Contenu du sommaire : L'individualisme méthodologique
Revue | L'Année sociologique |
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Numéro | vol. 70, no 1, 2020 |
Titre du numéro | L'individualisme méthodologique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- In memoriam. Raymonde Moulin (1924-2019) : un parcours de sociologue de l'art - Alain Quemin p. 9-12
Études réunies et présentées par Nathalie Bulle
- Introduction. L'individualisme méthodologique aujourd'hui - Nathalie Bulle p. 15-18
- Individualisme méthodologique et réductionnisme - Francesco Di Iorio p. 19-44 Cet article analyse les rapports entre individualisme méthodologique (IM) et réductionnisme, tels qu'ils sont traités dans la littérature contemporaine en langue anglaise. Il s'articule autour de trois points clés. Premièrement, il montre qu'il existe deux types d'interprétations réductionnistes de l'IM : celle en termes de réductionnisme psychologique et celle en termes de réductionnisme sémantique, en précisant que cette dernière interprétation présente une variante nominaliste et une variante antinominaliste. Deuxièmement, l'article explique que ces différents types d'interprétations réductionnistes de l'IM sont incorrects. Troisièmement, l'article analyse et critique la thèse selon laquelle il faudrait remplacer l'IM par une nouvelle approche antiréductionniste considérée comme une troisième voie entre holisme et IM.This article analyzes the relationship between methodological individualism (MI) and reductionism as understood within the contemporary literature in English. Three points are developed. First, the article argues that two different kinds of reductionist interpretation of MI can be distinguished: one in terms of psychological reductionism and the other in terms of semantic reductionism, the latter of which has a nominalist and an anti-nominalist variant. Second, the article explains that these different reductionist interpretations of MI are mistaken. Third, the article analyzes and criticizes the view that MI must be replaced by a new anti-reductionist approach understood as a middle ground between holism and MI.
- L'Individualisme méthodologique au défi des critiques de la philosophie analytique récente - Alban Bouvier p. 45-67 La tradition spécifique de l'individualisme méthodologique (IM) instaurée en philosophie après la dernière guerre par Karl Popper est l'objet d'un renouveau considérable sous la forme particulièrement analytique que lui avait donnée, dans les années 1950, un de ses disciples, John Watkins. Mais alors que Watkins entendait présenter une défense de l'IM et une critique du holisme, les auteurs « post-watkinsiens » récents ont, au contraire, lancé une salve nourrie de critiques à l'égard de l'IM, à la faveur de l'émergence parallèle de formes raffinées de néo-holisme. Minutieuse et très argumentée mais trop peu soucieuse des débats effectifs en sciences sociales, cette tradition introduit maintes confusions. Elle semble donc à première vue tout à la fois scolastique et stérile. Son renouveau offre pourtant l'occasion d'affiner les débats au sein même des sciences sociales, si l'on s'avise que l'une des sources possibles des confusions en question réside dans certaines équivoques subsistant chez les représentants mêmes de l'IM. L'auteur de cet article prend pour référence la définition de l'IM donnée en 1909 par Joseph A. Schumpeter – le premier à avoir utilisé l'expression pour caractériser la méthode de son maître Carl Menger, méthode reprise par Max Weber – et suit la filiation proprement schumpetérienne jusqu'à nos jours.Karl Popper launched a specific version of methodological individualism (MI) after World War II. This new version has been very influent, especially via one of Popper's main followers, John Watkins, probably because Watkins used a much more strictly analytical style in philosophy than his mentor. This Popper-Watkins tradition is nowadays renewed in a rather paradoxical way; while Watkins supported a defense of MI paired with a criticism of holism, the “post-watkinsian” analytical philosophers, on the contrary, strongly criticize MI. This occurs within the context of the parallel emergence of refined versions of holism. These philosophers reconstruct theses and arguments painstakingly but do not take actual debates among the social scientists into account very much. Although, at first sight, the outcome of these artificial reconstructions may seem rather sterile, one can take advantage of them if one investigates whether typical misunderstandings widespread within this tradition might not have sprung from equivocations remaining in the works of the leaders of MI themselves. The definition of MI formulated in 1909 by Joseph A. Schumpeter, who coined the label in order to characterize Carl Menger's (then Max Weber's) method, a definition that is still followed in sociology, is taken as a cornerstone.
- L'individualisme méthodologique et les représentations collectives - Pierre Demeulenaere p. 69-95 Le but de cet article est de montrer que les idées de base constitutives de la tradition de l'individualisme méthodologique ne sont pas incompatibles avec la reconnaissance de l'existence de représentations collectives et, par conséquent, avec leur analyse. Pour ce faire, cependant, il convient de s'écarter des versions réductionnistes inappropriées, économique ou psychologique, de l'individualisme méthodologique. Cela doit conduire à une approche renouvelée des liens existant entre les caractéristiques psychologiques de l'action, les normes sociales et le comportement rationnel.The aim of this paper is to show that the basic ideas that are constitutive of the methodological individualism tradition are not incompatible with an acknowledgment of the existence of collective representations and, consequently, their analysis. In order to do this, however, it implies to depart from inappropriate reductionist versions, either economic or psychological, of methodological individualism. This should lead to a renewed approach of the links existing between psychological features of action, social norms and rational behaviour.
- Trois versions de l'individualisme méthodologique à l'aune de l'épistémologie - Nathalie Bulle p. 97-128 À partir de la mise en lumière de leurs divergences épistémologiques, trois interprétations de l'individualisme méthodologique (IM) sont distinguées : la version « constitutive », la version « minimaliste », et la version « réductionniste ». La première, originellement théorisée par Max Weber, demande que les phénomènes sociaux soient expliqués sur la base d'une interprétation « compréhensive » (en général rationnelle) du sens subjectif des actions individuelles. La seconde, fondée sur une conception vaste de l'action individuelle, s'oppose essentiellement au mauvais usage des concepts collectifs. Elle tend à ne trouver qu'une justification ontologique sans légitimité méthodologique, si ce n'est dans le parti-pris empiriste des modélisations multi-agents promues par la sociologie analytique. La version réductionniste, qui domine la philosophie anglo-saxonne contemporaine, est de son côté un pur construit philosophique, fruit de l'interprétation stratifiée de la science et du monde héritée du positivisme. Il est défendu que la version constitutive, ou wébérienne, partage des prémisses avec les épistémologies actives, mettant en jeu des capacités ou pouvoirs causaux aux propriétés transsituationnelles. L'anthropologie de la connaissance d'Émile Meyerson permet d'en offrir une justification ultimement non métaphysique.Once light has been shed on their epistemological differences, three interpretations of methodological individualism (MI) can be distinguished: the “constitutive” version, the “minimalist” version and the “reductionist” version. The first, originally theorized by Max Weber, requires that social phenomena should be explained based on a (generally rational) interpretation of the subjective meaning of individual actions. The second, founded on a broad conception of individual action, is essentially opposed to the misuse of collective concepts. It tends to only find an ontological justification with no methodological legitimacy, except for that found in the empiricist bias of the agent-based modelling promoted by analytical sociology. The reductionist version, which dominates contemporary Anglo-Saxon philosophy, is for its part a pure philosophical construct resulting from the layered interpretation of science and the world inherited from positivism. It is shown that the constitutive, or Weberian, version shares its premises with active epistemologies, bringing into play capacities or causal powers with transsituational properties. Émile Meyerson's anthropology of knowledge allows us to offer a ultimately non-metaphysical justification of this version.
- L'individualisme méthodologique comme méthode scientifique : théorie de la rationalité, explication causale, herméneutique - Enzo Di Nuoscio p. 129-151 L'auteur tente de montrer qu'il existe une complémentarité précieuse entre trois perspectives épistémologiques souvent considérées comme incompatibles : l'individualisme méthodologique (IM), la théorie de l'explication scientifique fondée sur le modèle Popper-Hempel et la théorie du « cercle herméneutique » de Gadamer. L'IM ne peut représenter une logique d'explication qui garantit la scientificité des explications sociales qu'en utilisant : a) le modèle nomologique-déductif pour expliquer les causes et les conséquences (intentionnelles et non intentionnelles), surtout au niveau macro, des actions et b) l'herméneutique gadamérienne pour reconstruire les stratégies cognitives et décisionnelles subjectives. En particulier, l'auteur insiste pour démontrer que le « cercle herméneutique » de Gadamer décrit un processus cognitif qui procède par conjecture et réfutation et qu'il est fondamental pour expliquer scientifiquement l'interprétation, par l'acteur, du contexte problématique dans lequel il se trouve – fondamental donc pour reconstruire les « bonnes raisons » qui le poussent à voir dans une action donnée une solution à la situation d'incertitude qu'il connaît.The author attempts to demonstrate that there is a valuable complementarity between three epistemological perspectives which have often been considered incompatible: methodological individualism (MI), the theory of scientific explanation based on the Popper-Hempel model and the theory of the “hermeneutic circle” of Gadamer. The MI can represent a logic of explanation that guarantees the scientificity of social explanations only by using: a) the deductive-nomological model to explain the causes and consequences (intentional and unintentional), especially at the macro level, of the actions and b) the Gadamerian hermeneutics to reconstruct the subjective cognitive and decision-making strategies. In particular, we will insist on demonstrating that Gadamer's “hermeneutic circle” describes a cognitive process that proceeds by conjecture and refutation and that it is fundamental to scientifically explain the actor's interpretation of the problematic context in which he finds himself and therefore to reconstruct the “good reasons” that lead him to identify a given action as a hypothesis for a solution in response to the situation of uncertainty he deals with.
- Pourquoi une sociologie compréhensive augmentée ? - Gérald Bronner p. 153-174 Toute sociologie compréhensive est fondée sur le postulat d'une rationalité humaine universelle. Elle convoque généralement la psychologie ordinaire pour fonder ses analyses. Cet article défendra l'idée que ce n'est pas suffisant, en particulier pour approcher le domaine des croyances. La rationalité est en effet limitée de trois façons (dimension, représentation, cognition) qui doivent être convoquées par la méthode compréhensive. Si l'on conçoit la sociologie comme la discipline qui s'intéresse à l'hybridation des variables sociales et des invariants mentaux, alors on pourra considérer que ceux-ci ne ressortent pas seulement de la notion d'intérêt ou de cohérence logique à proprement parler, ils relèvent aussi d'heuristiques partagées.Any comprehensive sociology is based on the idea of universal human rationality. Its analyzes are usually based on ordinary psychology. This article defends the idea that this is not sufficient, especially when it comes to the area of belief. Indeed, rationality is limited in three ways (in dimension, representation and cognition) that must be used by the comprehensive method. If one considers sociology as a discipline that examines the hybridization of both social variables and mental invariants, the latter invariants stern not only from instrumental rationality or logical consistency, but can also be based on shared cognitive heuristics.
- Dignité et rationalité axiologique. L'héritage de Raymond Boudon - Sylvie Mesure p. 175-195 Il peut paraître surprenant de rapprocher dignité et rationalité axiologique dans le plaidoyer de Raymond Boudon en faveur de l'objectivité des valeurs éthiques. Pourtant, il y voyait la valeur centrale de notre modernité occidentale, dominant toute notre hiérarchie morale. C'est sur ce rôle méconnu du principe d'égale dignité dans la pensée de Raymond Boudon que sera mis l'accent dans cet article, à partir duquel sera aussi interrogée sa théorie de la rationalité axiologique.It may seem surprising to reconcile dignity and value rationality in Raymond Boudon's plea for the objectivity of ethical values. Yet he saw in it the central value of our Western modernity, dominating our entire moral hierarchy. It is on this unknown role of the principle of equal dignity in Raymond Boudon's thought that the emphasis will be placed in this article, from which his theory of axiological rationality will also be questioned.
- Agent-based models and methodological individualism: are they fundamentally linked? - Gianluca Manzo p. 197-229 Cet article étudie la littérature sur le bien-fondé du lien entre les modèles à base d'agents artificiels et l'individualisme méthodologique. L'argument défendu est que ces analyses reposent sur une définition spécifique de l'individualisme méthodologique rendant ainsi les conclusions dépendantes de la définition retenue. L'article propose alors de considérer les modèles à base d'agents artificiels et l'individualisme méthodologique comme des « instruments génériques », à savoir des dispositifs ayant des propriétés transversales à des problèmes explicatifs, à des domaines d'étude et à des disciplines hétérogènes. De ce point de vue, les modèles à base d'agents artificiels et l'individualisme méthodologique semblent partager des principes élémentaires qui sont indépendants des entités et des niveaux d'analyse propres à un objet d'étude particulier. En ce sens, cet article soutient finalement que les modèles à base d'agents artificiels et l'individualisme méthodologique sont intrinsèquement liés.The article discusses recent scholarship on whether or not the association between agent-based computational models and methodological individualism is justified. It is argued that these analyses are problematic because they start with a specific understanding of methodological individualism, which makes their conclusion contingent on the chosen view of what this perspective either is or is not. To overcome this problem, the paper proposes to think of both agent-based models and methodological individualism as “generic instruments,” i.e. devices with properties that are transversal to explanatory problems, fields, and disciplines. Within this framework, it appears that agent-based models and methodological individualism share some basic principles irrespective of the entities and levels of analysis involved by the explanatory problem under examination. In this sense, this study claims, they are essentially linked.
- Économie : un individualisme méthodologique à la recherche de sa propre incomplétude - Olivier Favereau p. 231-259 L'individualisme méthodologique (IM) séculaire de l'économie dominante a figé son opposition au holisme méthodologique (HM) dans un travail d'axiomatisation achevé au début des années 1970 à deux niveaux : 1) la rationalité individuelle (réduite à l'optimisation) ; 2) la coordination interindividuelle (restreinte aux seuls marchés). Cet IM « fermé » a donc défini ses propres limites de validité : 1) une liste complète des états futurs de la nature ; 2) un système complet de marchés d'options. La négation de ces conditions dans la réalité empirique y rend visible un double phénomène d'incomplétude. L'économie dominante a, depuis, développé trois stratégies d'aveuglement, partiel ou total, au prix d'incohérences multiples au regard de l'IM même « fermé ». Le traitement positif de ces deux incomplétudes dans des courants hétérodoxes redonne ses chances à l'IM, à un IM « ouvert » en mesure d'interagir avec le HM.The traditional methodological individualism (MI) of mainstream economics has frozen its opposition to methodological holism (MH) in a process of axiomatization completed in the early 1970s at two levels: 1) individual rationality (reduced to optimization); 2) inter-individual coordination (restricted to markets only). This “closed” MI thus defined its own validity limits: 1) a complete list of future states of nature; 2) a complete system of options markets. The negation of these conditions in the real world makes visible a double phenomenon of incompleteness. Mainstream economics has since developed three strategies of blindness, partial or total, at the cost of multiple inconsistencies with regard to MI, even the “closed” one. The positive treatment of this double incompleteness in some heterodox schools gives new chances to MI, to an “open” MI, able to interact with MH.
Notes de lecture uniquement en ligne sur Cairn
- Un renouveau de la sociologie des prix et des marchés - Christian Bessy
- Chr. Topalov — Histoires d'enquêtes. Londres, Paris, Chicago (1880-1930), Paris, Classiques Garnier, 2015. - Isabelle Backouche