ducteurs de biens de consommation courante restent bien orien- tées. Le logement semble être le seul secteur où un retournement s'opère. A la date de cette chronique, les perspectives que l'on peut tracer pour l'économie française sont nécessairement tendan- cielles ; quelle qu'en soit l'issue, les élections présidentielles déboucheront sur une inflexion de la politique économique à la mi- 1995. Les incertitudes majeures de cette prévision concernent trois domaines : — la politique budgétaire suivie ne permettrait pas de vérifier le critère de Maastricht concernant le déficit public (qui doit être inférieur à 3 % du PIB) avant 1997 au plus tôt ; — la politique monétaire resterait dictée par la politique du change. L'inversion des taux, en mars 1995 serait éphémère grâce à la réduction de la prime de risque par rapport à l'Allemagne ; — l'évolution des salaires est également incertaine. Notre antici- pation de croissance des salaires (taux de salaire horaire, heures supplémentaires, primes) pourrait être sous-estimée si continuent de se développer les mouvements revendicatifs du printemps. Cette prévision tendancielle conduit à une croissance du PIB de 3,5 % en 1995 et 3 % en 1996. La reprise de la demande intérieure finale concernerait tout particulièrement l'investissement des entre- prises. Les achats des ménages pourraient s'intensifier sous l'effet d'un regain modéré du revenu et de la poursuite de la baisse du taux d'épargne ; les dépenses de consommation bénéficieraient de l'atonie de l'investissement logement. Le restockage, amorcé à la mi-1994, soutiendrait encore fortement la croissance de 1995, mais beaucoup plus faiblement en 1996. La forte reprise des exporta- tions serait compensée par celle, encore plus soutenue, des impor- tations. A la fin de 1996 le niveau d'équilibre du PIB à son potentiel ne serait pas encore atteint. L'utilisation des capacités de production resterait en-deçà des seuils de saturation conduisant à accélérer les hausses de prix et/ou élever le taux de pénétration des importa- tions sur le marché intérieur. Le chômage reculerait peu, la pro- gression des effectifs, même en incluant le développement du temps partiel, absorbant juste le surcroît de population active. En l'absence de tensions sur les capacités, l'inflation resterait très modérée, les prix des services évoluant de plus en plus près de ceux de l'industrie. Et les soldes extérieurs (commercial et courant) conserveraient des excédents proches de ceux de 1994.Investment off risk Département des diagnostics World trade has benefited in 1994 from several expansionary factors leading to a rate of growth of about 10 %. These factors will not occur with the same vigour in 1995 and 1996 : — under the influence of monetary tightening already begun in 1994, the American economy will experience a controlled but clear slowdown, which will lead to a growth rate of under 2 % in 1996 ; — the emerging industrialised countries whose external accounts are worringly off balance, will seek to better control the growth of their imports ; — the weakness of the dollar during the next two years will put strong pressure on competitivity in other regions of the world. Even if it appreciates in 1996 from its very low current level, the dollar will do so only moderately. In the context of these evolutions, there are differences in the regional perspectives. Japan shows great difficulties in making an endogenous comeback from the last years of its recession. It succeeds only as public stimulus continues. The needed rebuildings following the Kobe earth- quake will play a great part in Japanese growth in 1995. Only in 1996 will growth exceed an annual rhythm of 3 %, when private demand takes over from the public stimulus. In 1995, German growth will profit from the investment cycle engaged by its European partners, and the latter will in turn profit from the German economic strengthening. The German recovery, engaged in 1994 thanks to the reconstitution of inventories and the dynamism of exports, will be led, in 1995, by households' consumption expenditures. Indeed, the main result of wage negotiations will be to boost private consump- tion. German growth will reach 3,7 % in 1995 (3,2 % for West-Germany). During 1995, the German capacity utilisation rate will exceed its « normal » level. The central bank will take this into account before progressively, by 1996, tightening its monetary policy. The pace of Ger- man growth will then fall back close to its potential path and record an average annual rate of 3,5 % (3 % for the western Lander). European countries will be more constrained by German monetary tightening. In France, the economic recovery has asserted itself : manufacturing orders and production remain at a high level. Investment has actually picked up, stocks have been readjusted, foreign demand has been sus- tained. If consumption was undermined by the shrinking car sector at the end of the year, the producers of consumption goods are still optimistic for the future. Housing seems to be the only sector to undergo an unfavourable change of trend. At the time of this chronicle, the economic forecast for the French economy relies necessarily on its trend : whatever its outcome, the presidential election will lead to major changes in economic policy in mid-1995. The main uncertainties are threefold : — the budgetary policy won't enable the government to meet the public deficit criteria of the Maastricht Treaty (less than 3 % of the GDP) before at least 1997 ; — monetary policy will be dictated by the franc exchange rate. The inversion of the yield curve which occurred in March 1995 would be short-lived thanks to the reduction of the risk premium over German rates ; — the evolution of wages is also uncertain. The growth we anticipate (hourly wages, overtime, bonuses) could be underestimated if the protest movements of the spring develop further. The current trend leads to a growth of GDP of 3,5 % in 1995 and 3 % in 1996. Corporate investment will be the most dynamic component of internal demand. Private consumption could gather strength as a conse- quence of a slight increase in disposable income and a further decrease in the saving rate. Consumption expenditures will benefit from low invest- ment in housing. The rebuilding of inventories, begun in the middle of 1994, will still contribute strongly to growth in 1995, but much less so in 1996. The pick up of exports will be compensated by the more sustained increase in imports. At the end of 1996, GDP will not have reached the level of potential GDP. The rate of capacity utilisation will remain under the saturation level which would imply accelerating inflation and/or bigger market shares for the imports on the internal market. The surplus of the commercial and current account would be close to those in 1994. Unemployment will recede only slightly, the increase in the number of jobs just being sufficient to absorb the increase in the workforce.
- L'investissement fuit le risque - Département des diagnostics de l'OFCE, Philippe Sigogne, Jacky Fayolle, Hélène Baudchon, Odile Chagny, Amel Falah, Olivier Passet, Françoise Milewski, Valérie Chauvin, Hervé Péléraux p. 5-106
- Vers une réforme fiscale en France ? - Henri Sterdyniak p. 107-145 Le thème de la nécessité d'une vaste réforme fiscale revient souvent dans les débats économiques en France actuellement. Toutefois, celle-ci peut se voir assigner différents objectifs parfois conflictuels. L'article étudie ce que pourraient être les réformes des différents impôts : cotisations sociales, taxation de l'épargne, impôt sur le revenu, taxation des entreprises. L'analyse de la situation actuelle de l'économie française amène à penser que la réforme fiscale ne doit viser ni à augmenter fortement les prélèvements fiscaux, ni à diminuer, brutalement ou tendanciellement, les charges des entreprises en augmentant celles portant sur les ménages. La France se caractérise actuellement par un faible poids de l'impôt sur le revenu, compensé par un niveau important de cotisations salariés et surtout employeurs. Etant d'un montant relativement faible et étant le seul impôt progressif, l'impôt sur le revenu a nécessairement une progressivité très forte. L'examen de l'ensem- ble des prélèvements (cotisations et impôts) et des transferts sociaux, amène à la conclusion que le degré de redistribution assuré par le système socialo-fiscal entre les différents couches de salariés est relativement satisfaisant. Aussi, une réforme importante du barème semble difficile à envisager, si on se refuse à augmenter les taux marginaux élevés des plus riches et à diminuer les alloca- tions des plus pauvres. Au total, l'emploi est lourdement taxé si on considère la somme des cotisations sociales employeurs et salariés, de l'impôt sur le revenu, de la TVA. Tant qu'il existe du chômage de masse, le coût que les entreprises attribuent au facteur travail est le triple de son coût réel pour la Nation. Une forte baisse des cotisations employeurs portant sur les bas salaires est une réforme souhaitable en période de chômage de masse. Il serait illusoire de la compen- ser par une hausse de la TVA. Il serait dangereux de la compenser par une hausse de la CSG ou une baisse des prestations sociales car un tel transfert des entreprises vers les ménages accentuerait encore l'atonie de la consommation. Aussi, faut-il prendre le risque d'une baisse des cotisations sociales sans contrepartie immédiate. Si cette mesure n'était pas suivie d'une hausse suffisante des emplois, elle devrait être compensée par une hausse de l'impôt sur les sociétés ou mieux par un impôt social portant sur l'excédent d'exploitation des entreprises. Par ailleurs, il faut augmenter les prélèvements portant sur les revenus financiers des ménages. L'imposition de l'ensemble de ces revenus à un taux de prélève- ment libératoire unique de l'ordre de 20 % est la mesure la plus simple et la plus facile à adopter dans le cadre d'un accord européen d'harmonisation. A terme, ce mouvement devrait permet- tre un remodelage des prélèvements portant sur les ménages par la création d'un Impôt Social Généralisé, qui financerait l'ensemble des prestations de solidarité et les dépenses de santé. Ce prélève- ment social devrait peser moins qu'actuellement sur les bas salaires et plus sur les revenus du capital.Tax reform is a major subject of current debates on the French economy. Yet, such a reform could have different, and possibly, opposite targets. The various reforms that could be implemented are presented in this article. Given the current situation of the French economy, a tax reform could neither include a significant increase in taxes, nor a cut in employers' taxation balanced with an increase in households' taxes. One of the specificities of the French tax system is the low level of taxes on personal income, counterbalanced by a high level of employers and employees' social security contributions. The analysis of the whole tax and redistribution system indicates that the level of redistribution of the current system is rather satisfactory. Thus, a major revision of the income tax system is hardly possible, if one refuses to increase the higher marginal tax rates or to reduce the poorest people's allowances. However, taxes on households' financial capital income should be heavier. All in all, taxes on labour are heavy (considering employers' and employees' social security contributions, income tax and VAT). When the rate of unemployment is high, the cost of labour as evaluated by firms is three times the real cost at the national level. Then a significant cut in the employers' social security contributions on the lowest wages should take place. Such a measure should not be immediately counterbalanced by an increase in taxes : an increase in the VAT rate would keep inchanged the labour cost ; an increase in the rate of the generalised social contribution or a cut in social allowances would be dangerous for it would reduce the level of consumption. However, if the measure did not entail significant job creations, an increase in taxes on profits should compensate for it. The financing of the Social security system should be restructured so as to weigh less on low wages and more on personal and corporate capital income.
- Le mystère de la consommation perdue - Loïc Cadiou p. 147-164 En France, l'évolution procyclique du taux d'épargne des ménages de 1990 à 1993 a été aussi marquée qu'inattendue, renforçant le ralentissement de l'activité économique observé durant cette période. En général, le comportement des ménages contribue, au contraire, à amortir les variations de la demande intérieure. En phase de ralentissement, les ménages puisent sur une épargne qu'ils reconstituent une fois la croissance retrouvée. Cette étude montre que la modification de l'arbitrage entre consommation et épargne est en partie expliquée par les variations du taux de chômage à l'origine du comportement d'épargne de précaution des ménages. Par ailleurs, l'importance des revenus financiers sur cette période a vraisemblablement influencé le taux d'épargne par le biais d'une propension à consommer ce type de revenus inférieure à celle des revenus non financiers. Enfin, il est possible que la déréglementation financière, en accroissant la concurrence dans le secteur de la distribution de crédits, explique une partie de la baisse du taux d'épargne dans les années quatre-vingt. Ce résultat est toutefois fragile car il repose sur l'introduction d'une variable « ad hoc » représentant la dérégle- mentation. Cette dernière aurait par ailleurs rendu significative l'impact des taux d'intérêt sur le comportement d'épargne des ménages.The Puzzle of lost Consumption Loic Cadiou The procyclical movement of the household savings rate has reinfor- ced the slowdown of the French economy from 1990 to 1993. This movement was both substantial and unexpected, since households' beha- viour usually smoothes domestic demand fluctuations : households cut back their savings in periods of slowdowns, which they then reconstitute when recoveries take place. This study shows that this change of attitude as regards consumption and savings is very likely due to variations of the unemployment rate which represent households' precautionary savings behaviour. The importance of financial income during this period also seems to have influenced the savings rate because it has a lower consumption propensity than other incomes. Finally, financial deregulation, which increased competition between credit institutions, may partly explain the fall of the savings rate in the 80's. However, this is not a strong result, since it is based on the introduction of an ad hoc variable representative of deregulation. The latter could have increased the significance of interest rates on house- holds' savings behaviour.
- L'Allemagne joue-t-elle le rôle de locomotive vis-à-vis de la France ? - Catherine Bruno p. 165-195 Cette étude propose une évaluation des liens économiques qu'entretiennent la France et l'Allemagne sur la période 1960-1989. Plus précisément, nous nous demandons si l'Allemagne a joué au cours des trente dernières années le rôle de locomotive vis-à-vis de la France. Nous recourons à l'économétrie des séries temporelles — la modélisation vectorielle autorégressive structurelle — pour évaluer les sources de fluctuations des économies française et allemande, sources de fluctuations qui sont soit spécifiquement nationales soit communes aux deux pays. Nous complétons l'étude des relations entre la France et l'Allemagne par une présentation des faits stylisés des deux économies. La comparaison des faits stylisés allemands et français d'une part, et l'étude des sources de fluctuations des deux économies dans le cadre d'un modèle vecto- riel autorégressif d'autre part, confirment le rôle de locomotive joué par l'Allemagne dans ses échanges avec la France.International real business cycles : is Germany a locomotive for France ? Catherine Bruno A major focus of attention in macroeconomics in recent years has been to identify empirically the forces that induce fluctuations in econo- mic aggregates. The motivation of this literature has been to assess the relative importance of real versus nomimal shocks in the generation and propagation of business cycles. The purpose of this paper is to extend this literature to an open-economy setting . We develop and estimate a multivariate, structural model to measure the relative contribution of supply, demand, monetary and competitiveness shocks in explaining French and German economic fluctuations. We also compare French and German stylized facts to each other. Our goal is to ask if Germany is a locomotive for France over the 1960-1989 sample. We notice that German output expansion always precedes French one and that Germany is a locomotive for France in the case of common supply shocks.
- Justice sociale, inégalités, exclusion - Mireille Elbaum p. 197-247 La question des inégalités a été en France dans les années soixante et soixante-dix au cœur du débat social sur la répartition des fruits de la croissance. Depuis le début des années quatre- vingt, l'idée de lutter contre les inégalités s'est toutefois trouvée remise en cause comme inadéquate, voire dépassée. De nouveaux développements théoriques ont mis en avant des conceptions de la justice, qui, soit, ont semblé dessiner un consen- sus renouvelé autour de la notion d'« équité », soit se sont référés à des conceptions complexes et plurielles de la justice, nées de la confrontation de logiques multiples. Et la réinterprétation souvent simplificatrice qui en a été faite a servi, de façon détournée, à renoncer à la priorité donnée à la lutte contre les inégalités au sein des politiques économiques et sociales. Dans ce contexte, les inégalités traditionnelles de revenus, de patrimoines et de conditions de vie ont cessé de se resserrer à partir des années quatre-vingt. Les mécanismes de reproduction des « classements sociaux » n'ont de leur côté qu'assez faiblement été remis en cause, malgré les bouleversements intervenus au sein des structures professionnelles et sociales. Et la « démocratisation » de l'enseignement n'a pas, en elle-même, sensiblement infléchi « l'inégalité des chances », dans un contexte où la « norme » du diplôme comme critère d'accès à l'emploi exacerbait les attentes et les frustrations vis-à-vis de l'école. Surtout, avec le développement d'un chômage de masse, la précarité et le sous emploi ont désormais été mis en avant comme la principale des inégalités qu'avait à affronter la société française. La prise de conscience de « nouvelles formes de pauvreté », en partie révélées par le RMI, a contribué à à mettre en doute l'objec- tif global de lutte contre les inégalités, et a abouti à une utilisation de plus en plus extensive et banalisée de la notion « d'exclusion », faisant de la « lutte contre l'exclusion » une politique à part, disso- ciée du fonctionnement d'ensemble de la société. La remise en cause des inégalités a par ailleurs été opposée à un « impératif d'efficacité économique », qui, selon certaines thèses, réclamerait une dispersion salariale plus forte, et un système de prestations et de prélèvements ne pénalisant pas les accroisse- ments de revenus. La pertinence de ces thèses est cependant contestable, et le lien entre inégalités sociales et performances économiques n'a de fait guère été établi, qu'il s'agisse des disper- sions salariales dans leur ensemble, du rôle spécifique du salaire minimum, ou des effets de l'indemnisation du chômage et des minima sociaux. II apparaît en outre très dangereux d'envisager pour la France un modèle économique et social fondé sur un accroissement des inégalités, avec, le risque, en contrepartie d'une réduction du chômage apparent, de nuire à la compétitivité globale de l'économie, de développer la pauvreté et de faire basculer vers l'inactivité des travailleurs découragés par les bas salaires. Même s'il faut leur redonner de nouveaux contours et de nouvelles méthodes, les politiques globales de lutte contre les inégalités doivent être remises au centre du débat, et considérées comme l'axe majeur des réformes à apporter à l 'Etat-providence, concernant la régulation des dépenses de santé, le financement de la protection sociale, la réforme fiscale, ou la réhabilitation et la transparence d'ensemble des mécanismes de solidarité collective. D'un autre côté, l'une des critiques essentielles adressées à Г Etat-providence a porté sur ses difficultés à prendre en compte l'ampleur et la multiplicité des phénomènes d'exclusion. Elles ont pu plaider pour que l'exclusion devienne l'axe central, si ce n'est exclusif, des politiques sociales. La tentation a alors été d'opposer lutte contre l'exclusion et lutte contre les inégalités en les faisant «jouer l'une contre l'autre». Or, une telle conception se heurte aujourd'hui à des limites majeures, et c'est bien de la réhabilitation d'un objectif de justice sociale dans son ensemble, dont les politiques de lutte contre l'exclusion ont désormais besoin pour servir de guide à leur renouvellement. Ceci vaut en particulier en matière d'éducation, à travers la sectorisation géographique, les contenus pédagogiques d'enseignement et les mécanismes de sélection par l'orientation et le choix des filières. Ceci vaut également en matière de logement, où les aides aux locataires HLM et aux quartiers en difficulté butent sur l'incapacité du système d'intervention publique à maîtriser l'offre de logements et à restaurer la mobilité spatiale. Ceci vaut enfin pour la politique de l'emploi, qui, à travers la multiplication de dispositifs massifs d'insertion, a indirectement conforté un modèle de « partage de l'activité », dont le coût social et la fragilité impliquent aujourd'hui la révision.Social justice, inequality, exclusion Mireille Elbaum Throughout the sixties and seventies in France, the question of ine- quality was at the very core of the social debate over the distribution of the fruits of growth. Since the beginning of the eighties, the very idea of combating inequality was however challenged and seen as inadequate, or even outmoded. New theoretical developments advanced concepts of justice which seemed to suggest a renewed consensus of opinion converging towards the notion of « equity », or which referred to complex and plural concepts of justice, born from the confrontation of diverse ways of reasoning. And the concomitant, often reductionist, re-interpretation indirectly resulted in a situation whereby the priority formerly given to the problem of inequa- lity within economic and social policies was abandoned. In this context, the attenuation of traditional disparities in income, property, and living conditions ceased in the eighties. The mechanisms guiding the reproduction of « social classifications » were hardly questio- ned, despite the upheaval which occured within professional and social structures. And the « democratisation » of education did not, in itself, have any significant effect on the « inequality of opportunities », in a context where the diploma as a criterion for entering the working world could only exacerbate expectations and frustrations vis-a-vis the school system. Above all, with the development of mass unemployment, problems of precarlousness and underemployment were thereafter presented as the main type of inequality afflicting French society. The growing awareness of the existence of « new forms of poverty », partially revealed by the « RMI » (French system of income support), contributed to challenging the global objective of combating inequality, and resulted in a more and more extensive, commonplace use of the notion of « exclusion », making the « fight against exclusion » a policy in itself, disassociated from the overall functioning of the society. Furthermore, the challenge to inequality was also set against a « necessity for economic efficiency » which, according to certain theories, called for a greater dispersion in salaries, and a system of benefits and witholdings that would not penalise increases in income. The pertinence of these theories is however questionable ; the link between social dispa- rities and economic performances has not been established, whether we consider a dispersion in salaries on the whole, the specific role of the minimum wage, or the effects of unemployment compensation and wel- fare benefits. It would appear dangerous, in France, to envisage an economic and social model based on an increase in disparities, with the risk of affecting the economy's global competitiveness, of developing poverty further and of pushing workers to opt for idleness when confronted with low wages, all in return for an only apparent decrease in unemployment. Even if new contours and new methods are needed, global policies to combat inequality must be placed at the centre of the debate once again, and considered as the major axis in reforms affecting the Welfare State, concerning the regulation of public health expenditure, the financing of social protection, tax reform, or the rehabilitation and overall transpa- rency of the mechanisms guiding collective solidarity. On the other hand, one of the main criticisms of the Welfare State concerns its difficulty to fully integrate the extent and the multiplicity of the exclusion phenomena. They were able to defend the idea that exclu- sion should become the central, if not exclusive, axis in social policies. The temptation then was to oppose the fight against exclusion and the fight against inequality, setting them off one against the other. However, today this type of concept has come up against important limitations and re-insertion policies now need to reconsider the impor- tance of an objective of social justice in its entirely to serve as a guideline for their renewal. This is particularly true in the field of education, through geographical sectorisation, the pedagogical contents of courses and the mechanisms of selection through orientation and a choice of paths. This is also true for housing, where the assistance given to tenants in « HLM » (Council Housing) and to problem neighbourhoods buckles under the incapicity of the system of State Intervention when it comes to regulating the housing offer and to restoring spatial mobility. Finally, this is true for employment policies which, trough a multiplication of massive professional insertion measures, have indirectly reinforced a model of « activity sharing », the social cost and the fragility of which call for a reappraisal.
- Chronique des tendances de la société française - Louis Dirn, Louis Chauvel, Jean- Pierre Jaslin, Henri Mendras, Agnès van Zanten p. 249-268 Cette chronique porte sur quatre des tendances que Louis Dirn suit régulièrement : • L'effort pour assurer une meilleure égalité des chances sco- laires se heurte à des effets pervers qui résultent des politiques de gestion des établissements et des stratégies des familles. La diver- sification des établissements offre une nouvelle liberté de choix aux familles qui en jouent plus ou moins efficacement ; les parents enseignants sont naturellement les plus à même de mener des stratégies habiles. • La remise en question de l'État-providence doit conduire à la formulation d'une nouvelle doctrine. Le livre de Pierre Rosanvallon en fournit quelques linéaments. • Le contraste ville-campagne n'existe plus dans les opinions et les valeurs des Français, qui pourtant sont convaincus que le « rat des villes » sera toujours différent du « rat des champs ». • Les dernières données sur la pratique religieuse et les croyances des Français prolongent sur tous les plans le déclin semi-séculaire. Cependant, l'allégeance vague au catholicisme demeure très majoritaire ; une forte incertitude provient surtout de l'arrivée prochaine à l'âge adulte de nouvelles générations dont un tiers n'est pas baptisé.
- Summaries in English - p. 269-273
- Cahier de graphiques - Département des diagnostics de l'OFCE, Amel Falah p. 276