Contenu du sommaire : Don et reconnaissance - Normes juridiques et mariage chrétien - Art et patrimoine - Grammaires de l'action

Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales Mir@bel
Numéro vol. 65, no 6, décembre 2010
Titre du numéro Don et reconnaissance - Normes juridiques et mariage chrétien - Art et patrimoine - Grammaires de l'action
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Don et reconnaissance

    • Lectures de Mauss - Carlo Ginzburg p. 1303-1320 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le titre de l'essai a deux significations : il fait allusion, d'un côté, à des lectures qui ont joué un rôle important dans le travail de Marcel Mauss sur le don (notamment, Bronislaw Malinowski et Franz Boas) ; de l'autre, à quelques lectures importantes qui ont été données de l'Essai sur le don. Les deux niveaux sont liés : l'un clarifie l'autre. Plus spécifiquement, l'essai montre que la réflexion sur le lien impliqué par l'obligation de rendre le don (thème qui est au centre de l'essai de Mauss) a été déclenchée par une lecture très originale de certains passages de l'Émile de Rousseau. Il suit les traces, directes et indirectes, de ce noyau rousseauiste dans la postérité de l'essai de Mauss : de l'interprétation de Hegel donnée par Alexandre Kojève aux lectures divergentes de Mauss données par Claude Lévi-Strauss et Claude Lefort – fondées sur, respectivement, une image non conflictuelle et une image conflictuelle de la société.
      Readings of Mauss The paper's title refers, on the one hand, to Mauss's readings for his essay on the gift (from Bronislaw Malinowski to Franz Boas) ; on the other, to some readings of Mauss's essay by others. The two levels are connected : the former clarifies the latter. More specifically, the paper argues that the reflection on the bond implied by the constraint to reciprocate the gift (an issue which is at the very center of the essay) is the outcome of Mauss's highly original reading of some passages in Rousseau's Émile. The paper follows the posterity, both direct and indirect, of this Rousseauian core in Mauss's essay and its readers, from Alexandre Kojève's interpretation of Hegel, to the divergent readings of Mauss's provided by Claude Lévi-Strauss and Claude Lefort–based on, respectively, a non-conflictual and a conflictual image of society.
  • Normes juridiques et mariage chrétien

    • La nature du droit au corps dans le mariage selon la casuistique des XIIe et XIIIe siècles - Marta Madero p. 1323-1348 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir du milieu du XIIe siècle et pendant le XIIIe siècle, la canonistique produit l'essentiel d'une matière matrimoniale dont l'un des traits fondamentaux est celui de la judiciarisation des rapports charnels, de la constitution d'un droit au corps qui est, encore de nos jours, le seul objet juridique du consentement. Or, si le mariage a donné lieu à une bibliographie gigantesque, les constructions casuistiques qui ont pour objet l'union sexuelle pensée en termes de droit ont, au contraire, été bien plus rarement l'objet d'analyses précises. On propose ici l'étude de deux situations en quelque sorte extrêmes dans lesquelles ces questions émergent : celle où l'on s'interroge sur la naissance et, indirectement, sur la nature du droit au corps du conjoint, et celle où l'on analyse la possibilité de la perte de ce même droit. Il s'agit de savoir, d'une part, si le premier coït est gratuit – c'est-à-dire non dû – et si de son accomplissement naît l'obligation future d'offrir son corps aux usages maritaux. D'autre part, il s'agit de se demander si l'absence d'usage du corps du conjoint suffit à induire la prescription de ce droit.
      Casuistry's elaboration of the right to one's body in marriage (12th and 13th centuries) In the mid-twelfth century, scholars of canon law started establishing the essential definitions and questions concerning marriage. A fundamental point was to subject sexual relations to juridical principles and to elaborate a right on the spouse's body that is still today the only juridical object of marital consent. The bibliography on marriage is of unlimited proportions, but the casuistical constructions of the commentaries on canon law whose object was the legal definition of sexual relations has been largely neglected. This article proposes the analysis of two extreme situations : the origin and nature of the right on the body of the spouse, and the possible loss of such a right. At stake was, on the one hand, to know if the first sexual relation was “free”, that is to say not obligatory, and if it created the future obligation to give one's body to one's spouse ; and, on the other hand, to establish if the absence of use of the spouse's body was sufficient in itself to prescribe such a right.
    • La liberté du sacrement Droit canonique et mariage des esclaves dans le Brésil colonial - Charlotte de Castelnau-L'Estoile p. 1349-1383 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une pétition d'esclaves africains envoyée de Bahia en 1708, demandant au pape l'excommunication de leurs maîtres qui refusent de les laisser se marier, cet article s'intéresse à la question du mariage légitime des esclaves dans le Brésil colonial et se concentre sur l'aspect juridique et donc sur le droit canonique qui régit le mariage dans le monde portugais. La question est fondamentale pour l'étude des sociétés esclavagistes, car elle montre l'ambiguïté du statut de l'esclave comme res humana et se situe à la frontière de la souveraineté domestique et de la reconnaissance de la personne de l'esclave. L'Église coloniale du Brésil a fait de la défense du mariage des esclaves une priorité. Elle obtient une bulle pontificale sur le sujet en 1585 et réaffirme, au début du XVIIIe siècle, la théorie classique du mariage des esclaves qui repose sur la liberté du sacrement. Elle se contente cependant de condamner moralement les maîtres et refuse tout rôle émancipateur au mariage. L'enjeu pour l'Église est d'affirmer qu'un ordre chrétien est possible dans une société esclavagiste, ce qui d'une certaine manière conforte les bases idéologiques de cette société où les esclaves représentent la moitié de la population. Comment les esclaves chrétiens ont-ils pu s'approprier l'idée forte de liberté du sacrement et comment le mariage légitime peut-il entrer dans leurs stratégies pour plus d'autonomie et de dignité au sein du carcan de l'esclavage ?
      Freedom of sacrament : Canon law and slave marriage in colonial Brazil By closely reading a petition of African slaves sent from Bahia to Rome in 1708, this article discusses the question of the legal marriage of slaves in colonial Brazil. It focuses in particular on juridical aspects and the canon law under which marriage was regulated in the Portuguese world. This question is fundamental for the study of slave societies because it reveals the ambiguous status of slaves as res humana. It also marks the frontier between domestic sovereignty and the recognition of the individuality of slaves. The Brazilian colonial Church defended slave marriage. In 1585, it obtained a Papal bull to this effect, and it reaffirmed, at the beginning of the 18th century, the classical theory of slave marriage based on the freedom of sacrament. However, the Church morally condemned masters but refused any emancipatory role of marriage. At stake for the church the affirmation that a Christian order was possible for a slave society. By doing so, it shored up the ideological basis of a society in which half of the population was enslaved. How did the Christian slaves manage to appropriate the idea of the freedom of sacrament and how did the notion of legal marriage enter into their strategies for acquiring more autonomy and dignity under the yoke of slavery ?
  • Art et patrimoine

    • Du « nouveau connoisseurship » à l'histoire de l'art Original et autographie en peinture - Charlotte Guichard p. 1387-1401 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Marquée par le paradigme de la singularité, l'histoire de l'art européen a longtemps été le fruit d'une alliance entre le modèle vasarien, associé à l'écriture biographique, et le connoisseurship, comme méthode d'attribution. Mais ce modèle est en tension avec la complexité des formes de la production artistique à l'âge renaissant et classique. Des travaux récents, issus de l'histoire sociale, de la philosophie de l'art et d'un « nouveau connoisseurship » proche du monde des musées, explorent ainsi la tension entre autographie et réalisation à plusieurs mains, entre attribution et collaboration artistique, exemplaire dans l'œuvre de Rembrandt. La conception autographique de la peinture n'est pas universelle : elle a une histoire qui se cristallise au XVIIe siècle dans la littérature du connoisseurship et les discours nouveaux sur la touche. Ces travaux révèlent aussi l'importance des répétitions et des multiples dans l'histoire de l'art moderne, jusqu'alors marginalisés dans une écriture historique de la singularité. Attentifs à l'histoire matérielle des œuvres, comme à l'histoire sociale et intellectuelle de l'art, ils mettent au jour le rôle du collectif et des « originaux multiples » dans la fabrication de la singularité artistique, au cœur même de la toile. Ils remettent ainsi en cause certaines conceptions fondamentales de la peinture en Occident, tels le culte de l'original et le statut de l'autographie, et ouvrent la voie à une histoire culturelle de l'art renouvelée.
      From “new connoisseurship” to art history : Original and autography in painting European art history has long been the result of an alliance between the Vasarian model of artists' lives and connoisseurship as a method of attribution. However, this regime of singularity is apparently in contradiction with the finer understanding we have now of forms of artistic production in Renaissance and early modern Europe. Recent approaches, in social history, art philosophy and in the field of “new connoisseurship”, explore this tension between autography and artistic collaboration, between attribution and artistic enterprise, Rembrandt being a case in point. They show that the conception of a painting as autograph has a history, which was shaped in the seventeenth-century literature of connoisseurship, through discourses on the master's touch. They also reveal the importance of multiples and repetitions in art history, although these are often marginalized in the writing of art history which has been dominated by the cult of singularity. Therefore, they offer new avenues to understand how artistic singularity was shaped and articulated to collective practices and the production of “multiple originals”. Based on material, social and intellectual history, these books challenge some fundamental conceptions on paintings in Europe, such as the cult of the original, or the status of autography, and offer new perspectives for a cultural art history.
    • Production et reproduction d'un monument : le stupa de Sanchi dans l'Inde coloniale - Tapati Guha-Thakurta p. 1403-1432 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le site de Sanchi, dans l'État de Bhopal, a connu bien des vicissitudes depuis la première description qu'en fit un officier de l'armée des Indes en 1819. Cet ensemble de stupas bouddhistes du IIIe siècle avant notre ère est passé de l'état de ruine et de relique à celui de monument en un peu plus de deux siècles. L'histoire de cette transformation est aussi celle de l'Inde coloniale et celle de l'archéologie indienne, qui toutes deux se structurent durant le XIXe siècle. Le site se trouve ainsi au centre de plusieurs évolutions : celle des techniques archéologiques et de reproduction de l'image ; celle de l'emprise institutionnelle de l'État colonial et la place grandissante du patrimoine dans l'élaboration de l'Inde indépendante ; celle, enfin, de la montée des nationalismes et des religions dans l'Inde contemporaine. L'auteur donne ainsi à voir les différentes strates de sens qui sont en concurrence pour la reconstruction des passés « véritables » de Sanchi.
      The production and reproduction of a monument : The Sanchi stupa in colonial India Sanchi, in the Indian state of Bhopal, was first described by a British Indian Army officer in 1819. Since then, this group of 3rd-century-BCE Buddhist stupas went from the status of ruins and relics to the status of monument. The history of this transformation is also the history of colonial India, and of Indian archaeology, both being shaped in the 19th century. Sanchi was thus at the crossroads of several evolutions : of archaeological techniques and image reproduction ; of the control of the colonial state and then the role of heritage in the construction of an independent India ; of the rise of nationalisms and religions in contemporary India. This articles thus sifts through the many layers of meaning that competed for the production of the “real” past of Sanchi.
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