Contenu du sommaire : Revisiter l'histoire des sociétés rurales

Revue Le Mouvement social Mir@bel
Numéro no 277, octobre-décembre 2021
Titre du numéro Revisiter l'histoire des sociétés rurales
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Le renouveau de l'histoire des campagnes - Gérard Béaur p. 3-20 accès libre
  • Produire

    • Nourrir la population : un défi permanent - Paul Brassley, Antoni Furió, Alessandro Stanziani, Nadine Vivier p. 21-34 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le défi de se nourrir a toujours été le plus angoissant pour les sociétés humaines et il s'est amplifié avec la croissance urbaine. Les échanges de cette table ronde essaient de voir comment les sociétés ont fait face à cet impératif. En balayant rapidement l'échelle du temps depuis le Moyen Âge, on voit que les intempéries ne sont pas le seul facteur de pénuries. Les décisions des pouvoirs politiques ont été déterminantes, et parmi elles les mécanismes de distribution, que ce soit le marché local ou le marché mondial puis la globalisation des politiques commerciales. Dans un second temps, les échanges se consacrent à la situation contemporaine. Après 1950, la production agricole s'est considérablement accrue grâce aux politiques agricoles à visées économiques et sociales, assises sur la recherche agronomique. Mais, aujourd'hui, les méthodes de l'agriculture intensive montrent leurs limites et sont rejetées par les sociétés européennes inquiètes pour la qualité de la nourriture, la protection de l'environnement et le changement climatique.
      Feeding human societies has always been the most serious challenge, and it became more acute with urban growth. The discussions of this roundtable aim at understanding how societies dealt with this priority. Looking back over the past centuries since the Middle Ages, it seems obvious that bad weather was not the only factor in food shortages. Most important were political choices, and among these, distribution mechanisms were decisive, be it the local market, the world market or the globalisation of trade policies. The second part of the roundtable focuses on the current situation. After 1950, with the population booming, agricultural production succeeded in feeding the population in spite of unprecedented population growth thanks to agricultural policies with economic and social aims, based on agronomic research. But today, intensive farming methods are revealing their limits and are rejected by European societies worried about the quality of their food, environmental protection and climate change.
    • L'agriculture dans la crise de 1929 - Gérard Béaur p. 35-49 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La crise de 1929 fut aussi une crise agricole. Son ampleur n'a pas été ignorée par les historiens, mais son lien avec la dépression qui accabla tous les secteurs économiques reste problématique. Faut-il la considérer comme un phénomène marginal, autonome, qui n'aurait fait qu'accompagner la crise ou bien penser qu'elle a exercé un effet décisif dans l'émergence de la Grande Dépression des années 1930 ? Le débat n'a pas été esquivé, surtout dans la littérature anglophone, mais il est resté pendant. Il est revenu sur le devant de la scène avec la récente intrusion de J. Stiglitz qui, dans un parallèle hardi avec la crise de 2008, a attribué la responsabilité de la crise de 1929 à l'agriculture. L'ambition de ce texte n'est nullement de clore ce chapitre, mais de tirer le fil de cette histoire et de remettre les déboires des exploitants agricoles au cœur d'une question fort complexe. Il s'agit d'exploiter les riches statistiques américaines et de les confronter à celles qui émanent des archives britanniques, françaises et italiennes, pour analyser les mécanismes par lesquels le profond malaise des agriculteurs dans les années qui précèdent 1929 a pu dégénérer en crise générale ou par lesquels il a pu amplifier cette dernière au cours des années 1930.
      The 1929 crisis was also an agricultural downturn whose magnitude has not been ignored by historians, but whose link with the depression that overwhelmed all economic sectors remains problematic. Should it be considered as a marginal and separate phenomenon that merely accompanied the broader crisis, or should we think that it had a decisive effect on the emergence of the Great Depression in the 1930s? The debate has not been avoided, especially in the English-language literature, but it has remained unsettled. It came to the fore again with the recent contribution of Joseph Stiglitz who, in a bold parallel with the 2008 crisis, attributed responsibility for the 1929 crisis to agriculture. The ambition of this paper is by no means to close this chapter, but to retrace the thread of this history and refocus this very complex issue on the setbacks suffered by farmers. The aim is to exploit the rich US statistics and to compare them with those found in British, French and Italian archives, in order to analyse the mechanisms whereby the profound malaise affecting farmers in the run-up to 1929 may have degenerated into a general crisis, or whereby which it may have amplified the latter during the 1930s.
    • Au rythme des spécialisations : travail et exploitations agricoles dans le Vaucluse (1945-1958) - Niccolò Mignemi p. 51-65 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article explore l'essor des spécialisations fruitières et maraîchères sous l'angle de la mobilisation de la main-d'œuvre. Il se focalise sur le cas du Vaucluse entre 1945 et la fin des années 1950. Les données du premier recensement des exploitations servent de point de départ pour réinterroger les binômes traditionnels (familial/salarié, permanent/saisonnier, local/étranger) identifiables dans l'organisation du travail agricole. La production de fruits et légumes repose, en effet, sur la capacité de concilier deux exigences. D'une part, ces cultures s'appuient sur une mobilisation intensive de la main-d'œuvre s'étalant le plus possible sur l'année. D'autre part, elles nécessitent un système d'emploi fluide capable de fournir régulièrement une réponse aussi ponctuelle que rapide afin de préserver la qualité et la rentabilité des récoltes, face aux aléas du climat et des marchés. Si la famille se confirme comme la source première de bras occupés à temps plein ou de manière temporaire, la documentation de la Commission paritaire départementale de travail agricole permet d'approfondir le rôle crucial du salariat. Les débats sur la diversité des statuts et des systèmes de rémunération deviennent alors l'occasion pour explorer les clivages de genre, d'âge et de qualification observables chez les ouvriers et les ouvrières agricoles, ainsi que les nouvelles tensions déterminées par l'accélération de l'exode rural et professionnel.
      This paper investigates the increasing specialisation of fruit and vegetable producers from a labour perspective. It focuses on the case of the Vaucluse region between 1945 and the end of the 1950s. The data from the first farm census are used as a starting point to reassess the contrasting pairs (household/wage, permanent/seasonal, local/foreign) that can traditionally be identified in the organisation of agricultural work. Fruit and vegetable farming is particularly interesting because of its dependence on the capacity to reconcile two requirements. On the one hand, these crops rely on intensive mobilisation of labour for as long over the year as possible. On the other hand, their production requires a flexible system of employment capable of providing a rapid and timely response in order to preserve the quality and profitability of the harvests against the risks connected to markets or bad weather. While the family was confirmed as the primary source of full-time and temporary workers, the archives of the Commission paritaire départementale de travail agricole allow us to examine in greater depth the crucial role of wage labour. The debates on the diversity of statuses and remuneration systems then become an opportunity to explore how gender, age and qualification shaped working conditions. They broaden our understanding of the new tensions caused by the acceleration of the exodus from rural areas and from farming as an occupation.
    • Les leçons de l'agriculture américaine ? : Motorisation et souci du sol sous la IVe République - Céline Pessis p. 67-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'adoption en France d'un modèle américain de modernisation agricole a été particulièrement bien étudiée à propos des politiques de motorisation. Cet article se propose de mettre au jour l'ambivalence de ces « leçons de l'agriculture américaine » par l'étude des craintes de dégradation des sols qui accompagnèrent la généralisation des tracteurs durant la IVe République. En éclairant la circulation de ces alertes parmi les spécialistes du monde rural et la « profession agricole » en voie de structuration, il montre comment, des chambres d'agriculture au Commissariat général au Plan, le souci du sol s'immisça dans la définition d'une bonne politique agricole.
      The adoption in France of the American model of agricultural modernisation has been particularly well studied in terms of agricultural motorisation policies. This paper aims to shed light on the ambivalence of these “lessons from American agriculture” by studying the fears of soil deterioration that coincided with the widespread use of tractors under the French Fourth Republic. By highlighting the circulation of these warnings among rural specialists and the 'agricultural profession' that was then taking shape, we show how, from the Chambers of Agriculture to the Commissariat général au Plan, concern for soil conservation became part of the definition of good farming policy.
  • Le rapport à la terre

    • De l'usurpation coloniale au landgrabbing - Pablo F. Luna p. 83-98 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Tout au long de la période moderne et contemporaine, la terre, le territoire (et l'accès aux richesses naturelles qu'ils ouvraient) ont fait l'objet de la négociation et du conflit entre différents protagonistes. Ce fut le cas durant les deux principales vagues d'expansion coloniale et de réaction décolonisatrice (XVIe-XVIIIe siècles et XIXe-XXe siècles), et cela s'est poursuivi jusqu'au XXIe siècle. Cet article voudrait attirer l'attention sur l'usurpation et l'appropriation foncières coloniales, dans la longue durée, et la riposte des ruraux à travers le monde. Mais il voudrait aussi penser historiquement le landgrabbing actuel (la prise de contrôle du financier sur le foncier, à l'échelle mondiale, qui se consolide depuis la crise de 2007-2008). Il s'agit d'un processus qui est toujours en cours, qui mobilise une variété d'agents sociaux et institutionnels sur la planète et qui est vraisemblablement venu achever la mondialisation foncière.
      Throughout the early modern and modern period, land and territory (and access to the natural resources they opened up) were the subject of negotiation and conflict between different protagonists. This was the case during the two main waves of colonial expansion and decolonising reaction (16th-18th centuries and 19th-20th centuries), and has continued into the 21st century. This paper endeavours to draw attention to colonial usurpation and appropriation of land over the long term, and the response of rural people around the world. Yet it also aims to view the current “landgrabbing” (whereby financial forces have taken over from landowning ones on a global scale, a trend that has been gathering pace since the 2007-2008 crisis) in an historical perspective. This financialisation process is still ongoing, mobilising a variety of social and institutional agents around the world, and has probably put an end to the globalisation of landowning.
    • L'héritage renouvelé du contentieux foncier en Algérie (XIXe-XXIe siècle) - Didier Guignard p. 99-115 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comme pour de nombreux autres pays, le contentieux foncier actuel en Algérie plonge ses racines dans le passé colonial. Son renouvellement incessant suppose cependant des atteintes massives et répétées aux droits sur le sol du XIXe jusqu'au début du XXIe siècle ; la nécessité qu'une part significative de la population ait toujours à défendre ces droits (hérités ou plus récemment acquis) ; une capacité individuelle ou collective à les revendiquer. Or, depuis le tournant libéral des années 1980-1990 et la reconnaissance des titres de la période coloniale pour les seuls citoyens du pays, l'originalité du cas algérien tient au fait que l'objet des disputes soit généralement postérieur à l'indépendance, tout en mobilisant un savoir-faire en matière contentieuse, des droits individuels et collectifs reconnus sous la domination française.
      As in many other countries, the current landowning dispute in Algeria has its roots in the colonial past. However, its constant renewal suggests massive and repeated infringements of land rights from the 19th to the early 21st century; the need for a significant portion of the population to still defend its rights (either inherited or more recently acquired); and an individual or collective capacity to claim these rights. Yet since the liberal shift of the 1980s-1990s and the recognition of deeds from the colonial period for Algerian citizens only, Algeria's situation is unique in that disputes generally involve situations that arose after independence, while leveraging litigation expertise, individual and collective rights recognised under French domination.
    • La marchandisation de l'accès à la terre dans des contextes ruraux ouest-africains - Jean-Philippe Colin p. 117-132 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet essai propose une lecture de l'émergence et du développement des ventes de terres rurales en Afrique de l'Ouest francophone. Ces transactions n'émergent pas de façon endogène au sein des sociétés locales, mais sont structurées par le rapport entre cédants autochtones et preneurs allogènes. Elles restent souvent socialement enchâssées : le paiement ne clôt pas alors la relation, il l'instaure ou la perpétue. L'existence d'un flux financier ne permet pas dans ce cas de conclure à une vente ferme, définitive, incontestable, d'autant que, sauf exceptions, les transactions concernant les terres rurales se déroulent en déconnexion du cadre légal et restent informelles. Ces transferts fonciers posent la question de l'interprétation, par les parties, de l'objet de la transaction (la terre ou le droit d'exploitation ?) et de son caractère libératoire ou non – en d'autres termes, la vente est-elle « complète » ? La réponse est à apprécier empiriquement en un lieu et un temps donnés. La marchandisation de l'accès à la terre dans les contextes ouest-africains illustre des situations marquées par un pluralisme normatif et institutionnel.
      This essay offers an interpretation of the emergence and development of rural land sales in French-speaking West Africa. These transactions do not emerge endogenously within local societies, but are structured by the relationship between autochthonous sellers and migrant (Ivorian or foreign) buyers. They often remain socially embedded: the payment thus does not end the relationship, but instead establishes or perpetuates it. In such a situation, it does not allow a firm, definitive, indisputable sale to be concluded, especially because – apart from very few exceptions – rural land transactions remain informal and outside the legal framework. These land transfers raise the issue of how the parties understand the purpose of the transaction (i.e., is the land being purchased, or merely the right to use it?), and whether or not it is an outright sale. The answer must be empirically assessed in a given place and time. The commodification of access to land in West Africa illustrates situations of normative and institutional pluralism.
  • Des identités paysannes ?

    • Enracinement, sociabilités et identité paysanne à l'épreuve de l'industrialisation (Ivry, XIXe siècle) - Fabrice Boudjaaba p. 133-148 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se propose d'examiner la manière dont des populations rurales, considérées comme enracinées, appréhendent la transformation de leur village en une banlieue industrielle au cours du XIXe siècle ; il s'appuie sur le cas de la commune d'Ivry au sud de Paris, de la fin du XVIIIe siècle aux années 1860. Après avoir fait le constat du faible intérêt de l'histoire sociale des banlieues pour les populations qui occupaient ces espaces ruraux avant leur transformation en villes industrielles, l'article définit la notion d'enracinement et la méthode pour en mesurer la réalité ; l'article examine ensuite les relations sociales des habitants les plus enracinés dans ces espaces à l'aune des pratiques de sociabilité et des formes d'investissement dans la vie collective de la commune. La recherche s'appuie sur deux indicateurs principaux : le choix des témoins de mariage d'une part, l'insertion des habitants dans les associations locales (confréries) d'autre part. Il met en évidence l'existence de stratégies de l'entre-soi chez les individus issus des « vieilles familles » paysannes, qui continuent de structurer la vie sociale au sein de ce territoire en mutation, bien au-delà du moment où Ivry acquiert le statut de ville.
      This paper examines the way in which rural populations, considered to be rooted in one place, understand the transformation of their village into an industrial suburb during the 19th century; it is based on the case of the town of Ivry, south of Paris, from the end of the 18th century to the 1860s. After noting that social historians of the suburbs have lacked interest in the populations of these rural areas before their transformation into industrial towns, the paper defines the notion of rootedness and the method for measuring it. Then, it examines the social relations of the most “rooted” inhabitants in these areas in terms of sociability practices and forms of investment in the town's community life. The research is based on two main indicators: the choice of wedding witnesses, on the one hand, and inhabitants' membership in local associations (brotherhoods), on the other. It highlights the existence of “social enclave” strategies among individuals from the “old peasant families”, which continued to structure social life within this changing territory, well past the time when Ivry had become a town.
    • Nouveaux regards sur les élites rurales au XIXe siècle - Nadine Vivier p. 149-165 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'historiographie française depuis vingt-cinq ans a changé la vision que nous avions des sociétés rurales du XIXe siècle. Au lieu d'un monde immobile dominé par une étroite élite, essentiellement composée d'aristocrates, nous découvrons un monde plus complexe où les bouleversements économiques et culturels, l'introduction du suffrage universel masculin ont entraîné l'élargissement des élites rurales. Alors que les élites du début du siècle se définissaient par leur richesse matérielle, leur enracinement local et leur capital social, elles se sont diversifiées par l'importance accordée aux savoirs, la capacité à s'insérer dans les réseaux de pouvoir grâce à leurs compétences professionnelles.
      Over the past 25 years, French historiography has changed our vision of 19th century rural societies. Instead of an unchanging world dominated by a narrow, mainly aristocratic elite, a more complex world has been highlighted, in which economic and cultural upheavals and the introduction of universal male suffrage prompted an expansion of rural elites. While the elites at the beginning of the century were defined by their material wealth, their local roots and their social capital, they diversified thanks to the importance given to knowledge and their capacity to join networks of power given their professional skills.
    • Relations hommes-femmes en milieu rural : une communauté amish dans les années 1930 - Katherine Jellison p. 167-179 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'étude des amish du Vieil Ordre du comté de Lancaster (Pennsylvanie) pendant les années 1930 met nettement en évidence les caractéristiques et les pratiques qui rendirent possible une agriculture familiale prospère dans un contexte de crise économique. Rejetant le modèle d'une agriculture mécanisée et à forte intensité capitalistique au profit d'une agriculture traditionnelle à forte intensité de main-d'œuvre, les amish restèrent fidèles à une organisation du travail qui exigeait de transgresser la stricte division des rôles entre les sexes. Si les hommes se considéraient prioritairement comme des cultivateurs et les femmes comme des ménagères, la bonne santé de leurs exploitations nécessitait en réalité un degré élevé de coopération et de travail en commun. S'appuyant sur des données issues d'enquêtes gouvernementales sur les comportements d'achat, l'auteure examine de quelle manière la répartition sexuée des rôles au sein de la population amish du comté de Lancaster permit à celle-ci de surmonter la crise avec plus de bonheur que d'autres communautés paysannes.
      The experiences of Old Order Amish women and men in 1930s Lancaster County, Pennsylvania, demonstrate in sharp relief the characteristics and practices that enabled successful family farming during the Great Depression. Rejecting the notion of mechanised, capital-intensive agriculture in favour of traditional, labour-intensive family farming, the Amish practised a system of labour that necessarily required the crossing of strict gender-role boundaries. Although men primarily identified as farmers and women as homemakers, agricultural success among the Amish necessitated a significant degree of cooperation and mutual labour. Employing data from the US government's Consumer Expenditure Surveys, the author investigates how the gender arrangements of Lancaster County's Amish population enabled them to survive the Great Depression more successfully than many other agrarian communities.
  • Notes de lecture