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Revue | Revue historique |
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Numéro | no 639, juillet 2006 |
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Religion et société
- La question romaine du sacer. Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit - R. Jacob p. 523 Le droit romain archaïque déclarait sacer le hors-la-loi dont les biens étaient confisqués et dont l'intégrité physique n'était plus garantie, chacun pouvant le tuer impunément. L'énigme, depuis longtemps posée, tient à l'apparent paradoxe sémantique qui a fait nommer le proscrit par un terme qui désigne ordinairement le sacré. Aux explications habituellement avancées (la trace d'une peine de mort originellement administrée dans la forme d'un sacrifice humain, ou encore l'ambivalence fondamentale de la notion de sacré, opinion dominante depuis la fin du XIXe siècle), la présente étude propose une alternative. Celle-ci s'inscrit dans la perspective d'une anthropologie historique de la parole normative dans les mondes antique et médiéval. Il s'agit de montrer que l'ordre juridique (ius) et le lieu du non-droit, qui est celui du sacer, ont été pensés à Rome par opposition l'un à l'autre, en relation avec l'origine de la parole impérieuse du ius dans le rituel du serment prononcé à l'occasion de la célébration du sacrifice.Early Roman law declared sacer the outlaw whose property was seized and whose physical integrity wasn't guaranteed anymore, anyone beeing allowed to legally kill him. This legal conundrum has been pointed for quite a while. It rests on the apparent semantic paradox which led to designating the outlaw by a word traditionnally associated with the sacred order. The present essay suggests an alternative explanation to the ones provided before, such as the trace of a death penalty originally administrated through human sacrifice, or the fundamental ambivalence pertaining to the notion of what is sacred, which has represented the leading theory since the end of the nineteenth century. The proposed analysis flows from the perspective opened by an anthropological history of the legal spoken word in the antique and medieval societies. It will show how legal order (ius) and its conceptual opposite, the outlawry which the sacer relates to, were thought in Rome in opposition to each other, in relation to the origin of the commanding spoken word of the ius in the oath ritual taking place at the celebration of the sacrifice.
- Le sanctuaire d'Asklépios à Lébèna : l'ombre de Gortyne - P. Sineux p. 589 Un culte guérisseur comme celui d'Asklépios ne doit pas son succès dans le monde grec à la seule apparition d'aspirations religieuses nouvelles. Différents facteurs interviennent dans la naissance et le développement de ses sanctuaires, parmi lesquels le rôle joué par les sociétés politiques qui les accueillent se révèle souvent déterminant. L'analyse du cas de Lébèna à l'époque hellénistique permet de montrer comment le sanctuaire d'Asklépios a été pris en charge puis promu par Gortyne, la puissante communauté voisine. La promotion du sanctuaire s'est fondée en partie sur la mise au point d'une légende de fondation qui mettait en relation Lébèna et Épidaure.The success of an healing cult like Asclepius's in the Greek world is not only due to the emergence of new religious aspirations. There are factors of a different kind which intervene in the birth and the blossoming of his sanctuaries among which the role played by political societies which welcome them is often prevailing. The analysis of the case of Lebena during the hellenistic period allows to show how Gortyn, the leading neighbouring community, took care of and then promoted Asclepius's sanctuary. The promotion of the sanctuary was mainly based on the development of a foundation legend which linked Lebena with Epidaurus.
- Chanter en polyphonie à Notre-Dame de Paris sous le règne de Philippe Auguste : un art de la magnificence - G. Gross p. 609 La polyphonie chantée au chœur de la nouvelle église de Paris à la fin du XIIe siècle a marqué son temps par son étonnante splendeur. Exécuté pour les grandes fêtes liturgiques de la cathédrale Notre-Dame, l'organum est la marque distinctive d'une élite de clercs seuls capables de produire de telles compositions. Cet article montre une pratique musicale ancrée dans un contexte intellectuel alors propice à l'ex tempore dicendi où l'apprentissage des techniques mémorielles, l'étude très poussée et le maniement virtuose de la langue latine sont au cœur du système éducatif. Des solistes émérites, rompus à la discipline intellectuelle de l'orateur, ont réussi à chanter de mémoire ces majestueuses fresques qui ont enflammé l'imagination des médiévaux.Polyphony at two, three and four voices was sung at the new church of Paris at the end of the XIIth century. The great organa were composed by a choice-part of clerics to celebrate the major feasts of the cathedral Notre-Dame. This study shows how the cantors were able to create by memory such noble compositions (tripla and quadrupla). It explains a musical practice in his cultural context and the main things of mnemotechnics and Latin's learning in medieval education.
- La première entrée de l'évêque : réflexions sur son origine - V. Julerot p. 635 La première entrée de l'évêque en sa cité est l'ultime étape du parcours qui le mène de sa désignation à la prise de possession de son siège. Elle constitue un rite performatif qui permet à tous de voir que le prélat est installé en son bénéfice. Telle qu'elle se déroule à la fin du XVe siècle en France, la première entrée porte le souvenir des adventus antiques – organisation des processions, opposition entre extérieur et intérieur de la cité, présence du corps de ville –, mais la présence d'acteurs purement médiévaux – réguliers, vassaux et chanoines – montre qu'il s'agit d'un rituel né au Moyen Âge. Il semble qu'il plonge ses racines dans le Xe siècle pour s'épanouir au XIIIe siècle, et que la réforme grégorienne en soit à l'origine. Malgré de nombreuses caractéristiques communes aux entrées des différents diocèses, quelques oppositions entre le nord et le sud du royaume révèlent des contextes religieux et politique particuliers.Bishop's first entry in the city is the ultimate stage of the course that leads him from his appointment to his see taking up. It is a performative rite, which allows everybody to see the prelate set up in his benefice. The way it develops in the end of XVth century France, first entry keeps memory of antique adventus – procession organization, contrast between city's outside and inside, city's body attendance –, but exclusively medieval actors attendance – regulars, vassals and canons – leave no doubt about the rite origins datation. It seems that it roots in the Xth century and opens out in the XIIIth by the gregorian Reform action. Despite numerous common features between each entry in any diocese, some contrasts between north and south of the kingdom let us take care of particular religious and political contexts.
- Voyages d'un prélat festif : un "évêque des Innocents" dans son évêché - Y. Dahhaoui p. 677 Au lendemain de la Noël 1396, un dignitaire ecclésiastique particulier, portant mitre et crosse, parcourt à cheval l'évêché d'York. Identifiable à ses insignes pontificaux, John de Cave, « évêque des Innocents », est un dignitaire festif comme on en rencontre dans la plupart des cathédrales de l'Occident médiéval. Élu par et parmi les jeunes clercs de la cathédrale, il prend, à l'occasion des Saints-Innocents (28 décembre), la place du prélat adulte à la tête du clergé et de l'office liturgique. Dans le cas de John de Cave, la traditionnelle chevauchée prolongeant la fête à l'extérieur de l'église s'apparente toutefois davantage au voyage qu'à un simple « tour en ville ». En effet, parti de sa cathédrale, il visite monastères, manoirs et châteaux, effectuant plusieurs centaines de kilomètres sur vingt-deux jours avant de regagner son point de départ. Les détails de son périple ont été conservés dans un compte, rédigé par son « trésorier », Nicolas de Newark. L'analyse de ce témoignage unique permet non seulement de mesurer l'ampleur de son voyage, mais également d'en percevoir les enjeux financiers, magico-folkloriques et, surtout, symboliques.In 1396, soon after Christmas, a special ecclesiastical dignitary, equipped with staff and crosier, was riding throughout the bishopric of York. His name was John de Cave. Thanks to his pontifical insignia, it is possible to identify him as a « boy bishop », that is to say as a kind of festive dignitary who used to be celebrated in most Western cathedrals in the Middle Ages. The « boy bishop » was elected by and among the young clerics of his cathedral and took the place of the adult prelate in the leading of the clergy as well as the liturgical office on the Holy Innocents' (28 December). In the case of John de Cave, the traditional ride extending the feast outside the church passes as a real journey rather than a simple tour round the city. Indeed, after leaving the cathedral, he visited several monasteries, manors and castles, covering hundreds of miles during a twenty-two day cavalcade, before riding back to his starting point. The details of his trip have been kept in an account written by his « treasurer », Nicholas de Newark. The analysis of this unique testimony allows not only to define the considerable scope of his journey, but also to understand its financial, magio-folkloric and symbolic stakes.
- Les débuts de l'action française (1899-1914) ou l'élaboration d'un nationalisme antisémite - L. Joly p. 695 Principale école de doctrine du nationalisme français de la première moitié du XXe siècle, la ligue monarchiste d'Action française et le quotidien du même nom, animé par Charles Maurras, ont exercé une influence profonde sur les élites intellectuelles de l'époque. La lutte contre l'« Anti-France » (les « quatre États confédérés ») structure l'idéologie du mouvement. Au premier rang de ces « ennemis » se place le Juif. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, l'antisémitisme est au cœur de l'action et de la stratégie de l'AF, qui pense ainsi rallier les nationalistes non monarchistes à sa cause. En 1911, après plusieurs campagnes d'agitation antijuive, Maurras théorise l'« antisémitisme d'État » dans les colonnes de L'Action française. La doctrine n'a rien de modéré ; elle tend à l'exclusion radicale des Juifs de la communauté nationale. Ce n'est qu'après la Grande Guerre que le « Juif bien né » apparaîtra dans la pensée maurrassienne. Dans sa pratique, le « nationalisme intégral » des années 1899-1914 fut, à bien des égards, un authentique nationalisme antisémite.During the first half of the 20th century, the monarchist league Action française and the daily paper that holds the same name, leaded by Charles Maurras was the main school of doctrine within the French nationalist movement have exercised an deep influence over the intellectual elites. The struggle against « Anti-France » (the « quatre États confédérés ») gives a structure to the movement's ideology. The Jew is on the highest ranking of these « enemies ». Until the First World War, anti-Semitism is in the heart of AF‘s action and strategy. In 1911, after several anti-Jew agitation campaigns, Maurras theorizes about « antisémitisme d'État » in the columns of L'Action française. The doctrine aims at radical exclusion of Jews from the national community. It is only after the Great War that the « well-born Jew » appears in the thought of Maurras. Its « integral nationalism » of 1899-1914 was, from many points, an authentic anti-Semite nationalism.
- La question romaine du sacer. Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit - R. Jacob p. 523