Contenu du sommaire : Économie politique de la financiarisation
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 229, septembre 2019 |
Titre du numéro | Économie politique de la financiarisation |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Économie politique de la financiarisation - Marlène Benquet, Théo Bourgeron, Bénédicte Reynaud p. 4-13
- Au-delà de la « répression financière » et de la « capture de la régulation » : Recomposition des écosystèmes financiers européens après la crise - Éric Monnet, Stefano Pagliari, Shahin Vallée p. 14-33 L'évolution des relations entre les États et leurs systèmes financiers respectifs depuis la crise a donné lieu à deux récits opposés. D'une part, les agences gouvernementales sont souvent décrites comme étant à la merci du secteur financier (« capture de la réglementation »). D'autre part, les gouvernements sont dépeints comme abusant du système financier à leur profit (« répression financière »). Le présent article jette un regard critique sur ce débat dans le contexte européen et dans une perspective historique. La relation entre les gouvernements et les systèmes financiers en Europe ne peut se réduire aux notions polaires de « capture » et de « répression » ; les canaux de pression et d'influence entre les gouvernements et leurs systèmes financiers ont souvent été à double sens. La reconfiguration actuelle des systèmes financiers nationaux en Europe n'est pas un retour aux politiques interventionnistes, bien qu'elle soit caractérisée par un rôle politique et économique plus large des organismes publics et banques centrales. Elle est typique des États néolibéraux où les objectifs multiformes des pouvoirs publics sont alignés sur les intérêts privés du secteur financier.The transformation of the relationship between states and their respective financial systems since the crisis has generated two contrary narratives. On the one hand, governmental agencies are often described as being at the mercy of the financial sector (“regulatory capture”). On the other hand, governments are criticized for using the financial system to their own ends (“financial repression.”) This article critically examines this debate, looking specifically at the European context in a historical perspective. The relationship between governments and financial systems in Europe cannot be reduced to the binary opposition between “capture” and “repression”; the channels of pressure and influence between governments and their financial systems have tended to run both ways. The current reconfiguration of national financial systems in Europe is not a return to interventionist policies, even though it is characterized by a greater political and economic role of public agencies and central banks. It is typical of neoliberal states where the diversified objectives of public authorities are aligned with the private interests of the financial sector.
- Une banque comme les autres ? : Les mutations de Proparco et de la finance administrée - Antoine Ducastel p. 34-45 Dans l'après-guerre et jusqu'aux années 1980, l'État français prend en charge une part importante du financement aux entreprises via un réseau d'institutions financières publiques à fonction de développement. Avec le tournant néolibéral, cette finance administrée disparaît ou se marginalise ; pourtant, certaines institutions financières administrées perdurent et connaissent même un nouvel essor depuis la crise financière de 2008. Cet article s'intéresse aux permanences et aux mutations de l'investissement public, de ses opérateurs et de ses circuits, à travers l'étude monographique d'une institution en particulier : Proparco. Créée en 1977 pour financer les entreprises privées dans les pays du sud, cette institution financière de développement à l'actionnariat mixte est sous la double tutelle du ministère des Affaires étrangères et du ministère des Finances. L'article revient d'abord sur les normes professionnelles qui organisent et délimitent l'espace de la finance administrée. Ensuite, l'analyse des carrières et du travail quotidien au sein de Proparco est l'occasion de retracer, par le bas, l'histoire originale de l'institution. Enfin, la dernière partie s'intéresse à la financiarisation de la finance administrée en analysant ses vecteurs de diffusion d'une part, les tensions qu'elle suscite en interne d'autre part.During the postwar years up until the 1980s, the French state took on an important share of corporate financing through a network of development-oriented public financial institutions. Following the neoliberal turn, this administered mode of financing disappeared or was marginalized. Yet, some administered financial institutions survived and even thrived in the wake of the 2008 financial crisis. This article focuses on the continuities and the transformations of public investment, of its operators and of its circuits, through the case study of a specific institution, Proparco. Established in 1977 for the purpose of providing financing to private corporations in the Global South, this public-private development finance institution was placed under the joint tutelage of the Ministry of Foreign Affairs and the Ministry of Finance. The article first examines the professional norms that organized and delimitated the space of administered finance. It then analyzes the careers and daily operations within Proparco as a way to trace, from the ground up, the specific history of this institution. Finally, the last section addresses the financialization of administered finance by analyzing both the pathways of its diffusion and the internal tensions it generates.
- Accumuler le capital : Sociohistoire du capital-investissement en France, 1982-2017 - Marlène Benquet, Théo Bourgeron p. 46-71 Cet article montre comment les fonds d'investissement sont devenus, entre 1980 et aujourd'hui, un pôle central d'accumulation du capital. Il décrit la manière dont la reconfiguration des institutions du capitalisme français a permis l'accumulation du profit par ces nouveaux intermédiaires financiers. Pour ce faire, il remet en cause l'opposition entre acteurs publics et privés, et souligne les modalités de coopération entre ces acteurs dans la co-production du nouvel arrangement institutionnel favorable au capital-investissement. Cet article se base sur un matériau constitué par les archives, inexploitées jusqu'ici, de l'association professionnelle des fonds de capital-investissement de 1984 à aujourd'hui et par 12 entretiens réalisés avec d'anciens présidents de cette association.This article traces how investments funds have become a central node in the accumulation of capital since the 1980s. It describes how the institutional transformation of French capitalism has enabled the accumulation of profit by these new financial intermediaries. To do so, this article challenges the opposition between public and private actors, and underscores the different kinds of cooperation between these actors in the production of a new institutional setup more favorable to investment capital. The article uses the hereto unexploited archival material of the professional association of hedge funds from 1984 until today; it is also based on twelve interviews with former presidents of this association.
- Finance et inégalités : Une approche d'économie politique - Thibault Darcillon p. 72-85 Cet article a pour objet d'analyser les conséquences des recompositions de l'espace politique entre groupes sociopolitiques sur les transformations des structures financières dans les économies développées depuis 1945. Depuis les années 1970, les activités financières et bancaires se sont largement intensifiées, renvoyant à une logique de financiarisation. Cette logique de financiarisation peut s'analyser comme le résultat d'un processus de médiation politique à l'issue duquel les réformes financières et bancaires mises en œuvre sont censées refléter les attentes des groupes sociaux spécifiquement retenues par les gouvernements. Ainsi, les réformes financières et bancaires adoptées dans les années 1970-1980 par des gouvernements principalement conservateurs visaient à répondre aux attentes d'une grande partie des acteurs financiers alors que les principales réformes financières au cours des années 1990 ont été initiées par des gouvernements de gauche. Nous avançons l'argument selon lequel la croissance des inégalités de revenus caractérisant la majorité des pays développés a fortement influencé les recompositions sociopolitiques dans les années 1990 et a joué un rôle central dans la résilience de la financiarisation après la crise de 2008. En effet, la montée des inégalités de revenus s'est traduite par une plus forte fragmentation des attentes des travailleurs dont une partie s'est montrée favorable à la croissance des activités financières et bancaires. À l'aide de données disponibles pour les pays de l'OCDE entre 1945 et 2015, nous montrons qu'un déplacement du positionnement idéologique des gouvernements vers la droite est associé à un développement plus important des activités financières et bancaires. En revanche, nos résultats indiquent que le développement financier est associé à un déplacement du positionnement idéologique du gouvernement vers la gauche quand le niveau des inégalités de revenus est particulièrement élevé.This article analyzes the consequences of the reconfiguration of the political space among sociopolitical groups on the transformation of financial structures in advanced economies since 1945. Since the 1970s, there has been an increased diversification of financial and banking activities – a process referred to as financialization. This logic of financialization can be seen as resulting from a process of political mediation whereby financial and banking reforms are implemented in order to respond to the expectations of specific social groups. Thus, the financial and banking sector reforms carried out in the 1970s-1980s essentially by conservative governments aimed at satisfying the expectations of a large number of financial actors, while the main financial reforms of the 1990s have been implemented by leftwing governments. The article argues that the growth in income inequalities which characterises most developed countries has played a key role in sociopolitical reconfigurations of the 1990s and in the resilience of dynamics of financialization following the 2008 crisis. Growing income inequality has generated a fragmentation of the expectations of wage workers, some of whom have been favorable to the expansion of financial and banking activities. Using the data for OECD countries between 1945 and 2015, this article shows that a shift to the right in the ideological positions of governments is associated with a more important development of banking and financial activities. However, the results also indicate that financial development is associated with an ideological shift to the left when the level of inequalities is particularly high.