Contenu du sommaire : Critique-action

Revue Mouvements Mir@bel
Numéro no 65, printemps 2011
Titre du numéro Critique-action
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Négociations critiques

    • De la mise à l'épreuve des individus au gouvernement de soi - Didier Vrancken p. 11-25 accès libre avec résumé
      Depuis quelques années, le concept d'« épreuve » connaît un indéniable succès en sciences sociales. Bien sûr, les acceptions sont multiples, les approches théoriques également. Nous assisterions toutefois aujourd'hui à une tentative de reformulation de la question sociale, visant à percevoir celle-ci comme une succession d'épreuves individuelles mettant en scène des victimes appelées à parler, à prendre la parole et à livrer le récit de leur infortune dans toute une série de dispositifs d'aide et d'intervention. Ces dispositifs voient peu à peu le jour dans des secteurs aussi différents que ceux de l'aide sociale, de l'insertion professionnelle, de l'aide à la jeunesse, des politiques de la ville, de la santé, de la santé mentale et dans tous ces lieux où se joue la construction contemporaine d'un sujet que l'on voudrait plus actif, impliqué, responsable ou encore autonome.
    • De la contestation au compromis : quelle critique dans les mobilisations urbaines à Bruxelles ? - Louise Carlier? p. 26-42 accès libre avec résumé
      Cet article aborde comment, dans les mobilisations collectives à Bruxelles, la critique urbaine est articulée, ou non, à la critique sociale, en observant les pratiques et les discours sur lesquels ces mobilisations s'appuient, à la fois dans les années 1970 et aujourd'hui. Tandis que, dans les années 1960-1970, la critique urbaine empruntait fortement à la critique sociale, afin de défendre la cause des habitants dans des quartiers menacés de destruction, il en est autrement pour la critique actuelle des modalités de gouvernement et de développement urbains. L'approche d'une mobilisation collective récente, où se sont engagés différents acteurs d'organisations et associations bruxelloises pour porter un projet de ville commun, permettra de comprendre comment une critique sociale s'y trouve empêchée, en observant les ressorts sur lesquels s'appuie l'activité critique.
    • Le nouvel esprit de la ville : Les luttes urbaines sont-elles recyclables dans le « développement urbain durable » ? - Luca Pattaroni?, Daniel Marco p. 43-56 accès libre avec résumé
      Durant les années 1990, la Ville de Genève connut un des mouvements « squats » les plus importants d'Europe, comparable proportionnellement à ce qui se passait dans des villes comme Berlin ou Amsterdam?1. Ce mouvement a puisé ses forces et sa légitimité dans toute une série de « luttes urbaines » débutées dans les années 1970. Aujourd'hui, il ne reste néanmoins quasiment plus de lieux occupés à Genève, ils ont été pour la plupart fermés sur un laps de 10 ans. Qu'en est-il alors des critiques et des espoirs qui ont porté ces luttes ?
    • Du côtoiement à l'engagement : la portée politique de la civilité : L'activité pédagogique de Morts de la Rue - Carole Gayet-Viaud? p. 57-66 accès libre avec résumé
      De nombreuses critiques ont été formulées quant à la portée politique du rapprochement aujourd'hui croissant entre questions politiques et questions urbaines, civilité et citoyenneté. Ces critiques ont souligné les effets en trompe-l'œil imputables à « l'orientation localiste et urbaniciste de l'action publique?1 », ainsi que les risques d'un confinement de l'engagement militant dans le local. Sans prétendre trancher ici ces débats, on propose de suspendre toute présomption concernant « ce que veut dire » le fait de parler d'engagement de proximité, de citadinité, ou de civilité, pour considérer ce que peuvent faire certaines de ces façons de parler?2 et d'agir, dans des contextes particuliers, ici celui d'une activité associative. L'analyse portera sur un discours de la proximité, mis en œuvre dans le cadre d'une démarche de communication, entreprise en 2009 par l'association Les Morts de la Rue, engagée dans le soutien aux personnes à la rue, et dont la principale activité consiste à offrir des funérailles aux personnes décédées à la rue. Cette démarche offre une occasion intéressante d'aborder l'articulation possible de gestes civils élémentaires et de l'engagement citoyen.
  • Recompositions du théâtre critique

    • L'expression culturelle de la protestation dans un ancien bassin charbonnier - Nicolas Verschueren? p. 67-78 accès libre avec résumé
      La seconde moitié des années 1970 a été marquée par le succès des formes culturelles de la contestation sociale apparues lors des premières années de l'après-prospérité. Cette recherche vise à décrypter le contenu de ces expressions culturelles pour étudier les conséquences de la reconversion sur la population ouvrière du Borinage. En dépit des tentatives de relance de l'activité industrielle régionale, ce bassin charbonnier belge était confronté à sa deuxième crise sociale et économique en une vingtaine d'années. Les pièces de théâtre créées par les ouvrières en lutte ou les chants de protestation composés lors des occupations d'usine constituent une source historique originale pour observer la transition sociale et culturelle d'un ancien bassin charbonnier. Ces expressions culturelles de la contestation lors des fermetures des usines du Borinage servent de révélateur à une mutation identitaire où se croisent héritage des luttes des mineurs et combat d'une génération née au lendemain du déclin charbonnier.
    • Le politique a-t-il déserté le théâtre-action ? - Rachel Brahy? p. 79-90 accès libre avec résumé
      Les pratiques culturelles participatives mises en place dans les années 1970 souffriraient, de nos jours, d'un effet de recyclage dépolitisant. À une organisation claire et bipolaire du monde (en « classes sociales » et en « blocs ») se serait aujourd'hui substitué un chaos postmoderne où la question du politique peine à être pensée. Qu'en est-il des pratiques théâtrales d'animation ? Le théâtre-action s'est-il vu progressivement vidé de sa substance politique ? Est-il devenu un simple outil au service du traitement de la question sociale ?
    • Théâtre identitaire ou théâtre universaliste : Quelle critique de la « situation postcoloniale » dans le théâtre documentaire aujourd'hui ? - Bérénice Hamidi-Kim? p. 91-105 accès libre avec résumé
      Alors que le cinquantenaire des indépendances a suscité autant de célébrations que de critiques desdites célébrations, l'enjeu du présent texte est de faire une étude comparée de deux spectacles récents qui ont en commun d'envisager le fait colonial comme un temps au passé mais également comme part du temps présent : Bloody Niggers (Dorcy Rugamba, Jacques Delcuvellerie, 2007) et Vive la France (Mohamed Rouabhi, 2006). Ces deux spectacles critiquent du même mouvement les survivances, les résurgences et les nouvelles formes de domination entre anciennes puissances coloniales et anciennes colonies, entre descendants de colons et descendants de colonisés. Peut-on alors qualifier ce théâtre de « postcolonial » ? S'agit-il d'un théâtre « identitaire » comme l'affirme Gérard Noiriel à propos de l'œuvre de Mohamed Rouabhi, ou d'un théâtre universaliste ? Entend-il faire œuvre historique ou prendre parti au sein d'une guerre des mémoires ? Poser ces questions suppose d'interroger le « au nom de quoi » et le « à partir d'où » de la dénonciation, ce qui implique de considérer avec attention la récurrence de certains choix esthétiques : l'utilisation de matériaux documentaires, le jeu sur la frontalité de l'adresse au public dans une forme-procès et la mise en scène d'une subjectivité indignée. Nous posons l'hypothèse que cette entrée dramaturgique permet de mettre au jour une force spécifique de la critique artistique susceptible d'œuvrer à la relance du projet critique.
  • Désobéissances et expériences alternatives

    • L'occupation des terres et la lutte pour la reconnaissance : l'expérience des sans-terre au Brésil - Susana Bleil? p. 107-119 accès libre avec résumé
      Au Brésil, la lutte des sans-terre existe depuis plus de vingt ans. Mais un grand nombre des caractéristiques de ce mouvement reste encore peu étudié et relativement obscur. L'article de Susana Bleil est issu d'un long travail de terrain. Il a pour objectif d'analyser les moyens d'actions et les valeurs mobilisées par les « sans-terre » lorsqu'ils s'installent sur une portion de territoire. « Se montrer digne » et « se faire respecter » par la population voisine ne va pas de soi. Pour illustrer cette difficulté, l'auteure s'attarde plus longuement sur l'exemple de la coopérative agricole Copavi1 et sur la façon dont ses membres vont accomplir, dès leur arrivée sur la terre choisie, des actions qui leur permettent de faire face à, voire de retourner, la stigmatisation opérée par l'opinion publique et construite par les médias.
    • La désobéissance civile, une légitime réponse : Table ronde avec Isabelle Fremeaux, John Jordan, Yvan Gradis et Sandra Laugier - Nicolas Haeringer, Samira Ouardi p. 120-129 accès libre avec résumé
      Depuis quelques années, les pratiques de désobéissance civile semblent avoir gagné en importance. Les collectifs de « désobéissants » ou de « désobéisseurs » sont légion ; les appels à refuser de mettre en œuvre telle directive jugée injuste se multiplient dans des domaines aussi divers que l'éducation, l'indemnisation des chômeurs, et bien entendu, la traque des sans-papiers. Les articles de presse, émissions télé et publications (militants, journalistiques ou scientifiques) sont chaque jour plus nombreux sur ces questions. Pour autant, « désobéissance civile » désigne des pratiques extrêmement diverses, qui vont de l'action directe (« inspections citoyennes » de sites militaires, refus de respecter les cadres légaux de la contestation, etc.) à la résistance passive. Les revendications des militants/activistes sont très largement discutées. Leur rapport au militantisme « classique », qu'ils contribueraient à « renouveler » est également régulièrement commenté et analysé. En revanche la désobéissance civile est beaucoup plus rarement appréhendée comme une pratique critique de la démocratie représentative. L'ouvrage « Pourquoi désobéir en démocratie » entend faire face à cette lacune. Mouvements a donc cherché à le mettre en débat auprès d'activistes et de désobéisseurs.
    • Impasse du capitalisme, chemins de l'xutopie : Entretien avec Isabelle Frémeaux et John Jordan, Les Sentiers de l'utopie, Zone / La Découverte, 2011 - Vincent Bourdeau, Julienne Flory, Nicolas Haeringer? p. 130-141 accès libre avec résumé
      Mouvements a rencontré Isabelle Frémeaux?1 et John Jordan?2 auteurs du Livre – film Les Sentiers de L'utopie. Cette œuvre propose une exploration de quelques formes de vie post-capitalistes en Europe. Quelles sont ces utopies ? Comment vivre en résistance à la société capitaliste actuelle, en proposant des alternatives ? Quelles sont les luttes et les revendications de ces communautés ? Comment fonctionnent-elles ? C'est ce que nous vous proposons de découvrir, à travers cet entretien avec les auteurs.
  • Itinéraire

    • « Pour une résistance culturelle permanente » : Entretien avec Steve Kurtz du Critical Art Ensemble - Stéphanie Lemoine?, Samira Ouardi? p. 143-158 accès libre avec résumé
      Depuis 1987, Le Critical Art Ensemble (CAE) s'attache à inventer « une culture de l'opposition et de la résistance ». Ses travaux protéiformes, faits de publications théoriques, d'interventions, d'installations, de performances et de production d'images, sont notamment destinés à doter les citoyens d'outils de réflexion et d'action critique. Quand d'autres initiatives du même type se sont penchées sur la vie quotidienne ou l'économie, les membres du CAE ont choisi la technologie pour « théâtre des opérations »?1. Ils sont ainsi les théoriciens de la « désobéissance civile électronique », concept repris en pratique par des mouvements comme la guérilla zapatiste. Plus généralement, ils ont produit une critique radicale des usages des nouveaux médias et du web. Depuis le début des années 2000 le groupe se consacre au développement d'une nouvelle forme de hacking : la biologie contestataire. L'objectif des projets nés dans cette perspective est « la réappropriation des matériaux et processus scientifiques qui ne profitent aujourd'hui qu'aux grands groupes et à l'armée ». Parfois dispositifs participatifs de prise de conscience des enjeux des biotechnologies, d'autres fois expériences scientifiques d'intervention sur les OGM pour les désactiver, ces travaux ont valu à Steve Kurtz, co-fondateur du collectif, d'être inculpé de « bio-terrorisme » en 2004. Si toutes les charges retenues contre lui ont finalement été abandonnées en 2008, ce procès est venu démontrer une fois encore que, sans conteste, la science est l'un des lieux du pouvoir contemporain. Nous avons rencontré Steve Kurtz à Paris, il est revenu pour nous sur l'histoire et les pratiques du CAE.
  • Thème

    • Quel renouvellement possible de l'articulation entre matérialisme et idéalisme ? - Sophie Heine? p. 159-175 accès libre avec résumé
      La gauche, que ce soit dans ses branches syndicales, associatives ou politiques, connaît aujourd'hui un déficit de réflexion certain sur la question du changement social. Cette lacune est particulièrement problématique pour des courants qui aspirent à transformer le réel en profondeur. Face aux résistances exprimées par les forces sociales et politiques en faveur du statu quo, tout projet de transformation sociale se doit de penser la possibilité historique du progrès social. On voudrait ici explorer une dimension particulière de la thématique plus large du rapport au changement historique, à savoir, l'opposition séculaire entre positions matérialistes et idéalistes au sein des courants de gauche. Après une remise en perspective de la manière dont cette question s'est historiquement posée et une brève discussion des approches adoptées par les courants de gauche contemporains sur ce thème, on tentera d'ébaucher une articulation renouvelée de ces deux termes.