Contenu du sommaire : Le politique des centres sociaux

Revue Participations Mir@bel
Numéro no 35, 2023/1
Titre du numéro Le politique des centres sociaux
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Quels espaces communs pour les recherches sur la démocratie et la participation ? - Guillaume Petit p. 7-17 accès libre
  • Dossier : Le politique des centres sociaux

    • Saisir le politique des centres sociaux. Formes de participation et de pouvoir d'agir dans des espaces délaissés par les sciences sociales - Héloïse Nez, Catherine Neveu, Julie Garnier p. 19-49 accès libre
    • Où se situent les centres sociaux ? Une histoire entre action sociale et éducation populaire - Jérémy Louis p. 51-73 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article aborde la manière dont les centres sociaux et la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France définissent et mettent en place leurs objectifs politiques à travers leur histoire. Il donne à voir les référentiels dans lesquels s'inscrivent les salarié·es et bénévoles de ce réseau. Il donne ainsi une profondeur historique à ce que l'on envisage dans ce dossier comme le « politique des centres sociaux ». L'analyse croise les représentations des centres sociaux qui circulent au travers de leur histoire avec une approche sociohistorique des conditions d'activité de ces structures. Trois périodes sont ainsi étudiées : les premières résidences sociales au tournant du XXe siècle, l'inscription dans une politique nationale d'animation socioculturelle dans les années 1960-1970, et le passage à la logique de projet depuis les années 1980. En définitive, l'article rend compte d'une action située entre action sociale et éducation populaire avec des objectifs centrés sur la promotion de la paix sociale et la création de formes de solidarités locales. Néanmoins, ces référentiels dominants au sein du réseau entrent en tension avec des discours et des pratiques qui positionnent les centres sociaux comme acteurs de démocratie, notamment depuis les années 2000.

      This article discusses the way the French centres sociaux and their national federation (FCSF) define and implement the aims of their community and social action throughout their history. It shows the frames of reference in which the network's employees and volunteers are embedded. It thus gives historical depth to what we consider in this dossier as the “politics of centres sociaux”. The analysis crosses representations of centres sociaux that circulate throughout their history with a socio-historical approach to the conditions of activity of these structures. Three periods are studied: the first French settlements at the turn of the 20th century, the national politics of local development called animation socioculturelle in the 1960s and 1970s, and the transition to a project-based approach since the 1980s. In the end, the article describes an action situated between social work and community action, focused on the promotion of social peace and the creation of forms of local solidarity. Nevertheless, these dominant frames of reference are opposed by the relative adoption of more agonistic definitions of democracy within the federation, especially since the 2000s.
    • Les représentations de la citoyenneté dans les centres sociaux, une « épistémologie civique » en tension avec le « développement du pouvoir d'agir » ? - Catherine Neveu p. 75-100 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      De nombreux travaux sociologiques ont analysé les formes « d'évitement du politique » dans le monde associatif. S'il s'intéresse globalement à des problématiques similaires, cet article aborde les enjeux politiques dans ces espaces à partir d'un autre angle d'analyse : celui d'une approche anthropologique des processus de citoyenneté. Il s'attachera donc dans un premier temps, à partir d'une enquête multisituée et de longue durée, à décrire et analyser le régime dominant de citoyenneté dans le réseau des centres sociaux, ce qu'on pourrait définir comme une « épistémologie civique » spécifique. L'introduction, au début des années 2010, de la visée de « développement du pouvoir des habitants » est venue au moins en partie révéler ce régime dominant, mais le plus souvent implicite, de citoyenneté. En saisissant comment cette visée entre en tension avec cette « épistémologie civique » stabilisée, on peut mieux comprendre pourquoi et comment (et c'est l'objet de la seconde partie de l'article) certaines dimensions de ce « pouvoir d'agir » ont fait l'objet d'appropriations locales assez aisées, alors que d'autres se confrontent à plus de résistance.

      Sociological research has analysed how politics is “avoided” in many associations. If it explores similar issues, this article discusses political issues in such spaces from a different analytical angle, namely that of an anthropological approach of citizenship processes. Relying on a multisited and long-term fieldwork, it will thus first describe and analyse the dominant regime of citizenship in French community centres, what could be defined as a specific “civic epistemology”. The introduction in the 2010s of the aim to “develop the empowerment of inhabitants” has at least partly revealed this dominant, if often implicit, regime of citizenship. Analysing how this aim might have questioned this stabilised “civic epistemology”, as will be done in the second part of the article, one can better understand how and why certain aspects of this “empowerment” have been locally adopted while others meet more resistance.
    • Entre refus, évitement et expression du politique dans les centres sociaux en France. Une enquête ethnographique dans une petite ville en milieu rural - Héloïse Nez p. 101-132 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article cherche à comprendre les raisons d'une mise à distance du politique dans les centres sociaux en France, en analysant les obstacles et les conditions d'expression du politique en leur sein. L'analyse s'appuie sur une enquête ethnographique menée pendant deux ans dans un centre social associatif à Chinon, une petite ville de l'Indre-et-Loire située en milieu rural. Nous montrons, à la suite de Nina Eliasoph et Camille Hamidi, que les facteurs du refus et de l'évitement du politique sont partagés par d'autres associations (comme la publicité des échanges, le caractère plus ou moins homogène des groupes et la posture des salarié·es), mais aussi spécifiques à l'histoire des centres sociaux. Certaines caractéristiques de ces structures en font pourtant des lieux propices à la politisation, comme la coexistence dans un même lieu d'une pluralité d'espaces où s'investir.
      This article seeks to understand the reasons for the distancing of politics in social centers, by analysing the obstacles and the conditions for expressing politics within them. The analysis is based on a two-year ethnographic survey conducted in an associative social center in Chinon, a small town in the Indre-et-Loire region of France, located in a rural environment. Following Nina Eliasoph and Camille Hamidi, we show that the factors of refusal and avoidance of politics are shared by other associations (such as the publicity of exchanges, the more or less homogeneous nature of groups and the posture of employees), but are also specific to the history of social centers. However, certain characteristics of these structures make them places conducive to politicisation, such as the coexistence in the same place of a plurality of spaces in which to invest.
    • Entre-soi et rapports sociaux dans les centres sociaux. Une participation « sous contrôle » des femmes des quartiers - Julie Garnier, Sarah Rétif p. 135-159 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse la façon dont les salarié·es et les bénévoles de centres sociaux interprètent les demandes habitantes en tenant compte des rapports sociaux, entendus ici dans une acception élargie selon laquelle chaque individu se situe au croisement de rapports de pouvoir. L'article prend l'exemple de demandes de femmes musulmanes faites à un centre social situé dans la région Centre-Val de Loire d'organiser une fête à caractère religieux ou de créer un cours de langue arabe, et analyse des situations où des femmes de toutes origines sociales ou ethniques, et de toutes générations, sont réunies par le centre social autour d'une même activité de discussion. Les matériaux mobilisés sont tirés de deux enquêtes ethnographiques, conduites entre 2017 et 2020 dans le cadre du projet de recherche Engagir, et principalement sur deux espaces d'entre-soi féminin : un groupe de parole et un cours de langue arabe dans des quartiers populaires de Tours et de la périphérie d'Orléans. Dans ces situations, la non-mixité de genre semble d'autant plus acceptée par les équipes qu'elle s'accommode des impératifs de la participation des publics, de la mixité sociale et de la laïcité.

      This article analyzes how community centers accompany initiatives coming from residents of working-class neighborhoods and comprehend it through different social relations. The question of social relations, understood here in a broader sense according to which each individual is located at the intersection of power relations, questions the meaning of social work and animation. This article takes the example of requests of Muslim women who asks a community center to host religious events, to create an Arabic language course, and even of situations where women of all social or ethnic backgrounds, from all generations are brought together in the same speaking group. The analysis is based on an ethnographic work conducted over two years (2017-2019) as part of the Engagir project, and mainly on two spaces: a speaking group (in Tours) and a written Arabic language course (in the outskirts of Orléans). In these situations, the fact that only women are reunited, seems all the more accepted by the works of community centers, as it accommodates the imperatives of public participation, social diversity and secularism.
    • Lutter contre les discriminations ethno-raciales dans les centres sociaux. L'exemple de Lormont et Vaulx-en-Velin - Hélène Balazard, Anaïk Purenne p. 161-184 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La Fédération des centres sociaux et socioculturels de France promeut depuis plusieurs années la lutte contre la discrimination liée aux origines. La disqualification symbolique de ces enjeux dans l'espace public, l'évitement du politique au sein des centres sociaux ainsi que la faiblesse des ressources politiques des publics visés contribuent cependant à entraver de telles initiatives. S'appuyant sur un dispositif méthodologique hybride mixant une posture d'accompagnement par la recherche et une enquête de terrain rétrospective, l'analyse des actions mises en place par deux centres sociaux permet d'identifier certaines conditions permettant à de telles mobilisations improbables de « prendre » et de perdurer en contribuant à la politisation de publics éloignés du politique et sans expérience préalable. On montre d'abord que la genèse de ces actions collectives renvoie à l'investissement de professionnelles au profil atypique, ainsi qu'à des contextes institutionnels locaux propices à l'engagement dans la lutte contre les discriminations. On montre ensuite comment la forme de l'« enquête sociale » et la participation de chercheur·es jouant le rôle de soutiens à la cause ont permis la constitution d'un public et favorisé sa politisation chemin faisant.

      The Federation of Social and Sociocultural Centers of France has been promoting the fight against racial discrimination for several years. The symbolic disqualification of these issues in the public space, the avoidance of politics within social centers as well as the lack of political resources of the audiences, however, contribute to hindering such initiatives. Based on a methodological device mixing a posture of participative research and a retrospective field survey, the analysis of the actions implemented by two social centers makes it possible to identify certain conditions allowing such improbable mobilizations to emerge and to last over time by contributing to the politicization of audiences far removed from politics. We first show that the genesis of these collective actions refers to the investment of professionals with an atypical profile, to local institutional contexts conducive to commitment in the fight against discrimination as well as to the participation of researchers supporting the cause. We then show how the form of the “social inquiry” made it possible to co-construct with the participants frameworks of injustice that resonated with their experiences and, by allowing the constitution of an audience, favored its politicization along the way.
    • « Prendre la parole » : engagements et mobilisations de femmes d'un centre social en milieu populaire - Valérie Cohen p. 185-210 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article a pour objectif de rendre compte de l'engagement et de la mobilisation de femmes de classes populaires dont l'action, visant à faire entendre leurs voix et plus largement celles des « habitants », se déploie dans le centre social d'un quartier populaire. L'enquête ethnographique menée au sein de cette structure éclaire la formation de pratiques peu étudiées en mettant en regard les ressources offertes par le centre et celles dont disposent les usagères leur permettant progressivement de construire « leur politique ». Celle-ci s'élabore au sein de groupes restreints, à partir d'une division du travail favorisant l'apprentissage de la prise de parole, sa circulation et sa diffusion. Cette dynamique est cependant fragile en raison des pressions institutionnelles que subit le centre social, des différentes tensions au sein même des collectifs et de l'incertitude des conditions d'existence en milieu précaire.

      The aim of this article was to study the commitment and mobilization of working class women whose action, aiming at making their voices heard and more widely those of the « inhabitants », is deployed in a social center of a working class district. The ethnographic investigation carried out within this structure sheds light on the formation of little-studied, by comparing the resources offered by the center and those available to the users, allowing them to progressively construct « their politics ». This policy is developed within small groups, based on a division of labor that favors learning to speak out. However, this dynamic is fragile because of the institutional pressures that the social center is under, the various tensions within groups of users, and because of the uncertainty of living conditions in a precarious environment.
  • Varia

    • Faire participer pour faire accepter ? Cadrages du débat et cultures épistémiques en tension dans une recherche participative - Laura Seguin p. 213-242 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les sciences de l'environnement, les recherches participatives conduites en partenariat avec des groupes socioprofessionnels peuvent répondre à des objectifs très différents. Les fondements sur lesquels ces recherches s'adossent, et notamment les partis pris épistémologiques et politiques propres aux chercheurs et chercheuses, à leurs partenaires et aux organismes de financement, déterminent le cadrage des espaces participatifs auxquels les parties prenantes sont ensuite conviées. Pourquoi faire participer, qui faire participer ? Quels savoirs mobiliser et/ou construire ? Dans une perspective de sociologie des sciences, cet article porte un regard réflexif sur un projet de recherche participative, en s'intéressant à sa genèse et en prenant les scientifiques et partenaires pilotes du projet comme objets de recherche. L'analyse met en évidence les opérations de (re)cadrage des termes du débat et des espaces participatifs. Elle montre également l'intérêt d'introduire un processus réflexif de la part des scientifiques qui interviennent sur le cours de l'action, dans un processus de co-ingénierie de la participation.

      In the environmental sciences, participatory research, conducted in partnership with socio-professional actors, can meet very different objectives. The foundations on which this research is based, and in particular the epistemological and political biases of the researchers, their partners, and the funders, determine the framework of the participatory spaces to which the stakeholders are then invited. Why should people participate, and who should participate? What knowledge should be mobilized and/or constructed? From a sociology of science perspective, this article takes a reflective look at a participatory research project, looking at its genesis and taking the researchers and partner actors piloting the project as the objects of research and the actors investigated. The analysis highlights the operations of (re)framing the terms of the debate and the participatory spaces. It also shows the interest of introducing a reflexive process on the part of the researcher who intervenes in the course of the action, in a process of co-engineering of participation.
    • La fabrique participative de l'offre programmatique. Métamorphoses du « faire campagne » et dépolitisation de l'école dans la liste « Amiens c'est l'tien » aux élections municipales de 2020 - Thomas Douniès p. 243-270 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article étudie ce que la métamorphose participative des campagnes politiques fait à la formation de l'offre programmatique à l'aune du traitement de l'école dans la liste d'union de la gauche « Amiens c'est l'tien » aux élections municipales françaises de 2020. L'approche ethnographique montre que la démocratisation de l'élaboration du programme se transforme en processus d'évaluation de la conflictualité des propositions. Le dispositif participatif contribue à une consensualisation du traitement de l'école obéissant à des finalités externes – travailler une présentation de soi de la liste qui soit non clivante – et des finalités internes – contourner les dissensus entre membres de la campagne. En éclairant les relations entre la transformation des pratiques de représentation, la recomposition de la division du travail politique, et les modalités de dépolitisation des enjeux sociaux, l'enquête montre en quoi le dispositif participatif est le laboratoire d'évolutions en cours du jeu politique et contribue ainsi à la compréhension des transformations contemporaines de la démocratie locale.

      2020 municipal elections in France have echoed the ideal of participative shaping of political campaigns. This paper studies what this transformation of campaigning makes to the production of the political offer, throughout the handling of school in the leftish list “ Amiens c'est l'tien” in Amiens city. Ethnography shows that the democratization of manifesto production restricts the political imagination. It does so throughout a process of “consensualization” following external ends—shaping a non-conflicting image of the list—and internal ends—avoiding members' conflicts that are eased by participation. By shedding light on the relationships between representation practices, the division of political labor, and the depoliticization of social issues, the paper shows that participatory apparatus is a laboratory of ongoing political evolutions and thus contributes to the understanding of the contemporary transformations of local democracy.