Contenu du sommaire : Hommes d'affaires en politique
Revue | Politix |
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Numéro | vol. 21, no 84, 2008 |
Titre du numéro | Hommes d'affaires en politique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - p. 3-5
- Émile-Justin Menier, un chocolatier en République. Les controverses sur la légitimité de la compétence politique d'un industriel dans la France des années 1870 - Delalande Nicolas p. 9-33 La transition institutionnelle des années 1870, du second Empire à la troisième République, permet l'irruption de nouvelles figures sur la scène politique. Émile-Justin Menier, un industriel qui a fait fortune dans la fabrication du chocolat sous le second Empire, entre en politique en 1871 et s'engage dans le camp républicain. Cet article s'intéresse au processus par lequel cet homme d'affaires est parvenu à convertir en peu de temps ses ressources entrepreneuriales en ressources politiques et électorales. En cumulant une implantation locale forte dans le département de la Seine-et-Marne avec un accès direct au centre du pouvoir, Menier s'impose comme une figure originale de la mouvance républicaine, à la charnière de l'économie, de la science et de la politique. Les controverses et les résistances qui accompagnent sa carrière élective et son projet d'impôt unique sur le capital révèlent les difficultés rencontrées dans le processus de légitimation de la compétence des industriels et des commerçants, et permettent de mieux saisir les mécanismes par lesquels les professionnels de la politique s'efforcent de marginaliser les nouveaux entrants dans l'arène politique. La trajectoire sociale et politique de Menier, au-delà de son cas individuel, illustre enfin les transformations de l'idéologie et de la politique républicaine, et inaugure une nouvelle forme de représentation des intérêts en politique, en imposant l'usage d'une nouvelle catégorie, le « contribuable », dans l'espace public.Émile-Justin Menier, a Chocolate-Maker in French Politics: Disputes about the Political Competence of a Manufacturer in the early Third Republic The institutional transition from the Second Empire to the Third Republic after 1870 allows new figures to enter politics. Émile-Justin Menier, a rich chocolate manufacturer who built his fortune under the Second Empire, joins the republican camp in 1871. This article analyzes how this manufacturer soon succeeds in converting his financial resources into political and electoral resources. Combining strong local support with direct access to national republican networks, he becomes a distinctive figure of the republican camp. His originality lies in his overlapping involvements in business, science and politics. The disputes triggered off by his political career and by his struggle in favour of the implementation of a single tax on capital highlight the difficulties of the process of legitimizing the political competence of manufacturers and merchants. This resistance also sheds light on how professional politicians try to marginalize newcomers in politics. Lastly, Menier's social and political career illustrates the changing forms of republican politics and announces the birth of a new category in the public sphere, namely the representation of the “taxpayer's interests”.
- Patrons et milieux d'affaires français dans l'arène politique et électorale ( XIXe - XXe siècles) : quelle historiographie ? - Hamman Philippe p. 35-59 Cet article propose une synthèse de l'historiographie des investissements des patrons et milieux d'affaires français dans l'arène politique sur le temps long, depuis le milieu du XIXe siècle. En abordant les manières dont les historiens et les chercheurs en sciences sociales ont saisi cette question, il s'agit d'éclairer les motifs d'entrée et la place de ces hommes de l'économie et de l'industrie dans la compétition électorale, au-delà des discours itératifs sur l'« influence » patronale en politique. Apparaissent des enjeux de périodisation (y a-t-il un temps des patrons en politique ?), dont l'analyse permet de revenir sur les frontières entre univers politique et économique, au niveau des scènes et des échelles d'interactions repérées.The French employers and businessmen in the political and election arena (19th-20th centuries): an historiographical approach This paper tries to summarize a certain number of major points of the historiography dealing with the question of the place of the French employers and business community in the political and election arena since the mid-19 century. More precisely, by questioning the different ways historians and other researchers in social science analyse this subject, we aim to shed light on the entry, the place and the significance of these manufacturers and businessmen in the direct political competition – i.e. not only the recurring but often vague mentions of the employers' “influence” over political life, even in the scientific literature. Fur this purpose, we analyse several stakes dealing with the temporal dimension of the processes. This progression of the reasoning leads us to examine several concrete scenes of interaction between political and economic arenas, relating to the issue of socio-spatial scales – i.e. the different levels (local, regional...) of the employers' investments in politics.
- Les hommes d'affaires en politique dans les régions de Russie : émergence, affirmation et déclin d'un type d'acteurs politiques - Lallemand Jean-Charles p. 61-90 La vie politique russe post-soviétique a été marquée par des rivalités au sommet de l'État entre des hommes d'affaires (connus comme les « oligarques ») ayant les faveurs du Kremlin. Cependant, peu se sont engagés à Moscou dans des activités spécialisées du champ politique contre les hommes politiques professionnels. En revanche, dans les régions russes, de nombreux hommes d'affaires ont participé aux compétitions électorales à partir des années 1990. En notables locaux disposant d'importants capitaux économiques et sociaux, ils ont profité de l'affaiblissement du centre politique à Moscou et de l'inexistence d'un système pluraliste de partis politiques. Cet article éclaire ce phénomène, à partir d'une étude de cas portant sur la région de Briansk (Russie centrale) et le parcours de Nikolaï Dénine, directeur d'une entreprise locale géante de productions d'œufs et de volailles, devenu gouverneur de la province depuis décembre 2004 en se liant progressivement au parti pro-Kremlin « Russie unie ». On a assisté, lors des mandats présidentiels de Vladimir Poutine, notamment après le tournant autoritaire de 2004, à la recentralisation des ressources politiques, conduisant à l'éviction des hommes d'affaires du jeu politique. L'étude diachronique sur les hommes d'affaires en politique dans les régions russes depuis 1991 traduit autant l'évolution des institutions russes que les seules stratégies de ce type d'acteurs.Businessmen in Politics, in Russian Provinces: Outbreak, Consolidation and Decline of a Type of Political Actors Russian Post-Soviet politics have been impacted by the power struggle at the top of the State among businessmen (known as the « oligarchs ») with close ties to the Kremlin. However, in Moscow, very few of them have embarked upon a political career which would have pitted them against professional politicians, whereas in the Russian provinces, many businessmen have participated in electoral races since the 1990s. Being influential locally thanks to important financial means and a vast social network, they have taken advantage of the weakening of the political center in Moscow, and of the absence of a real pluralistic party-system. This article explains the phenomenon, on the basis of the case-study in the Bryansk Province (Central Russia) of Nikolai Denin, the director of a giant poultry and eggs factory, elected as Bryansk Governor in December 2004, thanks to his links with the pro-Kremlin party « United Russia ». During Vladimir Putin's two presidential terms, particularly after the regime's evolution towards authoritarian rule in 2004, we have observed the recentralization of political resources, leading eventually to the exclusion of businessmen from the political game. The diachronic study on the involvement of businessmen in politics in the Russian provinces since 1991 shows the institutional changes taking place in Russia as much as the personal strategies of those particular social actors.
- Une tentative manquée de conversion politique au Maroc. L'échec électoral de l'ancien « patron des patrons » (2001-2007) - Catusse Myriam p. 91-113 Les déboires de l'aventure électorale de A. Lahjouji, au cours de la dernière décennie sont instructifs pour démêler les relations à géométries variables entre le milieu des affaires et la politique partisane. « Patron des patrons marocains dans les années 1990, celles de la libéralisation économique du Royaume, il avait réformé le syndicat patronal derrière le slogan de « l'entreprise citoyenne » et s'était fait le porte-parole des « entrepreneurs » dans les années 1990, En 2001, il crée un parti politique « libéral », Forces citoyennes, et se présente aux élections législatives de 2002 puis de 2007. Il échoue néanmoins dans une circonscription fort disputée de Casablanca. Il en est de même pour la plupart des candidats de son parti. Cette expérience tronquée, à mettre en miroir avec d'autres trajectoires plus heureuses de nombreux hommes d'affaires marocains, questionne la reconversion de ressources entrepreneuriales et associatives en capitaux politiques.The failure of an attempted political conversion in Morocco: the electoral loss of the former “patron des patrons” (2001-2007) The disappointments of A. Lahjouji's recent electoral adventure are instructive in revealing the adaptable relationships between business politics. At the head of the employers union during the last decade – the years of economic liberalization – Lahouji reshaped the organization under the slogan of “civic business” and was the spokesman of the “entrepreneurs”. In 2000, he founded a political party, Forces citoyennes, ran for national election in 2002 and 2007 and lost, as did most the members of his party. This failed political experience stands in sharp contrast with the more successful electoral experience of other Moroccan businessmen and as a result raises questions about the conversion of entrepreneurial and corporative resources into political and electoral success.
- « Nous ne prendrons jamais le maquis ». Entrepreneurs et politique en Tunisie - Hibou Béatrice p. 115-141 A partir du cas tunisien, cet article récuse les idées d'une « entrée en politique » spécifique et circonstancielle des entrepreneurs et d'une « politisation » de ceux-ci, pour défendre celle du caractère fondamentalement politique des entrepreneurs. Les relations entre entrepreneurs et politique ne se réduisent pas aux jeux politiciens et aux aléas de la vie politique stricto sensu, pas même aux normalisations politiques. Les entrepreneurs sont toujours politiques en ce sens qu'ils s'insèrent dans les relations de pouvoir, qu'ils participent aux conflits, aux compromis entre acteurs en présence, qu'ils participent aux rapports de force et ce faisant façonnent aussi le politique. Dans des régimes autoritaires comme la Tunisie, toutes les stratégies d'accommodements ou de distanciation des entrepreneurs ne sont pas politiques en ce sens que leur positionnement ne relève ni de l'adhésion et de l'engagement total, ni de l'opposition frontale ; mais l'adhésion partielle et la prise en compte des contraintes, de l'intérêt personnel et de la violence latente ou l'expression d'un mécontentement sont politiques au sens large du terme dans la mesure où ils reflètent des positionnements, des rapports de force et des stratégies qui, in fine, dessinent les contours des relations de pouvoir.“We will not go underground”. Entrepreneur and politics in Tunisia From the Tunisian case study, this article discusses the idea of a specific and circumstantial “entry in politics” of entrepreneurs, of a “politisation” of entrepreneurs. It defends the idea that entrepreneurs are always political. Relations between entrepreneurs and politics cannot be reduced neither to politician games and uncertainties of political life stricto sensu, nor to the process of political normalisation. Entrepreneurs are always political because they fit into power relations, they participate in conflicts, compromises between actors, and they are part of balance of power and, then, also shape the political. In authoritarian regimes as is Tunisia, all strategies of accommodation, arrangement and distance are not political in a restricted sense: the entrepreneurs do not totally subscribe or contrast with the regime. But the fact that entrepreneur partially subscribe and take into account constraints, personal interest and latent violence or that they express discontent is political in the general sense of the word: doing so, entrepreneurs show positions, balances of power, strategies and perceptions that ultimately draw the outlines of power relations.
- Des mouvements sociaux « sur une tête d'épingle » ? Le rôle de l'espace physique dans le processus contestataire à partir de l'exemple des mobilisations dans les foyers de travailleurs migrants - Hmed Choukri p. 145-165 La sociologie des mouvements sociaux a longtemps privilégié l'historicisation des processus contestataires à l'analyse de leur dimension spatiale et localisée. À travers l'exemple de la « grève des loyers » dans les foyers Sonacotra dans les années 1970, l'article montre tout l'intérêt qu'il y a à prendre au sérieux l'inscription de l'action collective dans son environnement physique. Mais s'il est nécessaire de réintroduire l'espace comme dimension centrale de l'action collective, cette réintroduction ne peut se faire qu'en interrogeant les mécanismes par lesquels les individus et les groupes entrent en interaction avec l'espace et les lieux qu'ils conçoivent, gèrent ou investissent. Seule l'analyse localisée des stratégies sociales de construction, d'appropriation et de réappropriation de l'espace permet en somme de comprendre ce que ce jeu particulier fait à l'action collective1.“Social Movements “on a Head of a Pin”? The Role of Physical Space in the Process of Contention in the Case of Mobilizations in Public Housing for “Isolated” Foreigners” Social movements scholars had for a long time privileged the historicisation approach in examining contention processes rather than analysing their spatial and localized dimensions. Based on the French Sonacotra hostels “rent strike” in the seventies, this article emphasis on examining collective action within its physical environment. It shows that, if the spatial dimension is to be reconsidered as a central issue in the collective action, one must probe the mechanisms by which individuals and groups are involved in developing and managing places and space, and how they utilize them to their own benefit. Ultimately only a localized analysis of social strategies in constructing, appropriating and reappropriating one's space leads to understand the impact of this particular social game on collective action.
- Des couvre-feux à Paris en 1958 et 1961 : Une mesure importée d'Algérie pour mieux lutter contre le FLN ? - Thenault Sylvie p. 167-185 L'historiographie récente relative aux événements d'octobre 1961 à Paris a présenté le système répressif alors en place comme le résultat de l'importation, par Maurice Papon, des mesures qu'il connut précédemment au Maroc et en Algérie. Cet article a pour objet de nuancer cette thèse, en examinant précisément le processus de décision du couvre-feu, qui avait aussi été décidé une première fois, en 1958. Il apparaît alors que la thèse de l'importation néglige deux aspects : le rôle des revendications policières dans ce processus et la traduction concrète du couvre-feu, sur le terrain. Ainsi, le couvrefeu s'inscrit dans le cadre de la gestion des troupes policières par leur hiérarchie et il renforce le repérage et le fichage des migrants de la région parisienne.Curfew in Paris in 1958 and 1961: A measure imported from Algeria in order to fight the FLN ? Recent historiography about autumn 1961's events in Paris tends to consider this repression as the result of Maurice Papon's action, who is supposed to have reproduced the methods of counter-insurgency he learned before, in Morocco and Algeria. This article wants to discuss such a thesis because, notably, it neglects the role of the police troops in the decision of pronouncing a curfew. And finally, the reconstitution of the process of decision shows that Maurice Papon's former experience wasn't simply reproduced as such.
- Notes de lecture - p. 187-197