Contenu du sommaire : Seymour Martin Lipset

Les coordonnateurs de ce dossier ont retenu des articles publiés par deux personnalités de la science politique comparative, Juan J. Linz et Larry Diamond, amis et collaborateurs de Seymour Martin Lipset et qui leur paraissent de nature à éclairer l'œuvre et la personnalité de ce dernier.

L'absence de socialisme aux États-Unis est l'une des questions les plus classiques de la théorie et de la sociologie politiques. Seymour M. Lipset lui a consacré de très nombreuses publications. Pendant un demi-siècle, à travers diverses approches et différents terrains, il a revisité le chantier de l'exceptionnalisme américain, le soumettant à chaque fois à l'épreuve de la comparaison. Le présent article choisit de s'arrêter sur quelques-unes de ces œuvres marquantes afin de saisir les logiques d'une démarche intellectuelle qui, derrière la vieille énigme à résoudre, cherche également à interroger les réalités contemporaines du changement social.

À partir de la théorie des clivages de S.M. Lipset et S. Rokkan et d'autres chercheurs qui prolongent leur apport théorique majeur, cet article propose d'approfondir la complémentarité des concepts de « clivage politique » et d'« identité sociale ». Les exigences et la pérennité du « modèle des quatre clivages », l'articulation entre « structures partisanes » et « structures de clivages » sont cependant également au cœur de cette publication. En fin de parcours, son auteure invite à renforcer cette théorie par l'approche résolument dialectique des identités sociales de C. Tilly, de même que par les propositions de J. Blondel sur la personnalisation du pouvoir pour la formation et la dynamique partisane. De quoi, somme toute, contribuer à mieux placer le curseur entre spécificité du réel et théorie comparative, et ce dans une optique d'interdisciplinarité renforcée.

Le thème essentiel du travail et de la réflexion de Seymour Martin Lipset a porté sur les conditions de la démocratie. Sa contribution à l'étude des conditions politiques et économiques de celle-ci a été fondamentale. Certes, il avait une définition très étroite de la démocratie. Mais ses réflexions sur l'importance du développement économique, du changement culturel et de la légitimité comme facteurs essentiels du succès et de la longévité de la démocratie ont exercé une influence durable sur la politique comparée, en particulier sur les discussions à propos des processus de transition vers la démocratie.

À partir d'une relecture actualisée des deux éditions de Political Man il s'agit d'évaluer la pertinence des outils conceptuels, théoriques et empiriques proposés par Lipset. Singulièrement les notions « d'extrême-droite » ou de « populisme » qui font l'objet d'un « conceptual stretching » forcené sont utilement précisées. On retiendra le concept fécond « d'extrême-centre », forgé pour le cas fasciste et qui permet des emplois plus contemporains, celui de « Backlash » susceptible d'amples développements ainsi que sa présentation triadique des forces politiques qui est un solide antidote aux délires quantophrènes des sectateurs du continuum gauche-droite. Si ses propos sur les écologistes ou la « droite religieuse » américaine peuvent paraître aujourd'hui prédictifs, Lipset s'est totalement mépris quant à la nature du « Phénomène gaulliste » et n'a rien compris à la démocratie chrétienne ni, en général, au catholicisme politique.

Seymour Lipset a proposé, dans plusieurs travaux successifs, une analyse de la nature et des causes de la contestation étudiante des années 1960 aux États-Unis. Discutant les interprétations concurrentes dont celle-ci fait alors l'objet, Lipset contribue surtout à invalider la thèse d'une révolte massive de la jeunesse américaine. Identifiant une pluralité d'explications, il considère que la contestation est menée par une minorité d'étudiants qui trouve dans l'université les conditions d'une mobilisation provisoirement réussie. Néanmoins, Lipset met en évidence les équivoques intrinsèques du mouvement qui l'empêchent de générer un « Student Power » durable et de mener à bien la tentative de constituer une « nouvelle gauche ».