Contenu du sommaire : Pour une sociologie politique du droit (2)
Revue | L'Année sociologique |
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Numéro | vol. 59, no 2, 2009 |
Titre du numéro | Pour une sociologie politique du droit (2) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Communauté politique, Etat et droit dans la sociologie wébérienne : grandeur et limites de l'entreprise - Chazel François p. 275-301 Cet article porte sur la manière dont Weber retrace le développement complexe qui a conduit de la communauté politique à l'État moderne et au cours duquel trois processus globaux apparaissent intimement liés : la monopolisation de la contrainte physique légitime, la monopolisation et la rationalisation du droit. Le patrimonialisme princier en représente une première étape significative – par son souci d'ordre, un premier niveau de bureaucratisation de son administration et une systématisation du droit par des juristes professionnels – mais aux résultats partiels en termes de prépondérance du pouvoir central et d'unification du droit. La Révolution française en constitue l'étape décisive en ruinant les fondements de l'ordre ancien et en ouvrant la voie à une centralisation et une concentration accrues du pouvoir – étatisation du droit, juridicisation de l'État et approfondissement de la bureaucratisation. L'État apparaît comme le fruit d'un processus global de rationalisation, porté par l'Occident, dont le moteur est à rechercher du côté de la rationalité formelle, si fondamental pour Weber dans le développement du droit. On peut certes discuter la pertinence de sa définition pour les formes contemporaines de l'État, mais il est essentiel de se demander s'il n'a pas sous-estimé la portée de la différenciation entre ordre bureaucratique et ordre légal. Son souci de penser les relations entre bureaucratie et droit n'en reste pas moins exemplaire.This paper deals with the way Max Weber sketches out the intricate development from political community to modern State during which three processes, that is monopolization of legitimate coercion, monopolization and rationalization of law, are closely linked. Kingly patrimonialism stands for the first and significant step with its claim to public order, the beginning of the bureaucratization of its administrative bodies and the systematization of law by professional lawyers, although the results were limited both in terms of dominance of the central power and of law unification. French Revolution is regarded as the critical step : it ruined the basis of traditional order while it gave way to expanded centralization and concentration of power leading to the establishment of state control over law, the juridicization of the State and the extension of bureaucratization. Modern State is considered the product of an overall process of rationalization characteristic of the West World with at the core formal rationality which is, in Weber's view, so fundamental to the development of law. It is quite legitimate to argue about the adequacy of Weber's definition to contemporary States but even more essential is to question whether Weber underrates the import of the distinction between bureaucratic order and legal order. Nevertheless, his concern to investigate the relations between bureaucracy and law sets an example to scholars.
- Légitimité, droit et action publique - Duran Patrice p. 303-344 Une définition du pouvoir politique comme tout à la fois pouvoir sur (power over) et pouvoir de (power to) conduit à reconsidérer les registres de justification sur lesquels se construit la légitimité politique. Longtemps, l'idéal type webérien de la légitimité légale rationnelle a caractérisé le mode de domination politique propre aux États occidentaux. Il est aujourd'hui la cible de beaucoup de critiques qui le considèrent comme inadapté et incapable de rendre compte des transformations de la régulation politique dans les sociétés contemporaines. Dans une période d'érosion du pouvoir d'État, le droit et la bureaucratie qui étaient au cœur du modèle wébérien auraient perdu leur centralité. Non seulement ces critiques ne tiennent pas compte de l'analyse webérienne de la responsabilité politique qui montre que la légitimité ne peut être pensée en dehors de l'exercice du pouvoir, mais les travaux empiriques n'attestent ni la fin du mode d'organisation bureaucratique ni l'irrémédiable déclin de la place du droit dans la gestion des affaires publiques. Une réflexion approfondie sur la légitimité politique passe plus par un renouvellement du modèle wébérien que son simple abandon.A definition of political power as both power over and power to leads to reconsider the registers of justification on which political legitimacy is built. Long, the ideal type of Weberian legal rational legitimacy characterized the mode of political domination proper to Western States. It is now the target of many critics who regard it as inadequate and unable to account for changes in the political regulation of our contemporary societies. In a period of erosion of state power, law and bureaucracy which were at the heart of the Weberian model have lost their centrality. Not only these criticisms do not take into account the Weberian analysis of political responsibility which shows that the legitimacy cannot be thought except the exercise of power, but empirical works do not give evidence either of the end of the bureaucratic mode of organization or irreparable decline of the place of law in the management of public affairs. A deepened reflection on the political legitimacy goes more through a renewal of the Weberian model than its simple renunciation.
- Le droit de la famille : outil d'une justice de genre ? Les défenseurs de la cause des femmes face au règlement juridique des conséquences financières du divorce en France et au Québec (1975-2000) - Revillard Anne p. 345-370 En combinant les apports de la sociologie politique du droit et de la sociologie des mouvements sociaux, cet article s'intéresse à la place du droit dans la défense des causes, à partir d'une analyse des modalités variables d'engagement des défenseurs de la cause des femmes dans les débats ayant trait au règlement juridique des conséquences financières du divorce en France et au Québec. L'analyse comparative montre que les dispositions concernées (prestation compensatoire, pensions alimentaires, définition des régimes matrimoniaux) occupent une place beaucoup plus centrale dans les luttes en faveur de la cause des femmes au Québec qu'en France. De façon corollaire, le sens attribué à ces dispositions juridiques diffère : perçues en France comme des instruments de protection et de maintien des femmes dans la dépendance, elles sont utilisées au Québec comme l'outil d'une justice de genre. Deux pistes explicatives de ces différences sont explorées, l'une centrée sur le profil social des militantes, et l'autre sur les significations culturelles véhiculées par le droit.Can family law be a tool for gender justice ? Women's advocacy and divorce legislation in France and Quebec (1975-2000)Drawing on the political sociology of law and social movement's theory, this article explores the legal dimension of movements' advocacy, by means of an analysis of the various ways women rights advocates have participated in family law debates regarding the economic consequences of divorce in France and in Quebec. The comparative analysis shows that issues such as compensatory allowances, pay alimony and the definition of matrimonial regimes play a more prominent role in women's advocacy in Quebec than in France. Moreover, these provisions are endowed with a different meaning in each context : while in France, they are perceived as a way to protect women and keep them dependent, in Quebec they are used as a tool for gender justice. Two types of explanations are offered for these differences : one focusing on the social profile of activists, and the other on the cultural meanings crystallized in law.
- Contribution à une sociologie politique des entrepreneurs internationaux de transferts de réformes judiciaires - Delpeuch Thierry, Vassileva Margarita p. 371-402 L'article analyse les processus d'import-export de réformes judiciaires dans le contexte des transitions postcommunistes en Europe. Pour ce faire, nous mobilisons les apports de deux courants de recherche consacrés aux transferts internationaux de règles et de solutions d'action publique : les policy transfer studies et les law and development studies. Les résultats de ces travaux sont questionnés à partir de l'étude empirique de l'action des opérateurs américains de coopération judiciaire en Bulgarie entre 1991 et 2007. Nous montrons que cette coopération, qui vise à remédier à l'état de délégitimation du droit hérité du régime antérieur, est fondée sur un haut degré d'ingérence dans la politique intérieure de la Bulgarie. Pour rendre acceptable cette immixtion, la stratégie américaine consiste à prescrire des programmes de réformes couplant mesures à caractère technique et mesures à finalité politique, ainsi qu'à créer et mobiliser, par le biais de l'expertise, des acteurs domestiques, mais aussi européens, appelés à soutenir les réformes.This article examines the transplant of judicial reforms from the West to the East in the context of post communist transitions in Europe. Our approach is based on the knowledge produced by two research streams which are devoted to the study of international transfer of institutions, policies and legal rules : the policy transfer studies and law and the development studies. We propose a critic of these researches in the light of an empirical study of American judicial cooperation which was conducted in Bulgaria. We show that American assistance strategy involve a high degree of intrusiveness into Bulgarian domestic politics, polity and policies. The aim of this strategy is to improve the legitimacy of legal rules in societies where the mere idea of rule of law was discredited by decades of authoritarism and chaotic economic transition. In order to justify such interference, American experts promote measures which are simultaneously of political and technical nature, and try to build and manipulate (through the production of expert knowledge) coalitions of local and European actors who have a capacity to support the reform process.
- Les acteurs nationaux du droit pénal international : le cas pinochet - Seroussi Julien p. 403-415 La mondialisation du droit est souvent interprétée comme un mouvement d'érosion de la souveraineté nationale. À partir de l'analyse du cas Pinochet, l'auteur montre que c'est, au contraire, la lutte contre l'impunité qui s'adapte aux contraintes de la souveraineté. Cette démonstration permet ainsi de mettre au jour le rôle essentiel des hommes politiques aux côtés des militants des droits de l'homme et des juges nationaux dans l'émergence d'une justice internationale.Globalization of law is often described as the withdrawal process of national sovereignty. Dwelling on the Pinochet case, the author claims that the fight against impunity is on the contrary reframed to respect the constraints of sovereignty. Through this analysis, he sheds light on the essential role played by politicians in the building of international justice side by side with national judges and human rights advocate.
- L'émergence du dialogue social en Europe : retour sur une innovation institutionnelle méconnue - Didry Claude p. 417-447 Cet article vise à voir en quoi le « marché intérieur » a constitué la base du développement d'un dialogue social à un niveau communautaire, en aboutissant à poser les bases d'un droit communautaire du travail. Il revient pour cela sur la portée institutionnelle du « marché intérieur » par rapport à celle du « marché commun » visé initialement par le traité de Rome. Ce concept de « marché intérieur » est en effet issu d'un débat technique sur la mise en œuvre des traités antérieurs et devient le motif justifiant l'adoption d'un nouveau traité, dit de l'Acte unique, renforçant les prérogatives de la Commission et instituant le vote du Conseil à la majorité qualifiée. Simultanément, le « marché intérieur », comme constat d'une réalité émergente, est saisi par les partenaires sociaux comme le cadre général permettant d'initier une discussion dépassant l'affrontement sur les politiques nationales et s'attaquant à des enjeux européens. Au-delà d'un mécanisme abstrait d'ajustement de l'offre et de la demande, le marché intérieur circonscrit en effet un espace ouvert à une action législative de niveau communautaire. Les partenaires sociaux et la Commission passent ainsi au cours des années 1980, du constat à une activité de propositions législatives qui se concrétiseront au cours de la décennie suivante.This article aims at assessing the way the « Single Market » has been the ground of the development of a Social Dialogue and thus of a European labour legislation. It considers the institutional impact of the « Single Market » as compared to the « Common Market » initially designed by the Rome Treaty. The concept of « Single Market » was actually the result of a technical debate on the implementation of the former treaties. It has become a motive for the adoption of a new treaty, the « Single Act Treaty » that reinforced the prerogatives of the Commission and instituted the qualified majority vote for the Council. As a statement of an emerging reality, the « Single Market » is then taken as a general frame for discussions between the social partners overcoming the national policy level and tackling European issues. Beyond an abstract mechanism of adjustment between demand and supply, the « Single Market » defined a space for a legislative action at the European level. The social partners and the Commission evolved during the 1980's from common statements to legislative propositions that became concrete during the next decade.
- Analyses bibliographiques thématiques - p. 449-466
- Apprentissage, institutions et performance économique - Mantzavinos C., North Douglass C., Shariq Syed p. 469-492 Dans cet article, nous offrons un large aperçu des interactions entre cognition, systèmes de croyances et institutions, et comment elles affectent la performance économique. Nous estimons qu'une meilleure compréhension de l'émergence des institutions, de leurs propriétés de fonctionnement et de leurs effets sur les résultats politiques et économiques doit commencer par une analyse des processus cognitifs. Nous explorons la nature de l'apprentissage individuel et collectif, en soulignant que la question n'est pas de savoir si les agents ont une rationalité parfaite ou limitée, mais plutôt de savoir comment les êtres humains raisonnent ou choisissent réellement, individuellement et collectivement. Nous avons ensuite lié les processus d'apprentissage à l'analyse institutionnelle, fournissant des arguments en faveur de ce qui peut être qualifié d'« institutionnalisme cognitif ». En outre, nous montrons qu'un traitement complet du phénomène de sentier de dépendance devrait commencer au niveau cognitif, se poursuivre au niveau institutionnel, et aboutir au niveau économique.In this article, we provide a broad overview of the interplay among cognition, belief systems, and institutions, and how they affect economic performance. We argue that a deeper understanding of institutions' emergence, their working properties, and their effect on economic and political outcomes should begin from an analysis of cognitive processes. We explore the nature of individual and collective learning, stressing that the issue is not whether agents are perfectly or boundedly rational, but rather how human beings actually reason and choose, individually and in collective settings. We then tie the processes of learning to institutional analysis, providing arguments in favor of what can be characterized as « cognitive institutionalism ». Besides, we show that a full treatment of the phenomenon of path dependence should start at the cognitive level, proceed at the institutional level, and culminate at the economic level.
- Analyses bibliographiques générales - p. 493-522