Contenu du sommaire : Pacifier et punir (1)
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 173, juin 2008 |
Titre du numéro | Pacifier et punir (1) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Prologue de la rédaction - Bourdieu Jérôme, Dezalay Sara, Poupeau Franck p. 4-5
- Penser les « crimes de guerre » - Levi Ron, Hagan John p. 6-27
- Le droit de la sécurité internationale. Le terrorisme et l'empire sécuritaire de l'après-11 septembre 2001 - Scheppele Kim Lane p. 28-43 À l'âge impérial classique, les pays situés au centre du pouvoir faisaient la conquête de territoires qu'ils administraient ensuite directement. Aujourd'hui, la manipulation à distance de ressources matérielles et humaines n'a pas cessé, mais elle fait désormais l'objet de nouvelles formes de gestion. Depuis le 11 septembre 2001, la « guerre globale contre le terrorisme » a conduit les centres représentant la « civilisation » à contrôler les périphéries d'où émane la menace. Les États dominants – et les États-Unis en premier lieu – ont utilisé les institutions transnationales afin d'orienter les politiques locales partout dans le monde, en s'appuyant sur les États moins puissants pour se charger des tâches les plus répressives contre eux-mêmes. La guerre contre le terrorisme est aussi menée de façon centralisée à travers une série de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, où les États de la périphérie ne sont que marginalement représentés. Ces résolutions aboutissent à un ensemble de politiques et de directives que les États les moins puissants ne peuvent ignorer qu'à leurs dépens. Ces nouvelles directives exigent des États de la périphérie qu'ils prennent des mesures radicales afin de contrer la menace terroriste sur leur territoire et qu'ils érigent des barrières face aux flux transnationaux de personnes et de fonds. Il n'est guère surprenant que ces mesures aient eu des effets répressifs sur certaines populations, sur les oppositions politiques, et sur les structures constitutionnelles émergentes de protection des droits. Parce que la guerre contre le terrorisme est menée à travers une série de batailles internes aux États, plutôt que comme une guerre entre États, le cadre juridique dans lequel elle s'inscrit n'est pas le droit de la guerre, mais le droit des états d'urgence. On peut ainsi considérer la nouvelle formation impériale comme un état d'urgence international.In the classic days of empire, countries at the core of power and influence in the world conquered and managed territories directly. To day long-distance manipulation of substantial resources and populations has not diminished, however. It is being handled in new ways. Since 9/11, the “global war on terror” (GWOT) has created new needs for the centers of “civilization” to control the peripheries from which the threat come. Powerful states – the US lead among them – have used transnational institutions to direct local policy around the world by leaning on less powerful states to do the most repressive things to themselves. The GWOT is being fought centrally through a series of UN Security Council resolutions, where peripheral states have little representation. These UN resolutions result in a series of policies and directives that less powerful states ignore at their peril. These new orders require peripheral states to take radical steps to curb terrorist threats at home and act as barriers to the transnational flows of people and money. Not surprisingly, these domestic actions have had repressive effects on particular populations, on the expression of political dissent, and on the budding constitutional structures of rights protection in many less-powerful states. Because the GWOT is fought as a series of battles within states more than it is fought as a war among states, the legal framework for the GWOT is not the law of war, but rather the law of emergency. The new imperial formation can be seen, then, as an international state of emergency.
Trend report
- Crimes de guerre et politiques impériales. L'espace académique américain entre droit et politique - Dezalay Sara p. 44-61 Ce trend report vise à relater, par le biais de portraits de personnages emblématiques et d'extraits inédits, certains grands débats qui traversent actuellement l'espace académique juridique aux États-Unis, autour de questions liées aux interventions armées et juridiques pour gérer les violences du Sud. Ces productions académiques sont produites au croisement des champs militant, médiatique et surtout politique. Elles constituent des prises de position par rapport à la politique menée par l'Administration Bush en Irak et dans le cadre de sa « guerre contre le terrorisme ». La trajectoire de Samantha Power est ainsi emblématique de la mobilisation d'une combinaison de ressources – juridiques, politiques et médiatiques – qui expliquent en partie la place qu'occupe actuellement aux États-Unis le débat sur la qualification de « génocide » de la situation au Darfour pour justifier une guerre « juste ». Les prises de position de juristes libéraux se révèlent plus ou moins proches du cœur de l'establishment juridique américain, qui se retranche derrière les règles de l'État de droit pour critiquer les pratiques de torture et de déni de justice de l'Administration Bush. Enfin, les portraits de Chérif Bassiouni et Juan Méndez illustrent une combinaison de ressources, académiques et militantes, dans l'espace américain, qui offre une clé d'explication de la force du processus de « judiciarisation » des conflits.Using suggestive portraits and unpublished excerpts of the relevant literature, this trend report summarizes some of the important debates currently taking place within US law schools around military and juridical interventions aiming at managing violence in the South. These academic debates are located at the intersection of the fields of activism, media, and, especially, politics. They are driven by positions taken for or against the policy of the Bush administration in Irak and its “global war on terror.” The trajectory of Samantha Power is exemplary in that it mobilizes a portfolio of resources – legal, political and media – that partially explains what is at stake in the current debate over the qualification of the Darfur situation as a “genocide”, thus making a case for a “just war.” The opinions of liberal jurists turn out to be relatively close to those of the legal establishment, who criticize the Bush administration for practicing torture and denying justice by holding onto the principles of the “rule of law.” Finally, the portraits of Chérif Bassiouni and Juan Méndez illustrate a combination of academic and activist resources that helps us understand the powerful process of “juridicization” of conflicts.
- Crimes de guerre et politiques impériales. L'espace académique américain entre droit et politique - Dezalay Sara p. 44-61
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- La politique de punition et le siège de Sarajevo. Vers une application de la théorie du conflit à la perception d'une (in)justice internationale - Kutnjak Ivkovich Sanja, Hagan John p. 62-79 Le juridisme libéral se traduit par des appels assez consensuels à la régularité des procédures et à l'équité des procès dans les institutions telles que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Les conflits que l'on peut observer découlent de la contestation incessante de la portée de la juridiction internationale, des soupçons de parti pris racial/ethnique et culturel dans les délibérations et les décisions, de la surdétermination des verdicts par les priorités politiques, et de l'intrusion de débats institutionnels et politiques internationaux dans l'agenda juridique libéral. Ces conflits menacent de créer un déficit de légitimité privant le TPIY de soutien. Nous examinons ces conflits dans le contexte de deux enquêtes sur le TPIY conduites à Sarajevo en 2000 et 2003. Les résultats indiquent que les citoyens de Sarajevo sont de plus en plus convaincus que le TPIY est sous l'influence politique de juges nommés au niveau international – une tendance qui culmine lors de la condamnation de Stanislav Galic pour le siège de Sarajevo. Ce conflit porte sur des questions de justice plutôt que de procédure judiciaire, et tend à prendre la forme du rejet d'une intervention politique internationale qui subvertit le besoin d'un sentiment local de justice. Il s'agit peut-être là d'une séquence de conflit politique et de désillusion qui est inévitable.Liberal legalism non-controversially advocates procedural fairness and due process in institutions such as the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia (ICTY). The visible conflicts come with the ebb and flow of international jurisdictional claims, suspicions of racial/ethnic and cultural biases in deliberations and decisions, prioritization of purposes in sentencing decisions, and the intrusion of institutional and international political debates into the liberal legal agenda. These conflicts threaten to create a legitimacy deficit in diffuse support for the ICTY. We examine these conflicts within the context of two surveys about the ICTY conducted in Sarajevo in 2000 and 2003. The results indicate that the citizens of Sarajevo increasingly believe that the ICTY is politically influenced by internationally appointed judges, peaking with the sentencing of Stanislav Galic for the siege of Sarajevo. This conflict focuses on issues of substantive rather than procedural justice and is increasingly articulated as a rejection of international political intervention that subverts the need for a local sense of justice. This may be a sequence of political conflict and disillusionment that is as inevitable as it is unavoidable.
- « Aux armes ! ». Droits des femmes et intervention humanitaire - Engle Karen p. 80-97 Au cours des vingt dernières années, les droits des femmes ont été progressivement considérés comme faisant intégralement partie des droits de l'homme, au moment même où tant les conservateurs que les libéraux ont appelé à des interventions militaires à but humanitaire en réponse à certaines violations des droits de l'homme. Les premiers ont ainsi commencé à recourir au langage des droits de l'homme, voire du droit des femmes, afin de justifier ces appels, tandis que les seconds ont commencé à adopter un discours et une rhétorique militaire afin de démontrer l'importance qu'ils accordent à ces droits. Cet article analyse ces changements intervenus tant dans le droit que dans le discours des droits de l'homme, et conteste la façon dont ces appels à intervenir militairement alimentent une mentalité de crise. L'accent mis sur la crise dénature les violations ou les violences en question et empêche de prendre conscience du rôle que les interventions, militaires ou pas, ont pu jouer dans la production des crises. Dans le contexte des débats féministes, la prolifération des appels à l'intervention fondés sur l'argument selon lequel des génocides sont en cours ou imminents a ainsi motivé une nouvelle lecture du viol comme génocide. De tels appels sont une réponse, mais aussi un encouragement, à l'enthousiasme des défenseurs des droits de l'homme pour l'intervention militaire à but humanitaire.Over the past twenty years, women's rights have become largely accepted as human rights, and military humanitarian intervention has become increasingly advocated by both conservatives and liberals as a response to certain human rights violations. Conservatives have begun to use human rights, even women's rights, discourse to justify their calls for intervention, and liberals have begun to use military discourse and rhetoric to show their commitment to such rights. This article explores these changes in human right law and discourse, and objects to the ways that calls for military intervention feed into a crisis mentality. The crisis focus distorts the nature of the violation or harm and displaces an awareness of the ways that both military and nonmilitary interventions have participated in the production of the crises. In the feminist context, the proliferation of calls to intervention based on arguments that genocides are occurring or impending has suggested a new motivation for claiming that rape is genocide. Such calls have both responded to and helped fuel the mounting enthusiasm of human rights advocates for military humanitarian intervention.
- La cause de la compétence universelle. Note de recherche sur l'implosion d'une mobilisation internationale - Seroussi Julien p. 98-109 En 1998, Pinochet est arrêté à Londres à la demande d'un juge espagnol pour des crimes commis au Chili. C'est l'une des premières fois que le principe de compétence universelle est utilisé. Selon ce dispositif juridique international, un juge national peut poursuivre des crimes commis à l'étranger par des étrangers sur des étrangers. En 2003, la Belgique est contrainte d'abroger sa loi de compétence universelle, le dépôt d'une trentaine de plaintes contre des chefs d'Etat étrangers ayant suscité une hostilité internationale. En s'intéressant à l'histoire de la mobilisation pour la compétence universelle entre 1998 et 2003, cet article montre que les difficultés rencontrées par ce dispositif juridique international s'expliquent par les clivages juridiques et politiques qui traversent les rangs mêmes de ses partisans. Les pressions extérieures ont été d'autant plus efficaces que les activistes de la compétence universelle n'arrivaient plus à unir leurs forces.In 1998, General Pinochet was arrested in London on the request of a Spanish judge for crimes committed in Chile. This was one of the first instances in which the principle of universal jurisdiction was actually implemented. According to this international legal principle, a judge can indict foreigners for crimes committed on foreigners in a foreign country. In 2003, Belgium had to abrogate its law on universal jurisdiction after people filed about thirty lawsuits against foreign heads of state, a circumstance met by international reprobation. This article focuses on the recent history of collective mobilization in favor of universal jurisdiction between 1998 and 2003. It shows that the obstacles faced by this international juridical mechanism can be explained by the legal and political divisions among its own advocates. External pressures have thus been all the more effective since the activists in favor of universal jurisdiction were no longer act as a single force.
- La politique de punition et le siège de Sarajevo. Vers une application de la théorie du conflit à la perception d'une (in)justice internationale - Kutnjak Ivkovich Sanja, Hagan John p. 62-79
Lectures critiques
- L'organisation sociale du déni et de la reconnaissance : atrocités, connaissance et interventions juridiques - Savelsberg Joachim J. p. 111-118