Contenu du sommaire : Construction de soi et révolte dans le monde musulman, la politisation jugulée

Revue Revue internationale de politique comparée Mir@bel
Numéro vol. 30, no 1, 2023
Titre du numéro Construction de soi et révolte dans le monde musulman, la politisation jugulée
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Édito - Décloisonner l'analyse politique comparée - Julien Navarro, Virginie Van Ingelgom p. 5-7 accès libre
  • Hommage - Jean Blondel et la science politique en Europe - André-Paul Frognier, Daniel-Louis Seiler, Jean-Louis Thiébault p. 9-11 accès libre
  • Dossier

    • Avant-propos - Entre transgression et répression De quelques voies d'individuation en Algérie, en Syrie et au Pakistan - Laetitia Bucaille p. 13-27 accès libre
    • Jeunesse et sexualité en Algérie : transgression sans révolution - Laurette Ledevin p. 29-53 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En Algérie, le mariage reste une institution puissante, il est un passage obligé pour légitimer une relation aux yeux de la société. Les relations avant le mariage, quant à elles, ne doivent pas menacer la virginité des jeunes filles. Ce cadre semble cependant peu conciliable avec les aspirations amoureuses des jeunes, pour qui les difficultés d'accès à l'emploi et au logement entraînent un mariage tardif (autour de trente ans pour les filles et les garçons). La présente enquête est ainsi centrée sur les expériences hétérosexuelles prémaritales de jeunes transgressant les normes. L'analyse nous montre comment les individus envisagent et vivent leurs relations avant le mariage ainsi que les répercussions que cela peut engendrer sur leur réputation et sur la construction de leur identité. Il nous montre enfin que les renégociations des normes sexuelles qui s'opèrent ne font pas l'objet d'un combat dans la sphère politique ou à l'échelle collective. Il s'agit en effet de formes d'individuation, à travers la transgression, qui mettent en lumière des modes d'adaptation pluriels et fluctuants, accompagné du désir de s'affranchir du regard des autres, sans pourtant souhaiter se soustraire totalement à une conduite conformiste.
      This study attempts to describe the different way young people live their sentimental relations and sexual experiences in Algeria. It examines the way people try to conform and sometimes secretly transgress the norms. Social and religious norms forbid having sex before marrying and most of the youth conform to the social order. However, the average age to marry in Algeria is rising (around 30 for boys and girls) even if young people want to marry before. This is the result of unemployment, housing problems and large access to university. This article focuses on a minority of transgressive youth in the city of Oran. It describes the different logics people mobilise, highlighting the tension between individual and social demands. This study identifies the complexity and tensions of hybridisation and the way people try to shape their identity. It is argued that even if they transgress the norms, they still adhere to conformism and don't mobilise their revendications in a politic way.
    • Expression de soi et déviance en contexte autoritaire : Les jeunes metalleux (metaljīye) de Lattaquié, en Syrie - Aghiad Ghanem p. 55-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse la politisation des « metalleux » de Lattaquié, en Syrie, et plus précisément le rôle des pratiques metal — l'ensemble des pratiques individuelles et collectives associées à ce genre musical, de la simple écoute à la pratique d'un instrument, ou la constitution d'un groupe musical — dans des mécanismes de politisation, de 2008 à nos jours. La musique metal, qui connaît un essor en Syrie à partir des années 2000, dans des environnements aisés principalement, est souvent réduite à sa dimension contestataire. Fondé sur un travail de réflexivité et une série d'entretiens, cet article montre qu'à Lattaquié, cette contestation, plutôt feutrée, est associée à la constitution d'un récit individuel, par lequel le métalleux va constituer un exutoire, et donner du sens à sa place en tant qu'individu dans un contexte autoritaire. Dans ce processus, la musique est tantôt un outil discursif et matériel dans une quête de réalisation individuelle, tantôt un marqueur social par lequel les individus se différencient et tentent d'échapper au contrôle social. À partir de 2008, le metal provoque des interactions conflictuelles avec les services de sécurité et de renseignement de l'État. Ces tensions révèlent l'ambiguïté de l'engagement politique des métalleux et précisent la nature du contrôle du pouvoir autoritaire sur la bourgeoisie qui lui est proche.
      This article addresses the politicization of the ‘metalheads' of Latakia, Syria. More particularly, it highlights the role of a set of individual and collective practices associated with the metal musical genre — whether listening to the music or actually playing an instrument, possibly leading to the constitution of a music band — in politicization mechanisms, from 2008 to the present day. Metal music, which boomed in Syria from the 2000s, mainly in well-to-do environments, is often reduced to its dimension of protest. Based on a reflexive approach and a series of interviews, this article makes the point that in Latakia, this contestation was a rather muffled one, and associated with the elaboration of an individual narrative, through which metalheads constitute an outlet and give meaning to their place as individuals in their environment. In this process, music is both a discursive and material tool in a quest for individual achievement, and a social marker through which individuals differentiate themselves and try to escape social control. From 2008, metal practices provoke conflicting interactions, particularly with the security and intelligence services of the state. Such tensions reveal the ambiguity of the political commitment of metalheads and specify the nature of the control of the authoritarian power over the bourgeoisie that is close to it.
    • « Sex, lies and videotapes »: violence politique au féminin et déni d'individualité au Pakistan - Amélie Blom p. 83-112 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir du cas d'une étudiante en médecine arrêtée alors qu'elle s'apprêtait à commettre un attentat suicide au nom de l'État Islamique à Lahore, au Pakistan, en avril 2017, cet article explore les formes d'individualisation, d'individuation et de désindividuation à l'oeuvre dans le militantisme violent. Aux démarches qui visent à établir les finalités des djihadistes se substitue toutefois ici un décentrement du questionnement vers cette opération de jugement que constitue le processus d'attribution (et non d'identification) des motivations de l'engagement à haut risque. Quelles institutions, dans quels contextes et à partir de quelles conceptions de l'individu qualifient la motivation des militant·e·s djihadistes au Pakistan ? Et comment ces derniers/dernières réagissent, voire résistent, à l'imposition du sens donné à leur action ? L'étude d'une « vidéo-confession » et d'une interview télévisée de l'aspirante mujahida permet d'explorer la tension entre le déni d'agentivité que lui imposent les autorités étatiques et leurs relais médiatiques, d'une part, et le souci constant d'affirmer son individualité que leur oppose la jeune militante, voire même de se réapproprier la singularité qui lui est refusée.
      In the last twenty years, suicide attacks has become the favoured repertoire of political violence by Jihadist militants. Whenever such attacks occur, media and academics alike tend to focus and speculate on the individual motivations of the perpetrators. Their reading usually oscillates between an understanding of Jihadist violence as a result of, on the one hand, a hyper-individualization and highly intimate motives or, on the other hand, of a blind submission to authority. This paper departs from such motivations-focused analyses and turns the question upside down in order to interrogate instead the very logic of attributing motivations to others. Ascribing motives to militants is in itself a political process: it is fully embedded in power relations, in the broader imperatives of counter-terrorist policies, and in context-specific “moral panics”. I am particularly interested in both identifying the discursive entrepreneurs — the state security apparatus of course but not only — and elucidating the specific frame used to describe Jihadists' motivations: the tension individualization/de-individualization mentioned above. My demonstration is based on a case study, that of a young woman who was arrested after a foiled suicide attack orchestrated by the Islamic State in Lahore, Pakistan, in 2017. The empirical material gathered (her confessional video and TV interview) enables me to analyse how militants adapt to, but at times also manage to resist and challenge, the denial of agency imposed upon them.
  • Varia

    • La coopération intercommunale, remède à la ségrégation sociospatiale ? Une comparaison de six agglomérations françaises - p. 113-145 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis plus de vingt ans, l'État français a misé sur les intercommunalités pour rééquilibrer la présence du logement social dans les agglomérations urbaines et lutter contre les ségrégations sociospatiales. Les Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) se sont vus confier des instruments leur permettant de peser d'abord sur la production des logements sociaux neufs puis, plus récemment, sur leur attribution. Dans cet article, nous tentons de mesurer la montée en puissance effective des EPCI sur ces domaines à partir de l'étude comparée de six agglomérations françaises (Bordeaux, Dunkerque, Grenoble, Meaux, Mulhouse et Saint-Étienne). Il en ressort que les avancées des intercommunalités sont plus nettes sur la régulation de la production de logements sociaux neufs que sur celle des attributions. Nous constatons des variations assez fortes entre intercommunalités qui résultent de deux séries de variables : les configurations sociospatiales qui recouvrent le degré de tension sur les marchés du logement ainsi que les équilibres socioéconomiques, démographiques entre les villes-centres et les communes périphériques ; les configurations politico-administratives et notamment la capacité de coalitions réformatrices mobilisées à l'échelle intercommunale à s'imposer face aux machines municipales.
      For more than twenty years, the French State has relied on intermunicipal authorities to rebalance the presence of social housing in urban areas and to fight against socio-spatial segregation. The Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) have been given instruments that allow them to influence first the production of new social housing units and, more recently, their allocation to tenants. In this article, we attempt to measure the effective rise in power of the EPCIs in these areas based on a comparative study of six French cities (Bordeaux, Dunkirk, Grenoble, Meaux, Mulhouse and SaintÉtienne). It emerges that the progress made by the intermunicipal authorities is clearer in the regulation of the production of new social housing than in the regulation of attributions. We note fairly strong variations between cases that result from two series of variables: socio-spatial configurations that cover the degree of tension on the housing markets as well as the socio-economic and demographic balances between the central cities and the peripheral municipalities; political-administrative configurations and, in particular, the capacity of ‘reform coalitions' mobilized at the intercommunal level to impose themselves in the face of the ‘municipal machines'.
  • Recensions

    • Recensions - Jean-Louis Thiébault, Valérie Lozac'h p. 147-154 accès libre