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Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | vol. 71, no. 1, 1988 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Penser la politique - Pierre Bourdieu p. 2-4
- Le nombre de voix - Michel Offerlé p. 5-21 Le nombre de voix. On admet aujourd'hui spontanément que les électeurs qui ont voté pour un candidat investi par un parti politique sont des électeurs de ce parti. Considérés comme comptabilisâmes et interchangeables, ils constituent dès lors son électorat, groupe plus ou moins "homogène" que l'on dénombre, que l'on fait parler et agir. En s'interrogeant sur la genèse de la construction des électorats opérée par le travail de mobilisation et de découpage des entreprises "socialistes" à la fin du siècle dernier, on a cherché à faire ressortir les multiples opérations politiques et statistiques, leurs enjeux et leurs effets, qui sont au principe de la production du nombre des voix et du partage de "l'opinion" en "familles politiques". On voit ainsi que les électorats, ni groupes réels ni purs artefacts, sont construits par la concurrence des professionnels de la politique et du commentaire politologique.The Number of Votes. It is nowadays spontaneously accepted that the electors who have voted for the official candidate of a political party are electors of that party. Considered as quantifable, interchangeable assets, they then constitute its electorate, a more or less "homogeneous" group which is counted and made to speak and act. This article examines the genesis of the construction of electorates, largely carried out by the work of mobilization and distribution performed by "socialist" undertakings at the end of the last century, and seeks to bring to light the numerous political and statistical operations, their stakes and their effects, which lie behind the production of the number of votes and the division of opinion into "political families". It can be seen that electorates are neither real groups nor pure artefacts but are constructed by the competition of professionals in politics and in political-science commentary.
- Le secret de l'isoloir - Alain Garrigou p. 22-45 Le secret de l'isoloir. Progressivement adopté dans les autres pays, l'isoloir a fait l'objet, en France, d'une forte résistance et a donné lieu, de 1880 à 1913, à une âpre controverse. L'analyse des débats et scrutins parlementaires de cette période montre que le refus de l'isoloir était principalement le fait des élus conservateurs et des républicains modérés et obéissait aussi bien à des calculs stratégiques partisans qu'à des conceptions patrimoniales. Pour ces notables, en effet, l'isoloir est associé aux phantasmes de la désagrégation sociale, d'autant plus qu'ils considèrent leur élection comme le prolongement naturel de leur domination sociale. A l'opposé, les réformateurs, partisans de l'isoloir, tentaient par là d'imposer une définition légitime de la transaction électorale conforme à leurs conceptions et à leurs intérêts d'entrepreneurs politiques spécialisés, d'autant plus portés à séparer l'activité politique des autres activités sociales qu'ils devaient, la plupart du temps, leur position sociale à leur élection. Imposer l'isoloir, ce n'est plus seulement mettre l'électeur à l'abri des pressions, c'est aussi imposer une nouvelle définition de l'électeur comme individu abstrait, rationnel, dissocié de son environnement social dans l'accomplissement d'un rôle spécifiquement politique.The Privacy of the Polling Booth. The polling booth, allowing a secret vote, which was gradually adopted in other countries, met with tierce resistance in France and gave rise to bitter controversy between 1880 and 1913. Analysis of the parliamentary debates and votes of the period shows that refusal of the polling booth was strongest among the conservative and moderate republican representatives and corresponded both to their party strategies and to their conception of property rights. These notables associated the polling booth with fantasies of social disintegration, the more so since they regarded their election as the natural extension of their social domination. By contrast, the reformers, who supported the polling booth, were endeavouring to impose a legitimate definition of the electoral transaction which corresponded to their own ideas and to their interests as specialized political entrepreneurs, who were more inclined to separate political activity from other social activities because they generally owed their social position to their election. Imposing the use of the polling booth meant not only shielding the voter from pressures, but also imposing a new definition of the voter as an abstract, rational individual, dissociated from his social environment in the performance of a specifically political role.
- Les dirigeants communistes - Bernard Pudal p. 46-70 Les dirigeants communistes. Le PCF se distingue de toutes les autres formations politiques par un taux particulièrement élevé d'ouvriers parmi ses permanents. Ce trait discriminant et revendiqué résulte d'une politique de sélection, de formation et de promotion visant à permettre à des membres de la classe ouvrière l'accession au champ politique. A partir de matériaux tirés de biographies ou d'autobiographies des dirigeants communiste des années 30, il est possible de montrer que l'accès au professionnalisme politique constitue souvent pour ces dirigeants un moyen de résoudre les contradictions de leur histoire sociale personnelle et les prédispose du même coup à servir l'institution qui a su les reconnaître, ces "instituteurs des masses" s'apparentant, par plus d'un trait, aux instituteurs laïques et aux prêtres ruraux. La crise actuelle du PCF, comme celles d'ailleurs de l'Eglise et de l'Ecole, peut s'analyser pour une part comme une crise de la production du corps de ces intellectuels d'institution.The Communist Leaders. The French Communist Party (PCF) differs from all other French parties in that it has a particularly high proportion of former manual workers among its full-time officials. This dis- tinctive feature, a matter of pride for the Party, results from a policy of selection, training and promotion designed to enable members of the working class to enter the political field. On the basis of material drawn from biographies or autobiographies of Communist leaders of the 1930s, it can be shown that access to political professionalism often provides these leaders with a means of resolving the contradictions of their personal social history and at the same time predisposes them to serve the institution which has recognized them. These "political teachers of the masses" have a number of features in common with the prima-ry teachers of the state education System and country priests. The present crisis of the PCF, like that of the Church and the education system, can be seen partly as a crisis of the reproduction of these institutional intellectuals.
- Le cercle politique - Patrick Champagne p. 71-97 Le cercle politique. II est peu de «prestations de télévision» qui, comme le débat opposant en octobre 1985 Laurent Fabius à Jacques Chirac, condense jusqu'à la caricature les nouvelles propriétés de la lutte politique. Au-delà de l'affrontement des leaders politiques devant de vastes auditoires de téléspectateurs, on peut apercevoir en effet tous les agents, des plus apparents aux plus cachés, qui aujourd'hui participent au fonctionnement du champ politique, depuis les commentateurs politiques traditionnels (hommes politiques et journalistes) jusqu'aux nouveaux venus, qu'il s'agisse des politologues qui dissèquent les «prestations» des hommes politiques ou des instituts de sondage d'opinion qui réalisent en permanence, à la demande de la presse qui les publie, des enquêtes visant à saisir «scientifiquement» l'«état de l'opinion publique» sur tous les domaines. On assiste ainsi, depuis une vingtaine d'années, à une véritable prolifération de dispositifs qui se parent de la légitimité de la science, et prétendent mesurer les effets que les «prestations» des grands leaders politiques provoquent sur l'«opinion publique». La «médiatisation» de la politique et sa saisie pseudo-savante par la science politique ont entraîné une redéfinition progressive de ce que l'on appelle «politique» : celle-ci consiste de plus en plus en l'art de savoir utiliser un ensemble de techniques mises au point par des spécialistes en «communication politique» afin de produire des «effets d'opinion» (plus ou moins artéfactuels) mesurés par les instituts de sondage, auprès d'un public en grande majorité peu intéressé par la politique, situé en position de spectateur, et cela afin de pouvoir occuper avec légitimité une position politiquement dominante à l'intérieur d'un espace dans lequel la quasi-totalité des acteurs croient en la validité scientifique des sondages d'opinion et cherchent à les mettre de leur côté.The Political Circle. Few «media performances» have condensed in more caricatural form the new properties of political struggle than the televised debate in October 1985 between Laurent Fabius and Jacques Chirac. Beyond the confrontation of political leaders before a vast audience of TV viewers, it involved all the agents who nowadays participate in the functioning of the political field, from the most visible to the most hidden, from the traditional political commentators (politicians and journalists) to the newcomers including the political scientists who dissect the «performances» of the politicians and the polling organizations, endlessly commissioned by the press to produce surveys purporting to grasp «scientifically» the «state of public opinion» in all areas. The last two decades have seen a proliferation of devices laying claim to scientific legitimacy and claiming to measure the effects which the media «performances» of the major political leaders have on «public opinion». The «mediatisation» of politics and its pseudo-scientific interpretation by political scientists have led to a progressive redefinition of what is called «politics». This increasingly consists in the art of using a set of techniques developed by specialists in «political communication» to produce (more or less artificially constructed) «opinion effects», measured by polling organizations, on an audience very largely uninterested in politics, situated as spectators, with a view to legitimately occupying a politically dominant position within a space in which virtually all the actors believe in the scientific validity of opinion polls and endeavour to win their support.
- "L'Heure de vérité" - Patrick Champagne p. 98-101
- La télé au pays - Jean-Louis Fabiani p. 102-107 La télé au pays. Apparue dans un contexte de forte politisation, l'information télévisée régionale corse offre une situation d'observation quasi expérimentale pour l'étude des rapports entre le journalisme et le politique. Si les journalistes de FR3 Corse ont suscité des réactions violentes de la part des hommes politiques locaux, c'est parce qu'ils ont rompu le cercle magique de l'espace politique et remis en question les règles tacites qui gouvernent leurs rapports avec les élus. A partir de remarques sur la transformation des représentations de la Corse introduite par la production locale d'images et l'utilisation à l'antenne d'une langue non officielle, on peut voir dans quelle mesure une expérience aussi sociologiquement improbable que celle de FR3 Corse permet de mettre au jour les conditions de fonctionnement des médias contemporains.TV in Corsica. The coverage of Corsican current affairs on a regional TV channel, FR3 Corse, which emerged in a context of intense politicization, offers a quasi-experimental opportunity to observe the relationship between journalism and politics. If the FR3 Corse journalists aroused violent reactions among local politicians, this was because they broke the magie circle of the political space and called into question the tacit rules which govern their relations with elected representatives. A study of the transformation of the representations of Corsica introduced by the local production of images and the use in broadeasting of a non-official language shows the extent to which an experience as sociologically improbable as that of FR3 Corse reveals the conditions of functioning of the contemporary media.
- "C'est Reagan qui a coulé le billet vert" - Pierre Encrevé p. 108-128 «C'est Reagan qui a coulé le billet vert». Le sens se construit dans l'usage. Une phrase qui, employée isolément, comme exemple linguistique, se voit attribuer un sens unique, peut recevoir en outre, dans un contexte énonciatif et interprétatif donné, un deuxième sens, totalement implicite par une opération de dérivation référentielle généralisée (affectant chaque item lexical). «C'est Reagan qui a coulé le billet vert», en gros titre à la une d'un journal parisien en pleine «affaire Greenpeace», se révélait ainsi, pour un lecteur régulier de ce journal, un énoncé «cachant», comme un deuxième sens, un deuxième énoncé : «C'est Mitterrand qui a coulé le bateau vert». Le cadre théorique des «espaces mentaux» permet de rendre compte des opérations en jeu dans l'établissement des connexions reliant -en contexte d'usage- le deuxième sens (caché) au premier.«Reagan Sank the Greenback». Meaning is constructed through usage. A sentence which, used in isolation, as a linguistic example, is given a single meaning, may also, in a particular context of utterance and reception, receive a second, totally implicit meaning through an operation of generalized referential derivation (affecting each lexical item). Thus, «Reagan sank the Greenback», a Paris newspa-per headline at the height of the «Greenpeace affair», would be taken, by a regular reader of the paper, as an utterance "concealing", as its second meaning, a second utterance, «Mitterrand sank the Greenpeace». The theoretical framework of «mental spaces» makes it possible to explain the operations involved in making the connections which -in the context of usage- link the second, hidden, meaning to the primary meaning.
- A propos d'une rencontre entre chercheurs - Monique De Saint Martin p. 129-134
- Le fantôme de Frantz Fanon - Troy Duster, David Wellman p. 135-136
- Résumés - p. 137-142