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Titre Justice sociale, inégalités, exclusion
Auteur Mireille Elbaum
Mir@bel Revue Revue de l'OFCE (Observations et diagnostics économiques)
Numéro no 53, 1995 Revue de l'OFCE n°53
Page 197-247
Mots-clés (matière)exclusion inégalité des revenus inégalité sociale inégalités justice sociale logement pauvreté personne retraitée système éducatif
Mots-clés (géographie)France
Résumé La question des inégalités a été en France dans les années soixante et soixante-dix au cœur du débat social sur la répartition des fruits de la croissance. Depuis le début des années quatre- vingt, l'idée de lutter contre les inégalités s'est toutefois trouvée remise en cause comme inadéquate, voire dépassée. De nouveaux développements théoriques ont mis en avant des conceptions de la justice, qui, soit, ont semblé dessiner un consen- sus renouvelé autour de la notion d'« équité », soit se sont référés à des conceptions complexes et plurielles de la justice, nées de la confrontation de logiques multiples. Et la réinterprétation souvent simplificatrice qui en a été faite a servi, de façon détournée, à renoncer à la priorité donnée à la lutte contre les inégalités au sein des politiques économiques et sociales. Dans ce contexte, les inégalités traditionnelles de revenus, de patrimoines et de conditions de vie ont cessé de se resserrer à partir des années quatre-vingt. Les mécanismes de reproduction des « classements sociaux » n'ont de leur côté qu'assez faiblement été remis en cause, malgré les bouleversements intervenus au sein des structures professionnelles et sociales. Et la « démocratisation » de l'enseignement n'a pas, en elle-même, sensiblement infléchi « l'inégalité des chances », dans un contexte où la « norme » du diplôme comme critère d'accès à l'emploi exacerbait les attentes et les frustrations vis-à-vis de l'école. Surtout, avec le développement d'un chômage de masse, la précarité et le sous emploi ont désormais été mis en avant comme la principale des inégalités qu'avait à affronter la société française. La prise de conscience de « nouvelles formes de pauvreté », en partie révélées par le RMI, a contribué à à mettre en doute l'objec- tif global de lutte contre les inégalités, et a abouti à une utilisation de plus en plus extensive et banalisée de la notion « d'exclusion », faisant de la « lutte contre l'exclusion » une politique à part, disso- ciée du fonctionnement d'ensemble de la société. La remise en cause des inégalités a par ailleurs été opposée à un « impératif d'efficacité économique », qui, selon certaines thèses, réclamerait une dispersion salariale plus forte, et un système de prestations et de prélèvements ne pénalisant pas les accroisse- ments de revenus. La pertinence de ces thèses est cependant contestable, et le lien entre inégalités sociales et performances économiques n'a de fait guère été établi, qu'il s'agisse des disper- sions salariales dans leur ensemble, du rôle spécifique du salaire minimum, ou des effets de l'indemnisation du chômage et des minima sociaux. II apparaît en outre très dangereux d'envisager pour la France un modèle économique et social fondé sur un accroissement des inégalités, avec, le risque, en contrepartie d'une réduction du chômage apparent, de nuire à la compétitivité globale de l'économie, de développer la pauvreté et de faire basculer vers l'inactivité des travailleurs découragés par les bas salaires. Même s'il faut leur redonner de nouveaux contours et de nouvelles méthodes, les politiques globales de lutte contre les inégalités doivent être remises au centre du débat, et considérées comme l'axe majeur des réformes à apporter à l 'Etat-providence, concernant la régulation des dépenses de santé, le financement de la protection sociale, la réforme fiscale, ou la réhabilitation et la transparence d'ensemble des mécanismes de solidarité collective. D'un autre côté, l'une des critiques essentielles adressées à Г Etat-providence a porté sur ses difficultés à prendre en compte l'ampleur et la multiplicité des phénomènes d'exclusion. Elles ont pu plaider pour que l'exclusion devienne l'axe central, si ce n'est exclusif, des politiques sociales. La tentation a alors été d'opposer lutte contre l'exclusion et lutte contre les inégalités en les faisant «jouer l'une contre l'autre». Or, une telle conception se heurte aujourd'hui à des limites majeures, et c'est bien de la réhabilitation d'un objectif de justice sociale dans son ensemble, dont les politiques de lutte contre l'exclusion ont désormais besoin pour servir de guide à leur renouvellement. Ceci vaut en particulier en matière d'éducation, à travers la sectorisation géographique, les contenus pédagogiques d'enseignement et les mécanismes de sélection par l'orientation et le choix des filières. Ceci vaut également en matière de logement, où les aides aux locataires HLM et aux quartiers en difficulté butent sur l'incapacité du système d'intervention publique à maîtriser l'offre de logements et à restaurer la mobilité spatiale. Ceci vaut enfin pour la politique de l'emploi, qui, à travers la multiplication de dispositifs massifs d'insertion, a indirectement conforté un modèle de « partage de l'activité », dont le coût social et la fragilité impliquent aujourd'hui la révision.
Source : Éditeur (via Persée)
Résumé anglais Social justice, inequality, exclusion Mireille Elbaum Throughout the sixties and seventies in France, the question of ine- quality was at the very core of the social debate over the distribution of the fruits of growth. Since the beginning of the eighties, the very idea of combating inequality was however challenged and seen as inadequate, or even outmoded. New theoretical developments advanced concepts of justice which seemed to suggest a renewed consensus of opinion converging towards the notion of « equity », or which referred to complex and plural concepts of justice, born from the confrontation of diverse ways of reasoning. And the concomitant, often reductionist, re-interpretation indirectly resulted in a situation whereby the priority formerly given to the problem of inequa- lity within economic and social policies was abandoned. In this context, the attenuation of traditional disparities in income, property, and living conditions ceased in the eighties. The mechanisms guiding the reproduction of « social classifications » were hardly questio- ned, despite the upheaval which occured within professional and social structures. And the « democratisation » of education did not, in itself, have any significant effect on the « inequality of opportunities », in a context where the diploma as a criterion for entering the working world could only exacerbate expectations and frustrations vis-a-vis the school system. Above all, with the development of mass unemployment, problems of precarlousness and underemployment were thereafter presented as the main type of inequality afflicting French society. The growing awareness of the existence of « new forms of poverty », partially revealed by the « RMI » (French system of income support), contributed to challenging the global objective of combating inequality, and resulted in a more and more extensive, commonplace use of the notion of « exclusion », making the « fight against exclusion » a policy in itself, disassociated from the overall functioning of the society. Furthermore, the challenge to inequality was also set against a « necessity for economic efficiency » which, according to certain theories, called for a greater dispersion in salaries, and a system of benefits and witholdings that would not penalise increases in income. The pertinence of these theories is however questionable ; the link between social dispa- rities and economic performances has not been established, whether we consider a dispersion in salaries on the whole, the specific role of the minimum wage, or the effects of unemployment compensation and wel- fare benefits. It would appear dangerous, in France, to envisage an economic and social model based on an increase in disparities, with the risk of affecting the economy's global competitiveness, of developing poverty further and of pushing workers to opt for idleness when confronted with low wages, all in return for an only apparent decrease in unemployment. Even if new contours and new methods are needed, global policies to combat inequality must be placed at the centre of the debate once again, and considered as the major axis in reforms affecting the Welfare State, concerning the regulation of public health expenditure, the financing of social protection, tax reform, or the rehabilitation and overall transpa- rency of the mechanisms guiding collective solidarity. On the other hand, one of the main criticisms of the Welfare State concerns its difficulty to fully integrate the extent and the multiplicity of the exclusion phenomena. They were able to defend the idea that exclu- sion should become the central, if not exclusive, axis in social policies. The temptation then was to oppose the fight against exclusion and the fight against inequality, setting them off one against the other. However, today this type of concept has come up against important limitations and re-insertion policies now need to reconsider the impor- tance of an objective of social justice in its entirely to serve as a guideline for their renewal. This is particularly true in the field of education, through geographical sectorisation, the pedagogical contents of courses and the mechanisms of selection through orientation and a choice of paths. This is also true for housing, where the assistance given to tenants in « HLM » (Council Housing) and to problem neighbourhoods buckles under the incapicity of the system of State Intervention when it comes to regulating the housing offer and to restoring spatial mobility. Finally, this is true for employment policies which, trough a multiplication of massive professional insertion measures, have indirectly reinforced a model of « activity sharing », the social cost and the fragility of which call for a reappraisal.
Source : Éditeur (via Persée)
Article en ligne http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ofce_0751-6614_1995_num_53_1_1396