Contenu du sommaire : La précarité mobilisée
Revue | Sociétés contemporaines |
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Numéro | no 65, 2007 |
Titre du numéro | La précarité mobilisée |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Dubois Vincent, Ferrand Michèle, Préteceille Edmond p. 5
- Des mouvements de précaires à l'unification d'une cause - Boumaza Magali, Pierru Emmanuel p. 7-25
- Le mouvement des intermittents du spectacle : entre précarité démobilisatrice et précaires mobilisateurs - Sinigaglia Jérémy p. 27-53 Alors que les mobilisations de précaires sont généralement considérées comme improbables, le mouvement des intermittents du spectacle invite à interroger à nouveaux frais les relations entre précarité et mobilisation collective. Le processus avéré ou anticipé de précarisation (perte de ressources financières et affaiblissement de l'intégration professionnelle) forme un facteur déterminant du non-engagement et de la défection. Mais l'effet démobilisateur de la précarité d'emploi structurelle peut être compensé par les ressources individuelles et collectives dont disposent les intermittents. Plus encore, l'expérience d'un emploi précaire conduit ici à la constitution de réseaux d'information et d'entraide qui, dans l'univers concurrentiel et morcelé du spectacle, facilite l'organisation de la protestation collective. Enfin, mobilisée comme label, la « précarité » a même servi l'élargissement de la cause des intermittents du spectacle et, partant, l'ampleur de leur mouvement.The Intermittent Workers' Movement: Between a Demobilizing Precarity and Mobilizing Precarious Workers Mobilizations of precarious people generally seem to be unlikely. Yet, the protest movement of the "intermittents du spectacle" ("temporary show-business workers") is a good opportunity to question the relationship between job insecurity and mobilization. Although actual or anticipated pauperization (lower income and weaker professional integration) is responsible for apathy and defections, the effect of the structural lack of job security can be compensated by the individual and collective resources that these workers dispose. Moreover, the common experience of job insecurity helps to create information and cooperation networks, which make mobilization easier in such a competitive and scattered economic sector. Finally, job insecurity, when used as a label, has even contributed to extending the cause of "intermittents du spectacle" and, as a consequence, to strengthening the movement.
- Contester une institution dans le cas d'une mobilisation improbable : la « grève des loyers » dans les foyers Sonacotra dans les années 1970 - Hmed Choukri p. 55-81 Centré sur l'analyse de la grève des loyers des foyers Sonacotra en France entre 1973 et 1981, cet article a pour objectif de montrer comment, dans un contexte historique donné, un mouvement social constitué d'étrangers au statut juridique par définition précaire a pu advenir. L'étude des trajectoires biographiques d'entrepreneurs de mobilisation et de militants de solidarité permet de mettre en évidence le processus complexe de production et de reconversion de capitaux militants spécifiques. Elle souligne ainsi la nécessité de prendre en compte les soutiens externes, appui indispensable de toute mobilisation jugée improbable. L'investigation socio-historique montre enfin par quels moyens des agents sociaux démunis tentent, pour faire reconnaître leurs griefs, de subvertir l'institution qui enserre leurs pratiques.Challenging an institution in the case of an improbable mobilization. About the rent strike in the Sonacotra Hostels in the 1970s.Focusing on the analysis of the rent strike in the French Sonacotra hostels for immigrant workers between 1973 and 1981, this article aims at unearthing the genesis, in a particular historical context, of a social movement consisting of immigrants whose legal status is by definition precarious. The study of the biographical itineraries of social movement leaders and supporter activists enables to highlight the complex process of production and reconversion of specific militant capitals. In addition, the analysis stresses the need to take into account the external support which is an essential part of any mobilisation deemed to be unlikely. Finally, the socio-historical inquiry shows the means by which the deprived social agents attempt to subvert the institution by which their practices are bound in order to air their grievances.
- Faire de nécessité vertu. Pratiques de la précarité des journalistes dans deux entreprises d'audiovisuel public - Okas Lionel p. 83-111 France 3 et Radio France figurent parmi les plus gros employeurs de travailleurs précaires. Elles emploient plusieurs centaines de journalistes en contrats à durée déterminée (CDD) ou « à la pige » qui servent à pourvoir des besoins permanents présentés comme ponctuels. Ils sont plus d'un millier à « tourner » sur Antares, le système mis en place à France 3, et plus de 150 sur celui de Radio France. C'est sur la relative faiblesse des mobilisations de ces journalistes qu'insiste cet article afin de comprendre pourquoi cette population qui dispose de nombreuses ressources, ne conteste pas ou peu ces systèmes de précarisation. Autrement dit, pourquoi des entreprises nationales, l'Etat, des syndicats et des individus non dépourvus de capital scolaire et économique ne protestent pas contre ces systèmes. Une partie des réponses examinées tient dans le fait que ces derniers engendrent des avantages à collaborer et des coûts à la défection et à la prise de parole qui sont perçus comme prohibitifs, et qui concourent au consentement de tous et de chacun.Mobilizing "the fragile life". Communists and Unemployed during the interwar years. During the interwar years, the international communist organizations tried to mobilize unemployed workers. That strategy consisted in giving to those movements an international revolutionary prospect through the "class vs. class" tactics, which was supposed to lead to the collapse of capitalism. Thus, the unemployed enjoyed a political rehabilitation, being considered as a "revolutionary avant-garde". At the time, the virtues expected from the "good" communist activist  the one who could drag the proletarianized maMMsses into the class struggle  have also been redefined. But the mass mobilization of unemployed workers remained, generally speaking, a political wishful thinking. The French experience illustrates that failure: it reveals how difficult it was to lead unemployed workers into a wide, lasting mobilization. Above all, that experience shows how complex, ambiguous, distrustful and filled with stigmatization were the links between impoverished people and their backers  whose involvement was not only a matter of "conscience", but also the result of strategic considerations. Thus, looking back on the historical difficulties of the unemployed workers' movements which took place during the 30's proves that today's debates on the mobilization of "deprived" ("sans"), "outcast" ("exclus"), or "precarious" people are not as "new" as one hastily thinks they are.
- Mobiliser « la vie fragile ». Les communistes et les chômeurs dans les années 1930 - Pierru Emmanuel p. 113-145 Cet article revient sur les tentatives, orchestrées par les organes communismes internationaux, pour mobiliser les chômeurs dans l'entre-deux-guerres. Leur stratégie est de les inscrire massivement dans une perspective révolutionnaire internationale, grâce à la tactique « classe contre classe » qui doit conduire à l'effondrement du capitalisme. Les chômeurs sont, à ce moment, politiquement réhabilités comme une « avant garde révolutionnaire » de première ordre. Ils s'inscrivent aussi dans un moment de redéfinition des qualités du « bon » militant communiste susceptible d'être capable d'entraîner dans la lutte les masses prolétarisées. En dépit des directives émanant de l'IC et de l'ISR, et hormis quelques pays (comme l'Allemagne), cet objectif de mobiliser massivement les chômeurs restera, pour l'essentiel, un voeu politique pieux. Le cas français le montre de manière exemplaire. Cette expérience politique dévoile en effet les difficultés qu'il y a à mobiliser largement et durablement les chômeurs. Elle révèle surtout les relations complexes, ambivalentes car empreintes de défiance et de stigmatisation(s), entre les populations économiquement vulnérabilisées et leurs soutiens externes (dont l'engagement n'est pas seulement « par conscience » mais aussi motivé par des considérations éminemment stratégiques). En ce sens, ce retour historique sur les difficultés et apories rencontrées par ces mobilisations des années 1930 fait écho aux débats actuels, trop vite considérés comme « nouveaux », sur les mouvements de « sans », d'« exclus » ou encore de « précaires ».To make a virtue of necessity. Job insecurity of journalists in two radio and television public companiesFrance 3 television channel and Radio France are two of the biggest precarious journalists employers. Numerous journalists working for these two state-owned companies have a short-term contract with a predetermined termination date. This mass of precarious journalists contributes to filling permanent positions said to be temporary. How can such a situation, characterized with important political and financial constraints and that may not be entirely law abiding, not result in mobilizations? Why does no one protest while many ought to, like the national companies, the State, trade unions? Why do theses high educational and economic capital individuals accept and carry on supporting these systems? Part of the answers may be that these systems generate interests to take part that make "exit" and "voice" quite expensive for the precarious people who enter it.
- « Se soumettre ou se démettre ». Les ressorts du consentement au travail dans un centre de traitement de la presse - Mamarbachi Alexandre p. 147-173 Cet article se propose d'étudier l'adaptation aux contraintes de la « flexibilité de marché » d'un centre de traitement de la presse dépendant de La Poste, et ses répercussions sur les travailleurs qui y sont employés. A partir d'une enquête menée par participation observante dans un centre de tri en banlieue nord parisienne, nous montrons comment se réalise l'ajustement entre les propriétés sociales des agents et les nouveaux modes de management « participatif » et individualisant dans un contexte d'intensification de l'activité. Malgré l'existence d'un collectif de travail socialement homogène, la politique de la GRH parvient à assurer à la fois une atomisation des salariés et une coopération accrue de leur part. La camaraderie au travail joue un rôle déterminant dans la mobilisation des salariés, s'appuyant sur les formes de sociabilité entre « jeunes » des quartiers populaires des villes environnantes, mais sans déboucher sur des formes organisées de résistances collectives. La « politique sociale » de l'entreprise tend à se légitimer dans la mesure où elle est censée offrir un « premier emploi » à des « jeunes en difficulté » d'insertion professionnelle afin qu'ils puissent accumuler des expériences en attendant d'autres opportunités d'emplois mieux rémunérés ailleurs. Mais l'installation durable dans ce type d'activité a pour conséquence inverse de déprécier leurs qualifications scolaires et professionnelles et, du fait de l'état du marché de l'emploi local, de les résigner à s'y maintenir coûte que coûte."Give in or get out".The conditions of submission at work in a press mail sorting centre. This article aims to study the adaptation to constraints of "market flexibility" of a press mail sorting centre, a subsidiary of the French Post Office (La Poste). We will also examine the repercussions on workers employed there. Starting from fieldwork as a participant-observer in the sorting office in the Northern suburbs of Paris, we show the interaction between social characteristics of employees and new modes of "participative" management (aimed at individualization of work experiences in a context of labour intensification). Despite the social homogeneity of the workgroup management policy succeeds to assure at the same time the breaking up of workers and make them more cooperative. Comradeship at work plays a determinant role in the mobilization of employees, based on modes of sociability between "young people" from popular areas in the region. But this mobilization does not give rise to organized forms of collective resistance. The oriented policy of the company justifies itself by claiming to offer initial work experience to "young people in difficulty", leading them later to better paid jobs. But as the young people stay in this kind of job longer and longer, the contrary results are produced  the young people's paper qualifications are devalued and, in view of the state of the local job market, the employees tend to want to hold on to their job at any cost.
- Les résistances des hommes à la double émancipation. Pratiques autour du congé parental en Suède - Brachet Sara p. 175-197 En 1974, la Suède est le premier pays au monde à mettre en place un système d'assurance parentale, offrant aux pères et aux mères exactement les mêmes possibilités de bénéficier d'un congé parental rémunéré en fonction du salaire antérieur. Ce nouveau dispositif de la politique familiale, englobé dans une politique plus large d'égalité des sexes, avait pour objectif principal d'instaurer une meilleure répartition des responsabilités parentales entre les deux parents. Selon le principe de la double émancipation, l'entrée massive de femmes sur le marché du travail devait s'accompagner d'une participation accrue de la part des hommes aux charges familiales, notamment à l'éducation des enfants. Trente ans plus tard, les statistiques montrent que ce congé est toujours essentiellement une affaire de femmes. A travers les résultats d'une enquête sur l'usage du congé parental dans la ville d'Uppsala en Suède, cet article vise à démontrer les effets pervers du système suédois, qui tend plutôt à renforcer les comportements parentaux dits traditionnels, malgré la prégnance des valeurs d'égalité des sexes et une politique familiale entièrement conçue en fonction du modèle du couple bi-actif et de la coparentalité égalitaire.Men's resistances to double emancipation: practices of the parental leave in Sweden. In 1974, Sweden was the first country in the world to set up a system of parental insurance, offering to mothers as well as to fathers exactly the same possibilities to take a parental leave, paid according to the former wages. This new family policy measure, included within a broader policy of gender equality, aimed to establish a better distribution of responsibilities between parents. According to the principle of double emancipation, women's entry into the labour market was to be accompanied by an increased participation of men in family workloads, in particular with the bringing up of children. Thirty years later on, the statistics show that this leave is still primarily the affair of women. Through the results of an investigation on the use of the parental leave in the town of Uppsala in Sweden, this article aims to show the perverse effects of the Swedish system, which rather tends to reinforce the "traditional" parental behaviour, in spite of the values of gender equality and a family policy entirely designed according to the model of the dual breadwinner family and equal parenthood.