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Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | vol. 31, no. 1, 1980 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Le capital social - Pierre Bourdieu p. 2-3
- Une grande famille - Monique De Saint Martin p. 4-21 Une grande famille Porteur d'un titre et d'un nom des plus prestigieux, héritier d'une grande famille de la noblesse militaire où l'on «sert la France depuis 500 ans», ancien élève de l'École Polytechnique, PDG d'une société filiale du groupe Schneider, le douzième duc de Brissac, qui a épousé May Schneider, descendante d'une des plus grandes familles de maîtres de forges, représente la forme réalisée de l'aristocrate accompli et concentre un ensemble de propriétés particulièrement rares. Le capital social qu'il a reçu de sa famille et qu'il n'a cessé d'accumuler, d'entretenir et de faire valoir tout en sachant à l'occasion le reconvertir est sans aucun doute au principe de cette concentration de richesses. Centre d'un réseau de relations d'une étendue et d'une densité exceptionnelles, le duc de Brissac a acquis dès l'enfance, puis dans les établissements d'enseignement secondaire «de bonne compagnie» qu'il a fréquentés, l'art et le goût de cultiver les relations héritées et de les étendre. Une analyse des mémoires du duc de Brissac et des nombreux ouvrages écrits par d'autres membres de la famille a permis de reconstituer l'histoire de cette entreprise d'accumulation et de gestion du capital social.A Great Family The bearer of one of the most prestigious titles and names, the heir to a great family of the military nobility in which "they have served France for 500 years", a former pupil of the Ecole Polytechnique, managing-director of one of the sister-companies of the Schneider Corporation, the Twelfth Duke of Brissac, who married May Schneider, a descendant of one of the greatest ironmasters families, is the realisation of the perfect aristocrat, possessing a remarkable aggregate of qualities and distinctive features. The social assets handed down to him by his family which he has constantly built up, maintained and exploited while knowing, whenever the occasion demanded, how to reconvert it, are, without doubt at the root of this concentration of riches. At the focal point of an exceptionally widespread and dense network of relations, the Duke of Brissac has acquired, from infancy and later in "well-bred" High Schools, a taste for cultivating and extending the kinship networks devolved on him through inheritance. The analysis of the memoirs of the Duke of Brissac and of several works written by other members of his family has enabled the author to trace the history of this pursuit of the accumulation and management of social assets.
- Mariage et relations familiales dans l'aristocratie rurale : deux entretiens - Dominique Merllié, Jean-Yves Cousquer p. 22-34
- Grandeur et permanence des grandes familles paysannes - Sylvain Maresca p. 35-61 Grandeur et permanence des grandes familles paysannes. Sous-tendue par l'hypothèse que la sélection des dirigeants paysans préfigure, dans ses mécanismes et ses résultats, celle qui opère ensuite dans le reste de la paysannerie, l'étude biographique des représentants agricoles permet de mieux comprendre comment la paysannerie a pu gérer elle-même sa propre liquidation, sous l'action d'un appareil d'encadrement professionnel et syndical. En Meurthe-et-Moselle, les dirigeants appartiennent le plus souvent à une bourgeoisie agricole riche, cultivée, célébrée pour son excellence professionnelle et son honorabilité, composée de grandes familles liées entre elles par un réseau d'alliances matrimoniales. Initialement, le développement des organisations agricoles visait la satisfaction des seuls intérêts des paysans aisés, engagés les premiers dans l'essor de l'élevage. De la Jeunesse agricole catholique, qui fut tout d'abord un mouvement confessionnel d'élite avant de s'orienter vers la formation culturelle des jeunes ruraux, les représentants de la bourgeoisie agricole retirèrent un surcroît de légitimité en ne paraissant devoir leur distinction qu'à leurs seuls mérites personnels et à une culture dont ce mouvement catholique imposa la nécessité à un nombre croissant de jeunes agriculteurs. Mais, précédant une évolution qui confirmait toujours le bien-fondé de leurs choix, les membres des grandes familles délaissèrent la JAC dès les années 50 pour faire des investissements scolaires sanctionnés par des diplômes reconnus et pour créer des organisations nouvelles qui depuis sont devenus dominantes et disposent de moyens accrus pour gérer un exode rural transformé en un vaste processus de sélection explicite des agriculteurs.The Strenght and Perpetuity of the Major Families of the Landed Peasantry. Based on the hypothesis that the selection of peasant leaders foreshadows, by its mechanisms and end-products, that which is subsequently operative in peasantry as a whole, the biographical study of agricultural representatives gives a better understanding of how peasantry could manage its own liquidation, under the influence of a professional and trade-union officer machinery. In the department of Meurthe-et-Moselle, most peasant leaders belong to a rich and cultured farming bourgeoisie which is known for its professional ability and its respectability and is composed of great families bound to one another by a network of marriage alliances. At first the development of agricultural organizations aimed at satisfying only the interests of well-off peasants who were the first to engage in the growth industry that was livestock breeding. From the "Jeunesse agricole catholique", which was first a religious organization for select people before devoting itself to the education of country youngsters, the members of the farming bourgeoisie derived an additional legitimacy as if they only owed their distinctiveness to their personal merits and to a culture the necessity of which was imposed to an increasing number of young peasants by this catholic organization. But preceding an evolution which brought constant confirmation of the value of their choices, the members of the great families deserted the J.A.C. as early as the fifties in order to invest in the pursuit of academic attainment yielding official degrees and to create new organizations which have since become the leading ones and dispose of improved me ans of managing a rural depopulation turned into a widespread and clear-cut selection of peasants.
- La circulation des biens, de la main-d'œuvre et des prénoms à Karpathos : du bon usage des parents et de la parenté - Bernard Vernier p. 63-92 La circulation des biens, de la main-d'œuvre, et des prénoms à Karpathos. Dans la société paysanne de l'île grecque de Karpathos les rapports de production opposaient les aînés détenteurs des moyens de production aux cadettes qui étaient condamnées au célibat ainsi qu'à servir de bonnes et d'ouvrières agricoles aux couples des aînés. Des rapports de domination économiques, idéologiques et affectifs permettaient à ce système élémentaire d'exploitation de fonctionner de façon harmonieuse. Si les stratégies successorales et éducatives des lignées masculines et féminines visaient à reproduire à chaque génération leur position dans la structure sociale, leurs stratégies d'attribution des prénoms, qui avaient surtout pour fonction de légitimer les droits exclusifs des aînés, correspondaient aussi souvent à des stratégies de captation d'héritages. Dans tous les cas le choix d'un prénom obéissait à la logique de l'intérêt mais le souci de concilier la satisfaction des intérêts économiques et symboliques portait à utiliser des stratégies de dissimulation des intérêts économiques. Enfin, les stratégies d'appellation pouvaient avoir pour fonction d'amener les cadettes à rivaliser de dévouement à l'égard de leur sœur aînée. Le réseau de parents dont chacun disposait, dépendait dans son étendue, sa structure et son rendement économique et social, de l'origine de son prénom ainsi que de l'origine du prénom de chacun des membres de sa parenté officielle. Les caractéristiques de ce réseau dépendaient également de la catégorie sociale d'appartenance, des pratiques d'émigration, des règles de résidence et de la coutume qui obligeait les cadettes célibataires à travailler pour leur sœur aînée. Mais si les rapports de parenté n'étaient pas prédéterminés par l'origine du prénom de chacun, c'était aussi que l'on pouvait, à travers les stratégies d'appellation manipuler la parenté c'est-à-dire choisir de renforcer les liens de parenté les plus utiles. Les relations de parrainage qui s'établissaient entre paysans et bergers donnaient lieu à un échange durable de dons et de contre-dons qui couvrait une part importante des échanges économiques nécessaires à ces deux groupes. Ce type de circulation des biens contribuait à mettre la hiérarchie sociale à l'abri des facteurs de perturbation externes et faisait obstacle à l'émergence d'une conscience de l'économique en tant que tel. Au total, cette société utilisait de façon systématique les liens de parenté ordinaire (sphère de la production) et spirituelle (sphère de la circulation) à des fins de maintien de l'ordre social. Ce faisant, elle établissait les conditions sociales de sa survie.The Circulation of Wealth, Manpower and First Names in Karpathos. In the peasant society of the Greek island of Karpathos relationships of production were based on an opposition between the elders who controlled the means of production, and the younger daughters who were condemned to a life of spinsterhood or drudgery as maids or farm hands in the service of the couples of the elders. Economic, ideological and affective relationships of domination enabled this rudimentary System of exploitation to operate untroubled. If the strategies relating to the practice of inheritance and education employed by the male and female Unes of descendants aimed to reproduce in each successive generation their position in the social structure, their strategies relating to the attribution of first names, which were meant above all to legitimize the exclusive rights of the elders, were also infrequently based on strategies of inveigling inheritances. Invariably the choice of a first name obeyed the logic of self-interest but the desire to reconcile the satisfaction of economic and symbolic interests lent itself to the use of strategies concealing economic interests. A final function of strategies of naming is that of inducing younger daughters to outdo one another in devotion for their elder sister. The kinship network at each person's disposal depended in its extent, structure and economic and social yield on the origin of that person's first name as well as on the origin of the first name of each of the members of his official kin. The features of this network also depended on the social class he belonged to, patterns of emigration, regulations governing residence and the custom which obliged the unmarried younger sister to work for their elder sister. But if the kinship relationships were not predetermined by the origin of the first name of each member, this merely enabled one, via strategies of naming, to manipulate kinship, and thereby reinforce the most useful kinship links. The sponsorship relationship set up between peasant and shepherd gave rise to a lasting exchange of gifts and gifts in return which accounted for a major portion of the economic interchanges essential to these two groups. This type of circulation of wealth helped to safeguard the social hierarchy from any external disturbance and hindered the emergence of an awareness of economic facts as such. To sum up, this society systematically utilized ordinary kinship links (the sphere of production) and spiritual kinship links (the sphere of circulation) with the end of maintaining the social order. In this way it established the social conditions for its own survival.
- Résumés - p. 93-96