Contenu du sommaire : Partis plateformes, plateformes de partis

Revue Réseaux (communication - technologie - société) Mir@bel
Numéro no 236, décembre 2023
Titre du numéro Partis plateformes, plateformes de partis
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Présentation

    • Les partis politiques par temps de plateformes : Mobilisations électorales, transformations organisationnelles, initiatives citoyennes - Fabienne Greffet p. 9-33 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'introduction de ce dossier de Réseaux portant sur les partis plateformes et plateformes politiques présente les travaux récents concernant les appropriations des plateformes numériques au sein des organisations politiques. Trois grands types de plateformes sont identifiés : les plateformes de mobilisation électorale, implantées au sein des partis existants ; les plateformes configuratrices des organisations politiques, qui concernent des partis structurés autour du numérique, dont le projet politique implique une rupture avec les structures organisationnelles des partis classiques ; enfin, les plateformes citoyennes, qui font disparaître la forme-parti pour organiser la prise en charge numérique, par les citoyens, de la désignation des candidats aux élections. L'article propose ensuite une discussion autour de l'émergence d'un nouveau type de parti, le parti plateforme, théorisé par Paolo Gerbaudo. Il montre que la controverse autour de cette notion est indicative des tensions qui traversent le champ des sciences sociales du numérique. Enfin, un résumé des papiers présents dans le numéro est proposé.
      The introduction to this issue of Réseaux on platform parties and political platforms presents recent work on the appropriation of digital platforms within political organizations. Three main types of platforms are identified: electoral mobilization platforms, established within existing parties; platforms that configure political organizations, which concern parties structured around digital technology, whose political project implies a departure from the organizational structures of traditional parties; and citizen platforms, which do away with the party form to organize the digital empowerment of citizens in the nomination of candidates for elections. The article then discusses the emergence of a new type of party, the platform party, theorized by Paolo Gerbaudo. It shows that the controversy around this notion reflects the tensions running through the field of digital social sciences. To conclude, a summary of the papers in the issue is provided.
  • Dossier : Partis plateformes, plateformes de partis

    • Le parti plateforme : La transformation des organisations politiques à l'heure du Big Data - Paolo Gerbaudo, Fabienne Greffet p. 37-56 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce texte propose un nouveau type de parti, celui du parti plateforme ou parti digital, pour rendre compte de l'émergence d'organisations politiques nées ces dernières années et plus globalement des transformations des partis politiques à l'heure du numérique. Comme le parti de masse incarnait l'organisation politique à l'ère industrielle, le parti plateforme reflète le mode de production des sociétés numériques. Il repose sur trois éléments essentiels : 1) l'usage des plateformes grand public et le développement de plateformes de rassemblement des soutiens, ce qui a pour effet la disparition des échelons intermédiaires caractéristiques des partis antérieurs, soit une « désintermédiation » et une « réintermédiation » autour de la plateforme ; 2) une « hyperbase », celle des soutiens actifs de l'organisation, appelée à un « participationnisme » intense sur les espaces de discussion et de prise de décision ouverts sur la plateforme ; 3) un « hyperleader », soit une personnalité charismatique, « présidentialiste », qui dispose d'un fort pouvoir et d'une grande liberté d'action. L'hyperleader représente l'organisation dans les médias. Dans la durée cependant, les partis plateformes sont confrontés aux limites de la démocratie directe et aux défis de l'institutionnalisation.
      This paper focuses on a new type of party, the platform party or digital party, that is emerging in the digital age. Just as the mass party characterized the industrial age, the digital party reflects the predominant mode of production of a digital society. Its three main features are: 1) the use of digital media platforms, along with the development of in-house ‘participatory' platforms for supporters, which leads to disintermediation, that is, not only to the elimination of intermediary levels existing in previous mass parties, but also to ‘re-intermediation' through dependence on the platform; 2) a ‘hyper-base', that is, the active base of supporters who are engaged in intense ‘participationism' in the discussions and open decision-making on the platform; and 3) a ‘hyper-leader', that is, a charismatic ‘presidentialist' personality who enjoys significant power and leeway. This hyper-leader represents the organization in the media. In the long run, however, platform parties face the limitations of direct democracy and the challenges of institutionalization.
    • « Partis plateforme » versus « partis en réseau » : Analyse comparative du design de plateforme et du débat en ligne dans Rousseau et Decidim - Fabrizio Li Vigni, Enka Blanchard p. 57-93 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis une vingtaine d'années, les institutions représentatives, les partis politiques et les mouvements sociaux déploient des plateformes sur internet pour augmenter la participation citoyenne en matière de prise de décision. L'enrôlement de l'outil numérique dans les processus participatifs – qu'ils soient consultatifs ou co-décisionnels – interroge les sociologues et les politistes. Selon une conceptualisation récente, on distingue deux catégories de « partis digitaux » : les « partis plateforme », plus centralisés et consultatifs, et les « partis en réseau », plus décentralisés et co-décisionnels. Comment cette distinction se traduit-elle dans le design de plateforme et dans les débats en ligne ? À partir de l'analyse comparative des plateformes Rousseau (Mouvement 5 étoiles, Italie) et Decidim (Barcelone en Commun, Espagne), cet article montre que les différences organisationnelles et idéologiques entre les deux types de partis se reflètent dans l'architecture des plateformes, ainsi que sur la manière dont les internautes débattent en ligne.
      For the past two decades, representative institutions, political parties, and social movements have been using internet platforms to increase citizen participation in decision-making. This use of digital tools in participatory processes—whether consultative or co-decisional—has raised questions among sociologists and political scientists. A recent conceptualization distinguished two categories of ‘digital parties': essentially centralized and consultative ‘platform parties', and more decentralized and co-decisional ‘network parties'. How is this distinction reflected in platform design and online debates? Based on a comparative analysis of the Rousseau (5 Star Movement, Italy) and Decidim (Barcelona in Common, Spain) platforms, this article shows that the organizational and ideological differences between the two party types are reflected in the platforms' architecture, and in the ways in which users debate online.
    • L'organisation en ligne des partis politiques européens : Entre avancées des consultations numériques et réticences concernant la digitalisation de la sélection des organes internes - Giulia Sandri, Felix Von Nostitz, Marie Neihouser p. 95-136 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'utilisation croissante des technologies numériques par les partis politiques est devenue un objet de recherche très important (Gerbaudo, 2019a ; Oross et Tap, 2021 ; Barberà et al., 2021). Néanmoins, la manière dont les technologies numériques façonnent l'organisation des partis reste une zone grise pour la recherche. Afin de tenter de répondre à ce manque, cet article propose de développer un cadre commun pour cartographier la digitalisation partisane à travers différents aspects tels que la sélection en ligne des dirigeants, celle des candidats ou encore celle des organes internes. L'objectif est de mesurer les variations dans les modèles de numérisation des partis européens, en particulier concernant leurs élections internes. Nos premiers résultats montrent que la sélection des dirigeants et des candidats est relativement digitalisée, tant dans les nouveaux partis nés en ligne que dans les partis traditionnels plus anciens. En revanche, l'utilisation du vote en ligne pour sélectionner les organes internes est plus rare. Cette recherche permet ainsi de mieux comprendre les transformations les plus récentes des partis politiques et d'évaluer plus précisément l'influence des technologies numériques sur le lien démocratique.
      Political parties' increasing use of digital technologies has become a major research focus (Gerbaudo 2019a; Oross and Tap 2021; Barberà et al. 2021). Yet the ways in which these technologies shape party organization remain a grey area. This article aims to address this gap by proposing a common framework to map party digitalization across different aspects such as online selection of leaders, candidates, and internal bodies. By measuring differences in the digitalization patterns of European parties, particularly with regard to their internal elections, we find that the selection of leaders and candidates is digitalized to a fairly large extent, both in digitally native parties and in mainstream and traditional ones. Furthermore, we find that online voting is hardly used to select members of internal party bodies. This research improves our understanding of the most recent transformations of political parties, allowing for a more precise evaluation of the influence of digital technologies on t democratic linkage.
    • La plateformisation comme idéal participatif : vers une démocratisation de la démocratie ? : Les cas de Ma Voix et de LaPrimaire.org - Anaïs Theviot p. 137-178 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le contexte de discours critiques récurrents envers les partis politiques, des expérimentations se mettent en place, lors des élections présidentielles et législatives de 2017, afin de dépasser la forme partisane et de proposer d'autres alternatives à la sélection des candidats, en s'appuyant sur une plateforme. Celle-ci est en effet centrale dans nos deux cas d'étude – Ma Voix et LaPrimaire.org – car c'est par le truchement de la technique que s'organise la refonte des institutions. L'étude de ces initiatives repose sur l'analyse du design et du contenu des plateformes, ainsi que sur des entretiens et récits de vie avec les concepteurs, militants et usagers. L'analyse met au jour des visions plurielles de la démocratie et de son renouvellement : d'un côté, une vision capacitaire fondée sur l'individu compétent et, de l'autre, une conception basée sur un collectif de profanes anonymes et l'apprentissage. L'objectif d'ouvrir la démocratie – au sens d'aller chercher des internautes-candidats peu dotés socialement – n'est pas rempli : ceux qui osent s'inscrire via la plateforme sont en grande majorité des hommes, de gauche, ayant fait des études supérieures et habitant dans de grandes villes.
      In the context of recurrent critical discourses on political parties, experiments were set up on platforms during the 2017 presidential and legislative elections, with a view to going beyond partisan politics and proposing other alternatives to the selection of candidates. Digital platforms were central to the two case studies—of Ma Voix and LaPrimaire.org—presented here, because it is through technology that institutions are redesigned. The study is based on the analysis of the design and content of the platforms, as well as on interviews with the designers, activists and users, and their life stories. It reveals differing visions of democracy and its renewal: on the one hand, a capacitated view based on the idea of competent individuals and, on the other, a conception based on a collective of anonymous laypersons and learning. The objective of opening up democracy—in the sense of seeking out Internet user-candidates with few social resources—has not been achieved; those who dare to register via the platform are mostly men, and are left-wing, with higher education, living in large cities.
    • Plateformes numériques et participation politique dans une démocratie inaboutie : Le cas des partis politiques de l'opposition au Cameroun - Aboubakar Sidi Njutapwoui p. 179-210 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La question des plateformes numériques et des nouvelles formes de participation démocratique a été l'objet de plusieurs recherches. En revanche, très peu de travaux se sont attardés au cas des partis politiques de l'opposition dans des contextes de démocratie inaboutie. C'est cette dernière dimension qu'on entend explorer ici en analysant les transformations apportées par le numérique dans les pratiques militantes au sein des partis d'opposition au Cameroun, un pays où le pouvoir en place s'illustre particulièrement par la restriction des espaces politiques. Les matériaux utilisés sont tirés des entretiens et de l'observation sur les plateformes numériques d'un candidat à l'élection présidentielle et de son équipe militante, entre 2018 et 2022. L'objectif de cet article est dès lors d'envisager les plateformes numériques comme un espace de participation politique qui permet aux partis politiques de l'opposition de créer une dynamique délibérative au-delà d'une mobilisation strictement électorale.
      Digital platforms and new forms of democratic participation have been researched quite extensively. Yet very few studies have focused on the case of opposition political parties in contexts of failed democracies. This article explores that aspect by analysing the changes brought about by digital technology in the activism of opposition parties in Cameroon, a country where the current government is notorious for its restrictions on the political sphere. The article draws on interviews and observation of the digital platforms of a presidential candidate and his team of activists, between 2018 and 2022. It examines digital platforms as a space of political participation that allows opposition political parties to create a deliberative dynamic beyond strictly electoral mobilization.
    • La dichotomie des réseaux socionumériques pour le parti au pouvoir en Chine : L'exemple de la médiatisation du nationalisme - Zhuoran Ma p. 211-250 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En Chine, les plateformes de réseaux socionumériques (RSN) ont des rôles dichotomiques : d'une part, elles agissent comme médiateur entre le parti au pouvoir et le public, permettant une propagande nationaliste au profit du premier ; d'autre part, elles agissent comme lieu de médiatisation, échappant à la censure et offrant un espace aux oppositions à l'autorité. Cet article vise à illustrer la manière dont le pouvoir chinois se sert de la puissance médiatique pour défendre ses propres intérêts sur Weibo dans le processus de médiatisation du nationalisme. Après avoir analysé les posts (messages) issus de différentes catégories de médias, les commentaires des utilisateurs et les posts relatifs, nous constatons que la participation publique représentée par la numérisation a conduit à l'hétéronomie partielle des plateformes de RSN en tant que dispositifs de contrôle de l'autorité chinoise ; un espace de discours public fragmentaire, dynamique et restreint a été créé dans le processus de la médiatisation.
      In China, digital social networking (DSN) platforms have dichotomous roles: on the one hand, they act as a mediator between the ruling party and the public, allowing the former the benefits of nationalist propaganda; and on the other hand, they act as a place of mediatization, providing a space where censorship can be defied and authority opposed. This article shows how the Chinese government uses the power of media to defend its own interests on Weibo in the mediatization of nationalism. After analysing the posts of different media categories, as well as user comments and their related posts, we find that the public participation represented by digitalization has led to the partial heteronomy of the DSN platforms as control devices of the Chinese government; a fragmented, dynamic, and restricted public discourse space has been created in the process of mediatization.
  • Sociologie des plateformes marchandes

    • L'hébergement Airbnb hors des grandes métropoles : Une activité plus ou moins rationalisée entre visée rentière et occupation - Nicolas Oppenchaim, Marie-Pierre Lefeuvre, Julian Devaux p. 253-284 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Si de nombreuses recherches se sont intéressées aux conséquences de la multiplication de l'offre Airbnb sur la composition sociale des territoires, en particulier dans les centres des métropoles, le rapport entre la diversité des comportements des hébergeurs et leur rapport au contexte local a été laissé de côté. Cet article propose de combler ce manque en s'attachant aux stratégies des hébergeurs Airbnb dans divers contextes géographiques en Région Centre-Val-de-Loire : une métropole, des villes petites et moyennes, ainsi que des communes périurbaines et rurales. Il démontre que les manières de pratiquer l'hébergement Airbnb sont diverses et qu'elles varient notamment selon le degré de rationalisation de la pratique et le sens qui lui est attribué : source de rente ou activité pleine et entière. Les modalités d'encastrement de l'activité Airbnb dans le voisinage sont également très différentes. Ces différentes variations apparaissent notamment tributaires des trajectoires professionnelles des hébergeurs mais aussi des territoires où ils résident.
      While many studies have focused on the consequences of the proliferation of Airbnb offers on the social composition of territories, particularly in large city centres, very little attention has been paid to the diversity of host behaviours in relationship to the local context. This article proposes to fill this gap by focusing on the strategies of Airbnb hosts in the Centre-Val-de-Loire region, France, in various geographical contexts: a metropolis, small and medium-sized towns, and peri-urban and rural communes. It shows that the diverse ways in which Airbnb accommodation is offered vary according to the degree of rationalization of the practice and the meaning attributed to it: a source of income or a fully-fledged activity. The ways in which Airbnb activity is embedded in the neighbourhood also differ widely. All these variations seem to depend not only on the hosts' careers but also on the territories in which they live.
  • Histoire des techniques

    • La « privatisation » de l'électron : Propriété intellectuelle et capitalisme technoscientifique dans les industries des télécommunications - Benoît Lelong p. 287-316 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'émergence du capitalisme technoscientifique au tournant des XIXe et XXe siècles a été abondamment étudiée par les science and technology studies et la sociologie historique des marchés. Elle est souvent caractérisée par le recrutement de physiciens et de chimistes pour améliorer les procédés de fabrication et les objets techniques commercialisés par la grande entreprise. Les premiers laboratoires de recherche apparus au sein des firmes d'électrotechnique et de télécommunication marquent cette internalisation et cette privatisation sans précédent de la science académique. Mais si les compétences pratiques du chercheur ont été mobilisées très tôt pour transformer matériellement la technologie, ses savoirs théoriques le furent ensuite pour définir juridiquement les inventions, et pour les protéger contre la concurrence. Ainsi, les connaissances sur l'électron eurent progressivement un immense intérêt marchand et financier, qui doit beaucoup à l'évolution des régulations politiques et juridiques. Comparer la France et les États-Unis montre qu'il s'est agi d'adapter la gestion du capital et des brevets, et non seulement les stratégies entrepreneuriales et industrielles, à des conditions socio-économiques nationalement différenciées.
      The emergence of techno-scientific capitalism in the late nineteenth and early twentieth centuries has been examined extensively by science and technology studies and the historical sociology of markets. It is often characterized by the recruitment of physicists and chemists to improve the manufacturing processes and technical objects commercialized by large corporations. The first research laboratories that appeared within electrical engineering and telecommunication firms mark this unprecedented internalization and privatization of academic science. Researchers' practical skills were thus applied very early for technology transfer purposes, whereas their theoretical knowledge served later to define the inventions legally and to protect them from competition. Knowledge about the electron gradually became of immense commercial and financial interest, owing largely to the evolution of policy and judicial regulations. A comparison between France and the United States shows that this was a result not only of entrepreneurial and industrial strategies, but also of the adaptation of the management of capital and patents to different socio- economic conditions in the two countries.
  • Notes de lecture