Contenu du sommaire : Santé et travail

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 163, juin 2006
Titre du numéro Santé et travail
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Santé et travail

    • La santé au travail et ses masques - Michel Gollac et Serge Volkoff p. 4 accès libre
    • Histoires professionnelles et cancer - Annie Thébaud-Mony p. 18 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Même si le cancer frappe majoritairement des ouvriers, la représentation sociale dominante en est celle d'une maladie liée à des « comportements à risque ». La réalité des cancers dits « professionnels » constitue un enjeu de controverses voire de conflits autour de la causalité du phénomène et de ce qui rend compte de l'inégale répartition des cancers dans la population.Dans une première partie, l'auteur explore comment une telle représentation s'est imposée dans la société. Domaine spécifique de la recherche scientifique, à la croisée de plusieurs disciplines des sciences du vivant et des sciences de l'homme et de la société, la recherche sur les cancers professionnels est soumise à un ensemble de logiques économiques, sociales et politiques. Dans ce qui constitue un champ de la production des savoirs, trois lignes de force s'entrecroisent et concourent à l'invisibilité sociale et politique des cancers professionnels en France : le modèle dominant d'interprétation des inégalités face au cancer, les rapports entre rationalité économique et production du savoir dans le champ de la recherche sur les causes du cancer et le mythe de la « fin du travail ».Produire une autre visibilité sur travail et cancer, tel apparaît l'enjeu d'un renversement de perspective, dès lors que s'impose une autre représentation du cancer et d'autres postulats sur les déterminants de sa genèse et de l'inégalité face à cette maladie. C'est ce que tente depuis quatre ans un réseau pluridisciplinaire et pluri-institutionnel de recherche en santé publique dans le département de la Seine-Saint-Denis. La présentation de cette recherche en seconde partie de l'article, dans son parcours méthodologique et dans ses résultats, montre comment la démarche engagée permet aussi de questionner les règles et les pratiques de la déclaration et de la reconnaissance des « cancers professionnels », puis d'en tirer des enseignements par rapport à la prévention des cancers.
      Even though cancer afflicts prevailingly members of the working class, this disease continues to be socially construed as one associated with “risky behaviors.” The evidence of so-called “occupational” cancers is still the object of controversy, and even of struggles for establishing the cause of this phenomenon and the factors that may account for its unequal distribution among the population. In the first part of the article, the author explores the ways in which such a representation of cancer became socially accepted. As a specific field of scientific research, located at the junction of the natural and the social sciences, research on occupational cancers is subjected to a variety of social, economic and political pressures. Three overlapping factors contribute to the political and social invisibility of occupational cancers in France: the dominant mode of interpreting cancer-related inequalities, the relation between economic rationality and production of knowledge in the field of cancer research, and the myth of the “end of work.”The stake of a reversal of perspective is indeed to make visible the relation between work and cancer, by imposing a different representation of cancer, as well as different assumptions regarding both its genesis and its unequal distribution. This is what an interdisciplinary and inter-institutional public health research network operating in the Seine-Saint-Denis area has been attempting for the last four years. In the second part of this article, the presentation of this research, both in terms of methodology and of results, shows how it leads to questioning the rules and the practices related to the declaration and the recognition of “occupational” cancers, and draws some lessons regarding their prevention.
    • Définir les risques - Sur la prévention des problèmes de santé mentale - Michel Vézina, Renée Bourbonnais, Chantal Brisson et Louis Trudel p. 32 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les facteurs psychosociaux de l'environnement de travail désignent l'ensemble des facteurs organisationnels et les relations inter-individuelles sur le lieu de travail qui peuvent avoir un impact sur la santé. Il existe actuellement deux modèles de risques psychosociaux reconnus internationalement en raison de leur apport considérable à la production de connaissances scientifiques consistantes sur l'importance des liens entre des phénomènes sociaux et psychologiques au travail et le développement de plusieurs maladies. Il s'agit du modèle « demande-autonomie au travail » de Karasek auquel a été ajouté le concept de soutien social et celui du « déséquilibre : effort / récompense » de Siegrist. Au cours des deux dernières décennies, ces deux modèles ont fait l'objet de très nombreuses recherches à travers le monde dont les résultats ont bien montré les effets pathogènes qu'ont ces situations de travail principalement sur la santé cardiovasculaire et sur la santé mentale. Les stratégies d'intervention mises en place actuellement par les entreprises dans le domaine des risques psychosociaux visent principalement à réduire les effets des situations de travail stressantes en améliorant les capacités des personnes à mieux s'adapter à la situation et à mieux gérer leur stress. Ces mesures sont insuffisantes car elles ne visent qu'à réduire les symptômes et non les causes des problèmes. Il est nécessaire que tout programme d'intervention visant les risques psychosociaux comporte un volet de prévention primaire ayant pour but d'éliminer ou de réduire la présence d'agents psychosociaux pathogènes en milieu de travail. Plusieurs auteurs ont souligné que les approches organisationnelles bien structurées étaient plus efficaces et s'accompagneraient d'effets plus importants et plus durables que les approches individuelles.
      The psychosocial factors related to the work environment designate all the organizational factors and the inter-personal relations that characterize the work place and may have an impact on health. There are currently two internationally recognized models of psychosocial risks that contribute to producing consistent scientific knowledge on the relation between work-related social and psychological phenomena, and the development of various diseases: Karasek's “demand-control” model, to which the concept of social support has been added, and Siegrist's “effort-reward imbalance” model. In the course of the last two decades, these models have led to numerous research efforts across the world, the results of which have established the pathogenous effects of these work situations, especially on cardiovascular and mental health. The current corporate strategies designed to cope with psychosocial risks aim chiefly at reducing the effects of stressful work conditions by improving the capacity of workers to adapt to these situations and to manage their stress. Such measures are insufficient, since they merely aim at treating the symptoms of the problem, rather than its causes. Any intervention program targeting psychosocial risks should include a preventive tier aiming at eliminating or reducing the presence of psychosocial pathogens in the work environment. Several authors have stressed that well-structured organizational approaches were more efficient and had more significant and longer-lasting effects than individual-centered approaches.
    • Du déni à la banalisation - Sur la souffrance mentale au travail - Michel Gollac, Marie-Josèphe Castel, François Jabot et Philippe Presseq p. 39 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Parler de déni de la souffrance mentale au travail semble relever du paradoxe. Si ce thème a fait la une de la presse économique destinée aux spécialistes des relations humaines, il reste cependant rarement identifié dans le monde de l'entreprise. Son traitement y est souvent purement psychologique, sans que les formes de travail qui en sont la cause soient remises en question. Lorsque l'entreprise reconnaît le rôle causal de l'organisation, la pénibilité mentale du travail est souvent présentée, sans preuves, comme la contrepartie inévitable de l'efficacité économique. On peut se demander s'il faut parler davantage de la souffrance mentale au travail, et s'il n'est pas plus urgent de s'intéresser à l'usage de substances toxiques ou aux propriétés toxicologiques inconnues. Cette note de recherche vise à montrer que le déni de la souffrance mentale n'a pas disparu, et qu'il revêt une multiplicité de formes, au point de questionner la pertinence de l'opposition entre souffrance mentale et problèmes de santé physique.
      Talking about a denial of mental suffering at work seems almost a paradox. Although this issue has been featured on the front page of business periodicals targeting human resources specialists, it is rarely identified as such in the corporate world. When it is, it is treated exclusively at the psychological level, and the activities that cause such suffering are not called into question. When a corporation acknowledges the causal role of the organization itself, the mental stressfulness of work is often presented, without evidence, as the unavoidable price to pay for economic competitiveness. One can therefore wonder whether one should talk more about mental suffering at work, or whether it is not more urgent to look into the use of toxic substances or into unknown toxicological properties. This note aims at showing that the denial of mental suffering has not disappeared and that it can take a variety of forms. It therefore becomes possible to question the distinction between mental suffering and physical health problems.
    • Danser au-delà de la douleur - Pierre-Emmanuel Sorignet p. 46 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'exercice du métier de danseur requiert une adhésion à la dimension vocationnelle des métiers artistiques qui minore la contrainte économique et les atteintes à l'intégrité physique. L'investissement dans le présent, le désintéressement (la souffrance du corps au même titre que la pauvreté peut apparaître comme un stigmate électif) sont les preuves du caractère incoercible de la vocation. Cependant, la condition de préservation de l'instrument de travail qu'est le corps, réside dans la rationalisation de son entretien mais aussi dans la reconnaissance du caractère asymétrique de la relation employeur/employé qui se joue entre le chorégraphe et ses interprètes. Ainsi, le danseur se vit comme acteur de son travail et son rapport à sa santé s'inscrit dans une logique de responsabilisation et d'entretien de son capital corporel, variante de son capital culturel.
      Ballet dancing requires an adhesion to the vocational dimension of artistic occupations that belittles economic hardships and physical injuries. Investment in the present and disinterestedness demonstrate the inflexible nature of vocation (just like poverty, physical sufferance may appear as a sign of election). Yet, the body remains a work instrument, and its preservation is at stake in the rationalization of its maintenance, but also in the recognition of the asymmetrical nature of the employer/employee relation between the choreographer and her interpreters. The ballet dancer, in fact, perceives herself as the actor of her own work, and her relation to health is conditioned by a logic of responsibility and of maintenance of her bodily capital, understood as a variant of cultural capital.
    • "Montrer" la pénibilité : le parcours professionnel des éboueurs - Serge Volkoff p. 62 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Prenant appui sur un travail « d'expertise », dont l'objectif était d'évaluer la pénibilité dans la vie de travail des éboueurs, cet article examine en quoi une analyse de ce type, reposant sur des connaissances aussi solides que possible, mais avec les limites concrètes de ce genre d'investigation, peut enclencher ou relancer une réflexion collective sans escamoter les facteurs de complexité présents dans les itinéraires professionnels. Dans cette étude ont été recueillis, et associés, des éléments sur l'espérance de vie des éboueurs, leur durée de présence dans ce métier, les effets pathogènes connus des contraintes et nuisances liées à cette tâche, l'activité de ces salariés telle que l'observation des tournées la révèle, et leur propre point de vue sur leur qualité de vie au travail – en particulier celui des plus anciens ou des retraités à date récente, les mieux à même de décrire des évolutions à long terme dans les caractéristiques du travail. L'idée défendue ici est que l'apport de « l'expertise », pour les acteurs concernés, aura résidé notamment dans des déplacements de la question posée : une ré-interrogation de l'idée de « métier pénible », la mise en évidence de nombreux facteurs de diversité, et l'intérêt porté aux stratégies de travail des éboueurs eux-mêmes.
      Taking stock from a previous expert appraisal of the level of stress to which street cleaners are exposed, this article looks at how this type of analysis, which combines well-established knowledge but also concrete limits that are inherent to this type of investigations, may contribute to triggering or reactivating a collective discussion, without concealing the complexity of professional trajectories. This study was based on the collection and the comparison of data regarding the life expectancy of street cleaners, the time each of them spent in this occupation, the established pathogenous effects of the constraints and the nuisances associated with this job, the activity of the employees as it was revealed by the observation of their shifts, as well as their own opinion about the quality of life at work–especially that of the oldest employees or recdent retirees, who are in the best position to describe the evolution of their work on the long run. It is argued that such an “expert appraisal” contributed in particular to displacing the question initially raised and let to a reassessment of what a “stressful” work means; the underscoring of numerous factors of diversity; and an interest for the street cleaners' own work-related strategies.
    • La santé et la sécurité dans les entreprises américaines - Philippe Askenazy p. 72 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Après une décennie de forte augmentation de la sinistralité, la question de la santé et de la sécurité au travail a connu une nouvelle attention dans les entreprises américaines depuis la première partie des années 1990. L'objectif de cet article est de décrire le rôle des principaux acteurs dans cette visibilité, en particulier l'inspection hygiène et sécurité répondant à une logique de santé publique, et les assureurs accidents et maladies professionnelles répondant à des mécanismes de marché. Corrélativement, les taux d'accidents et de maladies professionnelles, notamment les troubles musculo-squelettiques, ont fortement baissé, rendant compte principalement d'une diminution des risques au travail mais aussi de pratiques de gestion de la déclaration de sinistre. Mais au-delà de ces indicateurs les plus visibles, on ne dispose pas d'élément robuste attestant d'une amélioration globale des conditions de travail.
      After a decade of steady increase in the number of work accidents, the issue of health and safety at work has received renewed attention in US corporations during the first half of the 1990s. This article describes the role played by the major actors who contributed to this new visibility, in particular that of the health and safety inspection, which operates in a public health perspective, and that of occupational hazards insurers, who operate under market mechanisms. At the same time, the rates of accidents and occupational pathologies have strongly decreased, especially those of musculoskeletal diseases. This trend is the expression of diminished risks on the workplace, but also of new practices of management and declaration of work accidents. Yet, besides these indicators that are among the most visible, there is no robust evidence of a global improvement of working conditions.
    • Lectures critiques - Anglais, encore un effort ! L'intensité du travail au Royaume-Uni - Brendan Burchell p. 91 accès libre