Contenu du sommaire : Dénaturaliser l'écologie

Revue L'Homme et la société Mir@bel
Numéro no 218, 2023/1
Titre du numéro Dénaturaliser l'écologie
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  • Éditorial

  • In memoriam

  • Dossier

    • Introduction : Les acteurs et les logiques sociales à l'origine des désastres environnementaux - Salvador Juan p. 21-43 accès réservé
    • Dénaturaliser l'écologie, changer les modes de vie - Fabrice Flipo p. 45-68 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'objet de cet article est de « dénaturaliser l'écologie », que l'on comprendra ici comme une tentative de saisir l'écologisme avec les moyens de la raison. Nous procédons en deux parties. La première cherche à clarifier ce concept de nature qui est mobilisé par ce mouvement que les institutions considèrent notamment comme des « usagers de la nature » (Conseil économique, social et environnemental), avec les chasseurs et les pêcheurs. Nous distinguons cinq sens possibles. La seconde partie focalise sur le changement de modes de vie auquel l'écologisme s'emploie depuis ses origines officielles, dans les années 1960 et 1970. En suivant les distinctions proposées par des sociologues s'appuyant sur cette ontologie sartrienne dans laquelle André Gorz allait puiser son inspiration, nous distinguons les modes de vie, styles de vie, genres de vie et système, les séries, les groupes et nous soulignons l'importance du quasi-souverain.
      The aim of this paper is to “denaturalise ecology”, understood here as an attempt to grasp ecologism with the means of reason. We proceed in two parts. The first seeks to clarify the concept of nature mobilised by this movement, which institutions consider to be “users of nature” (Economic, Social and Environmental Council), along with hunters and fishermen. We distinguish five possible meanings. The second part focuses on the change in lifestyles to which ecologism has been committed since its official origins in the 1960s and 1970s. Following the distinctions proposed by sociologists based on that Sartrean ontology from which André Gorz was to draw his inspiration, we distinguish way of life, lifestyles, types of styles and systems, series and groups, and underline the importance of the quasi-sovereign.
    • Dialogue avec Ernest garcia autour de son ouvrage Ecología e igualdad. Hacia una relectura de la teoría sociológica en un planeta que se ha quedado pequeño - Salvador Juan p. 69-85 accès réservé
    • André Gorz : fondements et pratiques d'une écologie politique anthropocentrée - Céline Marty p. 87-110 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'écologie politique peut-elle être anthropocentrée sur le plan pratique, c'est-à-dire ne reconnaître de valeur qu'au sujet humain et non à tout être vivant ? C'est la position d'André Gorz, qu'il justifie par son existentialisme matérialiste marxiste, qui se déploie sur le plan anthropologique et métaéthique. Le sujet humain évolue dans un monde antinaturel, culturel de part en part, et fonde les normes qu'il attribue ensuite à ce qui l'entoure. Il ne valorise pas alors une « nature » mais son « milieu de vie », situation matérielle toujours singulière, qu'il défend, dans une perspective d'émancipation, face aux forces capitalistes et technocratiques qui tentent de se l'approprier.
      Can political ecology be anthropocentric on a practical level, i.e. only recognise the value of the human subject and not of any living being? That is André Gorz's position, justified by his Marxist materialist existentialism, which extends to the anthropological and metaethical level. The human subject evolves in an antinatural world, i.e. cultural, and creates the norms that he then attributes to what surrounds him. He does not value a “nature” but his “living environment”, a material situation that is always singular, which he defends, in a perspective of emancipation, against the capitalist and technocratic forces trying to appropriate it.
    • La technologie comme principe de destruction écologique - Jean Autard p. 111-131 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Quoique la technologie joue un rôle prépondérant dans les désastres écologiques en cours, son rôle a souvent été minoré au profit de déterminants sociaux, idéologiques voire biologiques supposément plus primordiaux. Au contraire, il s'agit de montrer que la technologie est porteuse d'une tendance propre, d'un effet émergent qui empêcherait de la réorienter complètement pour produire une technologie (appuyée sur la science et l'ingénierie et optimisée rationnellement) compatible avec l'écologie. En particulier, la voie des « technologies vertes » telles qu'illustrée par le domaine des énergies renouvelables apparaît comme une impasse contreproductive, tandis que l'emprise de sciences naturelles gestionnaires sur la définition des enjeux de l'écologie produit une puissante dépolitisation et naturalisation de ces questions. Ajouter aux critiques du capitalisme ou de l'anthropocentrisme une approche technocritique est donc une nécessité.
      Although technology plays a prominent role in the current ecological disasters, its role has often been underestimated in favour of social, ideological or even biological determinants. On the contrary, the aim of this paper is to show that technology has a tendency of its own, an emergent effect that would prevent it from being completely reoriented to produce a technology (based on science and engineering and rationally optimised) that would be compatible with ecology. In particular, the “green technologies” route as exemplified by the field of renewable energy appears to be a counterproductive dead end, while the control of managerial natural sciences over the definition of ecological problems produces a powerful depoliticisation and naturalisation of these issues. Adding a critique of technology to the critiques of capitalism or anthropocentrism is therefore a necessity.
    • Au pays de l'atome - Julien Vignet p. 133-162 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'installation progressive et massive des sites nucléaires dans le Cotentin peut permettre de cerner les méthodes et les idéologies de l'aménagement du territoire par un appareil technocratique. Un bout du monde rural et tourné vers la mer va en effet accueillir une industrie de pointe particulièrement stratégique : le Cotentin est nucléarisé à partir des années 1960. La manière dont cette industrie s'impose et bouscule les modes de vie révèle que les contextes sociaux favorables importent davantage que les contraintes techniques. Par ailleurs, les effets néfastes de l'atome sur l'environnement ne découlent pas seulement des risques inhérents à cette industrie, mais aussi des modes de vie et des dépendances qu'elle contribue à instituer.
      The gradual and massive installation of nuclear sites in the Cotentin can help identify the methods and ideologies of territory development by technocratic organisation. A part of the rural world facing the sea will welcome a particularly strategic cutting-edge industry: the Cotentin has been nuclearised from the 1960s. The way this industry is established and shakes up lifestyles reveals that favourable social contexts matter more than technical constraints. Moreover, the harmful effects on the environment of the atom do not stem only from the risks inherent in this industry, but also from the lifestyles and dependencies it helps to institute.
    • Défendre le climat par le droit : Le rôle des juristes dans la production et la mobilisation du droit de l'environnement - Jean-Philippe Tonneau p. 163-192 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Ces dernières années, l'environnement, sous ses différents aspects, a particulièrement retenu l'attention des chercheurs en sciences sociales. Si ces recherches relèvent de théories, de méthodes et d'enjeux pluriels, elles ont pour point commun d'évincer en grande partie le droit, son rôle et sa place, notamment pour défendre la cause environnementale. À partir des premiers résultats d'une recherche consacrée aux dynamiques du contentieux climatique, l'article s'intéresse dans un premier temps aux acteurs de la cause climatique, particulièrement aux avocats et aux juristes d'associations environnementales. L'objectif est notamment de proposer un cadre en termes d'espace de production et de mobilisation du droit de l'environnement composé du champ juridique, du champ militant, du champ parlementaire et du champ de l'expertise. Ensuite, dans un second temps, l'article étudie les raisons de mobiliser le droit, en se demandant notamment si ces recours ne trahissent pas d'autres enjeux, et ses effets.
      In recent years, the environment, in its various aspects, has attracted particular attention of researchers in social sciences. While this research is based on multiple theories, methods and issues, it has in common that the law, its role and its place, particularly in defending the environmental cause, are largely excluded. First, based on primary results of a research on climate litigation dynamics, the paper focuses on climate actors, particularly lawyers and environmental association lawyers. The goal is to suggest a framework in terms of production space and mobilisation of environmental law composed of the legal field, the militant field, the parliamentary field and the field of expertise. Second, the paper examines the reasons for mobilising the law, including whether these remedies do not betray other issues, and its effects.
    • La justice à l'épreuve de la désobéissance civile ? : Réflexions sur les liens entre justice et politique à l'aune de la défense de nécessité climatique - Adèle de Mesnard p. 193-216 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cette contribution analyse, pour les États-Unis et la France, ce qu'implique la stratégie judiciaire comme instrument d'action et la posture du juge lorsqu'il est confronté à la désobéissance civile en matière climatique. Aux États-Unis, les discordances d'interprétation quant aux conditions du recours à la défense de nécessité climatique témoignent des tensions entre justice et politique. Si la question de la séparation des pouvoirs demeure prégnante, admettre la défense de nécessité climatique, puis la reconnaître applicable, permet d'acter au prétoire les réticences politiques à légiférer en matière de lutte contre le changement climatique, voire d'en dénoncer les défaillances. Néanmoins, lorsque le juge admet que l'action de désobéissance civile a comme motif légitime l'urgence climatique, sort-on du cadre de l'exigence de neutralité de la justice ? La « victoire » obtenue devant le juge, confortée par celui-ci, sert-elle alors à légitimer les actions de désobéissance civile ? La justice devient-elle un élément d'évaluation des politiques publiques ? En France, l'interprétation plus restrictive de l'état de nécessité pose également la question de savoir s'il est possible d'agir par nécessité lorsque l'action incriminée est par essence politique.
      This contribution analyses, using the examples of the United States and France, the implications of judicial strategy as an instrument of action and the posture of the judge when confronted with civil disobedience in climate issues. In the United States, the differences of interpretation regarding the conditions of recourse to the climate necessity defence demonstrate the tensions between justice and politics. While the issue of the separation of powers remains significant, admitting the climate necessity defence acknowledges the political reluctance to legislate against climate change in the courtroom, or even denounces its failings. Nevertheless, when the judge admits that the civil disobedience action has a legitimate motive in the climate emergency, does this go beyond the neutrality of justice? Does the “victory” obtained in front of the judge, reinforced by the judge, then serve to legitimise civil disobedience actions? Does justice become an element in the evaluation of public policies? In France, the more restrictive interpretation of the state of necessity also raises the question of whether it is possible to act out of necessity when the action incriminated is essentially political.
    • Adaptation des petits et moyens agriculteurs aux enjeux environnementaux : Vers un dépassement de la contradiction entre économie et environnement ? - Lucie Bruis-Gervasone p. 217-242 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Nous étudions comment l'adaptation aux enjeux environnementaux des petits et moyens agriculteurs, cœur de la profession agricole, participe de manière décisive aux transformations agricoles actuelles. À partir d'une enquête menée en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, nous montrons que cette adaptation a pour fondement une évolution de l'ethos d'une partie des membres de cette fraction de classe. Nous observons notamment chez les agriculteurs rencontrés une importance croissante accordée aux activités gestionnaires et commerciales, ainsi qu'une plus grande collaboration entre pairs. Ces composantes s'inscrivent dans le sillage d'une aspiration toujours très forte à l'autonomie. Nous formulons l'hypothèse que s'ouvre dans la décennie 2010 une nouvelle période dans le processus d'évolution environnementale de l'agriculture marquée par une recomposition de la contradiction économie/environnement, contradiction apparue avec le développement des premières mesures agro-environnementales de la politique agricole commune (PAC) au début des années 1990.
      We analyse how the adaptation to environmental issues of small and medium-sized farmers, core of the agricultural profession, plays a decisive role in current agricultural transformations. Based on a survey conducted in the Provence-Alpes-Côte d'Azur region, we show that this adaptation is based on an evolution of the ethos of a part of the members of this class fraction of class. In particular, we observe among the farmers we met an increasing importance given to management and commercial activities and greater collaboration between peers. These components are in line with a still very strong aspiration to autonomy. We formulate the hypothesis that the 2010 decade is the beginning of a new period in the process of environmental evolution of agriculture, marked by a recomposition of the economic/environmental contradiction, a contradiction that appeared with the development of the first agri-environmental measures of the Common Agricultural Policy (CAP) in the early 1990s.
    • Requalifier l'engagement écologique : Une approche multi-située des obstacles et des démarches d'accompagnement du militantisme écologique - Maïté Juan, Elisabetta Bucolo, Léa Billen p. 243-274 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'urgence écologique transforme les modes de militantisme, de gouvernement et d'intermédiation de l'agir écologique. À partir d'une enquête au sein de l'association Astérya, cet article entend apporter une contribution, d'une part, à la compréhension des verrous empêchant la concrétisation et la pérennisation des engagements écologiques et, d'autre part, à l'analyse des démarches d'accompagnement associatif susceptibles de déverrouiller ces blocages pluriels à différentes échelles : individuelle, organisationnelle et territoriale. Nous avançons que l'accompagnement opère comme un vecteur de requalification des engagements écologiques, suscitant des recompositions dans la manière dont les acteurs, individuels et collectifs, interprètent, négocient et (re)construisent leur militantisme écologique. Toutefois, nous soulignons la dimension partielle et en « demi-teinte » de ces processus de requalification, renvoyant aux limites des démarches d'accompagnement, qui restent pourtant déterminantes pour ancrer dans la durée les dynamiques de transition écologique citoyenne.
      The climate emergency and the imperative of ecological transition are transforming the modes of activism, government and intermediation of ecological action. Based on an investigation within the association Astérya, this paper intends to make a double contribution: on the one hand, to the understanding of the obstacles preventing the maturation and the concretisation of citizens' ecological engagements, on the other hand, to the analysis of the associative support mechanisms likely to unlock these blockages at different levels: individual, organisational and territorial. We argue that accompaniment operates as a mode of requalification of ecological commitments, giving rise to recompositions in the way in which individual and collective actors interpret, negotiate and put into practice their ecological activism. However, we emphasise the partial dimension of these requalification processes, referring to the limits of support approaches, which nevertheless remain decisive in anchoring the dynamics of citizen ecological transition over time.
  • Hors-dossier

    • Ce qui disparaît : Considérations sur l'espèce, la crise écologique et la crise de la culture - Hadrien Lantremange p. 277-301 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Si la crise écologique est habituellement présentée comme une confrontation entre l'homme et la nature, il reste un troisième terme qu'il est impératif de garder à l'esprit : la technique, dont André Leroi-Gourhan avait montré l'importance décisive dans l'histoire de l'espèce. La technique est constituée de deux fronts, qu'il faut considérer conjointement : la médiation avec la nature (le milieu extérieur), et la médiation avec l'homme lui-même (le corps zoologique), dont elle modifie l'insertion sensible. Deux questions se posent, relativement à chacun de ces fronts : vis-à-vis de la nature, l'espèce peut-elle réussir sur un mode global et techno-scientifique ce qu'elle avait réussi historiquement sur un mode local et dialectique ? Et vis-à-vis de l'homme, l'éviction des cultures traditionnelles qu'entraîne le développement technique peut-elle maintenir une capacité d'orientation à long terme de l'espèce ?
      While the ecological crisis is usually presented as a confrontation between mankind and nature, there remains a third term that is imperative to keep in mind: technology, whose decisive importance André Leroi-Gourhan had shown for the species history. Technology appears as made up of two fronts, which must be considered jointly: mediation with nature (the external environment), and mediation with humans themselves (the zoological body), whose sensitive insertion is modified. Two questions arise, relative to each of these fronts: with regard to nature, can the species succeed in a global and techno-scientific mode what it had historically succeeded in a local and dialectical mode? And with regard to humans, can the eviction of traditional cultures entailed by technical development maintain the species' capacity of long-term orientation?
  • Comptes rendus