Contenu du sommaire : Mobilité et modernité
Revue | Cahiers internationaux de sociologie |
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Numéro | vol. 118, Janvier-Juin 2005 |
Titre du numéro | Mobilité et modernité |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les mobilités et le programme de la sociologie - Alain Bourdin p. 5-21 La tradition sociologique a habituellement considéré la mobilité, qu'elle soit sociale ou spatiale, comme le déplacement entre des positions établies, l'essentiel étant d'analyser le système formé par ces positions. On trouve cependant, dans la sociologie même, les moyens pour élargir cette perspective. Des travaux sur la mobilité sociale, on tire une interrogation sur l'accès aux ressources qui prend en compte diverses formes de mobilité. Simmel développe l'analyse du rôle de la proximité et de la distance dans la construction du social. Des travaux contemporains qui portent sur les déplacements ou sur la télématique s'inscrivent dans la même perspective. Tocqueville introduit la notion d'une mobilité individuelle, notamment spatiale, consommatoire, et qui n'a d'autre objectif qu'elle-même. Ces trois orientations permettent à la sociologie de contribuer à une théorie de la mobilité généralisée, qui croise l'interrogation sur la modernité.
- Les systèmes de la mobilité - John Urry p. 23-35 Seront examinées dans cet article les mobilités, du point de vue des systèmes qui structurent, organisent et permettent des mobilités multiples. Double, l'étude porte à la fois sur les aspects historiques du phénomène et sur ses manifestations dans le siècle en cours. Au XXIe siècle, les systèmes de mobilité numériques interdépendants se situent au cœur même des sociétés contemporaines. Plus généralement, il sera aussi montré que l'étude des mobilités joue, sans conteste, un rôle central dans le décryptage des contours essentiels de la vie dans un monde qui conjugue liberté exceptionnelle (du moins pour certains en certaines occasions) et dépendance des systèmes exceptionnelle. Méthodes et théories doivent constamment se remettre en question afin de rendre compte de l'évolution des nouveaux systèmes de programmation individuelle ainsi que de la structuration et du contrôle des systèmes.
- La métaphore est un transport. : Des idées sur le mouvement au mouvement des idées - François Ascher p. 37-54 La métaphore est un instrument indispensable pour les analyses scientifiques. Mais elle nécessite un usage réflexif qui en précise le statut car celui-ci peut être divers (pédagogique, iconique, heuristique ou modélisateur) et n'est pas sans effet sur la théorie comme sur diverses pratiques. Ainsi, les analystes et acteurs des transports ont usé – et probablement abusé – du recours à la physique des fluides pour leurs métaphores. Aujourd'hui, les développements de la physique, par exemple dans les domaines des fractales ou de la percolation, ouvrent des perspectives nouvelles et prometteuses. Cette évolution montre aussi que les chercheurs en sciences sociales auraient intérêt à renouveler les métaphores qu'ils emploient et qui sont souvent assez archaïques. Ainsi, la référence à des espaces à n dimensions et à l'hypertexte permet de faire rebondir les analyses de Georg Simmel, bridées par le recours à une géométrie plane trop sommaire.
- La modernité et l'imaginaire de la mobilité : 'inflexion contemporaine - A. Barrère, Danilo Martuccelli p. 55-79 En partant de quelques transformations sociétales majeures, et en s'appuyant sur la fiction romanesque française, l'article dessine deux grandes constellations imaginaires de la mobilité dans la modernité. La première associe le but du déplacement, l'existence d'un ailleurs, le goût de l'aventure, l'attitude de départ actif et le rôle de la mobilité comme logique de pouvoir. La deuxième, souvent en résonance avec les items précédents, souligne plutôt l'exigence de la mobilité pour la mobilité, la fin de l'idée de dehors, l'impératif de la fuite, la prolifération de l'expérience du départ passif, enfin, la centralité croissante de la mobilité dans le saisissement de la domination. Au terme de ce parcours, l'imaginaire de la mobilité apparaît comme une boussole privilégiée pour cerner les transformations de la modernité.
- La mobilité au quotidien, entre choix individuel et production sociale - Marie-Hélène Massot, Jean-Pierre Orfeuil p. 81-100 On a longtemps rendu compte des comportements de déplacements des hommes dans l'espace par un terme renvoyant à une logique collective et de masse, celui de migration (résidentielle, quotidienne). L'intégration dans l'observation et la compréhension de toute la palette des motifs de déplacements et l'individualisation croissante des pratiques ont amené l'usage d'un terme plus générique, emprunté aux sciences sociales et notamment à ceux qui s'intéressent à la fluidité dans l'espace social, celui de mobilité. Ce glissement n'est pas purement sémantique : il exprime le passage de l'empire de la nécessité aux capacités stratégiques et aux désirs des acteurs, de la représentation aréolaire d'un territoire rassemblant une « société locale » « contenant » les déplacements de ses membres à des représentations réticulaires (le monde réseau, les villes globales), multi-territoriales (les sociétés d'archipel). Sur tous ces points, les enquêtes initiées dans les années 1960 par les ingénieurs pour alimenter leurs modèles de trafic nous ont permis, grâce à l'élaboration d'indicateurs, de concepts, de représentations nouvelles, de comprendre en profondeur la dynamique et les rôles respectifs des rationalités individuelles et de la formation de normes sociales dans le champ spécifique de la mobilité quotidienne. C'est de cette construction dont nous rendons compte dans cet article, qui livre aussi à partir des quelques résultats saillants des recherches conduites, les convictions fortes en matière de dynamique de la mobilité qui s'en dégagent et les paradigmes qu'il conviendrait de mieux explorer.
- Injonctions à la mobilité, arbitrages résidentiels et délocalisation de l'emploi - Cécile Vignal p. 101-117 L'objet de l'article est de discuter de méthodes d'observation et d'interprétation des arbitrages résidentiels de salariés face à la flexibilité de leur emploi. Après avoir montré les limites de l'investigation quantitative sur cette question, la réflexion s'appuiera sur les résultats d'une enquête qualitative auprès de salariés confrontés, en 2000, à la fermeture de leur usine et à sa délocalisation à 200 km de leur domicile. Dans ce type de situations, ce n'est pas la seule mobilité résidentielle suscitée par l'emploi qu'il s'agit d'étudier mais bien les arbitrages entre, à la fois, mobilité et non-mobilité. Cette posture rend ainsi possible l'identification du caractère multidimensionnel de ces choix : les logiques professionnelles n'expliquent pas tout, les logiques familiales et résidentielles jouent un rôle important dans le refus de déménager ou l'aménagement d'un système de double résidence. Cette approche permet d'appréhender en quoi ces décisions reproduisent, voire aggravent les inégalités sociales, tout en incluant les possibilités de stratégies résidentielles et spatiales.
- Mobilités et réversibilités : vers des sociétés plus fluides ? - Vincent Kaufmann p. 119-135 Les systèmes de transport et de télécommunication procurent des potentiels de vitesse considérables. Largement utilisés, ces potentiels ont consacré un rétrécissement de l'espace et du temps dont les conséquences sociales et spatiales interrogent : les mobilités, de plus en plus réversibles, ont-elles pour effet de rendre les sociétés socialement et spatialement plus fluides ? Partant des débats sur la fluidification sociale, l'article propose d'explorer le système d'intentionnalité qui caractérise les mobilités au moyen du concept de motilité. Cette discussion, suivie d'un examen empirique, laisse apparaître que les mobilités réversibles, loin d'être l'expression unilatérale d'une « liberté » renouvelée, sont des réponses à un nouvel univers de contraintes situationnelles et sont porteuses d'inégalités.
- Au-delà de la mobilité : des formes de mobilités - Bertrand Montulet p. 137-159 Se fondant sur une analyse de représentations graphiques des déplacements quotidiens et des formes temporelles contenues dans les interviews qui les accompagnent, cet article présente une perspective spatio-temporelle qui permet d'identifier quatre formes de mobilités : sédentaire, recomposée, incursive et kinétique. Le rapport à l'espace-temps que met en œuvre chacune de ces formes de mobilité dépasse cependant la question des déplacements. Dans cette optique, la perspective spatio-temporelle bien comprise et ses quatre formes de mobilité conduisent à concevoir la société de manière hétéronome : diverses formes de mobilités co-présentes supposent la valorisation de diverses formes de socialités dans la proximité spatiale. L'article montre ainsi comment l'étude des phénomènes de mobilité favorise la compréhension de dynamiques sociales.
Notes de lecture
- p. 161-171- L'invention de la sociologie noire aux Etats-Unis. Essai en sociologie de la connaissance scientifique (Jean-Michel Chapoulie) - Pierre Saint-Arnaud p. 161
- La renaissance du hassidisme, de 1945 à nos jours (Anne Raulin) - Jacques Gutwirth p. 164
- Sociologie des controverses scientifiques (Geoffrey Deloncle) - Dominique Raynaud p. 168
Comptes rendus
- p. 173-184- Le travail dans l'histoire de la pensée occidentale (Christian Lalive d'Epinay) - Daniel Mercure et Jan Spurk (sous la dir.) p. 173
- La mort collective. Pour une sociologie des catastrophes (Claude Rivière) - Gaëlle Clavandier p. 175
- La rébellion de 68. Une relecture sociologique (Michel Messu) - Louis Gruel p. 177
- Les peurs urbaines et l'autre sexe (Béatrice Appay) - Jacqueline Coutras p. 178
- Le retour du populisme. Un défi pour les démocraties européennes (Isabelle de Mecque-nem) - Pierre-André Tagiueff p. 180
- La ville incertaine. Politique urbaine et sujet personnel (Christine Castelain Meunier) - Bernard Francq p. 183